Texte intégral
Q - Vous publiez un livre : "Des Affaires pas si étrangères" aux éditions Odile Jacob. Ce titre, était-ce pour faire taire un peu les mauvaises langues qui disaient que les affaires vous étaient étrangères ?
R - Pour être honnête, c'est un double clin d'oeil. D'abord, en effet, il s'agit d'affaires pas si étrangère au débat électoral français actuel. Je pense qu'il faudrait demander aux candidats à l'élection présidentielle ce qu'ils pensent sur l'Iran, le Moyen-Orient en général, sur les relations transatlantiques, sur la Constitution européenne, autant que ce qu'ils pensent des sujets hexagonaux. C'est ma première remarque : des affaires pas si étrangères à l'élection présidentielle. Et puis, vous avez raison, je ne suis pas diplomate de carrière. Je ne suis pas du sérail mais je voulais quand même montrer que, dans cette équipe, au Quai d'Orsay, nous sommes très soudés.
J'ai été, je crois, intéressé par une réflexion personnelle. Le chef de la diplomatie française s'appelle Jacques Chirac et, à ses côtés, je reconnais que j'apprends beaucoup. J'ajoute que c'est un honneur de servir mon pays au Quai d'Orsay.
Q - Etiez-vous un peu coincé entre deux passionnés de la diplomatie, Jacques Chirac et Dominique de Villepin. Ce devait être délicat ?
R - Je n'ai jamais eu cette impression, au contraire. La définition de la diplomatie, c'est d'éviter la crise et la guerre, d'abord pour son pays. Ensuite, c'est être tout à fait convaincu que la France n'est pas un pays comme les autres. La France est l'un des cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU. C'est l'un des pays doté de l'arme nucléaire, membre du G8 et membre de l'Union européenne. Autant vous dire que le président de la République française, quel qu'il soit, est écouté. Il peut parfois agacer mais il est, dans le cas de Jacques Chirac, toujours respecté.
Q - Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais vous poser une question d'actualité concernant un ressortissant français en charge de la sécurité pour la délégation de l'Union européenne qui a été tué cette nuit à Abidjan, en Côte d'Ivoire. L'enquête commence mais, d'après vous, s'achemine-t-on plutôt vers un crime crapuleux ou bien un crime politique ?
R - En tout cas, c'est un drame effrayant pour sa famille et pour ses amis auxquels j'adresse mes condoléances, et, au-delà, pour la diplomatie en général.
Nous avons donc demandé qu'une enquête soit diligentée au niveau ivoirien, mais aussi au niveau de la Commission européenne car c'était un diplomate qui travaillait pour l'Union européenne. J'espère que très vite nous pourrons faire toute la lumière sur ce drame.
Q - Quelle direction prend l'enquête selon vous ?
R - Je ne sais pas. La justice nous le dira.
Q - En Côte d'Ivoire, il y a 4.000 soldats aujourd'hui, à quoi servent-ils ?
R - Aujourd'hui, il y a une importante communauté française en Côte d'Ivoire et je voudrais saluer l'action des militaires français de l'opération LICORNE.
Il faut que nous aboutissions à un accord et le Conseil de sécurité a pris ses responsabilités. Il existe un dialogue aujourd'hui entre le président ivoirien et ses opposants et il est tout à fait nécessaire que le Groupe de travail international, qui se réunit tous les mois à Abidjan, puisse trouver les solutions. La France souhaite un accord car la Côte d'Ivoire mérite beaucoup mieux que ce qu'elle vit aujourd'hui.
Q - Aujourd'hui, s'ouvre le procès de l'hebdomadaire satyrique "Charlie-Hebdo", qui avait publié les caricatures de Mahomet. D'après vous, y a-t-il une limite à la liberté l'expression ?
R - Tout d'abord, la France et tous les Français sont attachés viscéralement à la liberté d'expression. Je défend la liberté d'expression. Je le dis et je l'affirme, ici, sur votre plateau. Il faut simplement faire attention, lorsque l'on prône le dialogue des cultures et des civilisations et le dialogue entre les religions, de ne pas blesser l'autre culture, l'autre civilisation ou l'autre religion.
Q - Peut-on se moquer du prophète Mahomet ?
R - Comme vous le savez, la justice va s'employer à répondre à cette question. Je pense qu'il est tout de même nécessaire de pouvoir défendre la liberté d'expression.
Q - Qu'attendez-vous de ce procès ?
