Interview de Mme Ségolène Royal, députée PS et candidate à l'élection présidentielle de 2007, à "RTL" le 19 avril 2007, notamment sur sa proposition de "contrat Première chance" pour l'emploi des jeunes sans qualification.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Jean-Michel Aphatie : Bonjour Ségolène Royal.
Ségolène Royal : Bonjour.
Jean-Michel Aphatie - Vous avez proposé, si vous êtes élue présidente de la République, la création d'un Contrat Première Chance à destination des 190.000 Jeunes qui sortent du système scolaire sans qualification. Cette proposition a été critiquée par plusieurs de vos partenaires à Gauche, et aussi par certains syndicalistes. Est-ce que vous la maintenez cette proposition d'un Contrat Première Chance, Ségolène Royal ?
Ségolène Royal : Ce que je maintiens, bien évidemment, c'est cette proposition qui s'inscrit dans une démarche globale qui vise à réussir et à gagner la bataille contre le chômage des jeunes. Nous avons, d'un côté, des petits artisans, des commerçants, des petites entreprises de moins de dix salariés qui nous disent avoir 500.000 offres d'emploi non pourvues ; et de l'autre, nous avons 190.000 jeunes qui sortent du système scolaire sans qualification. Faut-il rester inerte face à ce problème comme depuis des années ? Ma réponse est : non. Je veux donc rapprocher ces offres d'emploi de ces besoins d'emploi et mettre à disposition des entreprises des Jeunes sans qualification avec, en effet...
Jean-Michel Aphatie - La proposition, c'était un financement, voilà. Une prise en charge pendant un an des salaires et des charges, cela vous le maintenez ?
Ségolène Royal : Un financement public. Pourquoi ce financement public ? Parce que ces jeunes sont sortis en situation d'échec de l'école. Donc, ils doivent souvent réapprendre beaucoup de choses et donc, je suis dans une logique donnant-donnant, gagnant-gagnant, si vous voulez, c'est-à-dire que les régions prendront en charge, et j'en sais quelque chose puisque je suis à la tête d'une région comme plusieurs de mes collègues et nous avons déjà expérimenté ce type d'actions qui marche bien. Et je crois que la politique, aujourd'hui, c'est de faire des choses qui marchent et d'agir rapidement et donc, la contrepartie...
Jean-Michel Aphatie - Et donc, les régions prendront en charge le salaire et les charges ?
Ségolène Royal : ... le salaire et les charges, pendant un an. La contrepartie, c'est que nous demandons aux entreprises de donner à des Jeunes qui sont très éloignés du marché de l'emploi leur chance. Et ça leur demande du temps. Il faut du tutorat. Il faut de l'accompagnement. Il faut de la formation professionnelle. Il faut souvent de la patience. Et donc, dans ce nouveau "deal" que je veux nouer avec les entreprises et notamment avec les plus petites d'entre elles, l'objectif c'est d'une part de cibler ces aides. Or, aujourd'hui, les aides économiques aux entreprises sont dispersées entre des entreprises qui en ont besoin ou celles même qui n'en ont pas besoin. Y'a beaucoup d'effets d'aubaine. Et donc, ce qu'il faut c'est être beaucoup plus efficace et beaucoup plus concret et rapprocher les offres et les besoins d'emploi.
Jean-Michel Aphatie - Les critiques qui vous ont été faites, vous y êtes indifférente Ségolène Royal ? Ou les critiques qui ont été faites à cette proposition ?
Ségolène Royal : Mais écoutez, depuis, les choses ont beaucoup évolué puisque les organisations syndicales se sont penchées sur la question. Et par ailleurs, comme je l'ai dit, toute modification du Droit du Travail ou des dispositifs relatifs à l'emploi et aux salaires et aux qualifications seront d'abord précédés par une négociation entre les partenaires sociaux. Mais qui peut, aujourd'hui, de bonne foi s'opposer à ce que se mettent en place des actions très efficaces de lutte contre le chômage des jeunes.
