Texte intégral
Avant même de commencer à prononcer mon discours sur le thème de la mondialisation, dans le cadre de cette semaine consacrée aux « Langues et cultures », je voudrais que nous fassions une petite expérience collective.
Les élèves étrangers peuvent-ils lever la main ?
Qui d'entre vous a vécu à l'étranger ?
Qui d'entre vous compte travailler à l'étranger pour une partie de sa carrière ?
Qui d'entre vous télécharge, légalement, de la musique ?
Monsieur le Directeur général, mesdames et messieurs les élèves, votre école, sur ce campus de Palaiseau, est au coeur de la mondialisation et elle en est un acteur éminent. 20 % de la promotion du cycle ingénieur est recrutée sur le concours étranger (c'était à peine 10% il y a quinze ans), 40% des doctorants sont étrangers, 2/3 des élèves ingénieurs effectuent une partie de leur scolarité à l'étranger.
En vous parlant de mondialisation, je parle donc d'un sujet qui vous est familier et vous sera familier pendant toute votre carrière.
Je souhaite articuler mon propos autour de trois questions qui pourront, je l'espère, nourrir nos échanges :
1. La mondialisation : ange, démon ou simplement construction humaine, positive mais perfectible ?
2. Comment construire une mondialisation au service de l'Homme ?
3. Le rôle de la France et de l'Europe dans ce monde globalisé
1. La mondialisation : ange, démon ou simplement construction humaine, positive mais perfectible ?
A. Qu'est ce que la mondialisation ?
La mondialisation est une réalité historique, celle d'une nouvelle période qui succède à la guerre froide. L'histoire dira peut être que le 21ème siècle a commencé en 1989 et non en 2000. C'est aussi la fin d'une ère marquée par la domination économique d'une quinzaine de puissances occidentales qui prévaut depuis le 17ème siècle et par le retour de l'Asie et de l'Amérique du sud qui reviennent au tout premier plan: rappelons qu'en 1600 les deux tiers du commerce mondial étaient assurés par les Chinois.
La mondialisation est aussi une réalité économique et technologique : elle correspond à l'intégration croissante des économies, couplée à une diffusion des technologies et des connaissances. Dans ce sens c'est un « nouvel âge » du capitalisme, marqué par 5 principales caractéristiques :
Une révolution technologique sous l'impulsion de l'ordinateur, d'Internet et du satellite qui a induit une troisième révolution industrielle succédant à la machine à vapeur au 18ième et l'électricité au 19ième.
Une production segmentée dans l'espace : la recherche, le développement, le design, la fabrication, le marketing et la distribution sont répartis entre différentes entreprises et différents points de la planète.
Un modèle industriel dominant fondé sur l'immatériel et la propriété intellectuelle et sur des coûts de productions faibles. Sur les 110 $ d'une chaussure de sport Nike, moins de 16$ correspondent à la production tandis que le solde concerne la R&D, le design, la distribution et la publicité.
Une production industrielle qui tend à se réduire au profit des services, qui représentent plus de 70% de la richesse nationale.
Un mode de financement de l'activité industrielle qui a évolué et qui est maintenant dominé par des actionnaires gestionnaires de fonds qui imposent une logique de rendement élevé à court terme, déconnectée de tout projet industriel. Le système économique s'en trouve bouleversé dans ses fondements puisque l'industriel et le salarié doivent assumer les conséquences du risque (délocalisations), alors que la rémunération du risque reste dans l'escarcelle des investisseurs.
B. La mondialisation est elle un phénomène nouveau ?
Depuis ses débuts, l'Histoire a connu de nombreuses périodes d'ouverture vers de nouveaux espaces et d'intégration des économies.
Ainsi, la découverte du nouveau monde en 1492, fut elle possible grâce à la boussole, découverte chinoise transmise par les Arabes au 13ème siècle, au gouvernail d'étambot, également découvert par les chinois.
Un des premiers exemples de contrefaçon à l'échelle internationale concerne le vol de la culture des vers à soie. Jusqu'au 6ème siècle ap. J.-C., la Chine n'autorisait que l'export des fils de soie, et toute personne tentant d'exporter illégalement des cocons de ver à soie était punie par la peine de mort. En 550, deux missionnaires basés en Chine réussirent néanmoins à ramener à Constantinople des cocons de vers à soie ainsi que des semences de mûriers.
La dernière mondialisation, à la fin du 19ème siècle, s'est accompagnée de mouvements de population de très grande ampleur puisque 10% de la population mondiale était alors immigrée.
Bien sûr, l'histoire nous montre aussi des périodes de repli sur soi et de fermeture des marchés, tel les monopoles italiens à la Renaissance, le blocus durant les guerres napoléoniennes ou la période de protectionnisme entre les deux guerres mondiales.
Force est de constater néanmoins que :
- ces périodes de protectionnisme n'ont pas été couronnées de succès, voire pire, ont été à l'origine de conflits : les historiens considèrent que la fermeture des frontières des années 30 a joué un rôle décisif dans la genèse de la seconde guerre mondiale;
- le libre échange finit toujours par s'imposer : finalement, ce sont les nombreuses entraves au commerce, exercées par les Turcs, Venise et Gênes, qui ont poussé les pays d'Europe à explorer l'Atlantique à la fin du 15ème pour se procurer les épices et les produits précieux d'Orient. Avec le résultat que l'on sait.
Finalement, la mondialisation n'est pas un phénomène si nouveau que cela même si son avatar moderne s'accompagne, il est vrai, non seulement d'une intégration, mais d'une interdépendance des économies.
C. La mondialisation est un phénomène ambivalent et complexe, qui n'est compréhensible que dans sa globalité
La mondialisation est ambivalente : ce sont de nouvelles opportunités et de nouveaux risques.
Ce sont 350 millions de personnes sorties de la pauvreté depuis 1995. C'est aussi une stabilisation durable de l'inflation mondiale et la possibilité pour les particuliers et les entreprises d'emprunter à taux faible pour s'équiper et investir dans leur logement.