R - J'attends deux choses : qu'il y ait, de manière générale et dans le monde entier, une liberté d'expression. Trop de pays ne sont pas suffisamment démocratiques et la liberté d'expression est l'une des valeurs principales, fondamentales, essentielles, d'une démocratie. Mais le monde est si instable, aujourd'hui. Il y a des intégristes, d'un côté comme de l'autre, qui veulent nous mener vers une guerre des civilisations. La seule solution est de lutter contre les ignorances en favorisant l'éducation.
Une fois éduqué, une fois que vous connaissez l'autre, alors, la liberté d'expression est encore plus facile.
Q - Soutenez-vous "Charlie Hebdo" ?
R - Je n'ai pas à me prononcer ici, c'est la justice qui statuera.
Q - Je vous demande cela car M. Sarkozy a envoyé une lettre, François Bayrou s'y est rendu ainsi que François Hollande.
R - Très franchement et sur le fond, car je crois que c'est l'essentiel, la liberté d'expression est le corollaire à la connaissance de l'autre. Lorsque l'on se dit en faveur de la liberté d'expression, il faut aussi dire que l'on est pour la liberté d'écrire l'Histoire telle qu'elle est, la vraie, dans les manuels d'Histoire que liront nos enfants. Qu'ils soient dans les pays arabes ou dans les pays occidentaux ou dans n'importe quel pays, il est nécessaire d'avoir, en effet, une connaissance des faits, des cultures, des religions et des civilisations.
A partir de cela, il est logique que les caricatures puissent être élaborées. Mais attention de ne pas les diffuser vers des cerveaux qui ne seraient pas préparés au respect de l'autre.
Pour répondre à votre question, oui je suis pour la liberté d'expression.
Q - Le Premier ministre Dominique de Villepin a donné aujourd'hui une interview au "Financial Times", il appelle à un retrait des troupes et pour la première fois, il donne un calendrier, 2008. Selon vous, cette présence étrangère en Irak est-elle le terreau, et la raison de la violence, en tout cas, l'une des raisons de la violence dans ce pays ?
R - Aujourd'hui, la stratégie américaine est un échec car elle repose sur un triple aveuglement : un aveuglement sur les objectifs initiaux - puisqu'au départ, il s'agissait de détruire des armes de destruction massive qui n'existaient pas ; un aveuglement concernant les moyens utilisés - en effet, ils permettaient de faire tomber le régime mais ils ne permettent pas d'obtenir la stabilité ni du pays, ni de la région ; un aveuglement par rapport à la stratégie américaine uniquement basée sur un système militaire.
Il n'y aura pas de solution purement militaire en Irak. Il faut donner à ce pays un Etat de droit.
(...)
Q - Dans votre livre, vous racontez votre première rencontre en 2005 avec le président iranien Ahmadinejad.
R - Oui, c'était en septembre 2005, le président iranien souhaitait rencontrer les trois ministres européens, Jack Straw, Joschka Fischer et moi-même. Nous avons débuté l'entretien et, à un moment, il nous a dit que l'avantage du chaos, c'était qu'ensuite il y avait Dieu. En définitive, j'ai eu le sentiment que son souhait était de nous parler régulièrement de cette étrange interaction qui existe, entre la politique d'un côté et la religion de l'autre, au sein de la vie diplomatique de son pays.
Q - Justement, cette dimension mystique vous paraît-elle tactique dans la bouche du président iranien, ou bien est-ce quelque chose qu'il faut prendre en compte lorsque l'on est, comme vous, le chef de la diplomatie française ? Cela pèse-t-il dans la balance ?
R - Nous le prenons en compte car c'est l'énorme enjeu du XXIème siècle. Il y a un certain nombre de personnalités dans le monde qui souhaitent qu'il y ait, progressivement, une confrontation entre des civilisations, des cultures et des religions. Le rôle de la France, et le président de la République n'a pas cessé de théoriser cela, est d'être le point d'équilibre entre le monde musulman, par exemple, et le monde occidental. Il faut nous connaître mutuellement. Si vous ne connaissez pas quelqu'un, vous ne le respectez pas. Si vous le connaissez, vous le respectez, vous le prenez en compte ; c'est cela même, la définition de la démocratie.
Les cultures doivent se connaître et se frotter les unes aux autres, sinon, c'est la dictature. Et je crois que la place de la France, c'est ce point d'équilibre qu'il nous faut conserver et qu'il nous faut faire valoir dans le monde. C'est une voix nouvelle.
Q - A l'ONU, la France a voté la résolution du Conseil de sécurité 1737 concernant les sanctions économiques, cette pression sera-t-elle suffisante ?
