Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec Phoenix TV le 26 février 2007, sur lla coopération franco-chinoises, l'implication chinoise en Afrique, Unitaid et les crises nucléaires iranienne et nord-coréenne.

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Texte intégral

Q - Nous allons commencer par la Chine. Quel est le but de votre déplacement en Chine ? Qui allez-vous rencontrer ?
R - Je suis très heureux de me rendre en Chine, à la suite du déplacement, de la visite d'Etat du président Chirac, il y a quelques mois simplement. Je viens dans ce contexte de dialogue, de partenariat stratégique avec ce pays qu'est la Chine. Je rencontrerai le ministre des Affaires étrangères, bien sûr, M. Li, mais je rencontrerai aussi le Premier ministre chinois, et je suis très honoré de l'honneur qu'il me fait en me recevant. Je verrai également le bureau exécutif de l'organisation des Jeux olympiques de 2008.
Q - Cela fait combien de temps que vous n'étiez pas allé en Chine ?
R - La dernière fois, j'y suis allé avec le président Chirac. En tout, cela fera trois fois.
Q - Et quelle est votre impression de la Chine, la première fois, quand vous êtes arrivé ? C'était quand, la première fois ?
R - C'était il y a une dizaine d'années. C'est une impression incroyable, parce que la Chine est en train de devenir cette immense puissance économique. Les relations que nous avons avec la Chine sont excellentes. Nous sommes aujourd'hui parmi les Européens qui avons le plus d'intérêt en Chine. Toutes les entreprises françaises rêvent de participer au développement économique de la Chine. L'augmentation du pouvoir d'achat des Chinois nous intéresse beaucoup. C'est une bonne chose pour les Chinois, et une bonne chose pour nous.
Une quatrième chose aussi qui est importante, c'est que la Chine est, avant tout, une très grande civilisation, une très grande culture, très ancienne, qui n'a jamais fait la guerre à l'extérieur de ses frontières. C'est une civilisation très raffinée, très complexe, pour laquelle nous avons le plus grand respect, peut-être parce que nous-mêmes nous venons aussi d'une culture et d'une civilisation ancienne.
Q - Comment voyez-vous notre futur ensemble, la France et la Chine ?
R - Le futur, je le vois lié, à la fois sur le plan économique, bien sûr, mais aussi sur le plan de la recherche. Je pense que le XXIème siècle sera le siècle des infos technologiques - tout le monde le sait -, mais aussi des nano et des biotechnologies. Je suis un élu local à Toulouse, président de l'agglomération du grand Toulouse. Nous développons le premier centre de lutte contre le cancer en Europe. Je veux jumeler ce canceropole, ce centre de bio/nanotechnologies, avec le centre de Pékin, parce que je crois que nous avons ensemble demain beaucoup d'intérêts à échanger nos étudiants et nos chercheurs, à trouver de la valeur ajoutée. J'y crois beaucoup.
Q - L'implication grandissante de la Chine en Afrique pose-t-elle un problème à la France, qui a un lien historique ?
R - Nous sommes très heureux de voir que la Chine s'intéresse à l'Afrique, parce que l'Afrique est un continent qui nous est cher.
La XXIVème conférence des chefs d'Etat d'Afrique et de France vient de se tenir, à l'invitation du président Chirac. Il y a quelques mois s'est tenu le sommet entre la Chine et l'Afrique. Je vois l'intérêt grandissant de la Chine pour l'Afrique et j'en suis très heureux. La seule chose qui est importante, c'est que l'aide que l'on peut apporter à l'Afrique doit aussi prendre en considération la capacité des pays africains à rembourser leur dette, à travailler avec le Fonds mondial international, avec la Banque mondiale internationale, en respectant bien évidemment la démocratie aussi. Nous devons à la fois aider les Africains et, en même temps lutter contre la corruption, aider les Africains, et amener plus de démocratie, aider les Africains à ce qu'ils deviennent eux-mêmes plus puissants. C'est cela l'analyse philosophique du président Chirac et de la France.
