Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, sur "France Inter" le 26 mars 2007, sur le débat sur l'"identité nationale", la notion de "nation", sur les intentions de vote, d'après les sondages, pour les principaux candidats au premier tour.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q- F. Hollande, alors vous avez un drapeau français chez vous ou pas ?
R- Oui, depuis longtemps.
Q- Il est où ?
R- Dans la cuisine.
Q- Ha ! dans la cuisine !
R- Les Coupes du monde y sont pour beaucoup.
Q- D'accord. C'est quoi, cela dit, sur le fond cette idée un petit peu bizarroïde d'équiper chaque famille française d'un drapeau ?
R- Je pense que c'est une phrase de S. Royal qui doit être remise dans son contexte. Il y a aujourd'hui une nécessité qui est de rappeler ce qu'est notre nation, ce qu'est la France. Elle appartient à tous les Français la France, elle n'est pas la propriété de je ne sais qui, pour je ne sais quoi. Et d'ailleurs, dans une élection présidentielle, on peut dire que la France est notre patrimoine commun et en même temps, là, lors de l'élection présidentielle, il va y avoir deux visions de la France au second tour, qui vont s'affronter, et qui vont faire que la France n'aura pas le même visage après l'élection présidentielle.
Q- Alors, c'est quoi "la nation de gauche" par rapport à "la nation de droite" ?
R- Je crois d'abord qu'il y a la nation qui s'est fabriquée historiquement, à travers les apports et quelquefois même les régressions. Il y en a eues aussi dans notre histoire, il n'y a pas besoin, là, de faire repentance, simplement, de regarder notre histoire. Il y a une nation qui existe aujourd'hui. Cette nation a été fabriquée et par des sensibilités de gauche, beaucoup, et par des sensibilités de droite, lorsqu'elles ont eu à exercer la responsabilité pour le meilleur ou pour le pire. Donc, nous héritons d'une nation. La vraie question c'est : qu'est-ce que nous voulons en faire ? Et nous, notre conception, c'est d'en faire une nation ouverte, une nation solidaire, une nation portant des valeurs universelles. C'est pour cela que la gauche est à la fois fière de ce qu'elle est historiquement, en France, et en même temps, internationaliste. Elle l'a toujours été, et européenne. Donc, la conception que nous avons de la nation n'est pas d'être repliés sur nous-mêmes, recroquevillés, avec simplement quelques symboles - les symboles méritent d'être rappelés - mais c'est une nation qui doit porter un message universel au monde. C'est comme cela que la France s'est toujours constituée.
Q- Vous n'êtes pas à la remorque de N. Sarkozy sur toute cette affaire de "nation", d'"identité nationale", de "Marseillaise", de "drapeau", de "bleu, blanc, rouge" ? C'est lui qui a lancé le débat.
R- Non, il a lancé un débat dangereux, qui était le rapprochement entre l'identité nationale, je l'ai dit, qui nous appartient communément, et l'immigration. C'est cela qui a fait qu'il y a eu confrontation démocratique. On ne peut pas rapprocher immigration et identité nationale. Rendez-vous compte, en plus dans un ministère, car cela voudrait quoi ? Cela voudrait dire que, l'immigration est un facteur de dislocation de l'identité nationale, et qu'il faudrait donc que l'immigration soit écartée, chassée. Hélas ! On en a quelques illustrations encore ces derniers jours par le même ministre de l'intérieur, enfin l'ex-ministre de l'intérieur...
Q- Il quitte son ministère tout à l'heure.
R- Mais il y a là, comme une suspicion mise sur l'immigration, comme un facteur de déstructuration de notre identité nationale, alors que notre identité nationale précisément s'est construite à travers des apports migratoires au cours de ces derniers siècles. Alors, enfin, ce serait quand même un comble là aussi que, parce que nous sommes dans un moment de campagne électorale, donc de politisation du pays, au meilleur sens du terme, il y ait une droite qui prenne la France, qui dit : "c'est à moi, et si vous n'aimez pas la France, quittez-là !". Mais au contraire, il faut dire, nous, nous aimons la France autant que les autres. Nous n'avons pas besoin d'ailleurs de demander à certains de quitter le territoire, y compris pour des raisons fiscales, pour qu'ils aiment davantage la France ou qu'ils l'aiment moins.
Q- La France s'est construite, disiez-vous à l'instant, par différentes vagues aussi d'immigration. Est-ce que cela va jusqu'à la régularisation des parents sans papiers d'enfants scolarisés
aujourd'hui ?
R- Je suis favorable à une régularisation sur la base de critères. Parmi ces critères, il y a la vie de famille ; lorsque on est venus en France, quelquefois depuis plusieurs mois ou plusieurs années, et qu'on y a fait famille, et qu'on a des enfants scolarisés, il y a une logique qui est de permettre une régularisation. Mais faut-il aussi faire en sorte que ce ne soit pas une méthode commode, où on vient, avec des visas touristiques, où on inscrit ses enfants à l'école, et après ça donne des droits, non. Il va falloir que, là aussi, il y ait des critères. Mais en revanche, ce que je ne peux pas admettre, c'est qu'on puisse mettre des policiers en faction, là, à la sortie des écoles, et ça n'a pu se faire que sur ordre, je disais de l'ex-ministre de l'intérieur.
