Texte intégral
J.-P. Elkabbach - J.-P. Raffarin et le premier ministre, D. de Villepin, bonjour, merci d'être avec nous en direct.
R - Bonjour, J.-P. Elkabbach.
Q - D. de Villepin, vous qui travaillez avec lui depuis des années et dans différentes fonctions, comment avez-vous reçu, vu, l'annonce de sa décision ?
R - Ecoutez, avec d'abord beaucoup d'émotion, parce qu'on peut dire à quelqu'un qu'on aime à 20 ans : "Je t'aime". Pour le dire, à la fin d'une longue carrière d'homme politique qui a toujours choisi l'action, qui a toujours choisi le combat politique au service de son pays, pour pouvoir le dire, comme il l'a fait hier aux Français " Je vous aime, France, je vous aime " eh bien, il faut beaucoup d'années, beaucoup de souffrances, beaucoup de sacrifices, beaucoup d'ascèse. Parce que ce que je peux dire ici, pour avoir côtoyé longtemps J. Chirac à l'Elysée, c'est la part de solitude, la part de silence, la part de sacrifices qu'il faut dans le combat quotidien d'un homme qui a choisi de servir, tout entier, toute sa vie mise au service des Français. Et vous savez être président de la République c'est une fonction immense. C'est une fonction immense, dans l'attente, dans l'esprit des Français, dans le coeur des Français et c'est un homme qui a choisi de s'y consacrer tout entier, pour, justement être juste, pour être vrai.
Q - Mais le pays lui a rendu ou pas ?
R - Oui, je crois que chaque matin, quand j'arrivais tôt à la présidence de la République, je retrouvais le même Président, avec toujours le même appétit, avec la même énergie, avec la même confiance, avec le même amour de son pays et la conviction qu'on pouvait changer les choses, la conviction même si c'était difficile, même si s'était long, à force de persévérance, on finissait par y arriver. Et je crois que cette confiance il a su la communiquer aux Français. Et en regardant un peu en arrière aujourd'hui, on se rend compte que cette cohésion nationale, cette unité française, c'est ce qui explique que nous soyons tous heureux d'être Français, nous ressentons profondément ce bonheur d'être Français en dépit des difficultés, mais que de combats pour cela.
Q - Mais est-ce que ce sens de l'unité de la cohésion qui l'a empêché d'aller plus loin, parce qu'il sent la France fragile, et peut-être de réformer davantage.
R - Je crois qu'il a une conscience très aiguë à la fois de la fragilité française, mais en même temps de sa force, de capacité, de ses atouts et il nous a donné, communiqué cette fierté d'être Français. Alors c'est vrai que nous vivons une période, qui est une période difficile, qui demande beaucoup d'adaptation, qui demande un travail permanent. Donc nous avons peut-être de la difficulté à mesurer le chemin parcouru. Mais je crois que nous préservons cette identité française, nous préservons cette force française.
Q - Je pense que les intimes, B. et C. Chirac, les plus proches, M. Ullrich, F. Salat-Baroux et quelques rares amis qui savent garder un secret, étaient au courant, vous aussi sans doute et vous vous doutiez de sa décision. Mais depuis quand vous le saviez ?
R - J'allais dire depuis toujours, parce que je sais que J. Chirac est un homme juste. C'est un homme qui sait la décision juste et je savais que le choix qui était le sien, ça serait de partir dans la force de son action, dans la force de son engagement. C'est quelqu'un qui a donné le meilleur pour la France et qui, de ce fait, il saurait passer le témoin au bon moment. Je sais qu'il ne ferait pas le mandat de trop.
Q - C'est dommage qu'il n'y ait pas une caméra parce que vous aussi vous êtes ému en en parlant, en parlant de lui.
R - Oui parce que c'est un homme que j'aime profondément, pour lequel j'ai beaucoup d'affection.
Q - Vous avez travaillé avec le maire de Paris avant d'être le collaborateur du président de la République. Qu'est ce qui avait été déterminant, D. de Villepin, dès la première rencontre ?
