Texte intégral
Q - Que reste t-il aujourd'hui de l'esprit des Pères fondateurs d'Europe ? Et dans cet esprit, qu'est-ce qui pourrait être utile pour relancer une Europe que l'on dit en panne ?
R - Je vais être claire, je crois que la vision des Pères fondateurs reste la bonne, et c'est elle qui doit nous inspirer. De quoi s'agit-il ? Il s'agit de s'unir pour être plus forts et de dégager l'intérêt général par des réalisations concrètes, pas à pas. Il faut une vision et bâtir sur du concret. Alors la vision, aujourd'hui, c'est la même, c'est construire l'Europe parce que c'est l'intérêt de chacun de nos pays. C'est l'intérêt de la France de faire l'Europe. Qui pourrait imaginer qu'un pays puisse répondre seul aux défis qui sont ceux du monde d'aujourd'hui, qu'il s'agisse du changement climatique, de l'approvisionnement énergétique, des inégalités de développement, des investissements qu'il va falloir faire massivement dans le domaine de l'éducation, de la recherche, de l'innovation, ou du défi de la sécurité ? Aucun Etat, aussi puissant soit-il, ne pourrait trouver tout seul des solutions. Et donc, nous avons besoin que l'Europe développe des politiques concrètes sur chacun de ces sujets. C'est l'un des enjeux du 25 mars, donner ce signal de notre ambition, sujet par sujet. Nous devons continuer à bâtir l'Europe.
Q - Alors justement, à propos du 25 mars, on compte sur ces "festivités" - entre guillemets -, pour relancer l'Europe. Pourquoi ? L'Europe a perdu son souffle ?
R - Elle a perdu de l'impulsion, elle a perdu un esprit collectif et trop souvent, au-delà même de la France, les Européens doutent d'eux-mêmes. Alors que la réalité est tout autre et il faut rappeler cette réalité : l'Europe est la plus belle invention politique du XXème siècle, un projet commun qui nous permet d'assurer la paix, la liberté, la démocratie et qui nous donne un cadre pour notre développement économique et social.
L'enjeu du 25 mars, c'est cela : engager la relance de l'Europe, retrouver confiance en nous-même, dire que c'est par l'Europe que nous pourrons résoudre les problèmes et peut-être répondre aux impatiences - dont je vois bien qu'elles se manifestent -, mais il ne faut pas, ces réponses, les chercher dans le repli sur soi. Au contraire il faut les chercher dans davantage de construction européenne en mettant l'accent sur des projets concrets. Depuis deux ans, c'est ce que le gouvernement a fait en donnant la priorité à une Europe concrète, une Europe efficace. Eh bien il faut continuer, mais continuer résolument. On ne fait pas l'Europe en se cachant, en en ayant honte. Au contraire, soyons fiers de l'avoir fait et décidons de continuer en remerciant les 50 années qu'elle vient de nous faire vivre et en bâtissant surtout les 50 prochaines années.
Q - Célébrer le cinquantenaire, est-ce que ce n'est pas pour essayer de voiler un peu les échecs qui ont suivi le Traité de Rome, échec notamment dans la construction politique de l'Europe à laquelle on a du mal à parvenir ?
R - L'Europe a eu beaucoup de succès, je dirai même que si l'on juge à l'échelle de l'histoire, c'est une histoire de succès continus. Nous avons réussi à faire la paix sur un continent qui connaissait la guerre - la guerre génération après génération - qui était ravagé par les conséquences de cette rivalité entre les nations, qui était affaibli par la ruine économique qui en résultait, qui était sujet, hélas, aux extrémismes et aux totalitarismes. Nous avons réussi aussi, on ne le souligne pas assez, à faire l'unité du continent : il y a 15, 20 ans, l'Europe était encore divisée en deux, avec une bonne moitié des Européens qui vivaient non pas dans la démocratie, mais dans la peur. Nous avons réussi à faire de l'Europe un marché, les deux tiers de nos échanges ont lieu entre pays européens, et c'est pour nous une immense source d'activité, donc de richesse et d'emplois. Avec l'élargissement, nous avons réussi à accroître ce marché. Et puis nous avons donné à l'Europe l'un des instruments de son efficacité économique qui est l'euro, qu'il ne faut pas décrier, parce que, là aussi - n'ayons pas la mémoire trop courte - avant l'euro il y avait des dévaluations compétitives, les rivalités entre les monnaies, et cela pouvait coûter à la France, tous les ans ou tous les deux ans, des milliards de francs - "francs" à l'époque !. Nous avons une monnaie stable qui nous protège des chocs extérieurs et qui nous permet d'avoir aussi une monnaie pour les échanges internationaux.
