Interview de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, à France-Inter le 21 septembre 2000, sur la question d'une baisse de la taxe sur les produits pétroliers et le référendum sur le quinquennat.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli Comment la gauche plurielle encaissera-t-elle la baisse annoncée de 20 centimes sur le prix de l'essence ? Le PC demandait plus - 35 centimes - , les Verts, D. Voynet le disait ici même jeudi dernier, ne voulaient pas croire à une baisse généralisée des prix de l'essence. Une semaine plus tard la décision est prise. Dans ces tiraillements comment aborder le chapitre suivant qui se dessine déjà : celui du partage de fruits de la croissance ? On a un peu de mal à suivre les Verts mais ce n'est pas facile de vous suivre vous aussi au PC. Vous dites qu'il serait injuste de bouder un geste positif mais vous annonciez, dès hier soir, que vous mainteniez votre manifestation.
- "Oui parce qu'on peut aller plus loin. Je ne vais pas bouder effectivement quelque chose d'important que nous demandions, que certains disaient impossible il y a encore quelques jours. Il y a une sorte de spirale de la hausse qu'on ne pouvait pas maîtriser c'était fatal. Or, on peut le faire et nous le disons depuis des semaines et de semaines."
C'est vraiment la question de la cohérence politique. On peut se la poser pour les Verts mais là c'est à vous que je pose la question : où est votre cohérence politique ?
- "La cohérence politique c'est de faire ce que nous avons fait dès juin, de dire : "attention, nous entrons dans une période nouvelle." Il y a une situation où les Françaises et les Français, pendant des années et des années, ont été dans une crise où il y a eu une sorte de pédagogie du renoncement à toute augmentation de salaires et aux bénéfices des profits. Là aujourd'hui, on leur dit qu'il y a la croissance, que partout explosent les profits financiers des entreprises. Et qu'est-ce qu'ils voient ? Ils voient que sur la feuille de paie, le pouvoir d'achat en gros progresse de 0.6 % voire stagne. Cela ne va pas. A propos des automobilistes, il faut faire très attention. On méprise un peu aujourd'hui cette catégorie qui, en fait, s'identifie pratiquement aux citoyens français. Il faut faire attention avec cet anti-automobilisme primaire qui fait qu'on ne voit pas que, derrière l'automobiliste, il y a le citoyen qui n'a pas beaucoup de moyens différents que la voiture pour se déplacer, et qui a un pouvoir d'achat largement mutilé quand il y a une hausse du pétrole."
Mais s'il y a très peu de monde ce soir à votre manifestation devant le ministère, comment allez-vous gérer ce geste politique qui n'aurait pas été suivi ? Vous serez, seuls, les syndicats ne viennent pas.
- "Des gens vont être là, très nombreux. Le problème c'est que, de toutes façons, si nous nous étions tu, si nous n'avions pas pris des initiatives visant effectivement à ce que la colère des Françaises et Français, dans ce domaine, soit relayée, nous n'en serions pas là aujourd'hui. On a un certain nombre de défauts - je sais - mais accordez moi que, depuis des semaines nous demandons cette baisse du prix de l'essence à la pompe."
Là, vous l'avez en partie.
- "C'est très important. J'avais proposé à L. Fabius, quelques jours avant son plan, qu'on n'attende pas aujourd'hui pour imaginer un dispositif du type de ce qu'il a mis en place. J'ajoutais qu'il fallait, à mon avis, que soit anticipé, pris en considération de façon rétroactive, ce qui s'est fait depuis le début de l'année. Depuis le début de l'année, c'est vrai, de la TVA rentre dans les caisses de l'Etat liée à l'augmentation de l'essence, autour de 7 milliards. Je ne l'ai pas dit ces derniers jours, mais depuis des semaines, depuis des mois. Nous avons pétitionné dans les péages. Les communistes se battent sur cette question. On ne les écoutent pas. Parce qu'il y a eu, effectivement, une chute dans les sondages du Premier ministre on a commencé à dire que quelque chose se passait. Nous le sentions depuis des semaines et des mois. Entendons ce que nous disons. Je dis les mêmes choses aujourd'hui - je prends date - à propos des salaires. S'il n'y a pas l'augmentation des salaires - je pense notamment aux bas salaires, au Smic- que nous réclamons depuis des semaines, on va à nouveau vers une poussée du mécontentement."
Mais où en sommes-nous - j'avais posé la même question à D. Voynet sans obtenir d'ailleurs vraiment de réponse -, qu'en est-il de la gauche plurielle aujourd'hui ? S'agit-il d'une gauche plurielle qui ensemble, collectivement, aborde les enjeux d'un pétrole qui monte de plus en plus, d'un euro qui descend, d'une croissance pour laquelle on commence à se poser des questions, ou s'agit-il d'une gauche plurielle de façade où chacun va défendre son pré-carré ?