R - Ecoutez, la première rencontre c'était en 1980. J'étais un tout jeune diplomate et j'avais choisi de contribuer à la réflexion de J. Chirac. Je me suis retrouvé, un jour, propulsé dans son bureau en tête à tête. Et J. Chirac avait sollicité mon avis sur un certain nombre de sujets diplomatiques. Et je lui avais répondu de façon très très peu diplomatique, comme je sais le faire parfois, c'est-à-dire de façon assez brutale. Et J. Chirac, à ma surprise, m'a dit...
Q - "Restez !".
R - "Merci", il m'a dit merci. Vous savez en politique, ce dont on a le plus besoin c'est de gens qui vous disent ce qu'ils pensent et qui vous le disent clairement. Et il a ajouté un jour : "D. de Villepin, nous travaillerons ensemble".
Q - Et ça s'est fait. D'ailleurs chacun de vous lui doit sa carrière. Vous avez été secrétaire général de l'Elysée, il a fait de vous le ministre des Affaires étrangères, le ministre de l'intérieur, le Premier ministre et Matignon vous l'avez évolué aussi, se sont des fonctions importantes et différentes. Qu'est ce qui vous a appris ? Qu'est ce qu'il vous apprend encore, puisque vous allez le retrouver tout à l'heure peut-être ?
R - Le bonheur d'être Français et savoir que cela se gagnait, se méritait. C'est un combat permanent, celui des valeurs de la République, celui de la lutte contre les injustices, contre les discriminations et cette vigilance qui a été la sienne, tout au long de ces années - rappelons nous, dans notre pays la violence des banlieues, les actes antisémites, les débats sur la mémoire, son discours du Vel d'Hiv, son discours au Panthéon, il y a quelques semaines, sur les Justes. Arriver à préserver cette unité et cette singularité française, c'est quelque chose d'indispensable.
Q - Est-ce que vous l'avez vu quelquefois perdre son sang-froid ou avoir quelquefois peur, même s'il le montrait peu, de ce qui se passait dans le fond de la société française.
R - Il y a deux évènements qui se télescopent dans ma mémoire ? Le premier c'est juste après l'arrivée du président de la République à l'Elysée en 1995, c'était un conseil restreint de défense sur la Bosnie. Nos soldats avaient été placés en situation de difficulté, leurs vies avaient été menacées sans qu'ils puissent riposter. Et j'ai vu alors - c'est la seule vraie colère que j'ai vue du président de la République - le Président en colère de voir nos soldats placés dans cette situation d'impuissance et exiger que nous puissions riposter et c'est à ce moment là que les soldats français ont repris le pont de Verbania. Le deuxième moment très fort, et encore une fois à l'arrivée à l'Elysée, ce sont les attentats du métro Saint-Michel. Le président de la République est rentré dans mon bureau, nous venions d'apprendre cet attentat, et il m'a dit "on y va". Et nous sommes partis tous les deux, au métro Saint-Michel. Et je me rappelle le silence qui habitait la voiture tout au long du chemin, et cette émotion qui était la sienne et en même temps cette maîtrise. Cet un homme qui est arrivé à un immense dépouillement de sa personne. Vous savez il faut des années pour faire un homme, mais J. Chirac, le jour où il est entré à l'Elysée, c'est un homme qui est devenu le Président de tous les Français.
Q - D'où en dépit de cette pudeur, on entend " cette France que j'aime autant que je vous aime " est une marque justement forte. Vous savez connu ensemble des chutes, des résurrections, des échecs. Est-ce que chaque fois, D. de Villepin, il a assumé les décisions prises à partir des suggestions de ses proches, la dissolution de 97 par exemple ?
R - Oui J. Chirac n'est pas quelqu'un qui se dérobe devant sa responsabilité, bien sûr, il assume et il assume tout, à la fois ce qui est bon et ce qui est parfois moins bon. Mais je crois que c'est le propre de la politique. Vous savez, si on n'essaie pas en permanence, si on ne prend pas des risques qui sont parfois nécessaires dans le cadre des fonctions, eh bien on ne peut pas aboutir. Donc, je crois que c'est un homme pragmatique, c'est un homme qui a toujours eu à coeur de tirer les leçons et en permanence de faire mieux. Une des caractéristiques de J. Chirac c'est son humilité, ce n'est pas quelqu'un qui est vaniteux, ce n'est pas quelqu'un à qui on ne peut pas dire : ceci n'était pas bien il faut essayer de faire autrement. C'est quelqu'un qui en permanence tire les leçons. Et il le fait pour lui-même, mais il le fait en même temps pour la France. Regardez sur l'Europe au dernier Conseil européen, quand il dit ; oui c'est vrai on aurait peut-être pu faire, j'aurais peut-être pu faire...
