Texte intégral
Europe 1 le 7 août 2000
E. Martichoux Vous n'êtes pas à Paris en ce moment mais en Vendée parce qu'en ce moment, pour beaucoup d'agriculteurs c'est "le coup de feu", il y a beaucoup de travail : les moissons, la production de fruits et légumes... Donc, vous êtes au travail mais l'actualité est aussi chargée c'est pourquoi on vous a demandé d'être en direct ce matin depuis votre propriété. Il y a cet éleveur de la Confédération paysanne dans la Manche qui a lutté pendant trois semaines pour que son troupeau ne soit pas entièrement abattu pour cause de vache folle. Finalement ce troupeau a été abattu. Qu'est-ce que vous en pensez ? La destruction de 46 hectares de soja au OGM : le Gouvernement a-t-il eu raison d'ordonner cette destruction ? Les moissons difficiles à cause du climat... On va parler de tout ça avec vous, mais d'abord je voudrais vous entretenir de vos relations plutôt houleuses avec votre ministre, J. Glavany. Il y a eu un échange de courrier très sec. C'est quand même assez rare. Il vous a répondu dans une lettre la semaine dernière en soulignant votre ton, je cite, "très agressif, voire accusateur." Qu'est-ce que vous lui reprochez au ministre ?
- "Je lui reproche simplement de ne pas prendre le temps de discuter avec nous. Même si de temps en temps il nous rencontre, il ne veut pas avoir de discussion avec les représentants au plus haut niveau de la FNSEA pour arbitrer un certain nombre de choses indispensables pour les revenus des agriculteurs. C'est pourquoi je lui ai dit dans ma lettre qu'un certain nombre d'agriculteurs étaient inquiets. Mais on l'a vu dans les jours qui ont suivi sa lettre : les producteurs de vin qui manifestent dans le Sud de la France, les producteurs de montagne qui ne sont pas satisfaits des accords qui ont été passés au niveau européen ou les producteurs d'ovins qui vont être en manifestation dès le début septembre. C'est un temps dur avec le ministre de l'Agriculture, mais si je dois respecter le ministre, il doit respecter aussi l'organisation la plus représentative présente dans toutes les productions et sur tout le territoire. Alors, c'est un temps dur. Mais heureusement qu'avec d'autres ministres ça marche mieux !"
Il vous écrit que vous semblez croire, à la FNSEA, qu'en économie de marché ouverte, mondialisée, c'est le ministre qui détermine le revenu agricole. Il n'a malheureusement pas, écrit-il, ce pouvoir. Cela tombe sous le sens ! C'est assez convainquant de sa part.
- "Bien sûr, mais l'année dernière, au mois de juin, en revenant des négociations de Bruxelles, quand je lui ai dit qu'il était important de prendre des mesures fiscales, sociales, d'allégement de charges pour éviter la dégradation du revenu, il n'a pas voulu nous écouter. Résultat : le revenu de 1999 a diminué de 10 % par rapport à l'année précédente."
Qui avait augmenté plusieurs années de suite. C'était une année de baisse après plusieurs années de hausse.
- "Plusieurs années de hausse qui avait rétabli la situation. Parce que, je le rappelle, le niveau moyen des agriculteurs est inférieur au niveau moyen des revenus français. Ne l'oublions pas. Et - 10 % : quelle catégorie sociale l'accepterait ? Cette année, nous sommes partis dans la même situation. Nous lui disons, puisque nous ne pouvons pas le rencontrer... je lui avais écrit le 6 juin et je n'ai toujours pas eu de réponse à cette lettre qui était peut-être moins accusatrice, c'est vrai. A un certain moment les membres de mon bureau m'ont dit que ce n'est pas possible d'être dans une situation pareille avec le ministre."
Vous savez qu'il y a un remaniement ministériel qui s'annonce pour l'automne. Est-ce que vous souhaiteriez avoir un autre interlocuteur.
- "C'est le Premier ministre qui décide du gouvernement. Ce n'est pas le président de la FNSEA qui le fait."
Vous avez le droit de dire votre avis.
- "Je dirai mon avis lorsque le Premier ministre aura pris sa décision puisque cela ne rentre ni dans mon rôle ni dans ma fonction. Si demain le ministre de l'Agriculture n'est plus le même, je travaillerai avec celui ou celle qui sera arrivé. Si c'est le même, nous continuerons et nous essayerons de trouver les voies de rapports plus satisfaisants avec le ministre de l'Agriculture actuel."