Mais la mondialisation, c'est aussi la triste aventure du Probo koala, navire poubelle qui pollua la Côte d'Ivoire, provoquant la mort de plusieurs personnes et intoxicant des dizaines d'autres. Ce navire battait pavillon panaméen, était armé par une société de négoce dont l'adresse fiscale est à Amsterdam, le siège social à Lucerne (Suisse) et le centre opérationnel à Londres, était loué à une compagnie grecque et sillonnait les océans aux mains d'un équipage russe.
Il n'est donc pas étonnant que la mondialisation soit source de turbulences, fruit de la rencontre du front froid de l'optimisme des économistes et du front chaud de la réalité sociale, celle des fermetures d'usine, qui touchent immédiatement les salariés, souvent les moins qualifiés. Il importe peu à la personne de 50 ans qui vient d'être licenciée dans le secteur du textile ou de l'électroménager, de savoir que grâce à l'ouverture, de nouvelles entreprises bancaires ou d'assurance vont pouvoir se développer, que des jeunes diplômés vont être embauchés ou que des emplois seront créés dans d'autres pays.
Cette tension, entre des effets positifs à long terme et des effets négatifs localisés à court terme, est anxiogène pour les citoyens. Le malaise est présent en Europe et aux Etats-Unis et est particulièrement visible chez les Français.
Pour l'eurobaromètre de la Commission, 58% des Français tiennent la mondialisation pour une menace, à l'inverse d'autres pays européens.
Le sondage publié par le German Marshall Fund va dans le même sens. Seuls 47% des Français considèrent que la mondialisation est un phénomène positif, et 55% d'entre eux sont attachés au maintien de barrières commerciales. Nombres de ces réserves sont aussi partagées par certains de nos concitoyens européens et par nos amis des Etats-Unis.
D. La mondialisation est imparfaite
Nous devons aussi porter un regard lucide sur la mondialisation car les effets globalement positifs de la mondialisation sur la croissance et le développement ne doivent pas faire oublier ses défauts. J'en discerne trois principaux :
a. Des règles du jeu qui ne sont pas toujours justes. La concurrence, qui est le mécanisme essentiel à la base de la créativité et de l'innovation, ne s'exerce pas toujours de manière loyale. Ainsi, la pratique du dumping est courante dans certains pays. Les chaussures chinoises sont commercialisées à un prix inférieur de 79% à leur coût de production, en bénéficiant notamment de financements publics. Il n'est pas normal que nos fabricants, qui font déjà face à des coûts de production supérieurs, soient confrontés à une telle concurrence déloyale.
b. Un développement incomplet de la gouvernance mondiale qui ne permet pas de gérer efficacement les problèmes globaux: le système de gouvernance mondiale est un » archipel » épars et incohérent, dont les « îles » ne sont pas reliées entre elles car ces institutions n'acceptent pas facilement de travailler ensemble.
c. Des actions insuffisantes en faveur des exclus de la mondialisation : que ce soit les pays exclus de la mondialisation (Afrique) ou les salariés peu qualifiés dans les pays développés. S'agissant des pays les moins avancés, je souhaite néanmoins mentionner l'initiative européenne « Tout sauf les Armes » grâce à laquelle ces pays bénéficient d'un accès au marché européen sans droit ni quotas depuis 2001. Il est urgent que les autres pays développés et émergents fassent de même.
2. Comment construire une mondialisation au service de l'Homme ?
A. Une mondialisation responsable
Une mondialisation responsable ce sont des acteurs responsables :
Des salariés, des citoyens et des consommateurs qui agissent en acteurs et non en spectateurs
La consommation n'est plus un acte anodin, elle a des conséquences sur le citoyen et le salarié: le consommateur doit pouvoir choisir un produit en fonction de sa nocivité vis-à-vis de l'environnement et refuser d'acheter un produit qui a été fabriqué par des enfants.
La mondialisation ne pourra être responsable sans un étiquetage qui s'appuie sur des normes crédibles et qui informe le consommateur du contenu social et environnemental des produits.
La mondialisation responsable, ce sont aussi des Etats responsables
qui modernisent leurs économies en investissant dans la recherche et l'innovation, l'éducation, les infrastructures, bref dans tous les biens publics dont les entreprises et les salariés ont besoin pour faire face à la compétition mondiale
qui s'occupent mieux des exclus de la mondialisation, et qui encouragent en priorité ceux qui ont des difficultés à s'adapter. Le fonds européen d'ajustement à la mondialisation, doté de 500 millions d'euros est un bon début. En France, nous devons faire mieux collectivement: encourager les salariés plutôt que protéger les emplois et anticiper les restructurations. L'idée d'un fonds français d'ajustement à la mondialisation qui aiderait les salariés touchés par des délocalisations devrait être explorée.
qui instaurent un équilibre entre les intérêts nationaux et le respect d'une éthique de la mondialisation.
qui mettent en oeuvre des politiques de co-développement : «il n'y aura jamais de murs assez hauts contre la désespérance des peuples malheureux et affamés qui observent derrière leurs écrans l'opulence de nos sociétés de consommation effrénée ».
La mondialisation responsable, ce sont enfin des entreprises responsables qui adoptent des stratégies sur le long terme plutôt que d'imprimer une logique purement financière et de court terme à leurs actions et qui se soumettent à des principes de notation et d'évaluation de leur politique de responsabilité sociale
B. Un commerce loyal
Depuis Adam Smith et Ricardo, on sait que le libre échange permet l'enrichissement réciproque de ceux qui échangent.
Mais la liberté ce n'est pas l'absence de règles : la mise en place du libre échange doit être encadrée.
Le Père dominicain Henri Lacordaire disait : " entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et l'esclave, c'est la loi qui libère et la liberté qui opprime".
Un commerce loyal, c'est l'assurance que les règles commerciales sont appliquées effectivement
Les règles multilatérales de l'OMC et l'assurance de leur mise en oeuvre grâce au mécanisme de règlement des différends.
Nous devons aussi coordonner nos efforts pour assurer un meilleur respect de la propriété intellectuelle. La réalité de la contrefaçon est vertigineuse : elle représente de 5 à 10 % du commerce mondial, ses conséquences sont dramatiques pour nos économies - 30 000 emplois perdus chaque année en France, 200 000 en Europe, et ses conséquences sont tragiques pour notre santé - 10 % des médicaments en circulation sont faux, et bien plus encore dans certains pays d'Afrique. L'exemple du GAFI (groupe d'action financière qui lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment de l'argent) doit nous inspirer. Une telle structure, consacrée à la lutte contre la contrefaçon, permettrait d'échanger les bonnes pratiques, de coordonner les actions de lutte contre la contrefaçon, de fixer des standards de mise en oeuvre et d'effectuer la veille nécessaire.