Q - On lui a reproché de reconnaître qu'il avait fait des erreurs...
R - Oui, mais vous savez un président de la République c'est quelqu'un qui prend aussi la responsabilité de ce que le pays, à un moment donné, n'a peut-être pas su faire. Donc il assume une responsabilité collective, bien sûr celle de chef de l'Etat, mais aussi la responsabilité collective pour nous permettre tous ensemble d'aller plus loin.
Q - Vous allez vivre deux mois d'une expérience unique : un président de la République qui s'en va, et vous à la tête d'un gouvernement, D. de Villepin, qui partira aussi après l'élection, qu'est ce que vous allez faire d'ici là ?
R - D'abord, J.-P. Elkabbach, il y a le travail quotidien du Gouvernement qui est un travail difficile dans la période que nous connaissons. Des dossiers comme celui d'Airbus. Des crises, comme la crise iranienne, ou la gestion de la crise ivoirienne. Autant de difficultés du quotidien, autant de préoccupations auxquelles il faut répondre. Et puis il y a la transition et je souhaite qu'elle soit démocratique, qu'elle soit menée dans les meilleures conditions possibles parce qu'un nouveau Gouvernement qui arrive c'est un Gouvernement qui a besoin d'être au fait, immédiatement, des dossiers et des difficultés. Donc, je vais réunir en séminaire l'ensemble des membres du Gouvernement pour leur demander de préparer très, très clairement tous les éléments dont auront besoin ceux qui s'installeront dans les ministères...
Q - Quels qu'ils soient...
R - Quels qu'ils soient parce que je crois que c'est cela la démocratie...
Q - De gauche, comme de droite.
R - Je souhaite que pour la première fois, nous puissions préparer ce passage de témoin pour que ceux qui arrivent aient toutes les données en mains, toutes les clefs pour travailler.
Q - Vous avez vécu deux campagnes présidentielles aux côtés de J. Chirac. En 2007, la campagne prend maintenant sa vraie dimension, les Français paraissent vouloir aujourd'hui un Président qui ne vienne ni de vos rangs, ni du PS. Est-ce que vous pensez que c'est, là en ce moment, dans la campagne, une attitude durable ? C'est-à-dire je vous demande d'expliquer ou de juger le phénomène Bayrou.
R - Je crois qu'une campagne électorale elle est faite de rythmes et de temps, et par définition, il y a des temps dans une campagne, où on passe de l'un à l'autre. Il y a un aspect butinage dans une campagne électorale, on veut essayer chacun des candidats, et on se met donc à la place de chacun d'entre eux pour essayer de jauger ce qu'il représente. C'est pour ça que le premier conseil, dans une campagne électorale, c'est la sérénité et la détermination, et j'ai bien vu hier, j'ai rencontré longuement N. Sarkozy, il était dans cet esprit de sérénité et de détermination. Je crois qu'il ne faut pas se laisser ballotter au gré des sondages, au gré des humeurs d'une campagne. Il faut savoir quel est le cap, savoir quel est l'objectif, savoir qui l'on sert. Vous savez, dans une campagne électorale, une des grandes clés, c'est qu'on ne se bat pas contre quelqu'un, on se bat pour un pays, on se bat pour un peuple, on se bat pour les Français, et c'est cette nécessité de ne jamais oublier le message à qui l'on s'adresse. Si l'on commence à se disperser, à imaginer qu'on se bat contre celui qui est à côté, je crois qu'on se trompe de bataille.
Q - Le candidat de votre famille a ce comportement aujourd'hui ? Ou il commence à l'avoir ?
R - Il est dans cette sérénité, il est dans cette volonté d'assumer cette part de solitude qui fait partie d'une campagne électorale et qui permet la métamorphose d'un candidat en un président de la République.
Q - Vous cherchiez, D. de Villepin, le moment où vous pourriez entrer plus nettement dans la campagne avec efficacité, élégance. Il est arrivé ce moment ?