Et puis enfin, nous faisons une Europe de la sécurité. L'Europe a des frontières communes qui sont bien protégées avec, à l'intérieur de l'Europe, un espace de liberté de circulation, de liberté d'établissement : les étudiants peuvent aller étudier dans un autre pays européen, le médecin peut s'établir en Espagne s'il le souhaite... Nous avons un espace de liberté dont nous oublions de voir qu'il ne vient pas du ciel, mais qu'il est le produit de notre engagement collectif, jour après jour, depuis 50 ans. Dernière chose, que l'on voit plus récemment : "l'Europe de l'écologie", comme le dit le Président de la République. Eh bien oui, l'Europe est capable de donner l'exemple, elle est aujourd'hui à la pointe du combat contre le changement climatique. Donc, nous savons faire de bonnes choses, encore faut-il qu'on veuille bien le voir, s'en rendre compte, et trouver des raisons, non pas d'espérer, mais de vouloir continuer, parce que nous avons besoin de l'Europe.
Q - Alors justement, comme vous le disiez, cela ne tombe pas du ciel. Nous avons rencontré Maurice Faure qui nous disait qu'il y a, selon lui, un problème de communication entre les Français et l'Europe. S'il y a eu un "non" au traité de Constitution, est-ce que ce n'est pas justement parce qu'il y a un souci de communication ? Les Français ne comprennent pas l'ampleur de ce qu'est l'Europe. Est-ce qu'on communique mal ou est-ce qu'on explique mal tout l'enjeu que représente l'Europe aujourd'hui ?
R - Il est vrai qu'il faut parler davantage de l'Europe. Depuis que j'ai pris mes fonctions, je me suis efforcée de le faire jour après jour. Je me suis déplacée beaucoup en régions, pour parler aux Français, pour leur expliquer les avantages concrets de l'Europe. L'un des défauts de la construction politique de l'Europe est qu'elle n'a pas suffisamment associé les Français, la société civile, et parfois même les parlementaires qui avaient le sentiment d'ignorer, pour partie, ce qui se faisait. Depuis deux ans, nous avons rénové totalement le système en associant beaucoup plus le parlement, les partenaires sociaux - il faut consulter les partenaires sociaux sur les questions européennes -, nous avons développé des sites Internet, nous menons aussi des consultations par le même moyen, nous nous rapprochons des associations d'élus.
Et pourtant cela ne suffit pas. Parce que l'échec du référendum dont vous parlez n'est pas dû seulement à une absence ou à une insuffisance de communication, il est dû à de multiples causes, certaines sont internes, nationales. D'autres sont européennes, et pour ce qui concerne les raisons européennes il s'est établi, paradoxalement, une distance entre le projet politique qui était fait pour le bien de nos peuples et pour le bien de nos nations, et la perception qu'en avaient beaucoup de nos concitoyens. C'est cette distance qu'il faut maintenant réduire en faisant une Europe plus concrète. Encore une fois, la base et la leçon que nous ont donnée les Pères fondateurs , c'est que l'Europe se fera pas à pas et par des réalisations concrètes. Il y a une vision d'ensemble : l'Europe c'est un projet politique ; ensuite comment la fait-on ? On la fait concrètement.
Q - Vous comptez beaucoup sur le couple franco-allemand pour relancer cette Europe. Est-ce que, selon vous, c'est un axe vraiment pertinent ? Pouvons-nous compter sur ce couple pour l'Europe devenir, notamment, une Europe politique par exemple ?