Nous devons aussi faire mieux, notamment en matière de transparence et d'incitation. Je suis favorable à ce qu'un "Observatoire des pratiques du commerce international et de la mondialisation" évalue les pratiques des principaux acteurs de la mondialisation.
C. Un développement durable
La communauté internationale doit apporter des réponses globales aux enjeux environnementaux et sociaux qui sont maintenant de nature mondiale, que ce soit le changement climatique, la destruction de la biodiversité ou le respect des droits fondamentaux du travail.
Bien sûr, les accords commerciaux doivent être mis à contribution pour lutter contre le dumping social et environnemental :
- des clauses sociales et environnementales ambitieuses devraient être intégrées de manière systématique dans les accords commerciaux négociés par l'UE (par exemple avec le Mercosur).
- des mesures commerciales peuvent être nécessaires pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique: libéralisation des biens et services environnementaux, taxe carbone, le système de préférence généralisé européen qui intègre déjà une dimension environnementale et sociale (les pays qui mettent en oeuvre 23 conventions internationales peuvent bénéficier d'une réduction tarifaire supplémentaire).
Malgré tout, il est clair que les règles du jeu actuelles ne sont pas suffisantes pour éviter le dumping social et la surexploitation des ressources naturelles. Il est normal que nos partenaires commerciaux cherchent à profiter de la mondialisation, il est injuste et inacceptable qu'ils le fassent au mépris des droits de l'homme, des droits fondamentaux du travail et de la protection de l'environnement. Je propose 3 pistes :
* L'OMC ne doit pas régner seule:
- les préoccupations environnementales sont encore trop absentes des règles multilatérales qui encadrent le commerce : nous devons réfléchir aux moyens d'inciter tous les pays à respecter la planète sans compromettre le légitime développement des pays émergents
- nous avons besoin du renforcement de l'Organisation Internationale du Travail pour mieux défendre les droits fondamentaux du travail dans le monde.
* Ensuite, nous devons préserver les biens publics mondiaux qui ne sont actuellement protégés ni par le marché, ni par les conventions internationales.
- Pour cela, les pays doivent progresser dans la définition et l'acceptation de ces biens publics mondiaux que nous avons reçus en héritage et dont dépend l'humanité. Les enjeux d'une eau non polluée, d'air pur, d'une biodiversité forestière préservée, dépassent clairement les intérêts nationaux des pays qui en sont dépositaires.
- Nous avons la responsabilité de le reconnaître et d'agir dès maintenant de manière concertée pour assurer une gestion en bon père de famille de ces biens publics mondiaux (BPM).
- A défaut, sans réflexion ni action commune, le risque de tensions n'est pas à écarter, pouvant déboucher sur des conflits, voire sur l'émergence d'un droit d'ingérence de type nouveau si la survie de l'humanité était mise en en cause par la destruction de ces BPM.
* Enfin, l'ouverture commerciale ne doit pas mettre en danger la juste préservation de nos valeurs, de nos préférences collectives.
- Le commerce international, ce n'est pas simplement l'échange de biens, c'est aussi la mise en contact de valeurs, de préférences collectives.
- En effet, ces préférences collectives traduisent des choix collectifs qui ne sont pas les mêmes partout : les citoyens européens ne veulent pas manger de viande de boeuf nourri aux hormones, alors que les citoyens des Etats Unis l'acceptent. Dans un registre différent le refus ou l'acceptation de la peine de mort est également une préférence collective.
- Avec la disparition des barrières commerciales, le commerce devient un lieu de conflits de valeurs et pose une question fondamentale : est ce que le libre échange prime sur les valeurs ? Est-il acceptable de ne pouvoir refuser d'importer des produits fabriqués par des enfants dans des conditions intolérables ?
3. Le rôle de la France et de l'Europe dans ce monde globalisé
La France est un pays qui a toujours pensé le monde et inspiré les valeurs universelles que le monde a acceptées. Aujourd'hui, face aux défis que pose la mondialisation, notre pays a une voix à faire entendre au sein de l'Europe et au sein de la communauté internationale :
Pour ne citer que deux initiatives, je souhaite mentionner la conférence mondiale sur l'environnement qui a été organisée par le Président de la République, les 2 et 3 février derniers, et la création de la taxe sur les billets d'avion pour financer l'achat de médicaments à destination des pays les plus pauvres.
Récemment, j'ai lancé un groupe multidisciplinaire à qui j'ai demandé de réfléchir aux moyens de rendre la mondialisation plus humaine et plus proche des gens. Ils me livreront leurs recommandations à la fin du mois de mars.
La voix de la France passe par l'Europe
Imaginer que la France peut peser à l'échelle internationale sans passer par l'Europe est devenu utopique. Certes, la France est une grande puissance, la 6e au monde, et nous représentons, en matière économique ou diplomatique, beaucoup plus que le 1% de population que nous représentons.
Mais le monde s'organise en grandes zones d'influence qui allient un marché important, un dynamisme économique et une influence politique. La Chine, l'Inde, les Etats-Unis, le Japon, la Russie, le Brésil seront des acteurs clés de la mise en place du monde de demain.
Face à ces acteurs de poids, l'erreur serait pour les pays européens d'arriver en ordre dispersé : la voix de la France ne pèsera que si elle est relayée au niveau européen. Je ne suis pas en train de dire que la France doit se diluer dans l'Europe mais elle doit trouver au niveau européen les relais de ses prises de position.
Par ailleurs, l'Europe est un bon exemple de multilatéralisme réussi : des pays ont convenu de définir des règles communes et ont mis en place une gouvernance supranationale pour en surveiller la mise en oeuvre. Nulle région de la planète n'a réussi ceci autant qu'en Europe. C'est dire combien nous avons vocation à servir d'exemple à la mise en place d'une gouvernance mondiale.