R - Il est arrivé. J'ai été, avec N. Sarkozy, dans ce Gouvernement, c'est le choix que nous avons fait tous les deux. Je suis aujourd'hui avec N. Sarkozy pour défendre les idéaux de notre famille politique et pour que le choix des Français soit le plus éclairé possible. Vous savez, au bout du compte, choisir un Président, nous le voyons à travers le discours de J. Chirac hier, c'est un moment non seulement solennel, mais c'est un moment très important pour notre pays, et dans ce moment, il s'agit de se poser une question simple : quel est celui, quelle est celle, qui incarnera le mieux notre pays, qui représentera le mieux notre pays, et quel est celui ou celle qui a l'expérience, qui a été façonné, par l'action, par la vie, et qui a donc la capacité de relever ce défi ? Je crois qu'il faut se poser cette question simple : qui a aujourd'hui le plus d'expérience parmi les candidats possibles ?
Q - Vous posez très bien la question, vous posez les termes de la question de la manière la plus convenable et exacte. Mais quelle réponse vous donnez à la question que vous posez vous-même ?
R - Je l'ai dit, je crois que dans ma famille politique, à la fois l'action, l'expérience, ont façonné N. Sarkozy - à la fois la réflexion sur des échecs, sur des difficultés, sur des épreuves rencontrées - tout ceci, aujourd'hui, le place, je crois, dans une position qui lui permet d'habiter cette fonction.
Q - Et vous serez à ses côtés sans état d'âme ?
R - Je serai à ses côtés, parce que c'est l'idéal politique de ma famille, c'est mon engagement, et puis une fois de plus, nous avons été ensemble au Gouvernement, eh bien nous serons ensemble dans cette bataille.
Q - J. Chirac promet de continuer à servir autrement les Français, de continuer le combat. Vous le voyez au service de la révolution écologique, du développement durable, en tout cas vous le voyez agir ?
R - Oui, je le vois auprès des français et auprès des grands enjeux de notre temps. L'un des combats premiers du président de la République ça a été celui contre l'injustice du fait du handicap. En 1968, il a créé les premiers centres pour l'aide aux handicaps, et il a toujours été fidèle à ce combat-là. La défense de la planète, la défense de l'environnement, la défense de nos enfants et de nos petits-enfants, je sais à quel point tout cela compte pour lui. Et puis, les grands enjeux internationaux, la paix, la justice. J. Chirac est un homme qui porte une conscience du monde d'aujourd'hui, et cette conscience, nous en avons besoin, nous avons besoin de repères, nous avons besoin de voix capables de nous dire les choses. S'entendre sur le diagnostic, c'est déjà énorme.
Q - Dans 3 mois il va vous manquer ?
R - Moi il me manque déjà, il me manque tous les jours, le fait d'être passé d'une rive à l'autre de la Seine, le fait d'avoir quitté la présidence de la République, c'est vrai que J. Chirac rentrant 10 fois par jour dans le bureau, ses coups de fil sont là pour maintenir ce lien, mais c'est un homme dont la chaleur, dont l'amitié, sont très fortes.
Q - Est-ce que je peux dire ce matin que j'ai vu apparaître les larmes d'un Premier ministre ?
R - Oui, vous pouvez le dire, bien sûr.
Q - En fin de semaine, et on en termine, vous serez à New York et Boston, est-ce que c'est pour montrer aux Américains que vous n'êtes pas fâché avec eux, et surtout que vous serez bientôt disponible pour des activités internationales ?
R - Oui, le premier objectif de cette visite c'est toujours ce souci de la responsabilité pour un gouvernement, c'est de faire le point avec le secrétaire général des Nations unies, monsieur B. Ki-Moon, sur l'engagement de la France au service de la paix. Nous avons des milliers de soldats qui sont présents dans les forces de paix à travers le monde, c'est vrai au Liban, en Afghanistan, en Côte-d'Ivoire, et le président de la République m'a demandé d'aller à New York pour justement faire le point sur ces engagements et voir quelles sont les perspectives pour la France. Je veux que nous puissions présenter, à ceux qui nous succéderont, la succession la meilleure.
Q - Et sur le plan personnel ?