Pour terminer sur ce chapitre, vous allez donner une réponse à sa réponse ?
- "Nous allons simplement lui répondre dès la fin du mois d'août en lui disant simplement que ce que nous avions dénoncé au cours du mois de juillet s'est avéré malheureusement vrai, alors qu'il le conteste. Nous verrons bien. Les producteurs de vin, d'ovins, de montagne et d'autres productions sont en situation interrogative. Alors il faudra bien qu'il en tienne compte."
Un représentant de la Confédération paysanne, de J. Bové, dans la Manche a lutté contre l'abattage du troupeau d'un éleveur sympathisant de la Confédération paysanne. Il a lutté pendant trois semaines pour éviter que son troupeau soit complètement abattu parce qu'il avait une seule vache folle touchée. 76 bêtes ont été embarquées hier par les services vétérinaires. C'est vrai qu'on a l'impression que l'abattage sélectif pourrait être une voie plutôt que l'abattage systématique. C'est en tout cas la revendication de la Confédération paysanne ?
- "Première chose : pour l'éleveur que je suis, il est terrible de voir partir tout son troupeau. Je me mets à la place des 120 éleveurs français qui ont été dans cette situation. Deuxième chose : la sécurité alimentaire, la protection des consommateurs, car il n'y a que cela de vrai. Aujourd'hui, les scientifiques nous ont dit qu'il fallait continuer à abattre le troupeau de façon systématique parce qu'on n'avait pas d'assurance en matière de relation de cause à effet entre l'animal malade et les autres. Le principe de précaution existe. Je suis surpris que la Confédération paysanne n'ait pas la même idée du principe de précaution quand il s'agit des vaches folles que quand il s'agit des OGM."
Un petit tacle à la Confédération de J. Bové !
- "Un deuxième si vous voulez : on n'a pas entendu la Confédération pendant cinq ans sur le dossier de la vache folle. Il a suffit qu'il y ait deux membres de la Confédération paysanne qui soient confrontés à la maladie de la vache folle pour que, tout d'un coup, ils montent au créneau. L'essentiel ce n'est pas la polémique."
C'est vrai que, d'habitude, cela se fait plutôt dans la discrétion. Les services vétérinaires espèrent qu'il n'y ait aucun témoin puisque c'est une scène terrible de voir tout un troupeau, un travail de dix ans anéanti en quelques instants au nom de l'image du boeuf français.
- "La discrétion est de rigueur parce que, d'une part, il faut protéger l'éleveur qui, psychologiquement, est très touché. On dit que les animaux sont abattus, point à la ligne, mais je crois qu'il faut bien dire aussi aux consommateurs que c'est pour leur protection. Parce que si, demain, on n'abattait pas tout le troupeau, quel consommateur - vous, moi ou les autres - accepterait d'acheter de la viande venant de cette exploitation où il y a eu un cas de vache folle ? Si les Anglais avaient pris la même décision que nous peut-être ne serions-nous pas dans la même situation. Je fais un rappel : 120 cas en France, plus de 300 000 en Grande-Bretagne. Nous ne sommes pas dans la même donnée."
30 cas depuis le début de l'année c'est autant que sur six mois de l'année dernière. Est-ce qu'on n'est pas en train d'assister à une révélation de cas très importants grâce à ce nouveau test suisse que le Gouvernement a mis en place sur 48 000 bêtes.
- "Pour le test nous regrettons premièrement que l'Europe ne le fasse pas en grandeur nature sur toute l'Europe car cela risque d'avoir des conséquences de distorsion de concurrence entre les Français et les autres pays. Mais nous sommes satisfaits de ces tests parce qu'ils doivent permettre de rassurer les consommateurs. Il est vrai que, pour l'année 2000, on peut avoir une recrudescence du nombre de maladie de la vache folle, mais l'essentiel c'est que demain la transparence soit assurée et que le consommateur puisse consommer de la viande bovine en toute tranquillité. Je crois que ces tests vont dans ce sens-là même si on sait qu'il y aura peut-être quelques cas supplémentaires d'ici la fin de l'année. C'est le prix qu'il faut payer pour arriver à éradiquer cette maladie."