Il est courant de critiquer l'Europe et de la fustiger comme la responsable des problèmes de la France mais la réalité est autre : notre continent doit à la construction européenne de nombreux bienfaits :
- la paix : les nations européennes, qui se sont déchirées pendant des siècles, se sont mobilisées pour construire plutôt qu'envier, pour échanger plutôt que se protéger, pour se comprendre dans un esprit de tolérance plutôt que se défier
- le marché commun : la libre circulation des biens a créé des opportunités nombreuses dont nos entreprises ont largement profité. C'est encore aujourd'hui le cas avec les nouveaux entrants. La prospérité européenne doit beaucoup au marché commun.
- l'union monétaire : l'euro est devenu un bouc émissaire facile et je ne suis pas de ceux qui en font une faiblesse de l'Europe, bien au contraire. On peut commenter le taux de change euro/dollar ou euro/yen, on peut souhaiter que le mandat de la Banque centrale européenne soit modifié mais nous devons comprendre que grâce à l'euro, nous avons gagné une stabilité monétaire qui n'existait pas avant. Souvenons-nous des spirales de dévaluation que la France a connues dans les années 1980 : l'euro nous protège contre ces chocs monétaires. D'ailleurs, la vigueur de l'investissement étranger dans la zone euro, tout comme la 3e place de la France au classement des destinations de cet investissement démontrent la confiance que le monde a en notre monnaie. L'euro renforce l'attractivité de la France et c'est donc bon pour l'emploi et la croissance.
Le choix du non au référendum en France et aux Pays-Bas ne doit pas nous faire renoncer à ce projet européen, bien au contraire.
Je crois que pour reprendre la construction européenne, nous devons proposer une Europe des projets, des projets qui permettent de répondre aux défis que pose la mondialisation. C'est nécessaire pour l'Europe et ce sera exemplaire pour la communauté internationale car l'Europe peut être le creuset et le terrain d'expérimentation de solutions qui deviendront mondiales ensuite.
Quels projets proposer ? J'en suggérerais trois :
- l'énergie : l'épuisement progressif des ressources fossiles, le réchauffement climatique et la consommation exponentielle des pays émergents tirés par leur démographie et leur développement vont conduire à voir les relations entre les producteurs et les consommateurs plus complexes, peut-être plus tendues. L'Europe doit s'unir pour discuter avec les grands pays producteurs, je pense à l'OPEP, je pense à la Russie. L'Europe doit aussi organiser la distribution de l'énergie afin d'éviter les phénomènes de pénurie ou de black-out comme ceux que l'Italie a connus.
- la santé : tous les pays développés font face à un vieillissement de la population et à une augmentation de la durée de la vie. Les dépenses de santé vont croître de manière très importante dans les années qui viennent. Les pays émergents eux-mêmes seront concernés beaucoup plus vite que nous ne l'avons été : la Chine commence à être confrontée au vieillissement de la population et au problème du financement de retraites par exemple. Cette victoire de l'humanité sur la mort, nous devons nous en féliciter. Mais elle pose des défis : comment nos sociétés financeront-elles ces dépenses croissantes ? comment soutenir le développement de nouveaux médicaments alors que l'essor des génériques et la contrefaçon bousculent les business models de l'industrie pharmaceutique ? comment favoriser, accompagner l'apparition de nouveaux services liés à la prolongation de la vie et comment les aider à s'exporter ?
- la recherche et l'innovation : la stratégie de Lisbonne fixe des objectifs ambitieux à chacun des pays mais force est de constater que nous sommes loin du compte. Je crois que nous devons sortir d'une logique budgétaire de moyens alloués à une logique d'objectifs, objectifs auxquels il faudra allouer les moyens nécessaires. La question ne me semble pas pouvoir être résumée au pourcentage de PIB consacré à la recherche mais sont plutôt les suivantes Quels sont les grands thèmes de recherche que les pays européens doivent traiter ? Comment renforcer les synergies européennes et renverser les concurrences en alliances, les rivalités en partenariats ? Comment tirer parti, au niveau européen, de la démarche française des pôles de compétitivité et des agences de financement de projets ? Comment favoriser les échanges et les croisements entre la recherche publique et la recherche privée ?
Voici 3 exemples autour desquels il me semble que l'Europe peut et doit se mobiliser à nouveau : 3 projets qui parlent aux citoyens et permettent de démontrer que l'Europe ce n'est pas une bureaucratie mais une union vertueuse de 27 Etats membres qui décident d'avancer dans le même sens sur les sujets qui comptent pour l'humanité et pour la planète.
4. Conclusion
En conclusion, il me semble qu'il faut que je vous lance un appel.
Le travail d'un Ministre du commerce extérieur est très souvent d'inciter et d'entraîner :
- les entreprises, notamment les PME, à exporter
- les investisseurs étrangers à venir faire des affaires en France
- les gouvernements étrangers à avancer dans la voie du multilatéralisme et du développement du commerce mondial
Alors j'ai envie de vous inciter et de vous entraîner à participer à la mise en place d'une mondialisation équilibrée.
Vous allez tous être amenés à jouer un rôle à responsabilité dans une administration, dans une entreprise, dans une organisation internationale, dans une équipe de recherche, ailleurs peut-être et vous allez tous être des acteurs de l'évolution du monde. Vous aurez, chacun dans votre domaine, votre mot à dire, votre pierre à apporter à l'édifice.
Votre rôle, vous devez le jouer en songeant que l'avenir du monde dépend des actions des hommes et que celles-ci doivent être inspirées par des valeurs.
Julien Gracq écrit : « Tant de bras pour transformer le monde et si peu de regards pour le contempler » Ne renoncez jamais à votre regard, à votre écoute et inspirez vos actes de vos émotions et de vos impressions. L'Histoire du monde n'est pas celle des Empires prestigieux et déchus, des monuments - tout se délabre un jour - mais celle des Hommes et de leur capacité à mettre le progrès et le développement au service de leur bonheur et de leur bien-être, et non le contraire.
C'est là le défi principal qui se pose à nous, et qui les résume tous : saurons-nous mettre l'avenir du monde au service de l'Homme ? C'est à nous qu'il appartient, par nos idées inspirées et nos actions réfléchies, de répondre oui et de faire de la mondialisation un outil d'harmonie plutôt que de discorde.