R - Eh bien écoutez, sur le plan personnel, ailleurs et autrement, je fais mienne cette règle.Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 6 avril 2007
R - Bonjour, J.-P. Elkabbach.
Q - D. de Villepin, vous qui travaillez avec lui depuis des années et dans différentes fonctions, comment avez-vous reçu, vu, l'annonce de sa décision ?
R - Ecoutez, avec d'abord beaucoup d'émotion, parce qu'on peut dire à quelqu'un qu'on aime à 20 ans : "Je t'aime". Pour le dire, à la fin d'une longue carrière d'homme politique qui a toujours choisi l'action, qui a toujours choisi le combat politique au service de son pays, pour pouvoir le dire, comme il l'a fait hier aux Français " Je vous aime, France, je vous aime " eh bien, il faut beaucoup d'années, beaucoup de souffrances, beaucoup de sacrifices, beaucoup d'ascèse. Parce que ce que je peux dire ici, pour avoir côtoyé longtemps J. Chirac à l'Elysée, c'est la part de solitude, la part de silence, la part de sacrifices qu'il faut dans le combat quotidien d'un homme qui a choisi de servir, tout entier, toute sa vie mise au service des Français. Et vous savez être président de la République c'est une fonction immense. C'est une fonction immense, dans l'attente, dans l'esprit des Français, dans le coeur des Français et c'est un homme qui a choisi de s'y consacrer tout entier, pour, justement être juste, pour être vrai.
Q - Mais le pays lui a rendu ou pas ?
R - Oui, je crois que chaque matin, quand j'arrivais tôt à la présidence de la République, je retrouvais le même Président, avec toujours le même appétit, avec la même énergie, avec la même confiance, avec le même amour de son pays et la conviction qu'on pouvait changer les choses, la conviction même si c'était difficile, même si s'était long, à force de persévérance, on finissait par y arriver. Et je crois que cette confiance il a su la communiquer aux Français. Et en regardant un peu en arrière aujourd'hui, on se rend compte que cette cohésion nationale, cette unité française, c'est ce qui explique que nous soyons tous heureux d'être Français, nous ressentons profondément ce bonheur d'être Français en dépit des difficultés, mais que de combats pour cela.
Q - Mais est-ce que ce sens de l'unité de la cohésion qui l'a empêché d'aller plus loin, parce qu'il sent la France fragile, et peut-être de réformer davantage.
R - Je crois qu'il a une conscience très aiguë à la fois de la fragilité française, mais en même temps de sa force, de capacité, de ses atouts et il nous a donné, communiqué cette fierté d'être Français. Alors c'est vrai que nous vivons une période, qui est une période difficile, qui demande beaucoup d'adaptation, qui demande un travail permanent. Donc nous avons peut-être de la difficulté à mesurer le chemin parcouru. Mais je crois que nous préservons cette identité française, nous préservons cette force française.
Q - Je pense que les intimes, B. et C. Chirac, les plus proches, M. Ullrich, F. Salat-Baroux et quelques rares amis qui savent garder un secret, étaient au courant, vous aussi sans doute et vous vous doutiez de sa décision. Mais depuis quand vous le saviez ?
R - J'allais dire depuis toujours, parce que je sais que J. Chirac est un homme juste. C'est un homme qui sait la décision juste et je savais que le choix qui était le sien, ça serait de partir dans la force de son action, dans la force de son engagement. C'est quelqu'un qui a donné le meilleur pour la France et qui, de ce fait, il saurait passer le témoin au bon moment. Je sais qu'il ne ferait pas le mandat de trop.
Q - C'est dommage qu'il n'y ait pas une caméra parce que vous aussi vous êtes ému en en parlant, en parlant de lui.
R - Oui parce que c'est un homme que j'aime profondément, pour lequel j'ai beaucoup d'affection.
Q - Vous avez travaillé avec le maire de Paris avant d'être le collaborateur du président de la République. Qu'est ce qui avait été déterminant, D. de Villepin, dès la première rencontre ?
R - Ecoutez, la première rencontre c'était en 1980. J'étais un tout jeune diplomate et j'avais choisi de contribuer à la réflexion de J. Chirac. Je me suis retrouvé, un jour, propulsé dans son bureau en tête à tête. Et J. Chirac avait sollicité mon avis sur un certain nombre de sujets diplomatiques. Et je lui avais répondu de façon très très peu diplomatique, comme je sais le faire parfois, c'est-à-dire de façon assez brutale. Et J. Chirac, à ma surprise, m'a dit...
