Texte intégral
Je suis particulièrement heureux d'être avec vous en ce moment, dans ce lieu capital de la culture européenne qui, aujourd'hui, assume pleinement le rôle central qu'il a toujours joué dans l'histoire de notre continent. En attribuant pour la première fois le Label " Patrimoine européen " à l'abbaye de Cluny, nous avons conscience, en effet, de vivre un véritable évènement, un événement historique, un événement qui, en tous les cas, fera date dans l'histoire, souvent magnifique, et parfois difficile, de la construction européenne.
A la suite des Rencontres pour l'Europe de la Culture, qui se sont déroulées à Paris en mai 2005, nous avions formulé, avec les ministres européens de la culture, plusieurs propositions : la première était l'instauration de ce Label du Patrimoine Européen. C'est donc l'aboutissement d'une réflexion et d'une décision communes que nous vivons en ce moment d'émotion, et je remercie tout particulièrement M. Giorgos Voulgarakis, ministre de la culture de la République hellénique, et Madame Isabel Peres de Lima, ministre de la Culture du Portugal, d'avoir accepté d'être à mes côtés aujourd'hui ! Leur présence est pour moi le signe le plus fort de l'esprit de ce Label : en mettant en valeur des lieux essentiels de notre histoire et de notre culture commune, nous voulons faire comprendre au public le plus large la substance de l'esprit européen, une sorte d'esprit de famille, dont les racines plongent au sein même des fiertés nationales, qui sont légitimes et qu'il convient d'honorer.
L'abbaye de Cluny est un lieu particulièrement propice pour illustrer ce dialogue, cet enrichissement culturel réciproque qui constitue notre premier objectif. Par toute son histoire autant que par les projets qui y sont développés maintenant, ce site est un lieu emblématique du Label européen du patrimoine.
La fondation de l'abbaye de Cluny, donnée à douze moines bénédictins par le duc d'Aquitaine Guillaume Ier le 11 septembre 910, entraîne la naissance de l'ordre clunisien. Rattaché directement au Pape, dirigé par des abbés choisis par les moines, qui se révèleront être des personnalités exceptionnelles, Cluny rassemble rapidement d'autres abbayes sous sa direction, en France, puis dans toute l'Europe. Fidèle à sa vocation, elle demeure un lieu de prière, de travail et d'accueil : en des temps parfois troublés, elle s'en tient à la règle bénédictine, qui fait obligation de secourir les pauvres, les malades, les étrangers, les voyageurs, et d'offrir à tous un droit d'asile inviolable. Sans doute ne mesurons-nous plus aujourd'hui tout ce que pouvait représenter un tel lieu, foyer de culture, d'esprit, d'ouverture et de paix : Cluny est une incarnation exceptionnelle de la civilisation latine, moment fondateur dans la constitution de l'humanisme européen.
Le rayonnement de l'abbaye s'est en effet étendu, pendant plusieurs siècles, à tout le continent, déposant partout les ferments de ce qui deviendra notre identité européenne.
Ce lieu exceptionnel, même amoindri par les destructions qu'il a subies, porte en effet une part substantielle de l'identité européenne, de ses racines, je dirais même, de son essence. Carrefour de la civilisation latine pendant plusieurs siècles, centre de la recherche, du savoir, de la réflexion, Cluny a contribué de manière significative à faire de l'Europe ce qu'elle est aujourd'hui, à lui donner son unité culturelle, humaniste et spirituelle - Cluny, pourrait-on dire, a contribué à faire de nous ce que nous sommes aujourd'hui. Il est temps que l'Europe, enfin libérée des vicissitudes de son histoire, se retourne sur les lieux, sur les voies, sur les traces de sa lente maturation, pour ouvrir de nouveaux horizons à tous les Européens d'aujourd'hui.
En créant ce label européen du patrimoine, nous souhaitons ouvrir la voie d'une aventure commune, susciter chez les élus, les associations, les spécialistes, les médias et tous les citoyens une véritable prise de conscience, et une réflexion sur ce qui est proprement européen dans les lieux, dans les territoires, dans les monuments et dans les fractions de la mémoire qu'ils détiennent.
Le label "Patrimoine européen" sera attribué à des lieux très divers, dont le point commun est le rôle particulier qu'ils ont joué dans l'histoire de l'Europe et de sa construction progressive, étape après étape, siècle après siècle, année après année. L'objectif est ambitieux, puisqu'il s'agit d'illustrer cette histoire riche et complexe dans toutes ses dimensions, politique, intellectuelle, religieuse, philosophique, artistique et culturelle. Pour en offrir un aperçu le plus large possible, les ministres de la Culture des pays de l'Union, qui décident à l'unanimité de la liste des sites labellisés, retiennent des lieux extrêmement variés : ainsi, nos premiers choix ont porté sur l'abbaye bénédictine où nous sommes, sur l'Acropole d'Athènes, où nous serons ensemble lundi prochain, cher Giorgios Voulgarakis, et le palais de Knossos, en Grèce, sur la Place du Capitole en Italie, ou encore sur le Monastère royal de Yuste, en Espagne, où, en ce moment même, notre collègue espagnole, Carmen Calvo, lance également le Label. En France, deux autres sites ont été retenus : la maison de Robert Schuman à Scy-Chazelles, et la Cour d'honneur de la Cité des papes à Avignon. Des sites très différents viendront prochainement enrichir cette liste : grands édifices, cafés, voies de circulation, bâtiments témoins de l'histoire européenne, de l'histoire des peuples d'Europe, de l'histoire du monde ouvrier, de l'agriculture ou de l'artisanat, proposés par des pays que je souhaite toujours plus nombreux à nous rejoindre dans cette démarche commune et transfrontière ; ainsi, c'est une centaine de sites qui devraient être répertoriés d'ici le deuxième semestre 2008.
Les acteurs de ces sites seront réunis afin de constituer un réseau européen permettant de développer les échanges, d'améliorer l'accueil du public et la visibilité de ces lieux pour les visiteurs européens et étrangers. Ce réseau, n'en doutons pas, fera du patrimoine culturel l'un des éléments essentiels du dialogue interculturel en Europe.
Vous êtes réunis ici autour d'un projet ambitieux. Il prend aujourd'hui une dimension résolument européenne. Il mobilise, autour des archéologues, des ingénieurs, des chercheurs, des architectes, des historiens et des responsables d'institutions culturelles, de l'État, la municipalité, le conseil général et le conseil régional. Je me réjouis de cette addition féconde des énergies de tous, de voir que l'abbaye de Cluny, en redevenant un centre de recherche et de réflexion, renoue d'une manière inattendue avec son histoire, en attendant qu'elle retrouve le rayonnement qui fut le sien au coeur de l'Europe médiévale !
Nous célébrons, dans quelques jours, le cinquantième anniversaire du Traité de Rome ; je ne puis former de voeu plus important et plus audacieux que celui de créer, grâce aux Labels européens du Patrimoine, une nouvelle dynamique pour relancer, cinquante ans après son acte fondateur, la construction de l'Europe. J'en ai l'intime conviction, partagée, je le sais, par beaucoup d'entre vous : c'est de la culture que naîtra ce nouvel élan si nécessaire ; c'est autour des valeurs essentielles incarnées par ce haut lieu d'histoire qu'est Cluny, que s'achèvera l'unité européenne qui nous rassemblera et nous stimulera pour affronter et relever avec succès les défis de l'avenir.
Je vous remercie.Source http://www.culture.gouv.fr, le 21 mars 2007