Vous savez, c'est une des questions qui est le plus fortement remontée des débats participatifs, pas seulement des Jeunes mais aussi des parents et des grands-parents. Et une société qui accepte d'être rongée par ce chômage, c'est une société qui est extrêmement fragilisée. Et j'ajoute que la meilleure action de prévention de lutte contre la délinquance c'est de mettre les Jeunes au contact du travail et de leur redonner l'estime d'eux mêmes.
Jean-Michel Aphatie - Les indemnités versées à Noël Forgeard - ou promises à Noël Forgeard - l'ancien PDG d'EADS : 8,5 millions d'euros, continuent de susciter beaucoup de commentaires. Souhaiteriez-vous prendre une loi pour encadrer le versement de ces indemnités aux chefs d'entreprise ?
Ségolène Royal : Tout d'abord, lorsque nous découvrons que le gouvernement était au courant, que M. Breton a donné son accord, M. Sarkozy était membre du gouvernement...
Jean-Michel Aphatie - M. Breton dément.
Ségolène Royal : ... Il dément, mais pour l'instant, il n'a pas apporté les preuves de son démenti. En tout cas, l'Etat est actionnaire de cette entreprise et il est inimaginable que le gouvernement n'ait pas été au courant. Donc quand j'entends le candidat de l'UMP protester contre ces indemnités scandaleuses, je m'interroge sur sa sincérité, comme tous les Français d'ailleurs.
La première chose, je crois, c'est que M. Forgeard doit rembourser. Voilà ce qui correspondrait, je pense, à une décision morale qui pourrait calmer la colère des salariés.
Jean-Michel Aphatie - Rembourser ! Du moins, y renoncer parce qu'il ne les a pas encore touchées.
Ségolène Royal : Ce soir, je vais rencontrer les représentants des salariés d'Airbus. Je crois que je vais prendre la mesure de leur colère, de leur exaspération et je crois que là aussi, une société qui se déstabilise, est une société qui accepte une telle provocation. Et moi, je veux construire une France qui se rassemble et qui considère parce qu'elle a la certitude que les droits et les devoirs sont les mêmes pour tous, que les sacrifices ne sont pas demandés aux quelques-uns tandis que d'autres, alors qu'ils ont failli, s'en sortent ou partent avec un pactole. Oui je pense qu'il faut mettre fin à ce type d'injustice et de provocation.
Jean-Michel Aphatie - Il faut prendre une loi ? Il faut prendre une loi pour encadrer ces pratiques ?
Ségolène Royal : Il faut, de toute façon... Bien sûr, il faut réglementer les choses. Il faut légiférer. Il faut que le Parlement en débatte mais surtout ce qu'il faut, c'est la transparence. Et je rappelle que les Socialistes avaient fait voter une loi sur la transparence concernant les rémunérations des hauts dirigeants et que c'est l'actuelle majorité UMP - UDF qui a remis en cause cette transparence. Quand il y a de la transparence déjà, je pense que c'est très dissuasif parce qu'un certain nombre de grands patrons n'oseront pas se comporter de cette façon-là parce qu'il y aura une pression morale des salariés et de leurs représentants qui n'accepteront pas ces provocations.
Jean-Michel Aphatie - La présidente du MEDEF, Laurence Parisot, dit que "si nous faisons une loi, nous serons le seul pays à le faire, et les sièges sociaux partiront. Les meilleurs talents ne resteront pas en France". Il y a un risque, Ségolène Royal ?
Ségolène Royal : Ecoutez, on aurait bien aimé entendre Laurence Parisot protester contre le départ de M.Forgeard dans ces conditions-là.
Jean-Michel Aphatie - Dans un meeting à Nantes, Robert Badinter - c'était votre meeting lundi soir - a parlé de "lepénisation" de Nicolas Sarkozy. Reprenez-vous la formule à votre compte, Ségolène Royal ?
Ségolène Royal : Ecoutez, il y a actuellement un certain nombre de déclarations (Serge July les rappelait à l'instant)... Si c'était moi qui avais fait ce genre d'accumulations, de déclarations, de contre-vérités, de provocations, de théories génétiques, je pense que je ne serais même plus candidate à l'élection présidentielle. Alors pourquoi tolère-t-on de ce candidat UMP qu'il dérape de façon aussi scandaleuse ! Est-ce que ce n'est pas pour faire un clin d'oeil vers les électeurs du Front national à n'importe quel prix. Donc, il assume ses responsabilités devant les électeurs. Vous connaissez ma posture aujourd'hui.
