Texte intégral
Q - Catherine Colonna, bonjour.
R - Bonjour.
Q - Catherine Colonna, je rappelle que vous êtes la ministre française déléguée aux Affaires européennes. L'Europe devrait faire la fête cette semaine, c'est son anniversaire, elle a 50 ans. Sa date de naissance c'était le 25 mars 1957, la signature du fameux Traité de Rome. Je dis "devrait" parce que l'ambiance, sans vouloir être rabat-joie, est plutôt morose en ce moment.
Que reste t-il, Catherine Colonna, de ce rêve européen, des Monnet, Schuman ou Spaak, des années 50 ?
R - Il reste l'essentiel, c'est-à-dire notre volonté collective de bâtir un avenir commun. Je m'explique : il y a 50 ans - à l'échelle historique 50 ans c'est peu de choses -, les pays européens ont décidé de mettre en commun un certain nombre de choses, sur un continent qui connaissait la guerre, la ruine, les destructions, pour assurer notre sécurité et pour assurer notre liberté. Nous vivons donc en paix et dans la liberté depuis 50 ans. Et grâce à l'Europe aussi, nous vivons en démocratie de part et d'autre de l'Europe, à l'ouest comme à l'est. Il y a encore quinze, vingt ans, l'Europe était divisée en deux. Alors, on peut peut-être se souvenir des leçons de l'histoire et se dire que pour les années qui viennent l'Europe est tout aussi utile qu'elle l'a été ces 50 dernières années. Le rêve des pères fondateurs c'était, grâce à cela, de relever le grand défi du moment qui était d'assurer la paix et la démocratie en Europe.
Q - Cela a été fait, mais on a l'impression que les Européens ne s'en sont pas rendus compte, qu'ils n'ont pas mis ça au crédit de l'Europe. Je vous rappelle le fameux "non" au projet de Constitution : 55 % des Français ont dit non, les Néerlandais ont suivi. On a l'impression que l'Europe n'a toujours pas digéré ce choc.
R - C'est pour cela qu'il faut à la fois se souvenir de ce que l'Europe nous a apporté, et ce n'est pas rien, la paix et la démocratie - je sais que nous avons coutume de dire que cela ne parle plus aux jeunes générations mais prenons un instant de réflexion tout de même pour se souvenir qu'avant la construction européenne, il y avait un continent européen divisé en deux, ruiné par les guerres - mais ce que je veux dire est différent : inspirons-nous de cette méthode des pères fondateurs pour nous mettre en mesure, aujourd'hui, de relever ce que sont les défis d'aujourd'hui, c'est-à-dire trouver une réponse à la mondialisation, assurer notre sécurité dans le monde, traiter davantage que nous ne le faisons les inégalités de développement ou le problème du changement climatique. Qui peut croire qu'un Etat, seul, pourrait réussir à trouver les réponses ? Il nous faut des réponses collectives, il nous faut davantage d'Europe.
Q - Alors justement pour répondre à toutes ces questions il nous faut davantage d'Europe - lâchons le mot -, "fédérale", ou en tout cas une Europe où un pouvoir supranational s'occupe de ce dont les Etats se sont délestés au profit de cette entité supranationale et cela a du mal à passer...
R - Il faut davantage de coopération et des mécanismes collectifs. Je n'hésite pas à le dire, oui, ces défis appellent des réponses collectives. Aucun pays, aussi puissant soit-il, ne peut penser qu'il va trouver, seul, la réponse à toutes ces questions. Donc faisons l'Europe, faisons une Europe plus efficace, faisons une Europe plus proche des gens. Mais les attentes de nos citoyens portent sur un besoin d'efficacité accrue et, là, je crois qu'il faut être très clairs et décider ce que l'on veut : continuer à avoir une Europe qui est un peu au milieu du gué ou faire une Europe plus intégrée ? Je réponds résolument, oui, ayons la fierté de continuer à faire l'Europe, regardons tout ce qu'elle nous a apporté et si nous la faisons, faisons-la, mais volontairement, résolument, positivement. On ne va tout de même pas s'excuser d'avoir réussi, grâce à l'Europe, à faire un espace de liberté, de paix, de démocratie et de prospérité, bien davantage que si nous ne l'avions pas faite !