R - Nous avons un point de vue ferme, sérieux et équilibré qui n'a jamais varié. Nous disons aux responsables iraniens qu'ils doivent suspendre leurs activités nucléaires sensibles et qu'ils ne doivent pas avoir d'activités nucléaires à des fins qui ne seraient pas pacifiques. S'ils suspendent ces activités nucléaires, alors nous sommes prêts - l'ouverture et le dialogue sont là -, à suspendre les sanctions. Nous constatons que les Iraniens ne veulent pas suspendre leurs activités nucléaires sensibles. Il y a 6 jours, les Iraniens ont refoulé les inspecteurs de l'AIEA. Nous leur disons très simplement de ne pas s'isoler car, sinon, les sanctions continueront.
Q - Il y a quelques jours, le président Chirac a accordé une interview à deux médias anglo-saxons et à un hebdomadaire français. On a glosé sur le fait de savoir si ses réponses étaient des faux pas ou non, nous n'allons pas revenir là-dessus mais je souhaitais revenir sur le fond.
Dans cette intervention, Jacques Chirac disait qu'au fond, le danger n'est pas que l'Iran possède une ou deux bombes nucléaires, c'est la prolifération. Cette réflexion n'est-elle pas un constat qui corrobore ce que vous venez de dire, constat selon lequel l'Iran finalement posséderait ou est en passe de posséder la bombe, ce qui signifierait que la résolution de l'ONU est inutile ou inefficace et que, dans ce cas, il vaut mieux tenter de ramener l'Iran dans le jeu de la dissuasion nucléaire, c'est-à-dire de l'équilibre de la terreur.
R - Il y a deux éléments dans votre question. Le premier concerne le président Chirac. Il n'a rien dit d'autre que, si l'Iran devait prendre une option militaire concernant le dossier nucléaire, ce serait une voie sans issue. Il a eu raison de le dire car c'est vrai.
Le second élément, qui est tout à fait différent- et personne ne le dit suffisamment- c'est qu'il y a un vrai débat en Iran, un débat entre le président actuel M. Ahmadinejad qui vient de perdre les élections municipales à Téhéran et les anciens qui réapparaissent : M. Rafsandjani, l'ancien président Khatami et même des proches du Guide Khamenei, le Guide suprême qui est une figure centrale du pouvoir en Iran. Ces personnalités commencent à se poser des questions sur le bien-fondé de la politique diplomatique de M. Ahmadinejad qui, par ailleurs, a tenu des propos inacceptables et choquants concernant Israël et en particulier, en acceptant d'organiser une Conférence révisionniste sur l'Holocauste, que nous avons immédiatement condamnée.
J'ai participé, sur Internet, à un "chat" sur le site iranien Roozonline et je me suis aperçu que cette civilisation est très ouverte. Il y a en Iran des étudiants à qui il faut parler, à qui nous devons expliquer les sanctions que nous avons prises à l'unanimité au Conseil de sécurité, avec les Russes et les Chinois d'une part et les Américains et les Britanniques de l'autre. Là encore, la France a tout fait pour obtenir l'unité, parce que si la communauté internationale n'est pas unie sur le dossier iranien, elle s'affaiblit, et les Iraniens l'utiliseront pour gagner.
Q - Lorsque M. Chirac dit cela, les Iraniens ne pensent-ils pas que c'est une forme de tolérance envers eux ?
R - Ce n'est pas du tout une tolérance !
Q - De toute façon, ils ont presque la bombe nucléaire !
R - Non, le président de la République - et c'est tout à son honneur d'avoir eu le scrupule de rappeler des journalistes pour compléter sa réaction - et la France n'ont absolument pas changé de position sur le dossier nucléaire iranien. Nous sommes fermes, nous avons voté la résolution 1737, vous venez de le dire, le 23 décembre 2006. Surtout, et c'est capital, nous ne souhaitons pas que les Iraniens aient l'impression d'être punis. Nous leur disons de suspendre leurs activités nucléaires sensibles afin que nous puissions suspendre nos sanctions.
Q - Mais, au fond, M. Chirac dit ce que tout le monde pense tout bas !
R - Jacques Chirac a raison d'être ferme car si nous n'étions pas fermes, il y aurait un risque de prolifération nucléaire générale. La question qui se pose aujourd'hui, en effet, est celle du réchauffement climatique. Plus le climat se modifie, plus il est difficile d'accepter que les nouveaux pays qui se développent, qui s'industrialisent, le fassent uniquement grâce au pétrole, au gaz et au charbon. La température, qui est déjà de 14,5° en moyenne cette année, et qui n'a jamais atteint à un tel niveau sur notre planète, va encore augmenter.