Q - "Restez !".
R - "Merci", il m'a dit merci. Vous savez en politique, ce dont on a le plus besoin c'est de gens qui vous disent ce qu'ils pensent et qui vous le disent clairement. Et il a ajouté un jour : "D. de Villepin, nous travaillerons ensemble".
Q - Et ça s'est fait. D'ailleurs chacun de vous lui doit sa carrière. Vous avez été secrétaire général de l'Elysée, il a fait de vous le ministre des Affaires étrangères, le ministre de l'intérieur, le Premier ministre et Matignon vous l'avez évolué aussi, se sont des fonctions importantes et différentes. Qu'est ce qui vous a appris ? Qu'est ce qu'il vous apprend encore, puisque vous allez le retrouver tout à l'heure peut-être ?
R - Le bonheur d'être Français et savoir que cela se gagnait, se méritait. C'est un combat permanent, celui des valeurs de la République, celui de la lutte contre les injustices, contre les discriminations et cette vigilance qui a été la sienne, tout au long de ces années - rappelons nous, dans notre pays la violence des banlieues, les actes antisémites, les débats sur la mémoire, son discours du Vel d'Hiv, son discours au Panthéon, il y a quelques semaines, sur les Justes. Arriver à préserver cette unité et cette singularité française, c'est quelque chose d'indispensable.
Q - Est-ce que vous l'avez vu quelquefois perdre son sang-froid ou avoir quelquefois peur, même s'il le montrait peu, de ce qui se passait dans le fond de la société française.
R - Il y a deux évènements qui se télescopent dans ma mémoire ? Le premier c'est juste après l'arrivée du président de la République à l'Elysée en 1995, c'était un conseil restreint de défense sur la Bosnie. Nos soldats avaient été placés en situation de difficulté, leurs vies avaient été menacées sans qu'ils puissent riposter. Et j'ai vu alors - c'est la seule vraie colère que j'ai vue du président de la République - le Président en colère de voir nos soldats placés dans cette situation d'impuissance et exiger que nous puissions riposter et c'est à ce moment là que les soldats français ont repris le pont de Verbania. Le deuxième moment très fort, et encore une fois à l'arrivée à l'Elysée, ce sont les attentats du métro Saint-Michel. Le président de la République est rentré dans mon bureau, nous venions d'apprendre cet attentat, et il m'a dit "on y va". Et nous sommes partis tous les deux, au métro Saint-Michel. Et je me rappelle le silence qui habitait la voiture tout au long du chemin, et cette émotion qui était la sienne et en même temps cette maîtrise. Cet un homme qui est arrivé à un immense dépouillement de sa personne. Vous savez il faut des années pour faire un homme, mais J. Chirac, le jour où il est entré à l'Elysée, c'est un homme qui est devenu le Président de tous les Français.
Q - D'où en dépit de cette pudeur, on entend " cette France que j'aime autant que je vous aime " est une marque justement forte. Vous savez connu ensemble des chutes, des résurrections, des échecs. Est-ce que chaque fois, D. de Villepin, il a assumé les décisions prises à partir des suggestions de ses proches, la dissolution de 97 par exemple ?
R - Oui J. Chirac n'est pas quelqu'un qui se dérobe devant sa responsabilité, bien sûr, il assume et il assume tout, à la fois ce qui est bon et ce qui est parfois moins bon. Mais je crois que c'est le propre de la politique. Vous savez, si on n'essaie pas en permanence, si on ne prend pas des risques qui sont parfois nécessaires dans le cadre des fonctions, eh bien on ne peut pas aboutir. Donc, je crois que c'est un homme pragmatique, c'est un homme qui a toujours eu à coeur de tirer les leçons et en permanence de faire mieux. Une des caractéristiques de J. Chirac c'est son humilité, ce n'est pas quelqu'un qui est vaniteux, ce n'est pas quelqu'un à qui on ne peut pas dire : ceci n'était pas bien il faut essayer de faire autrement. C'est quelqu'un qui en permanence tire les leçons. Et il le fait pour lui-même, mais il le fait en même temps pour la France. Regardez sur l'Europe au dernier Conseil européen, quand il dit ; oui c'est vrai on aurait peut-être pu faire, j'aurais peut-être pu faire...
