Interview de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, à RFI le 8 février 2007, sur les tensions au Moyen-Orient, le nucléaire iranien, la politique et la stratégie américaines en Irak et la crise du Darfour.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - Notre invité aujourd'hui est Philippe Douste-Blazy, ministre des Affaires étrangères. Avec la FINUL, on parle ce matin d'incident grave, à propos de l'échange de tirs entre les forces libanaises et israéliennes. Est-ce qu'il y a, selon vous, dans cette affaire, un fautif, et est-ce que la FINUL peut éviter ce type de dérapage ?
R - J'ai noté à nouveau ce dérapage. Il faut que les circonstances exactes soient précisées, ce que nous demandons à la FINUL. Je demande aussi que ces deux armées, l'armée libanaise et l'armée israélienne, s'abstiennent aujourd'hui de tout acte belliqueux. Je crois qu'il est important de ne pas raviver les tensions de part et d'autre de la ligne bleue. Nous avons mis en place la résolution 1701, nous l'avons votée à l'unanimité le 11 août dernier.
Q - Est-ce que la FINUL a les moyens d'éviter une nouvelle escalade de la violence ?
R - Tout permet aujourd'hui d'éviter une nouvelle escalade. Il faut maintenant préciser ce qui s'est passé, en tirer les conséquences. La FINUL a les moyens d'en tirer les conséquences.
Q - Depuis hier maintenant, le chef du Hamas, Khaled Meshaal et le président palestinien Mahmoud Abbas, sont réunis à La Mecque, en Arabie Saoudite, pour essayer d'éviter que les affrontements qui durent depuis des semaines entre le Fatah et le Hamas ne tournent à la véritable guerre civile. Est-ce que la communauté internationale n'a pas eu tort en coupant les vivres au gouvernement issu des élections du 25 janvier 2006 remportées par le Hamas, mais dont personne n'a contesté la validité.
R - D'abord l'Union européenne a donné 650 millions d'euros en 2006, c'est-à-dire que l'Union européenne n'a jamais donné autant aux Territoires palestiniens. Ensuite, le sujet aujourd'hui, c'est le risque de chaos. Pourquoi ? Parce que vous avez une quasi guerre civile entre le Fatah d'un côté et le Hamas de l'autre. D'ailleurs, je voudrais saluer la médiation saoudienne, puisque aujourd'hui, comme vous le savez, le Hamas et le Fatah sont à La Mecque, pour justement essayer de trouver des solutions. Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne, essaie d'y former un gouvernement d'union nationale qui reconnaîtrait les trois principes que le Quartet a édictés, c'est-à-dire au moins les Accords d'Oslo. Si on sort des Accords d'Oslo, il n'y a plus d'avenir pour la région : il faut qu'Israël soit en sécurité, et une terre pour les Palestiniens.
Q - Et vous pensez que ce gouvernement d'union nationale pourra voir le jour ? Cela fait quand même des mois qu'on en parle, qu'on semble régulièrement sur le point d'aboutir et que cela capote à chaque fois à la dernière minute.
R - Je crois que l'Union européenne a un rôle à jouer spécifique dans cette affaire. Je crois que c'est à nous, s'il devait y avoir un gouvernement d'union nationale, d'aller le saluer immédiatement à une condition, bien sûr, c'est que les principes du Quartet soient respectés.
Q - Y compris si éventuellement le Premier ministre faisait partie du Hamas ?
R - Le sujet n'est pas là, si véritablement il y a une reconnaissance des accords de l'OLP et donc une reconnaissance implicite d'Israël. Le sujet aujourd'hui, c'est que, face à Ehud Olmert, il faut bien qu'il y ait une personnalité qui soit représentative des Territoires palestiniens. Je crois d'ailleurs que l'une des plus grandes avancées institutionnelles depuis dix ans dans les Territoires palestiniens, c'est la présidence de l'Autorité. C'est la raison pour laquelle je soutiens Mahmoud Abbas et surtout ce qui permet de renforcer sa légitimité.
Q - Parmi les autres dossiers un peu brûlants, l'Iran, qui est depuis quelques semaines sous le coup de sanctions internationales pour ne pas respecter les sanctions en matière nucléaire, des sanctions qui ne semblent pas beaucoup l'impressionner pour l'instant. Le Premier ministre, Dominique de Villepin, a déclaré il y a quelques jours, qu'il faudrait sans doute prendre plus en compte le fait que cette crise vient du désir de l'Iran de s'affirmer comme une puissance régionale pour sa fierté nationale. Pensez-vous que l'on manque, au sein de la communauté internationale, de psychologie dans cette approche ?
R - L'Iran est devant un choix stratégique. Ou l'Iran coopère avec la communauté internationale, ou l'Iran s'isole. Il n'y a pas une troisième solution. Il faut que l'Iran le comprenne.
Q - Si l'Iran s'isole, ce n'est pas "le top".
R - Si l'Iran s'isole, c'est dangereux pour la stabilité du monde, mais c'est aussi dangereux pour l'Iran. Et d'ailleurs je voudrais dire à votre antenne que, pour la première fois depuis longtemps, il commence à y avoir un débat. Ces sanctions, dont vous parlez et dont vous dites qu'elles ne sont pas importantes, existent et ont été votées à l'unanimité. L'Iran n'aime pas être isolé sur le plan économique. Parce que depuis des millénaires, l'Iran achète et vend. Ce début de sanctions entre autres économiques fait qu'aujourd'hui les anciens présidents comme Rafsandjani, Khatami, des gens qui sont autour du guide suprême Khamenei, commencent à demander si la politique internationale de M. Ahmadinejad, le président iranien, qui a des propos choquants, inacceptables d'ailleurs sur Israël, est la bonne.