Mais j'ai une proposition à faire aux Chinois. Si nous voulons que le XXIème siècle soit un siècle de paix, nous devons éviter qu'il y ait un fossé de plus en plus important entre les pays riches et les pays pauvres. La mondialisation aboutit à des pays riches toujours plus riches et des pays pauvres toujours plus pauvres. La Chine devient progressivement un pays riche, qui sera un pays très riche un jour prochain.
Je crois que nous devons réfléchir à une mondialisation équitable. C'est le concept que je développe : la mondialisation solidaire, la mondialisation équitable. C'est la raison pour laquelle chaque fois qu'un Français prend l'avion, on lui prend un euro, que l'on met à part, et cela on le fait dans 30 pays. On le fait au Portugal, en Norvège , au Brésil, au Chili, à Madagascar, à l'île Maurice, au Mali, dans beaucoup d'endroits. Cet argent va dans une centrale d'achat de médicaments, et avec cela on achète des médicaments. Nous avons aujourd'hui pu réunir 500 millions de dollars. Nous pouvons acheter des médicaments à l'industrie pharmaceutique, en leur disant "nous pouvons vous donner cela tous les ans, pendant 20 ans". Donc vous divisez le prix des médicaments pour les pays pauvres.
J'ai le plaisir de vous dire qu'aujourd'hui nous allons traiter enfin les enfants contre le paludisme. Il y a un enfant qui meurt toutes les 30 secondes de paludisme en Afrique, parce qu'ils n'ont pas accès aux nouveaux médicaments. Les médicaments contre le virus du sida, contre la tuberculose, ils n'y ont pas accès, mais nous allons pouvoir leur donner. J'aimerais beaucoup que la Chine participe à cette opération, qui s'appelle UNITAID, tous unis pour aider, et que les Chinois, quand ils prennent l'avion puissent, comme ils aident déjà beaucoup l'Afrique, qu'on leur prenne la moitié d'un euro. Ce n'est rien, la moitié d'un euro, quand on prend l'avion. Et en plus cela aide tous ces enfants pauvres dans le monde. Car sinon, il y aura beaucoup d'immigration vers les pays riches, et il y aura également beaucoup de terrorisme car la pauvreté entraîne la colère, la colère entraîne l'humiliation, et l'humiliation entraîne le radicalisme et le fondamentalisme.
Q - C'est pour cela que cette année, celui qui a gagné le Prix Nobel est un économiste.
R - Oui bien sûr. C'est le micro-crédit. Et l'idée dont je parle est une idée aussi révolutionnaire. C'est le citoyen qui va permettre dans le monde de réguler la mondialisation. Je crois que le libéralisme peut mourir de son excès. Le libéralisme est une bonne chose, à condition que l'on puisse partager les richesses de la planète. Quelqu'un qui meurt, qui voit ses enfants mourir à l'age de deux ans, par manque de médicaments, s'il voit à la télévision chinoise, à la télévision américaine ou française le gaspillage, alors il deviendra violent.
Q - Vous allez proposer cela pendant ce voyage ?
R - Je vais proposer cela et comme la Chine fait beaucoup pour l'Afrique, et que les solidarités Sud-Sud existent, ce serait formidable que la Chine puisse participe à ce grand mouvement et que la Chine l'annonce au moment des Jeux olympiques, où les yeux du monde entier regarderont la Chine ; ce serait une bonne occasion. Et comme je suis président de cette agence, UNITAID, je propose à la Chine de la diriger avec moi.
Q - Autre problème en ce moment, c'est l'Iran. L'Iran pose problème à la communauté internationale, il vient de lancer une fusée nucléaire pour montrer sa force. Quelle est l'implication de la France dans les négociations entre la communauté internationale et l'Iran ?