Moi, je suis dans un débat d'idées. Je conteste très fortement ce débat d'idées, notamment pour tout ce qui concerne la pédophilie. C'est un sujet que je connais bien pour l'avoir très, très fortement combattu en tant que ministre de la Famille et de l'Enfance. Et je pense que ces théories sont intolérables et sur la manifestation d'un risque de fracture républicaine avec ce candidat-là.
Jean-Michel Aphatie - La formule "lepénisation" de Nicolas Sarkozy ?
Ségolène Royal : Je laisse à Robert Badinter... Il a...
Jean-Michel Aphatie - Vous ne la reprenez pas à votre compte ?
Ségolène Royal : Moi je suis candidate à l'élection présidentielle et donc, ma responsabilité c'est de ne pas, comment dirais-je, porter de jugement sur les personnalités des uns et des autres mais c'est de critiquer les projets, les théories ; et en l'occurrence, celles-ci sont très pernicieuses.
Jean-Michel Aphatie - C'est une façon de dire que vous trouvez la formule excessive : "lepénisation" de Nicolas Sarkozy ?
Ségolène Royal : J'ai répondu à cette question. Je n'ai rien d'autre à ajouter. Je crois que les Français sont suffisamment intelligents pour comprendre les risques, les éléments de violence, de brutalité qu'il y a aujourd'hui dans les projets du candidat de l'UMP. Il y a d'autres brutalités, d'autres risques dans ce qu'il dit... Par exemple, les déremboursements en matière de couverture de soins. Là aussi, il y a un risque de rupture du Pacte républicain.
Jean-Michel Aphatie - Dans les derniers sondages, vos intentions de vote baissent. Celles de François Bayrou. Etes-vous inquiète pour le second tour, Ségolène Royal ?
Ségolène Royal : Moi j'appelle les électeurs à venir voter massivement pour le premier tour de l'élection présidentielle...
Jean-Michel Aphatie - Avec inquiétude, cet appel ?
Ségolène Royal : ... et à faire un vote conscient.
Jean-Michel Aphatie - Vous êtes inquiète ?
Ségolène Royal : Je suis sereine.
Jean-Michel Aphatie - Donc, pas inquiète ?
Ségolène Royal : Et j'ai beaucoup de sang froid. Et je considère - et vous le savez très bien - qu'il y a encore 17 millions d'électeurs qui ne sont pas encore décidés. Et j'aimerais bien que les instituts de sondage, parce qu'il y a eu un gros business autour du sondage au cours de cette campagne. Il y a eu plus de 300 sondages, vous rendez-vous compte ! Tout ça, ça fait beaucoup d'argent.
Jean-Michel Aphatie - Eh bien, c'est bien. Les affaires marchent !
Ségolène Royal : ... et que les instituts de sondage pour vendre leurs sondages, et les journaux pour vendre les sondages qu'ils achètent ont besoin d'entretenir un suspens et souvent en s'abstenant de préciser qu'il y a encore 40% d'électeurs qui n'ont pas fait leur choix ou qui ne veulent pas répondre aux instituts de sondage. Donc, je crois que tout est tout ouvert ; mais j'appelle, bien sûr, les électeurs à se mobiliser autour d'un vote conscient pour qu'ils aient au deuxième tour, un vrai choix.
Jean-Michel Aphatie - François Bayrou était à votre place, hier matin, et il a dit qu'il avait dîné avec Michel Rocard. C'est une trahison de la part de Michel Rocard quand il dîne avec François Bayrou ?
Ségolène Royal : Ca n'est pas une façon de me faciliter la tâche mais certains "éléphants" - vous l'aurez constaté - n'ont pas fait tout pour me faciliter la tâche. Un certain nombre d'entre eux ont encore du mal à accepter ma désignation mais là aussi, je garde mon sang froid. Si je suis ici devant vous, c'est que je garde beaucoup de sérénité et de force intérieure.
Jean-Michel Aphatie - Ségolène Royal avec du sang froid face aux "éléphants", était l'invitée d'RTL, ce matin.