(...)
Il y aura donc une demande progressive de la part de différents pays pour avoir accès au nucléaire civil : l'Inde, la Chine, le Pakistan. Il y a une demande de nucléaire civil et la question est de savoir comment éviter de s'engager dans le nucléaire militaire.
Q - Encore une fois, ces propos du président Chirac, n'était-ce pas un moyen de constater une état de fait, c'est-à-dire la possession par l'Iran, tôt ou tard, de la bombe nucléaire, de la bombe atomique et, finalement, de s'accommoder de la chose en récupérant l'Iran dans un jeu plutôt classique, puisque vous parliez tout à l'heure de l'irrationnel et de la dimension irrationnelle qui peut exister dans le régime iranien.
R - Je ne peux pas vous laisser dire cela.
Q - En insinuant là aussi qu'Israël serait en passe de l'obtenir également ?
R - Nous avons fait des propositions avec les Américains et les Européens pour que l'Iran revienne au sein de la communauté internationale. Il faut qu'ils aient "raison gardée", mais s'ils ne suspendent pas les activités sensibles, il n'en sera pas question. Et le deuxième sujet, même imbriqué, est que l'Iran a un rôle de plus en plus important dans la région.
Q - Un rôle stabilisateur comme vous le disiez tout à l'heure ?
R - Stabilisateur ou non stabilisateur.
Q - Le pensez-vous toujours ?
R - Tout le monde pense cela, tout le monde l'a dit après moi. Ou bien l'Iran a un rôle stabilisateur, ou bien il a un rôle déstabilisateur et il faut tout faire pour que ce pays aille du bon côté. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, nous disons à l'Iran qu'il est très important aujourd'hui, pour prendre le Liban en exemple, que le Liban reste indépendant et souverain. Nous avons 1.600 jeunes Français qui se trouvent dans le Sud-Liban et il est normal, comprenez-le, que nous puissions dialoguer avec les différents pays de la région. Tous nos partenaires parlent aux Iraniens, tous. Et j'ai moi-même parlé à mon homologue iranien. Il est normal de pouvoir le faire.
Sur le dossier iranien, nous sommes fermes et la France travaille en étroite collaboration avec ses partenaires sur ce dossier.
Q - Il faut, dites-vous, reprendre "langue", d'une manière ou d'une autre, pas à n'importe quelle condition, mais d'une manière ou d'une autre, avec l'Iran.
R - Attendez, il ne faut pas reprendre "langue". Les grandes démocraties n'ont jamais arrêté de parler avec les Iraniens.
Q - Alors pourquoi, dans ce cas-là, la Syrie n'est-elle pas fréquentable, à aucun prix ?
R - Parce que nous n'avons pas confiance dans ce que dit la Syrie, concernant le Liban en particulier.
Q - Pourquoi n'avez-vous pas confiance ?
R - Je vais vous expliquer. Le Conseil de sécurité des Nations unies a voté des résolutions, la résolution 1559 qui vise à dire que le Liban doit être totalement indépendant. Il y a eu cet assassinat de Rafic Hariri. Depuis, 14 ou 15 autres personnes ont été tuées, des journalistes, des gens de la société civile, des hommes politiques et des députés. Alors, il est très important que la Commission d'enquête qui a été créée par la résolution 1595 et qui est dirigée par le juge Bramertz puisse travailler tout à fait normalement, et que la Syrie coopère intégralement auprès de cette commission internationale.
Ensuite, il revient aux Libanais de décider - et nous espérons qu'ils le feront très vite - l'installation d'un tribunal à caractère international afin qu'il n'y ait pas d'impunité concernant le Liban. Et cela, ce sont en effet, des sujets sur lesquels nous pouvons discuter avec les uns ou les autres.
Q - Une attaque américaine est-elle plausible, ou au contraire, on peut imaginer la chute, que certains attendent clairement, du président Ahmadinejad qui, dans son pays, commence à ne pas être très bien vu ?
R - Il m'est difficile, vous le comprendrez, de faire de la politique fiction dans ce domaine. Je vous rappelle que c'est l'un des domaines les plus graves pour la politique étrangère de la France mais, au-delà, pour la communauté internationale dans son ensemble.
Q - Mais, malgré tout, vous misez sur ce remplacement, vous avez cité les alternatives possibles en Iran ?