R - Il est certain que la France et l'Allemagne ont une responsabilité particulière, de par leur histoire et leur rôle dans la construction de l'Europe. Et je suis convaincue que le moteur franco-allemand est indispensable à la bonne marche de l'Europe. Ce n'est pas une raison exclusive, c'est un moteur pour avancer, c'est un moteur au service d'un projet politique, et l'ambition commune de la France et de l'Allemagne, c'est d'avoir une Europe politique. Une Europe qui soit un espace de paix, de démocratie et de développement économique et social comme nous le disions tout à l'heure. Ce projet politique là, nos deux pays l'ont en commun, et il faut qu'ils travaillent ensemble parce qu'on sait que si eux ne le font pas, s'ils se divisent sur certains sujets, eh bien l'Europe n'avance pas. Alors, nous avons, là aussi, fait beaucoup d'efforts pour que, après l'année 2005, difficile pour l'Europe, et une année 2006 qui a été meilleure, qui a permis de prendre un certain nombre de nouvelles orientations, 2007 soit l'année de la relance de l'Europe. Cela tombe bien, nous sommes aujourd'hui sous présidence allemande et nous travaillons de très près avec l'Allemagne pour que sa présidence soit réussie, pour que l'on développe des politiques concrètes et pour que, à la fin de la présidence allemande, d'ici le mois de juin, les Européens se soient dotés d'une feuille de route pour sortir de l'impasse institutionnelle. Nous devons aller de l'avant, maintenant il y a urgence, et je crois que cette année va nous permettre d'entrevoir de nouvelles solutions.
Q - La France a t-elle encore sa place ? Quel est réellement le rang de la France aujourd'hui en Europe ?
R - Le rang de la France est inchangé. C'est un pays fondateur et un pays qui reste aujourd'hui, comme il l'est resté ces deux dernières années, l'un des pays moteur de la construction européenne avec un engagement politique fort, avec des initiatives que se soit sur le budget, sur l'énergie - on ne parlerait pas d'énergie en Europe si la France n'avait pas convaincu ses partenaires de le faire -, avec des politiques nouvelles sur l'immigration, pour qu'on traite la question de l'immigration d'une façon globale, qu'on réfléchisse aux inégalités de développement entre le Nord et le Sud, et qu'on se donne les moyens de trouver des réponses, parce que l'Europe a des moyens. Certes, il y a encore beaucoup à faire pour qu'il y ait une Europe politique. L'échec du Traité constitutionnel, bien sûr, a empêché l'Europe de franchir un pas, de faire un saut qualitatif, et c'est maintenant ce travail qu'il va falloir reprendre parce que nous avons besoin d'une Europe plus adaptée au monde d'aujourd'hui. Une Europe plus intégrée, qui ne se réfugie pas dans des coopérations vagues en oubliant le projet politique. Je le redis, depuis l'origine, l'Europe c'est un projet politique, et donc la France et l'Allemagne travaillent de très près pour que 2007 nous permette d'engager la relance.
Q - Après le "non" au référendum, on parle d'une relance par un mini traité. Quelle marge de manoeuvre aura le futur président ou la future présidente pour relancer l'Europe politiquement ?
R - L'Europe se fait à 27. Il nous faut donc trouver un accord entre les 27 Etats membres pour sortir du blocage institutionnel dans lequel nous sommes. Ce que je crois c'est que l'Europe a absolument besoin, de façon urgente, d'institutions rénovées pour lui permettre de fonctionner comme nous le souhaitons, et pour lui permettre de relever les défis qui sont ceux d'aujourd'hui et de demain : l'énergie, l'immigration, la défense, la sécurité... J'en ai cité quelques-uns, il y en aurait encore d'autres. Alors nous voulons un accord avant 2009, année d'élections au Parlement européen. Et pour cela comment faire ? Je crois qu'il faut une démarche pragmatique et ouverte. Nous devons partir de la réalité politique d'aujourd'hui, et la réalité c'est quoi ? C'est dix-huit pays qui ont dit "oui" au Traité constitutionnel, deux pays qui l'ont refusé et sept Etats membres qui ne se sont pas prononcés, qui ont suspendu leur processus. Voilà la réalité politique dont nous partons. Chacun devra en tenir compte, ce qui signifie que chacun devra faire un pas vers l'autre pour dégager un consensus. L'objectif, c'est de partir des équilibres et de la substance du Traité constitutionnel et de regarder rapidement, à temps pour 2009, ce sur quoi nous pouvons nous mettre d'accord et ce qu'il faut réserver pour plus tard. Et dans un deuxième temps, plus tard, et bien nous verrons quel est le nouveau mode d'emploi d'une Europe nouvelle, à échéance de 10 ans. Le problème aujourd'hui est plus urgent. Dotons-nous d'institutions rénovées et de mécanismes de décisions européens qui nous permettent de faire que l'Europe réponde aux attentes des peuples. Il y a urgence à le faire, peut-être avec cette démarche en deux temps peut-on trouver la solution. D'autres font d'autres recommandations. Moi, j'ai acquis la conviction qu'il faut cette démarche pragmatique, c'est celle qui est la plus prometteuse et la plus réaliste pour dégager des perspectives rapidement, car encore une fois il le faut, et on ne peut plus attendre.
