Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, à "France Inter" le 23 avril 2007, sur les résultats du vote du premier tour de l'élection présidentielle et son analyse du vote en faveur de François Bayrou.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand - N. Sarkozy 31,11 %, S. Royal 25,84 %. Comment refait-on ce retour et comment gagne-t-on une élection présidentielle, maintenant, F. Hollande ?
R - Pour gagner une élection présidentielle, il faut 51 %. A 30...
Q - Merci pour l'arithmétique !
R - ...A 30 ou 25,8 %, il faut être capable de rassembler des électeurs qui n'ont pas voté pour vous au premier tour et donc commencer à avoir des appels à voter. Je constate que, hier soir, sans qu'il y ait eu de négociations, de tractations ou de pourparler, cinq des six candidats de gauche, au-delà de S. Royal, ont appelé très clairement à voter pour S. Royal. Maintenant, ce n'est donc plus 26 %, le vote de premier tour, mais j'ajoute - mais il ne faut pas forcément avoir cette arithmétique - à 12 ou 13 % de plus. Donc nous ne sommes plus à 26 contre 31 mais à 39 contre 31. Alors, par ailleurs, cela ne fait toujours pas 51, donc il faut s'adresser à tous les électeurs.
Q - Ce qui veut dire, à ceux de F. Bayrou, notamment ?
R - A ceux qui ont voulu, à travers la candidature de F. Bayrou, envoyer un message de rénovation de la politique, qui pensaient - je n'étais pas de leur avis, mais que c'était finalement une façon de dépasser les clivages anciens, de rénover les institutions, de souhaiter une part de proportionnelle. Je crois à l'évidence qu'il faut y réfléchir, nous l'avons d'ailleurs toujours dit, et faire en sorte aussi que ce qui peut apparaître comme un verrouillage l'Etat UMP, l'Etat RPR, eh bien soit aujourd'hui une forme de liberté donnée aux citoyens d'être eux-mêmes associés aux décisions qui les concernent.
Q - Pari partiellement gagné, tout de même, F. Hollande. Pari partiellement gagné. 20 %, grosso modo, des millions de personnes qui se sont tournées vers lui, vers F. Bayrou, et vous dites quoi ce matin, à cette heure-là ?
R - Je pense qu'il y a aussi eu beaucoup d'électeurs qui ont voté pour F. Bayrou, qui venaient souvent de la gauche et qui pensaient - là aussi, ce raisonnement n'était pas forcément le mien, et même sûrement pas le mien -, eux, en votant Bayrou, voter contre N. Sarkozy, parce que F. Bayrou avait tenu des paroles, des propos extrêmement sévères à l'égard de N. Sarkozy, il l'avait appelé "le candidat du CAC 40", avait dit que c'était "le candidat du système", le candidat qui était un danger. Donc il y avait beaucoup d'électeurs qui se disaient : "mais si Bayrou dit que Sarkozy est un danger, suscite à ce point le rejet de ce qu'il représente, alors on peut voter pour Bayrou pour voter contre Sarkozy". Alors, je veux croire que ces électeurs-là, au second tour, iront vers S. Royal, non pas parce qu'elle représente toutes leurs idées, mais parce qu'ils ne veulent pas de N. Sarkozy, ils considéreraient que ce serait un choix risqué pour le pays, une fracture, une division, une brutalité. Donc je pense que c'est à nous de faire un effort de compréhension de ce qu'ont été les messages de premier tour, et avec cette participation, et de rassembler pour permettre que l'élection de S. Royal au second tour soit un acte d'unité, un acte de force dans la démocratie et un acte de respect à l'égard des électeurs.
Q - Vous êtes confiant, vous pensez qu'il y a de la marge, d'un point de vue électoral, pour S. Royal ?
R - Oui, je vous l'ai dit. D'abord...
Q - Mais est-ce qu'avec votre arithmétique, on arrive à 51 ? Là, on a fait le tour d'horizon complet.
R - Vous constatez que personne n'arrive aujourd'hui avec son score du premier tour et même ses ralliements à 51. Donc cela veut dire qu'une nouvelle campagne s'engage, que des électeurs vont réfléchir, voter, ne pas voter. Est-ce que l'on va avoir le même niveau de participation au second tour qu'au premier ? Je le souhaite, mais rien n'est sûr, donc il faut convaincre que maintenant c'est une élection qui est à la fois un mélange, comme toute élection présidentielle, d'espérance et de peur. Il faut susciter l'espérance. Moi, je ne suis pas simplement dans le rassemblement anti-Sarkozy. Il y a de quoi avoir peur mais il faut susciter l'espérance et donc, c'est autour du pacte présidentiel, autour de la démarche, autour du rassemblement qui se fait avec S. Royal, qu'il faut maintenant faire la campagne.
Q - Donc, pour vous, "Tout Sauf Sarkozy", F. Hollande, cela ne constitue pas un programme pour cet entre deux tours ?
R - On peut empêcher, on peut rejeter, ce n'est pas un programme pour diriger le pays. Il faut d'abord montrer que l'on peut changer la vie de nos concitoyens avec l'élection de S. Royal, sur le pouvoir d'achat, sur l'emploi, sur les institutions, sur le logement. Bref, tout ce qui fait l'élection. Les gens ne se déterminent pas simplement sur les personnes, ils se disent : "mais qu'est-ce qui peut, au lendemain de l'élection, justifier que je prenne cet engagement, que je fasse cet acte électoral de voter, de prendre un bulletin et de le mettre dans l'enveloppe ? Donc, il faut que le vote S. Royal soit un vote de progrès, un vote de conquête, un vote de mouvement, un vote de changement, un vote de confiance, aussi, dans la France telle que nous la voulons.