R - Non, j'ai parlé d'un débat et j'ai dit que c'était la première fois qu'il avait lieu. Toute solution militaire, tout appel à la violence est, par définition, un échec. Il faut donc tout faire pour régler ce problème par la voie diplomatique. C'est essentiel.
Il faut que les Iraniens comprennent que nous acceptons qu'ils aient le droit d'avoir accès au nucléaire civil. Mais nous demandons à M. El Baradeï, Prix Nobel de la Paix, directeur de l'Agence internationale pour l'Energie atomique, de contrôler que cette activité nucléaire ne soit pas menée à des fins non pacifiques.
Q - Concernant l'Irak à présent, il y a 4 ans, la France avait prédit un fiasco, c'est le cas. George Bush a annoncé que 20.000 hommes viendraient en renfort en Irak. A-t-il tort ou raison ?
R - Je l'ai dit tout à l'heure. Je pense que la stratégie purement militaire en Irak, préconisée par les Etats-Unis, est une erreur. Et elle se solde d'ailleurs par un échec. Il faut qu'à l'horizon 2008 il y ait un retrait progressif des forces étrangères, et en particulier des forces américaines de l'Irak. Mais, au fur et à mesure de ce retrait, il faut que les Irakiens eux-mêmes, le gouvernement du Premier ministre irakien puisse instaurer un Etat de droit. Et qu'est-ce qu'un Etat de droit ? C'est une justice, une police, une armée, afin de rendre ce pays stable.
Aujourd'hui, c'est la guerre civile. Quelle est la seule solution ? C'est une solution inclusive pour que toutes les parties de la société politique, religieuse ou civile puissent participer à l'élaboration de ce gouvernement : Sunnites, Kurdes, Chiites évidemment. Et par ailleurs, il faut qu'ils puissent également avoir accès aux ressources pétrolières.
Q - Et cela ne peut pas se faire en présence des troupes de la coalition. Et vous semblez dire que c'est cela le ferment de la violence, que c'est le facteur qui empêche la solution ?
R - Non, je pense que la présence militaire étrangère doit s'accompagner de cette volonté politique. Là, nous ne nous situons au plan militaire, nous sommes au plan politique et si, en effet, à un moment donné, les forces militaires étrangères, en particulier américaines, ont pour but, au fur et à mesure qu'elles quitteront l'Irak, de mettre en place une souveraineté irakienne, car ce que je viens de définir, ce n'est rien d'autre qu'une souveraineté irakienne, nous estimons que cela va dans le bon sens.
S'il y a uniquement une solution militaire à des fins militaires, cela n'a absolument aucun sens et en plus, à un moment donné, il faut bien partir. Aujourd'hui, il y a des conflits ethniques, des conflits religieux, mais aussi et tout simplement un peuple occupé et un occupant. Tout cela aboutit donc à une guerre civile qui est extrêmement grave avec, comme vous le savez, du terrorisme qui, malheureusement, peut avoir des prolongements hors d'Irak.
Q - Dominique de Villepin appelle à un retrait des troupes étrangères, il donne même un calendrier, je le disais dans notre première partie. 2008, ce terme vous paraît-il plausible ?
R - Nous l'avons toujours dit : nous pensons que l'horizon 2008 permettrait aux Américains et à leurs alliés de quitter l'Irak, à condition que les Irakiens ne soient pas plongés dans le chaos, et qu'ils puissent mettre en place une justice, une police et des magistrats.
Q - Mais justement, par quel enchantement le retrait des troupes américaines et britanniques, pour une large partie, susciterait-il cette vertu de création d'un gouvernement d'unité nationale ?
R - Parce que, et vous êtes trop fin analyste pour ne pas le savoir, sur le plan de la politique internationale, chaque fois qu'il y a une présence étrangère dans un pays, les conséquences sont terribles. Les pays sont souverains, indépendants et doivent disposer d'eux-mêmes tout à fait librement. Les Américains sont allés là-bas, nous étions contre, mais s'ils y sont. C'est bien qu'ils avaient leurs raisons. C'était pour faire changer le régime. Alors certes, le régime est changé, mais maintenant qu'il l'est, laissons aux Irakiens, en toute souveraineté, la responsabilité de leur futur, de leur avenir.
Le travail qui doit être fait aujourd'hui, plutôt que d'engager 21.000 militaires de plus, ce qui nous ramène presque aux effectifs de départ, c'est plutôt la formation de juges, de policiers, d'hommes politiques aussi, ce qui permettrait que l'Irak puisse, demain, en toute souveraineté décider de son avenir.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2007