Q - Après l'euro, d'après vous, quel symbole fort faut-il aujourd'hui à l'Europe ?
R - Il lui faut clairement un visage et une voix pour peser sur la scène internationale. L'Europe a souffert, là aussi, de l'échec du Traité constitutionnel, puisqu'il était prévu qu'elle ait un ministre des Affaires étrangères et un président stable du Conseil européen qui la représentent. Aujourd'hui, nous sommes 27 Etats membres, nous négocions pour essayer de nous mettre d'accord et mener des négociations, négociations commerciales, peser dans la diplomatie internationale, aller au Proche-Orient, faire entendre la voix de la raison, voir les Etats-Unis et leur dire un certain nombre de choses, etc. Il nous faut clairement nous unir davantage pour que l'Europe ait un visage et une voix. Et, le jour où elle aura un visage et une voix, les choses seront transformées.
Q - Quels sont les événements organisés pour commémorer le 25 mars ?
R - Il y aura deux symboles très fort. Un symbole politique à Berlin avec tous les chefs d'Etats ou de gouvernement réunis avec le président du Parlement européen et le président de la Commission pour adopter une déclaration politique, celle qui doit marquer notre ambition pour les années qui viennent. Deuxième symbole fort, l'euro. Nous allons éditer une pièce spéciale de 2 euros dont la face, qui est habituellement la face nationale, sera commune à tous les pays qui ont adopté l'euro. Elle représentera le Traité de Rome.
Et puis nous avons pensé aux jeunes, aux jeunes qui feront l'Europe de demain. Nous faisons avec France 24 un concours de reportages sur l'Europe, le reportage primé sera diffusé le 25 mars. Des jeunes aussi que nous toucherons à travers des concerts que nous organisons pour les étudiants Erasmus, Erasmus qui fête ses 20 ans et qui est une formidable réussite.
Et partout en France, j'ai aidé les associations qui organisent des manifestations pour célébrer cet événement. Il y en aura une quarantaine et encore beaucoup d'autres choses que vous pouvez retrouver sur le site traitederome.fr et, dernière chose, à mon initiative, pour donner encore davantage de visibilité à cet événement, nous sommes présents et l'Europe est présente sur "Second Life". Il y a une Maison de l'Europe, et "Second Life" a déjà inscrit dans ses événements, le 25 mars, le 50ème anniversaire du Traité de Rome. Donc on se retrouve tous sur "Second Life" le 25 mars !
Q - Des festivités qui auront lieu uniquement le 25 mars ?