Q - L'effondrement, F. Hollande, des partis ou mouvements qui composaient feu, la gauche plurielle, va-t-il vous obliger à nouer de nouvelles alliances ?
R - D'abord, il y a eu un vote utile. J'ai appelé moi-même au vote utile, donc je ne vais pas...
Q - Tout au long de la campagne.
R - Je ne vais pas m'en plaindre, j'ai dit : attention, et d'ailleurs c'était vrai, attention, il y a un risque, on peut ne pas être présent au second tour, F. Bayrou est à un niveau élevé...
Q - Non, mais vous avez vu le résultat !
R - Et donc...
Q - A gauche de la gauche, en tout cas, c'est...
R - Et donc une partie...
Q - Il n'y a plus personne, ou presque.
R - Oui, attendez, une partie des électeurs, qui ne sont pas socialistes, qui sont de la gauche, de la gauche communiste, de l'écologie ou voire de la gauche de la gauche, une partie de ces électeurs ont voté S. Royal dès le premier tour, sans être socialistes, et je veux, ici, les en remercier et leur dire que je ne confonds pas leur vote avec le vote socialiste. Mais, néanmoins, à gauche de la gauche, les écologistes ont fait plus de 12 %, donc ça n'est pas négligeable, c'est quand même une force politique, supérieure d'ailleurs à celle de l'extrême droite, donc c'est quand même un appoint tout à fait sérieux. Et puis, enfin, il faut aller chercher, je vous l'ai dit, des électeurs qui, souvent venus de la gauche, d'autres qui n'ont jamais été à gauche et qui n'ont pas envie de N. Sarkozy, eh bien, leur dire que nous n'avons pas à faire de tractations, de pourparlers secrets, de débauchages, mais on a à se rassembler clairement sur le pacte présidentiel de S. Royal.
Q - Construire une nouvelle majorité, de nouvelles alliances, c'était également ma question.
R - Non, je ne crois pas qu'une élection présidentielle ce soit...
Q - Avec l'UDF, pour le dire simplement, comme ça le mot est lancé.
R - Oui, il n'est pas grossier, mais je pense que l'on n'est pas dans une élection parlementaire où on aurait des tractations...
Q - Ça va venir vite !
R - Non, mais ça, ça va venir après l'élection présidentielle. Dans une élection présidentielle, c'est un rapport entre un candidat, en l'occurrence pour nous une candidate, et le peuple français et avec une clarté. On n'a pas à être dans la combinaison, on n'a pas à être dans la manoeuvre. La clarté de dire, si vous voulez que ça change, si vous voulez que j'applique le pacte présidentiel qui a, à la fois un contenu institutionnel, un contenu social, un contenu économique, un contenu écologique, alors, il faut voter pour la candidate et ça ne préfigure pas les alliances. Les alliances ça sera au moment des élections législatives. Nous, nous dirons : ceux qui se sont reconnus dans le pacte présidentiel, eh bien seront bienvenus pour la majorité présidentielle.
Q - Donc, la présidentielle, c'est une chose, les législatives, c'en est une autre, et là, la porte est ouverte pour des alliances ou des discussions ?
R - Non, parce que je vois bien quelle est la position - il l'a toujours exprimée - de l'UDF et de F. Bayrou, c'est de dire, on ne veut pas changer d'alliance, c'est autour du centre que ça doit se recomposer. Ce n'est pas ma position, je respecte la sienne, et donc je dis : ne rentrons pas, nous, dans je ne sais quel scénario, dans je ne sais quelle hypothèse, le rassemblement il est d'abord fondé sur la gauche, ça peut s'élargir, ça doit s'élargir pour former une majorité, mais c'est vers les électeurs qu'il faut se tourner.
Q - La campagne a été longue, elle a été rude, également, pour S. Royal. Tous les doutes qui ont été émis, y compris dans son propre camp, au moment de la primaire socialiste sur sa capacité, sa compétence, la manière dont elle pourrait incarner une présidence de la République, tout ça vous semble définitivement levé, aujourd'hui ?
R - Je pense qu'elle a démontré qu'elle était capable, effectivement, de résister aux épreuves, de rassembler large et de conduire la gauche et le Parti socialiste à être au second tour et maintenant à être en situation de faire de S. Royal la prochaine présidente de la République.
Q - Donc, même au Parti socialiste, la température va monter et l'enthousiasme se faire plus visible ?
R - L'enthousiasme, il a toujours été là, dans une ferveur militante, des rassemblements considérables. Quant aux dirigeants, c'est peut-être à ceux-là que vous pensez, eh bien, écoutez, ils doivent être fiers, aujourd'hui, de ce qui a été fait.
Q - N. Sarkozy a reçu hier un soutien, hier soir, celui d'E. Besson, ex-membre de votre parti, le Parti socialiste, un mot de réaction ?
R - Eh bien avec des soutiens comme ceux-là, N. Sarkozy a un bel avenir devant lui.