R - D'abord je voudrais me féliciter des rapports que nous avons avec les autorités chinoises, au Conseil de sécurité des Nations unies, sur le dossier iranien. Nous pensons d'abord que l'Iran a droit à une énergie nucléaire, à condition que ce soit à des fins pacifiques. Or, aujourd'hui, nous voyons bien que l'Iran n'a pas de centrale nucléaire, en dehors de Busher, pour laquelle la Russie va fournir le combustible. Donc, on ne comprend pas très bien à quoi servent tout cet enrichissement d'uranium, cette conversion d'uranium, cette usine d'eau lourde, à Arak. Nous avons demandé à M. El Baradeï, Prix Nobel de la Paix, directeur de l'Agence internationale pour l'énergie atomique, de faire un rapport. Ce rapport, je ne l'ai pas encore lu, mais enfin nous savons à peu près ce qu'il y a. L'Iran ne respecte pas ce que nous avons demandé au Conseil de sécurité des Nations unies avec les Chinois, les Russes, les Américains et les Britanniques, et les autres membres du Conseil de sécurité. Il est important que les Iraniens se mettent en conformité avec leurs engagements internationaux. Donc la balle est dans le camp de l'Iran : soit il s'isole, soit il suspend ses activités nucléaires sensibles. Le président Chirac a proposé aux Iraniens la double suspension. Eux suspendraient les activités nucléaires sensibles, et nous, nous suspendrions nos sanctions. S'ils ne le font pas, nous continuerons et nous demanderons une deuxième résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous espérons que nous serons toujours unis, les Chinois, les Russes, avec les Américains et les Britanniques, pour demander des sanctions économiques à l'Iran.
Q - Il y a un autre problème très proche de celui-là, c'est la crise nucléaire en Corée du Nord. Comment voyez-vous le rôle de la Chine dans ce dossier ?
R - Je voudrais féliciter l'action diplomatique de la Chine dans ce difficile dossier. La Chine a beaucoup contribué, dans le groupe des Six, à améliorer les choses. J'ai vu avec plaisir les décisions qui ont été prises récemment. Je souhaite maintenant qu'il y ait une éradication totale - nous verrons dans les prochaines semaines la suite des événements - de la prolifération nucléaire en Corée du Nord.
Q - J'aimerais bien à la fin vous poser une question un peu personnelle. Cela fait combien de temps que vous vous êtes lancés dans la politique et comment vous êtes passé de cardiologue à ministre ?
R - Je suis en effet un médecin avant tout et j'ai commencé en 1989, j'avais 36 ans. J'ai commencé ma carrière politique en étant maire de Lourdes. Et ensuite je suis devenu rapidement député européen, et j'ai eu la chance d'avoir un Premier ministre, M. Balladur, qui m'a demandé de venir dans son gouvernement. J'ai été ministre de la Santé. Mais j'ai toujours pensé que l'une des choses les plus importantes dans le monde aujourd'hui, en particulier dans ce XXIème siècle, ce sera notre capacité à faire profiter la planète, tous les habitants de la planète, des progrès. Et comme je suis médecin, je sais qu'il y a l'instinct de conservation et que toute personne a envie de vivre, de voir sa famille vivre. Je crois qu'on ne pourra pas continuer longtemps à avoir une planète où il y a une toute petite partie très riche, et très soignée, et une grande partie très pauvre, et non soignée. Aujourd'hui, je suis médecin, je suis ministre des Affaires étrangères et il se trouve que le sujet numéro un dans le monde aujourd'hui, c'est cette différence de pauvreté et de richesse qui existe entre les pays. Or la première conséquence de la pauvreté, c'est la guerre et la maladie. Enfin, je pense que plus que jamais, la France a un rôle à jouer dans ce XXIème siècle : reprendre l'esprit des Lumières, l'esprit des philosophes, c'est-à-dire le progrès de l'homme par l'éducation, de la société par la science, de l'humanité par la raison. C'est cela, le rôle de la France aujourd'hui dans le monde.
Q - Vous voyez, il y a un lien entre le rôle de médecin et celui de ministre des Affaires étrangères.
R - Je suis heureux de vous l'entendre dire.
Q - C'est bientôt l'élection présidentielle. Si le nouveau président vous proposait de rester en juin, qu'allez-vous faire ?
R - L'expérience m'a montré qu'on ne demande jamais un poste et que l'on suit ce que le président de la République dit. Donc j'attends ce qu'il va me dire. Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 février 2007