R - Il y en aura, en réalité, dans les jours précédents et même dans les jours suivants. Les associations, par exemple, qui sont présentes sur l'ensemble du territoire national commencent, pour certaines d'entre elles, leurs manifestations à partir du 15 ou du 17 mars, avec, en particulier, les "Etats généraux de l'Europe" à Lille que nous avons fortement aidés avec les associations que nous soutenons. Il y aura beaucoup de choses en Italie aussi, l'Italie, pays où a été signé le Traité de Rome, à partir du 22 mars. Et puis partout chez nos partenaires, selon ce qu'ils ont organisé eux-même. Le point culminant c'est le 25 mars, mais il y aura des choses au-delà.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 mars 2007
R - Je vais être claire, je crois que la vision des Pères fondateurs reste la bonne, et c'est elle qui doit nous inspirer. De quoi s'agit-il ? Il s'agit de s'unir pour être plus forts et de dégager l'intérêt général par des réalisations concrètes, pas à pas. Il faut une vision et bâtir sur du concret. Alors la vision, aujourd'hui, c'est la même, c'est construire l'Europe parce que c'est l'intérêt de chacun de nos pays. C'est l'intérêt de la France de faire l'Europe. Qui pourrait imaginer qu'un pays puisse répondre seul aux défis qui sont ceux du monde d'aujourd'hui, qu'il s'agisse du changement climatique, de l'approvisionnement énergétique, des inégalités de développement, des investissements qu'il va falloir faire massivement dans le domaine de l'éducation, de la recherche, de l'innovation, ou du défi de la sécurité ? Aucun Etat, aussi puissant soit-il, ne pourrait trouver tout seul des solutions. Et donc, nous avons besoin que l'Europe développe des politiques concrètes sur chacun de ces sujets. C'est l'un des enjeux du 25 mars, donner ce signal de notre ambition, sujet par sujet. Nous devons continuer à bâtir l'Europe.
Q - Alors justement, à propos du 25 mars, on compte sur ces "festivités" - entre guillemets -, pour relancer l'Europe. Pourquoi ? L'Europe a perdu son souffle ?
R - Elle a perdu de l'impulsion, elle a perdu un esprit collectif et trop souvent, au-delà même de la France, les Européens doutent d'eux-mêmes. Alors que la réalité est tout autre et il faut rappeler cette réalité : l'Europe est la plus belle invention politique du XXème siècle, un projet commun qui nous permet d'assurer la paix, la liberté, la démocratie et qui nous donne un cadre pour notre développement économique et social.
L'enjeu du 25 mars, c'est cela : engager la relance de l'Europe, retrouver confiance en nous-même, dire que c'est par l'Europe que nous pourrons résoudre les problèmes et peut-être répondre aux impatiences - dont je vois bien qu'elles se manifestent -, mais il ne faut pas, ces réponses, les chercher dans le repli sur soi. Au contraire il faut les chercher dans davantage de construction européenne en mettant l'accent sur des projets concrets. Depuis deux ans, c'est ce que le gouvernement a fait en donnant la priorité à une Europe concrète, une Europe efficace. Eh bien il faut continuer, mais continuer résolument. On ne fait pas l'Europe en se cachant, en en ayant honte. Au contraire, soyons fiers de l'avoir fait et décidons de continuer en remerciant les 50 années qu'elle vient de nous faire vivre et en bâtissant surtout les 50 prochaines années.
Q - Célébrer le cinquantenaire, est-ce que ce n'est pas pour essayer de voiler un peu les échecs qui ont suivi le Traité de Rome, échec notamment dans la construction politique de l'Europe à laquelle on a du mal à parvenir ?
R - L'Europe a eu beaucoup de succès, je dirai même que si l'on juge à l'échelle de l'histoire, c'est une histoire de succès continus. Nous avons réussi à faire la paix sur un continent qui connaissait la guerre - la guerre génération après génération - qui était ravagé par les conséquences de cette rivalité entre les nations, qui était affaibli par la ruine économique qui en résultait, qui était sujet, hélas, aux extrémismes et aux totalitarismes. Nous avons réussi aussi, on ne le souligne pas assez, à faire l'unité du continent : il y a 15, 20 ans, l'Europe était encore divisée en deux, avec une bonne moitié des Européens qui vivaient non pas dans la démocratie, mais dans la peur. Nous avons réussi à faire de l'Europe un marché, les deux tiers de nos échanges ont lieu entre pays européens, et c'est pour nous une immense source d'activité, donc de richesse et d'emplois. Avec l'élargissement, nous avons réussi à accroître ce marché. Et puis nous avons donné à l'Europe l'un des instruments de son efficacité économique qui est l'euro, qu'il ne faut pas décrier, parce que, là aussi - n'ayons pas la mémoire trop courte - avant l'euro il y avait des dévaluations compétitives, les rivalités entre les monnaies, et cela pouvait coûter à la France, tous les ans ou tous les deux ans, des milliards de francs - "francs" à l'époque !. Nous avons une monnaie stable qui nous protège des chocs extérieurs et qui nous permet d'avoir aussi une monnaie pour les échanges internationaux.