Nous demandons que l'Iran suspende ses activités nucléaires sensibles, alors nous pourrons suspendre les sanctions. Le deuxième sujet, c'est celui que vous posez : l'Iran comme puissance régionale.
Q - Mais c'est un deuxième sujet.
R - Oui, c'est vrai; l'Iran joue un rôle dans la région, en particulier, comme vous le savez, au Liban ou en Syrie, ou dans le conflit israélo-palestinien.
Q - De nombreux spécialistes semblent à peu près convaincus que le président George Bush décidera d'ordonner des frappes, des bombardements contre les sites nucléaires iraniens avant la fin de son mandat. Pensez-vous qu'il le fera et quelles conséquences cela pourrait-il avoir ?
R - Tout recours à la violence signe un échec. Aujourd'hui, il faut tout faire. Et d'ailleurs je considère que la seule solution, pour régler le problème du dossier nucléaire iranien, est d'ordre diplomatique. M. El Baradeï, prix Nobel de la paix, directeur de l'Agence internationale pour l'Energie atomique, va faire un rapport, comme le Conseil de sécurité le lui a demandé. J'ai vu que les inspecteurs de l'Agence n'avaient pas pu rentrer en Iran. M. El Baradeï va faire un rapport. Que les Iraniens le sachent. Soit ils coopèrent, soit on rentrera dans la logique des sanctions. Et c'est comme cela.
Q - Est-ce que vous ne craignez pas que les Etats-Unis prennent unilatéralement la décision d'aller bombarder l'Iran ?
R - C'est tout l'intérêt, je dirais, de la position de la France; c'est toute l'importance d'un pays comme le nôtre. Parce que nous sommes en permanence en équilibre. Qu'avons-nous fait sur la résolution 1737, que nous avons votée le 23 décembre à l'unanimité ? Nous avions des Américains qui demandaient des sanctions beaucoup plus fortes et nous avions des Russes et des Chinois qui demandaient des sanctions beaucoup moins fortes. Nous jouons un rôle d'équilibre pour garder l'unité. Je voudrais que les auditeurs comprennent l'importance de l'unité de la communauté internationale face aux Iraniens. Si jamais il y avait, au Conseil de sécurité, des Britanniques, des Américains et des Français d'un côté, et de l'autre des Russes et des Chinois qui ne voteraient pas la résolution, alors les Iraniens auraient gagné. Il vaut mieux parfois des résolutions un peu plus faibles, en terme de sanctions, mais unanimes. C'est cela que j'essaye de faire depuis maintenant 18 mois. Nous arrivons à tenir cette unité.
Q - Dans cette même interview au Financial Times, Dominique de Villepin a eu des mots assez durs, à propos de la situation irakienne et des Etats-Unis en Irak. Je le cite ; "Dire que les troupes étrangères quitteront le pays quand l'Irak sera démocratique et pacifié est absurde. Cela ne se produira jamais." Autrement, vous avez parlé avant-hier de l'aveuglement de la politique américaine. Est-ce qu'aujourd'hui vous demandez, comme l'a fait le Premier ministre, aux troupes américaines de se retirer d'Irak ?
R - Il n'y a pas de solution militaire à la crise en Irak. La présence de troupes étrangères alimente la violence et surtout elle est exploitée par les terroristes. Et donc la seule solution aujourd'hui c'est d'avoir un horizon, en 2008, de retrait des troupes étrangères d'Irak. Au fur et à mesure qu'il y a un retrait, il doit y avoir aussi progressivement, et c'est cela le message de la France, un retour à l'Etat de droit en Irak, ou en tout cas l'instauration de l'Etat de droit en Irak, une police, une justice, une école, une santé publique. C'est cela l'énorme enjeu de l'Irak aujourd'hui. Nous ne voulons pas aller militairement là-bas. Il y a eu un aveuglement sur les moyens. Les moyens américains suffisaient pour déstabiliser un régime, le renverser, mais certainement pas pour stabiliser à long terme la région. Il y a une erreur de stratégie. L'échec aujourd'hui américain, c'est un échec de stratégie.
(...)
Q - Dans votre livre, vous dites : la démocratie s'exporte mal dans les fourgons d'une armée d'invasion, à propos de l'Irak, dans votre livre "des affaires pas si étrangères", aux éditions Odile Jacob. Il nous reste quelques secondes, je voudrais savoir ce que vous pourriez nous dire à propos du Darfour, la crise s'éternise, c'est un drame terrible, est-ce qu'il n'y a véritablement pas moyen d'imposer cette force mixte de l'Union africaine ?
R - Nous avons voté une résolution prévoyant l'opération de maintien de la paix la plus importante de l'histoire de l'ONU, avec 20.000 hommes. Le président Béchir s'y est opposé. Je suis allé demander au président Béchir d'accepter au moins que l'Union africaine puisse bénéficier d'une logistique de l'ONU. Il faut à tout prix ouvrir des couloirs humanitaires, je le sais, mais il faut surtout un accord politique. Et la clef d'une solution pour le Darfour aujourd'hui, c'est un accord politique que j'appellerais "Abuja bis" entre le gouvernement soudanais d'un côté, les groupes rebelles qui n'avaient pas signé l'accord d'Abuja de l'autre.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2007