Q - Mais l'Europe ce n'est quand même pas un thème très porteur, on voit bien qu'elle est absente de la campagne présidentielle actuellement, en tout cas nous n'en parlons pas beaucoup. Vous êtes satisfaite de la place de l'Europe dans la campagne ?
R - Nous n'en parlons pas suffisamment, c'est vrai. Quoique les choses commencent à bouger. Nous en parlons plus qu'auparavant, nous commençons à voir les prises de positions se multiplier, mais il faudrait que l'on en parle à la hauteur de ce que cela représente. Et cela représente les deux tiers de nos exportations, des millions d'emplois, et puis, tout simplement, notre avenir pour les raisons que je disais tout à l'heure. Alors, je souhaiterais que chaque candidat, oui, en parle davantage et dise quel est son projet pour l'Europe et quelles sont ses propositions concrètes.
Q - Les Français ont refusé le projet de Constitution, il va falloir un nouveau texte, d'une manière ou d'une autre, Ségolène Royal et François Bayrou ont proposé, à terme, un nouveau référendum, Nicolas Sarkozy préfère passer par une ratification parlementaire, vous pensez qu'il a peur d'un deuxième "non" des Français qui serait cette fois là catastrophique ?
R - Je crois surtout que la seule démarche réaliste est une démarche pragmatique. L'Europe a besoin d'institutions rénovées pour fonctionner plus efficacement et pour pouvoir relever les défis du monde de demain. Alors, il faut partir d'une situation qui est ce qu'elle est aujourd'hui et essayer de regarder à partir des équilibres du Traité constitutionnel - on ne va pas repartir de zéro, ce serait reculer - regarder ce que les 27 peuvent trouver comme terrain de consensus. Et je pense en effet qu'il faut, dans un premier temps, un traité simplifié, centré sur les mécanismes de prises de décision parce que c'est cela qui ne marche plus en ce moment. La difficulté de prendre des décisions à 27 est considérable. Et puis dans un deuxième temps, nous pourrons parler de ce que nous n'aurons pas pu traiter, les politiques communes et les nouvelles ambitions pour l'Europe...
Q - ... Mais sans faire trop de technique, pardon...
R - Commençons à traiter rapidement ce sujet, il nous faut un nouveau texte avant 2009, c'est vraiment l'objectif que l'on doit se donner.
Q - Quel est votre scénario idéal ? On réunit une nouvelle conférence intergouvernementale, c'est-à-dire que les 27 se mettent tous autour d'une table, cela peut se faire très vite, en septembre ?
R - La Présidence allemande a commencé ce travail qui doit permettre aux 27 pays européens de retrouver un consensus. Alors, en effet, une conférence intergouvernementale partant des textes actuels pourrait identifier ce sur quoi nous nous mettons d'accord et ce qu'il faudra réserver pour plus tard...
Q - ...Ce que Nicolas Sarkozy a appelé un mini traité ?
R - Un traité simplifié, un traité qui porterait, par priorité, sur les mécanismes institutionnels et il faudrait quelques mois pour ça.
Q - La France n'est pas seule, il y a 26 autres Etats membres qui, la plupart, veulent aller assez vite. Ils disent avoir perdu assez de temps.
R - Il faut - et c'est l'objectif que tous les pays européens se sont donné en commun -, si nous le pouvons, un nouveau texte pour les élections européennes de 2009. Cela signifie qu'il faudra boucler le nouveau texte rapidement peut-être avant la fin de cette année 2007 ou au tout début de 2008. Quant au processus de ratification cela n'a pas de sens aujourd'hui de préjuger de la décision qui sera celle du prochain président de la République, qui prendra sa décision le moment venu, et surtout sur la base du texte qui devra être ratifié. La priorité d'aujourd'hui c'est de faire ce texte, nous en avons un grand besoin, et maintenant c'est urgent.
Q - Ce texte porterait uniquement sur la partie institutionnelle ou aussi sur les compétences, sur les politiques européennes. Vous allez faire un mix des trois parties du traité qui a été rejeté ?
R - Soyons pragmatiques. Il y a une base qui est ce traité négocié par tout le monde et signé par tout le monde. A partir de cette base, regardons ce que nous pouvons conserver, ce sur quoi nous nous mettons d'accord, et ce qu'il faudra réserver pour plus tard. Je pense qu'il n'y a pas de solution toute faite, qu'il faut avoir à la fois un bon niveau d'ambition et être pragmatique, c'est la seule façon de parvenir à un résultat dans les délais, c'est-à-dire, encore une fois, très vite maintenant.