Et puis enfin, nous faisons une Europe de la sécurité. L'Europe a des frontières communes qui sont bien protégées avec, à l'intérieur de l'Europe, un espace de liberté de circulation, de liberté d'établissement : les étudiants peuvent aller étudier dans un autre pays européen, le médecin peut s'établir en Espagne s'il le souhaite... Nous avons un espace de liberté dont nous oublions de voir qu'il ne vient pas du ciel, mais qu'il est le produit de notre engagement collectif, jour après jour, depuis 50 ans. Dernière chose, que l'on voit plus récemment : "l'Europe de l'écologie", comme le dit le Président de la République. Eh bien oui, l'Europe est capable de donner l'exemple, elle est aujourd'hui à la pointe du combat contre le changement climatique. Donc, nous savons faire de bonnes choses, encore faut-il qu'on veuille bien le voir, s'en rendre compte, et trouver des raisons, non pas d'espérer, mais de vouloir continuer, parce que nous avons besoin de l'Europe.
Q - Alors justement, comme vous le disiez, cela ne tombe pas du ciel. Nous avons rencontré Maurice Faure qui nous disait qu'il y a, selon lui, un problème de communication entre les Français et l'Europe. S'il y a eu un "non" au traité de Constitution, est-ce que ce n'est pas justement parce qu'il y a un souci de communication ? Les Français ne comprennent pas l'ampleur de ce qu'est l'Europe. Est-ce qu'on communique mal ou est-ce qu'on explique mal tout l'enjeu que représente l'Europe aujourd'hui ?
R - Il est vrai qu'il faut parler davantage de l'Europe. Depuis que j'ai pris mes fonctions, je me suis efforcée de le faire jour après jour. Je me suis déplacée beaucoup en régions, pour parler aux Français, pour leur expliquer les avantages concrets de l'Europe. L'un des défauts de la construction politique de l'Europe est qu'elle n'a pas suffisamment associé les Français, la société civile, et parfois même les parlementaires qui avaient le sentiment d'ignorer, pour partie, ce qui se faisait. Depuis deux ans, nous avons rénové totalement le système en associant beaucoup plus le parlement, les partenaires sociaux - il faut consulter les partenaires sociaux sur les questions européennes -, nous avons développé des sites Internet, nous menons aussi des consultations par le même moyen, nous nous rapprochons des associations d'élus.
Et pourtant cela ne suffit pas. Parce que l'échec du référendum dont vous parlez n'est pas dû seulement à une absence ou à une insuffisance de communication, il est dû à de multiples causes, certaines sont internes, nationales. D'autres sont européennes, et pour ce qui concerne les raisons européennes il s'est établi, paradoxalement, une distance entre le projet politique qui était fait pour le bien de nos peuples et pour le bien de nos nations, et la perception qu'en avaient beaucoup de nos concitoyens. C'est cette distance qu'il faut maintenant réduire en faisant une Europe plus concrète. Encore une fois, la base et la leçon que nous ont donnée les Pères fondateurs , c'est que l'Europe se fera pas à pas et par des réalisations concrètes. Il y a une vision d'ensemble : l'Europe c'est un projet politique ; ensuite comment la fait-on ? On la fait concrètement.
Q - Vous comptez beaucoup sur le couple franco-allemand pour relancer cette Europe. Est-ce que, selon vous, c'est un axe vraiment pertinent ? Pouvons-nous compter sur ce couple pour l'Europe devenir, notamment, une Europe politique par exemple ?