Q- Vous êtes sûr ça ?
R- Ecoutez, alors s'il n'a pas donné d'ordre, c'est encore plus grave !
Q- Non mais ce n'est pas...
R- S'il n'y a pas eu de consignes...
Q- Non mais ce n'est pas la justice ?
R- Je ne parle pas de la justice qui s'est, dit-on - dit-on - à un moment, mise en mouvement par rapport à l'institutrice, à la directrice d'école, je parle de ce qui s'est passé avant et de ce qui se passe dans beaucoup d'écoles, où on met des policiers qui ne peuvent rien d'ailleurs, en faction, pour qu'ils interpellent des parents, des grands-parents qui viennent chercher leurs enfants à l'école, et quand une directrice d'école s'interpose pour dire : attention, il y a quand même des règles dans notre nation, dans notre République, dans notre France telle que nous la voulons, telle que nous l'aimons, eh bien, là, je pense que, quand il s'est passé ce qui s'est produit, N. Sarkozy en est le premier responsable. Il quitte, là, son ministère, finalement à un moment symbolique : il aura été celui qui, jusqu'au dernier moment, aura fait, je crois, des politiques extrêmement blessantes pour l'image que nous devons donner de notre pays.
Q- Quel bilan tirez-vous justement de son action, à la fois au Gouvernement et au ministère de l'Intérieur ?
R- On oublie qu'il a été un moment ministre de l'économie et des Finances, quelques mois, ça a été une période qui n'a pas permis à la France, c'est le moins qu'on puisse dire, de créer des emplois, de réduire les inégalités fiscales, et de mettre nos entreprises en situation de compétitivité. La croissance, pendant qu'il était ministre de l'économie et des Finances a été l'une des plus faible d'Europe. Mais pour le reste du temps, il a été ministre de l'intérieur. Il a demandé à être jugé sur ses résultats, regardons-les ses résultats : jamais les violences aux personnes, les agressions physiques n'ont atteint ce niveau-là dans notre pays, jamais ! Et il serait, là, en train de se réjouir de son propre bilan ? Jamais, statistiques officielles, il n'y a eu autant de voitures brûlées que dans la période où il a été lui-même en responsabilités ! Jamais, nous n'avons connu trois semaines d'émeutes urbaines dans notre pays ! Voilà le bilan du ministère de l'intérieur version Sarkozy. Alors, il sautait une étape et devenait demain président de la République et ministre de l'intérieur, car nul doute qu'il poursuivrait sur une autre facette son action, moi je crains une logique d'affrontement, je crains une logique de conflit, je crains une logique de stigmatisation, je crains une logique d'exclusion. C'est pour cela que je pense que l'élection présidentielle doit être un choix de société, pas simplement un choix de personnes, parce que moi je ne veux pas ici personnaliser le débat. N. Sarkozy représente une politique, une doctrine, une pensée, une volonté, et c'est celle que je ne veux pas pour mon pays. Mais en même temps, je ne suis pas là pour empêcher, pour écarter, on n'est pas là pour produire un vote utile "contre". On doit être capables de produire un vote utile "pour", c'est-à-dire, pour un changement profond dans notre pays sans altérer les règles de notre République.
Q- M.-G. Buffet dit que vous prenez un vrai risque en appelant au vote utile, en faveur de S. Royal dès le premier tour. Le risque, d'affaiblir encore plus la gauche en vue du deuxième tour.
R- Non, je n'appelle pas à un vote utile "contre", en disant, finalement, notre seul objet dans cette campagne présidentielle, ce serait d'empêcher Sarkozy. Il faut battre Sarkozy pour que la gauche soit en situation d'agir, mais le vote doit être d'abord un vote positif : pour la gauche, pour le changement, pour des transformations de notre pays. Quant à M.-G. Buffet, qui doit jouer tout son rôle dans cette campagne, qu'elle dise aussi, pour que ce soit un vote utile que de voter communiste ou de voter Verts, que nous allons participer ensemble, ensuite, à la transformation du pays, à la réforme de notre pays, pour que le vote soit "utile", il faut bien qu'il serve à quelque chose. Donc, chacun doit faire la démonstration qu'il y a un vote nécessaire. Mais je vais quand même dire un mot : je n'oublie pas quand même ce qui s'est passé le 21 avril 2002, ce serait une occultation très grave de la réalité que de dire : mais écoutez, il n'y a pas de problème, on peut arriver comme ça, au soir du premier tour, sans risques. Je ne sais pas quel sera l'ordre d'arrivée, M.-G. Buffet non plus.