Q - On lui a reproché de reconnaître qu'il avait fait des erreurs...
R - Oui, mais vous savez un président de la République c'est quelqu'un qui prend aussi la responsabilité de ce que le pays, à un moment donné, n'a peut-être pas su faire. Donc il assume une responsabilité collective, bien sûr celle de chef de l'Etat, mais aussi la responsabilité collective pour nous permettre tous ensemble d'aller plus loin.
Q - Vous allez vivre deux mois d'une expérience unique : un président de la République qui s'en va, et vous à la tête d'un gouvernement, D. de Villepin, qui partira aussi après l'élection, qu'est ce que vous allez faire d'ici là ?
R - D'abord, J.-P. Elkabbach, il y a le travail quotidien du Gouvernement qui est un travail difficile dans la période que nous connaissons. Des dossiers comme celui d'Airbus. Des crises, comme la crise iranienne, ou la gestion de la crise ivoirienne. Autant de difficultés du quotidien, autant de préoccupations auxquelles il faut répondre. Et puis il y a la transition et je souhaite qu'elle soit démocratique, qu'elle soit menée dans les meilleures conditions possibles parce qu'un nouveau Gouvernement qui arrive c'est un Gouvernement qui a besoin d'être au fait, immédiatement, des dossiers et des difficultés. Donc, je vais réunir en séminaire l'ensemble des membres du Gouvernement pour leur demander de préparer très, très clairement tous les éléments dont auront besoin ceux qui s'installeront dans les ministères...
Q - Quels qu'ils soient...
R - Quels qu'ils soient parce que je crois que c'est cela la démocratie...
Q - De gauche, comme de droite.
R - Je souhaite que pour la première fois, nous puissions préparer ce passage de témoin pour que ceux qui arrivent aient toutes les données en mains, toutes les clefs pour travailler.
Q - Vous avez vécu deux campagnes présidentielles aux côtés de J. Chirac. En 2007, la campagne prend maintenant sa vraie dimension, les Français paraissent vouloir aujourd'hui un Président qui ne vienne ni de vos rangs, ni du PS. Est-ce que vous pensez que c'est, là en ce moment, dans la campagne, une attitude durable ? C'est-à-dire je vous demande d'expliquer ou de juger le phénomène Bayrou.
R - Je crois qu'une campagne électorale elle est faite de rythmes et de temps, et par définition, il y a des temps dans une campagne, où on passe de l'un à l'autre. Il y a un aspect butinage dans une campagne électorale, on veut essayer chacun des candidats, et on se met donc à la place de chacun d'entre eux pour essayer de jauger ce qu'il représente. C'est pour ça que le premier conseil, dans une campagne électorale, c'est la sérénité et la détermination, et j'ai bien vu hier, j'ai rencontré longuement N. Sarkozy, il était dans cet esprit de sérénité et de détermination. Je crois qu'il ne faut pas se laisser ballotter au gré des sondages, au gré des humeurs d'une campagne. Il faut savoir quel est le cap, savoir quel est l'objectif, savoir qui l'on sert. Vous savez, dans une campagne électorale, une des grandes clés, c'est qu'on ne se bat pas contre quelqu'un, on se bat pour un pays, on se bat pour un peuple, on se bat pour les Français, et c'est cette nécessité de ne jamais oublier le message à qui l'on s'adresse. Si l'on commence à se disperser, à imaginer qu'on se bat contre celui qui est à côté, je crois qu'on se trompe de bataille.
Q - Le candidat de votre famille a ce comportement aujourd'hui ? Ou il commence à l'avoir ?
R - Il est dans cette sérénité, il est dans cette volonté d'assumer cette part de solitude qui fait partie d'une campagne électorale et qui permet la métamorphose d'un candidat en un président de la République.
Q - Vous cherchiez, D. de Villepin, le moment où vous pourriez entrer plus nettement dans la campagne avec efficacité, élégance. Il est arrivé ce moment ?