R - Il est certain que la France et l'Allemagne ont une responsabilité particulière, de par leur histoire et leur rôle dans la construction de l'Europe. Et je suis convaincue que le moteur franco-allemand est indispensable à la bonne marche de l'Europe. Ce n'est pas une raison exclusive, c'est un moteur pour avancer, c'est un moteur au service d'un projet politique, et l'ambition commune de la France et de l'Allemagne, c'est d'avoir une Europe politique. Une Europe qui soit un espace de paix, de démocratie et de développement économique et social comme nous le disions tout à l'heure. Ce projet politique là, nos deux pays l'ont en commun, et il faut qu'ils travaillent ensemble parce qu'on sait que si eux ne le font pas, s'ils se divisent sur certains sujets, eh bien l'Europe n'avance pas. Alors, nous avons, là aussi, fait beaucoup d'efforts pour que, après l'année 2005, difficile pour l'Europe, et une année 2006 qui a été meilleure, qui a permis de prendre un certain nombre de nouvelles orientations, 2007 soit l'année de la relance de l'Europe. Cela tombe bien, nous sommes aujourd'hui sous présidence allemande et nous travaillons de très près avec l'Allemagne pour que sa présidence soit réussie, pour que l'on développe des politiques concrètes et pour que, à la fin de la présidence allemande, d'ici le mois de juin, les Européens se soient dotés d'une feuille de route pour sortir de l'impasse institutionnelle. Nous devons aller de l'avant, maintenant il y a urgence, et je crois que cette année va nous permettre d'entrevoir de nouvelles solutions.
Q - La France a t-elle encore sa place ? Quel est réellement le rang de la France aujourd'hui en Europe ?
R - Le rang de la France est inchangé. C'est un pays fondateur et un pays qui reste aujourd'hui, comme il l'est resté ces deux dernières années, l'un des pays moteur de la construction européenne avec un engagement politique fort, avec des initiatives que se soit sur le budget, sur l'énergie - on ne parlerait pas d'énergie en Europe si la France n'avait pas convaincu ses partenaires de le faire -, avec des politiques nouvelles sur l'immigration, pour qu'on traite la question de l'immigration d'une façon globale, qu'on réfléchisse aux inégalités de développement entre le Nord et le Sud, et qu'on se donne les moyens de trouver des réponses, parce que l'Europe a des moyens. Certes, il y a encore beaucoup à faire pour qu'il y ait une Europe politique. L'échec du Traité constitutionnel, bien sûr, a empêché l'Europe de franchir un pas, de faire un saut qualitatif, et c'est maintenant ce travail qu'il va falloir reprendre parce que nous avons besoin d'une Europe plus adaptée au monde d'aujourd'hui. Une Europe plus intégrée, qui ne se réfugie pas dans des coopérations vagues en oubliant le projet politique. Je le redis, depuis l'origine, l'Europe c'est un projet politique, et donc la France et l'Allemagne travaillent de très près pour que 2007 nous permette d'engager la relance.
Q - Après le "non" au référendum, on parle d'une relance par un mini traité. Quelle marge de manoeuvre aura le futur président ou la future présidente pour relancer l'Europe politiquement ?
R - L'Europe se fait à 27. Il nous faut donc trouver un accord entre les 27 Etats membres pour sortir du blocage institutionnel dans lequel nous sommes. Ce que je crois c'est que l'Europe a absolument besoin, de façon urgente, d'institutions rénovées pour lui permettre de fonctionner comme nous le souhaitons, et pour lui permettre de relever les défis qui sont ceux d'aujourd'hui et de demain : l'énergie, l'immigration, la défense, la sécurité... J'en ai cité quelques-uns, il y en aurait encore d'autres. Alors nous voulons un accord avant 2009, année d'élections au Parlement européen. Et pour cela comment faire ? Je crois qu'il faut une démarche pragmatique et ouverte. Nous devons partir de la réalité politique d'aujourd'hui, et la réalité c'est quoi ? C'est dix-huit pays qui ont dit "oui" au Traité constitutionnel, deux pays qui l'ont refusé et sept Etats membres qui ne se sont pas prononcés, qui ont suspendu leur processus. Voilà la réalité politique dont nous partons. Chacun devra en tenir compte, ce qui signifie que chacun devra faire un pas vers l'autre pour dégager un consensus. L'objectif, c'est de partir des équilibres et de la substance du Traité constitutionnel et de regarder rapidement, à temps pour 2009, ce sur quoi nous pouvons nous mettre d'accord et ce qu'il faut réserver pour plus tard. Et dans un deuxième temps, plus tard, et bien nous verrons quel est le nouveau mode d'emploi d'une Europe nouvelle, à échéance de 10 ans. Le problème aujourd'hui est plus urgent. Dotons-nous d'institutions rénovées et de mécanismes de décisions européens qui nous permettent de faire que l'Europe réponde aux attentes des peuples. Il y a urgence à le faire, peut-être avec cette démarche en deux temps peut-on trouver la solution. D'autres font d'autres recommandations. Moi, j'ai acquis la conviction qu'il faut cette démarche pragmatique, c'est celle qui est la plus prometteuse et la plus réaliste pour dégager des perspectives rapidement, car encore une fois il le faut, et on ne peut plus attendre.