Les élèves étrangers peuvent-ils lever la main ?
Qui d'entre vous a vécu à l'étranger ?
Qui d'entre vous compte travailler à l'étranger pour une partie de sa carrière ?
Qui d'entre vous télécharge, légalement, de la musique ?
Monsieur le Directeur général, mesdames et messieurs les élèves, votre école, sur ce campus de Palaiseau, est au coeur de la mondialisation et elle en est un acteur éminent. 20 % de la promotion du cycle ingénieur est recrutée sur le concours étranger (c'était à peine 10% il y a quinze ans), 40% des doctorants sont étrangers, 2/3 des élèves ingénieurs effectuent une partie de leur scolarité à l'étranger.
En vous parlant de mondialisation, je parle donc d'un sujet qui vous est familier et vous sera familier pendant toute votre carrière.
Je souhaite articuler mon propos autour de trois questions qui pourront, je l'espère, nourrir nos échanges :
1. La mondialisation : ange, démon ou simplement construction humaine, positive mais perfectible ?
2. Comment construire une mondialisation au service de l'Homme ?
3. Le rôle de la France et de l'Europe dans ce monde globalisé
1. La mondialisation : ange, démon ou simplement construction humaine, positive mais perfectible ?
A. Qu'est ce que la mondialisation ?
La mondialisation est une réalité historique, celle d'une nouvelle période qui succède à la guerre froide. L'histoire dira peut être que le 21ème siècle a commencé en 1989 et non en 2000. C'est aussi la fin d'une ère marquée par la domination économique d'une quinzaine de puissances occidentales qui prévaut depuis le 17ème siècle et par le retour de l'Asie et de l'Amérique du sud qui reviennent au tout premier plan: rappelons qu'en 1600 les deux tiers du commerce mondial étaient assurés par les Chinois.
La mondialisation est aussi une réalité économique et technologique : elle correspond à l'intégration croissante des économies, couplée à une diffusion des technologies et des connaissances. Dans ce sens c'est un « nouvel âge » du capitalisme, marqué par 5 principales caractéristiques :
Une révolution technologique sous l'impulsion de l'ordinateur, d'Internet et du satellite qui a induit une troisième révolution industrielle succédant à la machine à vapeur au 18ième et l'électricité au 19ième.
Une production segmentée dans l'espace : la recherche, le développement, le design, la fabrication, le marketing et la distribution sont répartis entre différentes entreprises et différents points de la planète.
Un modèle industriel dominant fondé sur l'immatériel et la propriété intellectuelle et sur des coûts de productions faibles. Sur les 110 $ d'une chaussure de sport Nike, moins de 16$ correspondent à la production tandis que le solde concerne la R&D, le design, la distribution et la publicité.
Une production industrielle qui tend à se réduire au profit des services, qui représentent plus de 70% de la richesse nationale.
Un mode de financement de l'activité industrielle qui a évolué et qui est maintenant dominé par des actionnaires gestionnaires de fonds qui imposent une logique de rendement élevé à court terme, déconnectée de tout projet industriel. Le système économique s'en trouve bouleversé dans ses fondements puisque l'industriel et le salarié doivent assumer les conséquences du risque (délocalisations), alors que la rémunération du risque reste dans l'escarcelle des investisseurs.
B. La mondialisation est elle un phénomène nouveau ?
Depuis ses débuts, l'Histoire a connu de nombreuses périodes d'ouverture vers de nouveaux espaces et d'intégration des économies.
Ainsi, la découverte du nouveau monde en 1492, fut elle possible grâce à la boussole, découverte chinoise transmise par les Arabes au 13ème siècle, au gouvernail d'étambot, également découvert par les chinois.
Un des premiers exemples de contrefaçon à l'échelle internationale concerne le vol de la culture des vers à soie. Jusqu'au 6ème siècle ap. J.-C., la Chine n'autorisait que l'export des fils de soie, et toute personne tentant d'exporter illégalement des cocons de ver à soie était punie par la peine de mort. En 550, deux missionnaires basés en Chine réussirent néanmoins à ramener à Constantinople des cocons de vers à soie ainsi que des semences de mûriers.
La dernière mondialisation, à la fin du 19ème siècle, s'est accompagnée de mouvements de population de très grande ampleur puisque 10% de la population mondiale était alors immigrée.
Bien sûr, l'histoire nous montre aussi des périodes de repli sur soi et de fermeture des marchés, tel les monopoles italiens à la Renaissance, le blocus durant les guerres napoléoniennes ou la période de protectionnisme entre les deux guerres mondiales.
Force est de constater néanmoins que :
- ces périodes de protectionnisme n'ont pas été couronnées de succès, voire pire, ont été à l'origine de conflits : les historiens considèrent que la fermeture des frontières des années 30 a joué un rôle décisif dans la genèse de la seconde guerre mondiale;
- le libre échange finit toujours par s'imposer : finalement, ce sont les nombreuses entraves au commerce, exercées par les Turcs, Venise et Gênes, qui ont poussé les pays d'Europe à explorer l'Atlantique à la fin du 15ème pour se procurer les épices et les produits précieux d'Orient. Avec le résultat que l'on sait.
Finalement, la mondialisation n'est pas un phénomène si nouveau que cela même si son avatar moderne s'accompagne, il est vrai, non seulement d'une intégration, mais d'une interdépendance des économies.
C. La mondialisation est un phénomène ambivalent et complexe, qui n'est compréhensible que dans sa globalité
La mondialisation est ambivalente : ce sont de nouvelles opportunités et de nouveaux risques.
Ce sont 350 millions de personnes sorties de la pauvreté depuis 1995. C'est aussi une stabilisation durable de l'inflation mondiale et la possibilité pour les particuliers et les entreprises d'emprunter à taux faible pour s'équiper et investir dans leur logement.
Mais la mondialisation, c'est aussi la triste aventure du Probo koala, navire poubelle qui pollua la Côte d'Ivoire, provoquant la mort de plusieurs personnes et intoxicant des dizaines d'autres. Ce navire battait pavillon panaméen, était armé par une société de négoce dont l'adresse fiscale est à Amsterdam, le siège social à Lucerne (Suisse) et le centre opérationnel à Londres, était loué à une compagnie grecque et sillonnait les océans aux mains d'un équipage russe.