- "La gauche plurielle n'est pas une façade. La gauche est par nature plurielle, donc elle doit prendre en compte - et à mon avis c'est sa force la plus importante -, le parti socialiste, le Premier ministre doivent prendre en compte le caractère pluriel de cette gauche, les apports de chacun. Quand je dis, depuis des semaines, qu'il faut prendre en compte cette baisse de l'essence à la pompe, ce n'est pas pour gêner majorité. Je veux que la gauche plurielle réussisse. C'est pour dire attention. Là, je n'ai pas le monopole de l'écoute mais je vois bien les catégories populaires qui font confiance au parti communiste, qui s'interrogent, qui boudent. Il faut bien le prendre en compte et il faut nous écouter."
Le chapitre essence n'est même pas fermé que vous ouvrez déjà le chapitre salaire ?
- "Je ne l'ai pas ouvert maintenant. Dès le mois de juin j'ai proposé une augmentation du Smic de 6 %. Que disais-je alors ? J'attirais l'attention sur le fait qu'il y avait des hausses qui intervenaient et qu'il fallait prendre en compte les choses. On a augmenté de 3 %, le Gouvernement a augmenté de 3 %. Mais ces 3 % ont été bouffés par la hausse du prix de l'essence en quelques semaines. Les smicards aujourd'hui se retrouvent avec un pouvoir d'achat qui stagne. Donc il faut bien prendre en compte les choses. Voilà mon opinion. Je ne fais pas ça pour gêner. Vous ne m'avez pas entendu faire des claquements de portes, un théatralisme certain cet été comme d'autres."
Un petit coup pour les Verts, là ?
- "Pas seulement. Je ne vais pas tendre la joue quand même. Il est clair que de ce point de vue je dis les choses nettement. Sur la Corse j'ai pris des engagements de soutien à la politique du Gouvernement - et ce n'était pas facile - parce que je pense que c'était juste. Mais sur des questions aussi fortes que celles-là, je dis : "attention, il faut entendre." J'ai dit la même chose à propos du référendum. Je pense que le quinquennat sec tel qu'il a été préconisé risque de se traduire par quelque chose de grave au niveau de la démocratie avec la façon dont les Français ont réagi."
Qui en portera la trace ? On est à trois jours du référendum. On va probablement vers une abstention extrêmement élevée. Donc c'est la tête de l'Etat, le Président de la République et le Premier ministre qui vont porter le poids de tout ça ?
- "Ce n'est pas faute de ne pas l'avoir dit. Là aussi, oui, dimanche soir il peut y avoir un nouveau choc dans l'opinion lié effectivement à cette abstention qui va être massive et à laquelle j'appelle. Cet acte n'est pas un acte d'incivisme, c'est dire : "attention si on continue de poser des questions qui sont à milles lieues des préoccupations des français." Quand on leur pose une question sur le quinquennat sec alors que la réalité du problème posé c'est une profonde réforme des institutions de la France, ce sont les grandes questions de la vie quotidienne qu'on vient d'évoquer tout à l'heure, si on ne prend pas en compte cette opinion, si la représentation politique continue de s'écarter de la réalité de la société, des citoyens, il faut bien voir que ce fossé existe. Moi, j'essaye. Je ne suis pas sûr qu'on réussisse - nous, les communistes - à apporter des réponses du quotidien. Attention qu'on ne continue pas à s'écarter de ceci. Là en l'occurrence, ceux qui ont été instigateurs du quinquennat sec, c'est-à-dire les deux têtes de l'exécutif - en plus il y a une tête à gauche l'autre à droite - que vont-ils dire dimanche soir si les Français, qui ne boudent pas le suffrage universel - ils veulent se servir du suffrage universel -, disent vous êtes en train de le casser avec des questions qui ne sont pas de bonnes questions."
Là aussi j'avais posé la question à M. Voynet la semaine dernière : je lui avais demandé comment elle s'entendait finalement avec L. Jospin ? Elle nous a juré croix de fer, croix de bois que c'était formidable et que tout allait très bien. Et vous ?
- "Je m'entendais très bien avec L. Jospin."
Malgré tout ce que vous êtes en train de nous dire ?
- "Dans moins d'une demi-heure je serai avec L. Jospin."
Ce matin ?
- "Oui, je peux le dire. Je vais lui parler de ces questions."
Vous aura-t-il déjà entendu d'ailleurs ?
- "Probablement, mais, en tout cas, le discours entre nous est extrêmement franc. Parce que je ne suis pas là pour gêner la gauche plurielle, pour être la mouche du coche. Nous sommes là pour faire avancer les choses. Nous disons au Premier ministre que lorsqu'il y a une fuite de l'électorat populaire comme on le constate ces derniers temps : "attention ce n'est pas seulement une façon de dire les choses, de méthodes, c'est aussi une accumulation d'éléments qui font que les Français ont le sentiment qu'il faut prendre plus de mesures de gauche." Je suis dans mon rôle. Cela ne fait pas plaisir à tout le monde mais je suis là pour ça."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 20 décembre 2000)