Q - Après l'euro, d'après vous, quel symbole fort faut-il aujourd'hui à l'Europe ?
R - Il lui faut clairement un visage et une voix pour peser sur la scène internationale. L'Europe a souffert, là aussi, de l'échec du Traité constitutionnel, puisqu'il était prévu qu'elle ait un ministre des Affaires étrangères et un président stable du Conseil européen qui la représentent. Aujourd'hui, nous sommes 27 Etats membres, nous négocions pour essayer de nous mettre d'accord et mener des négociations, négociations commerciales, peser dans la diplomatie internationale, aller au Proche-Orient, faire entendre la voix de la raison, voir les Etats-Unis et leur dire un certain nombre de choses, etc. Il nous faut clairement nous unir davantage pour que l'Europe ait un visage et une voix. Et, le jour où elle aura un visage et une voix, les choses seront transformées.
Q - Quels sont les événements organisés pour commémorer le 25 mars ?
R - Il y aura deux symboles très fort. Un symbole politique à Berlin avec tous les chefs d'Etats ou de gouvernement réunis avec le président du Parlement européen et le président de la Commission pour adopter une déclaration politique, celle qui doit marquer notre ambition pour les années qui viennent. Deuxième symbole fort, l'euro. Nous allons éditer une pièce spéciale de 2 euros dont la face, qui est habituellement la face nationale, sera commune à tous les pays qui ont adopté l'euro. Elle représentera le Traité de Rome.
Et puis nous avons pensé aux jeunes, aux jeunes qui feront l'Europe de demain. Nous faisons avec France 24 un concours de reportages sur l'Europe, le reportage primé sera diffusé le 25 mars. Des jeunes aussi que nous toucherons à travers des concerts que nous organisons pour les étudiants Erasmus, Erasmus qui fête ses 20 ans et qui est une formidable réussite.
Et partout en France, j'ai aidé les associations qui organisent des manifestations pour célébrer cet événement. Il y en aura une quarantaine et encore beaucoup d'autres choses que vous pouvez retrouver sur le site traitederome.fr et, dernière chose, à mon initiative, pour donner encore davantage de visibilité à cet événement, nous sommes présents et l'Europe est présente sur "Second Life". Il y a une Maison de l'Europe, et "Second Life" a déjà inscrit dans ses événements, le 25 mars, le 50ème anniversaire du Traité de Rome. Donc on se retrouve tous sur "Second Life" le 25 mars !
Q - Des festivités qui auront lieu uniquement le 25 mars ?
R - Il y en aura, en réalité, dans les jours précédents et même dans les jours suivants. Les associations, par exemple, qui sont présentes sur l'ensemble du territoire national commencent, pour certaines d'entre elles, leurs manifestations à partir du 15 ou du 17 mars, avec, en particulier, les "Etats généraux de l'Europe" à Lille que nous avons fortement aidés avec les associations que nous soutenons. Il y aura beaucoup de choses en Italie aussi, l'Italie, pays où a été signé le Traité de Rome, à partir du 22 mars. Et puis partout chez nos partenaires, selon ce qu'ils ont organisé eux-même. Le point culminant c'est le 25 mars, mais il y aura des choses au-delà.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 mars 2007