Il n'est donc pas étonnant que la mondialisation soit source de turbulences, fruit de la rencontre du front froid de l'optimisme des économistes et du front chaud de la réalité sociale, celle des fermetures d'usine, qui touchent immédiatement les salariés, souvent les moins qualifiés. Il importe peu à la personne de 50 ans qui vient d'être licenciée dans le secteur du textile ou de l'électroménager, de savoir que grâce à l'ouverture, de nouvelles entreprises bancaires ou d'assurance vont pouvoir se développer, que des jeunes diplômés vont être embauchés ou que des emplois seront créés dans d'autres pays.
Cette tension, entre des effets positifs à long terme et des effets négatifs localisés à court terme, est anxiogène pour les citoyens. Le malaise est présent en Europe et aux Etats-Unis et est particulièrement visible chez les Français.
Pour l'eurobaromètre de la Commission, 58% des Français tiennent la mondialisation pour une menace, à l'inverse d'autres pays européens.
Le sondage publié par le German Marshall Fund va dans le même sens. Seuls 47% des Français considèrent que la mondialisation est un phénomène positif, et 55% d'entre eux sont attachés au maintien de barrières commerciales. Nombres de ces réserves sont aussi partagées par certains de nos concitoyens européens et par nos amis des Etats-Unis.
D. La mondialisation est imparfaite
Nous devons aussi porter un regard lucide sur la mondialisation car les effets globalement positifs de la mondialisation sur la croissance et le développement ne doivent pas faire oublier ses défauts. J'en discerne trois principaux :
a. Des règles du jeu qui ne sont pas toujours justes. La concurrence, qui est le mécanisme essentiel à la base de la créativité et de l'innovation, ne s'exerce pas toujours de manière loyale. Ainsi, la pratique du dumping est courante dans certains pays. Les chaussures chinoises sont commercialisées à un prix inférieur de 79% à leur coût de production, en bénéficiant notamment de financements publics. Il n'est pas normal que nos fabricants, qui font déjà face à des coûts de production supérieurs, soient confrontés à une telle concurrence déloyale.
b. Un développement incomplet de la gouvernance mondiale qui ne permet pas de gérer efficacement les problèmes globaux: le système de gouvernance mondiale est un » archipel » épars et incohérent, dont les « îles » ne sont pas reliées entre elles car ces institutions n'acceptent pas facilement de travailler ensemble.
c. Des actions insuffisantes en faveur des exclus de la mondialisation : que ce soit les pays exclus de la mondialisation (Afrique) ou les salariés peu qualifiés dans les pays développés. S'agissant des pays les moins avancés, je souhaite néanmoins mentionner l'initiative européenne « Tout sauf les Armes » grâce à laquelle ces pays bénéficient d'un accès au marché européen sans droit ni quotas depuis 2001. Il est urgent que les autres pays développés et émergents fassent de même.
2. Comment construire une mondialisation au service de l'Homme ?
A. Une mondialisation responsable
Une mondialisation responsable ce sont des acteurs responsables :
Des salariés, des citoyens et des consommateurs qui agissent en acteurs et non en spectateurs
La consommation n'est plus un acte anodin, elle a des conséquences sur le citoyen et le salarié: le consommateur doit pouvoir choisir un produit en fonction de sa nocivité vis-à-vis de l'environnement et refuser d'acheter un produit qui a été fabriqué par des enfants.
La mondialisation ne pourra être responsable sans un étiquetage qui s'appuie sur des normes crédibles et qui informe le consommateur du contenu social et environnemental des produits.
La mondialisation responsable, ce sont aussi des Etats responsables
qui modernisent leurs économies en investissant dans la recherche et l'innovation, l'éducation, les infrastructures, bref dans tous les biens publics dont les entreprises et les salariés ont besoin pour faire face à la compétition mondiale
qui s'occupent mieux des exclus de la mondialisation, et qui encouragent en priorité ceux qui ont des difficultés à s'adapter. Le fonds européen d'ajustement à la mondialisation, doté de 500 millions d'euros est un bon début. En France, nous devons faire mieux collectivement: encourager les salariés plutôt que protéger les emplois et anticiper les restructurations. L'idée d'un fonds français d'ajustement à la mondialisation qui aiderait les salariés touchés par des délocalisations devrait être explorée.
qui instaurent un équilibre entre les intérêts nationaux et le respect d'une éthique de la mondialisation.
qui mettent en oeuvre des politiques de co-développement : «il n'y aura jamais de murs assez hauts contre la désespérance des peuples malheureux et affamés qui observent derrière leurs écrans l'opulence de nos sociétés de consommation effrénée ».
La mondialisation responsable, ce sont enfin des entreprises responsables qui adoptent des stratégies sur le long terme plutôt que d'imprimer une logique purement financière et de court terme à leurs actions et qui se soumettent à des principes de notation et d'évaluation de leur politique de responsabilité sociale
B. Un commerce loyal
Depuis Adam Smith et Ricardo, on sait que le libre échange permet l'enrichissement réciproque de ceux qui échangent.
Mais la liberté ce n'est pas l'absence de règles : la mise en place du libre échange doit être encadrée.
Le Père dominicain Henri Lacordaire disait : " entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et l'esclave, c'est la loi qui libère et la liberté qui opprime".
Un commerce loyal, c'est l'assurance que les règles commerciales sont appliquées effectivement
Les règles multilatérales de l'OMC et l'assurance de leur mise en oeuvre grâce au mécanisme de règlement des différends.
Nous devons aussi coordonner nos efforts pour assurer un meilleur respect de la propriété intellectuelle. La réalité de la contrefaçon est vertigineuse : elle représente de 5 à 10 % du commerce mondial, ses conséquences sont dramatiques pour nos économies - 30 000 emplois perdus chaque année en France, 200 000 en Europe, et ses conséquences sont tragiques pour notre santé - 10 % des médicaments en circulation sont faux, et bien plus encore dans certains pays d'Afrique. L'exemple du GAFI (groupe d'action financière qui lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment de l'argent) doit nous inspirer. Une telle structure, consacrée à la lutte contre la contrefaçon, permettrait d'échanger les bonnes pratiques, de coordonner les actions de lutte contre la contrefaçon, de fixer des standards de mise en oeuvre et d'effectuer la veille nécessaire.