R - Il est arrivé. J'ai été, avec N. Sarkozy, dans ce Gouvernement, c'est le choix que nous avons fait tous les deux. Je suis aujourd'hui avec N. Sarkozy pour défendre les idéaux de notre famille politique et pour que le choix des Français soit le plus éclairé possible. Vous savez, au bout du compte, choisir un Président, nous le voyons à travers le discours de J. Chirac hier, c'est un moment non seulement solennel, mais c'est un moment très important pour notre pays, et dans ce moment, il s'agit de se poser une question simple : quel est celui, quelle est celle, qui incarnera le mieux notre pays, qui représentera le mieux notre pays, et quel est celui ou celle qui a l'expérience, qui a été façonné, par l'action, par la vie, et qui a donc la capacité de relever ce défi ? Je crois qu'il faut se poser cette question simple : qui a aujourd'hui le plus d'expérience parmi les candidats possibles ?
Q - Vous posez très bien la question, vous posez les termes de la question de la manière la plus convenable et exacte. Mais quelle réponse vous donnez à la question que vous posez vous-même ?
R - Je l'ai dit, je crois que dans ma famille politique, à la fois l'action, l'expérience, ont façonné N. Sarkozy - à la fois la réflexion sur des échecs, sur des difficultés, sur des épreuves rencontrées - tout ceci, aujourd'hui, le place, je crois, dans une position qui lui permet d'habiter cette fonction.
Q - Et vous serez à ses côtés sans état d'âme ?
R - Je serai à ses côtés, parce que c'est l'idéal politique de ma famille, c'est mon engagement, et puis une fois de plus, nous avons été ensemble au Gouvernement, eh bien nous serons ensemble dans cette bataille.
Q - J. Chirac promet de continuer à servir autrement les Français, de continuer le combat. Vous le voyez au service de la révolution écologique, du développement durable, en tout cas vous le voyez agir ?
R - Oui, je le vois auprès des français et auprès des grands enjeux de notre temps. L'un des combats premiers du président de la République ça a été celui contre l'injustice du fait du handicap. En 1968, il a créé les premiers centres pour l'aide aux handicaps, et il a toujours été fidèle à ce combat-là. La défense de la planète, la défense de l'environnement, la défense de nos enfants et de nos petits-enfants, je sais à quel point tout cela compte pour lui. Et puis, les grands enjeux internationaux, la paix, la justice. J. Chirac est un homme qui porte une conscience du monde d'aujourd'hui, et cette conscience, nous en avons besoin, nous avons besoin de repères, nous avons besoin de voix capables de nous dire les choses. S'entendre sur le diagnostic, c'est déjà énorme.
Q - Dans 3 mois il va vous manquer ?
R - Moi il me manque déjà, il me manque tous les jours, le fait d'être passé d'une rive à l'autre de la Seine, le fait d'avoir quitté la présidence de la République, c'est vrai que J. Chirac rentrant 10 fois par jour dans le bureau, ses coups de fil sont là pour maintenir ce lien, mais c'est un homme dont la chaleur, dont l'amitié, sont très fortes.
Q - Est-ce que je peux dire ce matin que j'ai vu apparaître les larmes d'un Premier ministre ?
R - Oui, vous pouvez le dire, bien sûr.
Q - En fin de semaine, et on en termine, vous serez à New York et Boston, est-ce que c'est pour montrer aux Américains que vous n'êtes pas fâché avec eux, et surtout que vous serez bientôt disponible pour des activités internationales ?
R - Oui, le premier objectif de cette visite c'est toujours ce souci de la responsabilité pour un gouvernement, c'est de faire le point avec le secrétaire général des Nations unies, monsieur B. Ki-Moon, sur l'engagement de la France au service de la paix. Nous avons des milliers de soldats qui sont présents dans les forces de paix à travers le monde, c'est vrai au Liban, en Afghanistan, en Côte-d'Ivoire, et le président de la République m'a demandé d'aller à New York pour justement faire le point sur ces engagements et voir quelles sont les perspectives pour la France. Je veux que nous puissions présenter, à ceux qui nous succéderont, la succession la meilleure.
Q - Et sur le plan personnel ?
R - Eh bien écoutez, sur le plan personnel, ailleurs et autrement, je fais mienne cette règle.Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 6 avril 2007