Q - Nous avons souvent dit que l'axe franco-allemand était le moteur de l'Europe, est-ce que c'est toujours vrai ?
R - C'est toujours vrai. La relation franco-allemande est particulière, à cause de notre histoire et à cause de la responsabilité que cela nous confère dans la construction de l'Europe. Et nous voyons bien que nos deux pays ayant la même ambition pour une Europe politique, plus efficace, plus forte, qui va plus loin, doivent continuer à servir de moteur. Nous voyons aussi que, quand ils ne s'entendent pas, l'Europe patine. Mais un moteur est un moteur pour entraîner, ce n'est pas pour exclure les autres, au contraire, c'est pour les entraîner ! Voilà notre conception de la relation franco-allemande, et croyez-moi, cela ne change pas, nous avons besoin d'une relation franco-allemande forte pour faire avancer l'Europe.
Q - En même temps, nous avons l'impression que l'Europe réunifiée se pense plus aujourd'hui comme une nation et l'Europe devient pour elle une notion moins importante que cela ne l'était avant la réunification. Nous voyons bien d'ailleurs que Mme Merkel, l'actuelle chancelière, voudrait une Europe plus proche des Etats-Unis que le chancelier Schröder par exemple. Il y a donc quand même des ratés dans le moteur ?
R - Je ne partage pas votre point de vue. D'un mot, l'Allemagne sait que son destin est européen et que son avenir est européen. Et en présidence, puisqu'elle est en présidence de l'Europe depuis le 1er janvier, elle joue parfaitement ce rôle. Nous travaillons d'ailleurs de très près avec elle pour essayer de sortir de l'impasse institutionnelle et pour faire de bonnes politiques parce que c'est surtout ça qui compte. Quant à la relation transatlantique, elle est essentielle, nous y tenons tous mais elle est d'une nature différente. Que l'Allemagne souhaite, en tant que présidence avoir des relations transatlantiques équilibrées, c'est un objectif que nous soutenons, que tous les pays européens soutiennent, mais c'est d'une nature différente.
Q - Jacques Delors, qui est une grande figure européenne en France, ancien président de la Commission européenne, a proposé, il y a quelques temps, l'ajout d'un pacte social dans le futur traité, idée reprise d'ailleurs par Ségolène Royal qui a parlé d'ajouter une charte sociale. Que pensez-vous de cette idée de faire comprendre aux Européens que l'Europe ce n'est pas seulement de l'économie, mais c'est aussi du social ?
R - En Europe, l'économique et le social sont toujours allés de pair, c'est en ce sens que nous avons un modèle différent du modèle américain, différent du modèle asiatique, et nous tenons à cette conciliation de l'économique et du social. C'est la raison pour laquelle, dans la déclaration de Berlin qui va être élaborée par les chefs d'Etats et de gouvernement, ce dimanche 25 mars, nous devrions retrouver cette expression de dimension sociale, de modèle social européen. C'est notre ambition, en tant qu'Européens, de faire que l'un et l'autre aillent de pair. Est-ce que pour autant c'est la clef pour faire ratifier le traité ? Franchement je ne le crois pas. Nous n'allons pas ajouter quelque chose à ce qui a été refusé par les Français. Cela devra être quelque chose de différent, peut-être de plus simple, et, en tout cas, il nous le faut rapidement parce qu'il nous faut sortir de cette impasse.
Q - Un petit clin d'oeil avant de nous séparer, à l'occasion des fêtes de ce 50ème anniversaire, l'Europe a frappé des pièces de monnaie, ce sont des pièces de 2 euros, c'est une pièce anniversaire ?
R - C'est une pièce de 2 euros, au verso de laquelle se trouve une reproduction du Traité de Rome. Ce livre ouvert, c'est le Traité de Rome avec les signatures, et, c'est la première fois que, dans tous les pays qui ont adopté l'euro, il y a un dessin commun. Je crois que c'est un acte symbolique, et au-delà de la symbolique, politique très fort qui montre l'unité de l'Europe.
Q - A défaut d'avoir ratifié le Traité constitutionnel, les Français auront le Traité de Rome dans la poche ?
R - Ce n'est pas à défaut, c'est une source de réflexion et d'inspiration pour nous tous !
Q - Merci Catherine Colonna
R - Merci beaucoup.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 mars 2007