Nous devons aussi faire mieux, notamment en matière de transparence et d'incitation. Je suis favorable à ce qu'un "Observatoire des pratiques du commerce international et de la mondialisation" évalue les pratiques des principaux acteurs de la mondialisation.
C. Un développement durable
La communauté internationale doit apporter des réponses globales aux enjeux environnementaux et sociaux qui sont maintenant de nature mondiale, que ce soit le changement climatique, la destruction de la biodiversité ou le respect des droits fondamentaux du travail.
Bien sûr, les accords commerciaux doivent être mis à contribution pour lutter contre le dumping social et environnemental :
- des clauses sociales et environnementales ambitieuses devraient être intégrées de manière systématique dans les accords commerciaux négociés par l'UE (par exemple avec le Mercosur).
- des mesures commerciales peuvent être nécessaires pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique: libéralisation des biens et services environnementaux, taxe carbone, le système de préférence généralisé européen qui intègre déjà une dimension environnementale et sociale (les pays qui mettent en oeuvre 23 conventions internationales peuvent bénéficier d'une réduction tarifaire supplémentaire).
Malgré tout, il est clair que les règles du jeu actuelles ne sont pas suffisantes pour éviter le dumping social et la surexploitation des ressources naturelles. Il est normal que nos partenaires commerciaux cherchent à profiter de la mondialisation, il est injuste et inacceptable qu'ils le fassent au mépris des droits de l'homme, des droits fondamentaux du travail et de la protection de l'environnement. Je propose 3 pistes :
* L'OMC ne doit pas régner seule:
- les préoccupations environnementales sont encore trop absentes des règles multilatérales qui encadrent le commerce : nous devons réfléchir aux moyens d'inciter tous les pays à respecter la planète sans compromettre le légitime développement des pays émergents
- nous avons besoin du renforcement de l'Organisation Internationale du Travail pour mieux défendre les droits fondamentaux du travail dans le monde.
* Ensuite, nous devons préserver les biens publics mondiaux qui ne sont actuellement protégés ni par le marché, ni par les conventions internationales.
- Pour cela, les pays doivent progresser dans la définition et l'acceptation de ces biens publics mondiaux que nous avons reçus en héritage et dont dépend l'humanité. Les enjeux d'une eau non polluée, d'air pur, d'une biodiversité forestière préservée, dépassent clairement les intérêts nationaux des pays qui en sont dépositaires.
- Nous avons la responsabilité de le reconnaître et d'agir dès maintenant de manière concertée pour assurer une gestion en bon père de famille de ces biens publics mondiaux (BPM).
- A défaut, sans réflexion ni action commune, le risque de tensions n'est pas à écarter, pouvant déboucher sur des conflits, voire sur l'émergence d'un droit d'ingérence de type nouveau si la survie de l'humanité était mise en en cause par la destruction de ces BPM.
* Enfin, l'ouverture commerciale ne doit pas mettre en danger la juste préservation de nos valeurs, de nos préférences collectives.
- Le commerce international, ce n'est pas simplement l'échange de biens, c'est aussi la mise en contact de valeurs, de préférences collectives.
- En effet, ces préférences collectives traduisent des choix collectifs qui ne sont pas les mêmes partout : les citoyens européens ne veulent pas manger de viande de boeuf nourri aux hormones, alors que les citoyens des Etats Unis l'acceptent. Dans un registre différent le refus ou l'acceptation de la peine de mort est également une préférence collective.
- Avec la disparition des barrières commerciales, le commerce devient un lieu de conflits de valeurs et pose une question fondamentale : est ce que le libre échange prime sur les valeurs ? Est-il acceptable de ne pouvoir refuser d'importer des produits fabriqués par des enfants dans des conditions intolérables ?
3. Le rôle de la France et de l'Europe dans ce monde globalisé
La France est un pays qui a toujours pensé le monde et inspiré les valeurs universelles que le monde a acceptées. Aujourd'hui, face aux défis que pose la mondialisation, notre pays a une voix à faire entendre au sein de l'Europe et au sein de la communauté internationale :
Pour ne citer que deux initiatives, je souhaite mentionner la conférence mondiale sur l'environnement qui a été organisée par le Président de la République, les 2 et 3 février derniers, et la création de la taxe sur les billets d'avion pour financer l'achat de médicaments à destination des pays les plus pauvres.
Récemment, j'ai lancé un groupe multidisciplinaire à qui j'ai demandé de réfléchir aux moyens de rendre la mondialisation plus humaine et plus proche des gens. Ils me livreront leurs recommandations à la fin du mois de mars.
La voix de la France passe par l'Europe
Imaginer que la France peut peser à l'échelle internationale sans passer par l'Europe est devenu utopique. Certes, la France est une grande puissance, la 6e au monde, et nous représentons, en matière économique ou diplomatique, beaucoup plus que le 1% de population que nous représentons.
Mais le monde s'organise en grandes zones d'influence qui allient un marché important, un dynamisme économique et une influence politique. La Chine, l'Inde, les Etats-Unis, le Japon, la Russie, le Brésil seront des acteurs clés de la mise en place du monde de demain.
Face à ces acteurs de poids, l'erreur serait pour les pays européens d'arriver en ordre dispersé : la voix de la France ne pèsera que si elle est relayée au niveau européen. Je ne suis pas en train de dire que la France doit se diluer dans l'Europe mais elle doit trouver au niveau européen les relais de ses prises de position.
Par ailleurs, l'Europe est un bon exemple de multilatéralisme réussi : des pays ont convenu de définir des règles communes et ont mis en place une gouvernance supranationale pour en surveiller la mise en oeuvre. Nulle région de la planète n'a réussi ceci autant qu'en Europe. C'est dire combien nous avons vocation à servir d'exemple à la mise en place d'une gouvernance mondiale.