Q- C'est quand même très fragile l'état de la gauche, aujourd'hui, à un mois de la présidentielle. Vous avez fait quoi justement depuis le 21 avril ?
R- Nous avons travaillé, le PS...
Q- C'est-à-dire, depuis cinq ans ?
R- ...le PS s'est redressé, il avait été écarté du second tour, justement ; le PS a travaillé pour qu'il puisse offrir une alternative. J'ai proposé aux Radicaux de gauche, au Mouvement des citoyens, qui avaient eu justement des candidats en 2002, de soutenir très légitimement la candidate socialiste dès le premier tour, ils l'ont fait, donc j'ai rassemblé la gauche. J'ai proposé aux Verts un contrat de gouvernement, ils l'ont accepté. Nous sommes encore en train de discuter des circonscriptions, ça viendra. Et au PC, j'ai toujours dit, et je le dis encore à ce micro, que le PC a sa place dans une majorité de gauche pour transformer notre pays. Le PC a préféré d'autres stratégies, je le respecte. Mais je suis là pour faire gagner la gauche pas pour faire tel ou tel pourcentage.
Q- La gauche est talonnée quand même par F. Bayrou aujourd'hui encore ?
R- Mais la gauche n'est pas certaine d'être au second tour, et elle ne peut l'être
d'ailleurs qu'avec la candidate socialiste, S. Royal, elle ne peut pas l'être
autrement, elle ne peut pas l'être avec M.-G. Buffet, O. Besancenot, ou D. Voynet.
Q- Elle n'est pas certaine ?
R- Mais elle est d'autant moins certaine qu'elle ne l'a pas été la dernière fois. Et d'autre part, il n'y a pas que F. Bayrou. Je ne veux pas ici dramatiser à l'excès. Mais il y a aussi J.-M. Le Pen. Qui nous dit que J.-M. Le Pen n'est pas plus haut que ce qu'il est dans les sondages ?
Q- Qu'en savez-vous justement ?
R- Je n'en sais absolument rien. Et aucun sondage avant 2002 ne nous avait alertés sur la présence de J.-M. Le Pen au second tour. Et on nous l'avait presque reproché en disant : mais pourquoi vous nous aviez pas dit, pourquoi vous n'aviez pas annoncé quelques jours avant ? Alors, je ne veux pas ici faire ni de dramatisation, ni de glorification de ce que nous sommes. Je sais simplement que, si on veut que ça change dans notre pays, le seul bulletin de vote qui permet justement que ça change, c'est celui de S. Royal.
Q- En tant que premier secrétaire du PS, comment prenez-vous, alors qu'on les appelle les GRAC (phon), les PARCS (phon), enfin tous les groupes de hauts fonctionnaires, ex-socialistes, qui aujourd'hui appellent soit à une coalition avec F. Bayrou, soit qu'ils disent qu'ils se rallient à sa candidature, tout simplement ?
R- Je ne crois pas que ce soit cela, dans l'appel de ceux qu'on appelle les GRACQ, qui ne pas encore connus au-delà de notre studio. Mais je pense que ce qu'ils disent d'abord, c'est qu'ils votent S. Royal ; ensuite, ils se posent la question que vous avez également posée : où en est la gauche, avec qui gouverner ? Et la seule réponse qu'il faut leur dire : nous, nous gouvernerons sur la base du pacte présidentiel de S. Royal, avec ceux qui le voudront. Mais faut-il encore qu'ils fassent un choix, et pas simplement qu'ils essayent des combinaisons, qu'ils fassent un choix clair : c'est de gouverner avec la gauche, toute la gauche, et éventuellement ceux qui seront les bienvenus.
Q- Et donc, ça s'arrête là ? Pour vous, c'est juste une interrogation venue de citoyens éclairés ?
R- Sinon qu'ils posent la question à F. Bayrou ! F. Bayrou, que veut-il ? Il ne veut pas gouverner avec la gauche, il veut casser la gauche pour se substituer à elle. F. Bayrou n'est pas soutenu par la gauche, je n'ai pas vu telle ou telle personnalité de gauche soutenir F. Bayrou. F. Bayrou c'est une variante, respectable d'ailleurs, de ce qu'est la droite. Je voyais encore ce matin qu'un ministre du gouvernement UMP-UDF, le soutenait.
Q- F. Goulard.
R- ... Ca en fait déjà deux. Plus le ministre UDF que chacun connaît, G. de Robien. Je vais vous dire, juste sur G. de Robien, c'est quand même une chose assez extraordinaire ça ! Il est ministre UDF, il prend un décret qui remet en cause les conditions de travail du personnel enseignant. Qui proteste ? Le président de l'UDF. Allez comprendre ! Qui demande le retrait du décret ? N. Sarkozy, numéro 2 du Gouvernement jusqu'à il y a quelques minutes. Donc, on doit être dans un vote de cohérence, là, en 2007. On est dans un vote d'incohérence en 2002. Remettons de l'ordre, mais de l'ordre juste.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 mars 2007