Il est courant de critiquer l'Europe et de la fustiger comme la responsable des problèmes de la France mais la réalité est autre : notre continent doit à la construction européenne de nombreux bienfaits :
- la paix : les nations européennes, qui se sont déchirées pendant des siècles, se sont mobilisées pour construire plutôt qu'envier, pour échanger plutôt que se protéger, pour se comprendre dans un esprit de tolérance plutôt que se défier
- le marché commun : la libre circulation des biens a créé des opportunités nombreuses dont nos entreprises ont largement profité. C'est encore aujourd'hui le cas avec les nouveaux entrants. La prospérité européenne doit beaucoup au marché commun.
- l'union monétaire : l'euro est devenu un bouc émissaire facile et je ne suis pas de ceux qui en font une faiblesse de l'Europe, bien au contraire. On peut commenter le taux de change euro/dollar ou euro/yen, on peut souhaiter que le mandat de la Banque centrale européenne soit modifié mais nous devons comprendre que grâce à l'euro, nous avons gagné une stabilité monétaire qui n'existait pas avant. Souvenons-nous des spirales de dévaluation que la France a connues dans les années 1980 : l'euro nous protège contre ces chocs monétaires. D'ailleurs, la vigueur de l'investissement étranger dans la zone euro, tout comme la 3e place de la France au classement des destinations de cet investissement démontrent la confiance que le monde a en notre monnaie. L'euro renforce l'attractivité de la France et c'est donc bon pour l'emploi et la croissance.
Le choix du non au référendum en France et aux Pays-Bas ne doit pas nous faire renoncer à ce projet européen, bien au contraire.
Je crois que pour reprendre la construction européenne, nous devons proposer une Europe des projets, des projets qui permettent de répondre aux défis que pose la mondialisation. C'est nécessaire pour l'Europe et ce sera exemplaire pour la communauté internationale car l'Europe peut être le creuset et le terrain d'expérimentation de solutions qui deviendront mondiales ensuite.
Quels projets proposer ? J'en suggérerais trois :
- l'énergie : l'épuisement progressif des ressources fossiles, le réchauffement climatique et la consommation exponentielle des pays émergents tirés par leur démographie et leur développement vont conduire à voir les relations entre les producteurs et les consommateurs plus complexes, peut-être plus tendues. L'Europe doit s'unir pour discuter avec les grands pays producteurs, je pense à l'OPEP, je pense à la Russie. L'Europe doit aussi organiser la distribution de l'énergie afin d'éviter les phénomènes de pénurie ou de black-out comme ceux que l'Italie a connus.
- la santé : tous les pays développés font face à un vieillissement de la population et à une augmentation de la durée de la vie. Les dépenses de santé vont croître de manière très importante dans les années qui viennent. Les pays émergents eux-mêmes seront concernés beaucoup plus vite que nous ne l'avons été : la Chine commence à être confrontée au vieillissement de la population et au problème du financement de retraites par exemple. Cette victoire de l'humanité sur la mort, nous devons nous en féliciter. Mais elle pose des défis : comment nos sociétés financeront-elles ces dépenses croissantes ? comment soutenir le développement de nouveaux médicaments alors que l'essor des génériques et la contrefaçon bousculent les business models de l'industrie pharmaceutique ? comment favoriser, accompagner l'apparition de nouveaux services liés à la prolongation de la vie et comment les aider à s'exporter ?
- la recherche et l'innovation : la stratégie de Lisbonne fixe des objectifs ambitieux à chacun des pays mais force est de constater que nous sommes loin du compte. Je crois que nous devons sortir d'une logique budgétaire de moyens alloués à une logique d'objectifs, objectifs auxquels il faudra allouer les moyens nécessaires. La question ne me semble pas pouvoir être résumée au pourcentage de PIB consacré à la recherche mais sont plutôt les suivantes Quels sont les grands thèmes de recherche que les pays européens doivent traiter ? Comment renforcer les synergies européennes et renverser les concurrences en alliances, les rivalités en partenariats ? Comment tirer parti, au niveau européen, de la démarche française des pôles de compétitivité et des agences de financement de projets ? Comment favoriser les échanges et les croisements entre la recherche publique et la recherche privée ?
Voici 3 exemples autour desquels il me semble que l'Europe peut et doit se mobiliser à nouveau : 3 projets qui parlent aux citoyens et permettent de démontrer que l'Europe ce n'est pas une bureaucratie mais une union vertueuse de 27 Etats membres qui décident d'avancer dans le même sens sur les sujets qui comptent pour l'humanité et pour la planète.
4. Conclusion
En conclusion, il me semble qu'il faut que je vous lance un appel.
Le travail d'un Ministre du commerce extérieur est très souvent d'inciter et d'entraîner :
- les entreprises, notamment les PME, à exporter
- les investisseurs étrangers à venir faire des affaires en France
- les gouvernements étrangers à avancer dans la voie du multilatéralisme et du développement du commerce mondial
Alors j'ai envie de vous inciter et de vous entraîner à participer à la mise en place d'une mondialisation équilibrée.
Vous allez tous être amenés à jouer un rôle à responsabilité dans une administration, dans une entreprise, dans une organisation internationale, dans une équipe de recherche, ailleurs peut-être et vous allez tous être des acteurs de l'évolution du monde. Vous aurez, chacun dans votre domaine, votre mot à dire, votre pierre à apporter à l'édifice.
Votre rôle, vous devez le jouer en songeant que l'avenir du monde dépend des actions des hommes et que celles-ci doivent être inspirées par des valeurs.
Julien Gracq écrit : « Tant de bras pour transformer le monde et si peu de regards pour le contempler » Ne renoncez jamais à votre regard, à votre écoute et inspirez vos actes de vos émotions et de vos impressions. L'Histoire du monde n'est pas celle des Empires prestigieux et déchus, des monuments - tout se délabre un jour - mais celle des Hommes et de leur capacité à mettre le progrès et le développement au service de leur bonheur et de leur bien-être, et non le contraire.
C'est là le défi principal qui se pose à nous, et qui les résume tous : saurons-nous mettre l'avenir du monde au service de l'Homme ? C'est à nous qu'il appartient, par nos idées inspirées et nos actions réfléchies, de répondre oui et de faire de la mondialisation un outil d'harmonie plutôt que de discorde.