D'après un sondage Ifop pour Libération, les Français sont massivement contre les OGM, à 73 %. Ce week-end, le Gouvernement a ordonné la destruction de 46 hectares de soja transgénique. C'est une prise de position qui est ferme. Sur le maïs, en revanche, il autorise dans certaines conditions la culture de maïs transgénique. Est-ce qu'il n'est pas pris entre des arguments un peu électoralistes vis-à-vis des électeurs - ils sont contre - et puis les lobbies agricoles - vous, vous êtes plutôt pour sur le maïs.
- "Nous sommes très précautionneux. Nous disons que pour les OGM, tant que les scientifiques ne seront pas plus précis sur l'innocuité des OGM, il faut être très précautionneux. C'est pourquoi d'ailleurs l'Europe a ouvert quelques variétés de maïs parce qu'il a moins de difficultés que sur le soja ou sur le colza. Mais une chose est sûre en tout état de cause : il faut qu'il y ait des règles et qu'elles soient acceptées."
Quelles règles ?
- "Aujourd'hui l'importation de semences de colza ou de soja sont interdites. S'il y a découverte de traces, eh bien le Gouvernement fait son travail en faisant détruire ces surfaces. Mais le producteur, qui n'est pas responsable, doit pouvoir être indemnisé dans un premier temps par les pouvoirs publics qui pourront se retourner contre les sociétés qui ont transmis tout ça. Mais l'essentiel pour les OGM aujourd'hui, c'est que s'il faut être précautionneux sur leur utilisation, il faut multiplier la recherche pour s'assurer que demain soit il y a innocuité, soit il y a danger, mais au moins que l'on sache vraiment et que le consommateur soit protégé."
Mais vous avez peur de perdre des marchés quand même face aux Etats-Unis qui, eux, continuent de produire et de vendre et d'exporter leur maïs transgénique ? C'est un enjeu économique énorme pour vous ?
- "C'est l'autre aberration. Il ne faudrait pas qu'on nous interdise de produire en Europe et que, dans le même temps, on autorise les importations. C'est pourquoi je demande que la recherche soit tout à fait efficiente pour que demain, s'il n'y avait aucune innocuité, on puisse ne pas être en retard par rapport à d'autres pays qui pourraient à ce moment-là se saisir de nos marchés."
J. Bové a fait l'objet d'un débat au cours d'un colloque organisé par un prix Nobel, G. de Gennes - rien que ça ! - sur le thème : J. Bové n'est-il qu'une créature médiatique ? C'est votre avis ?
- "Je n'ai pas d'avis à donner sur J. Bové. Ce que je vois c'est qu'il est très médiatisé. Pendant le même temps j'ai un adhérent de la fédération des exploitants agricoles dans l'Eure qui est en prison depuis maintenant plus de deux mois pour être accusé - alors que c'est pas avéré - d'avoir lancé un pétard avec un pistolet à corbeau - une pistolet pour effrayer les corbeaux - et d'avoir blessé légèrement un policier. Aujourd'hui, il a quatre mois de prison ferme ! Si c'est ça la médiatisation des actions syndicales, je dis simplement qu'il y a deux poids deux mesures dans ce pays."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr le 8 janvier 2001)
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France 2 - 7h50
Le 8 septembre 2000
G. MorinIl y a des tracteurs, des paysans dans les barrages routiers, à cause de la crise du carburant. Que font les agriculteurs dans cette affaire ?
- "Eh bien les agriculteurs défendent leurs revenus. La crise sur le fioul pour l'agriculteur c'est 200 francs de charges supplémentaires à l'hectare, c'est-à-dire 200 francs de revenus en moins par agriculteur. Un exploitant qui a 50 hectares, c'est 10 000 francs de revenus en moins. Alors nous demandons simplement d'avoir quelques mesures de compensation pour redonner espoir aux agriculteurs sur leurs revenus de 2000."
200 francs de charges en plus par rapport à il y a un an ?
- "Il y a un an. Les charges ont été doublées en ce qui concerne l'énergie. C'est passé de 200 à 400."
Donc, vos adhérents participent aux barrages.
- "Nous sommes sur les barrages déjà depuis le début de la semaine, nous étions en action syndicale la semaine dernière et aujourd'hui les agriculteurs de plus en plus sur les barrages. Pourquoi ? Tout simplement parce que nous n'avons pas eu de réponse du Gouvernement et du ministre de l'Agriculture concernant cette réduction de charges et surtout qu'ils voient que tous les autres secteurs négocient. Pour les transporteurs, on négocie plus, on dialogue ; les ambulanciers, dialogue ; les chauffeurs de taxis ont obtenu quelque chose aujourd'hui et notre ministre de l'Agriculture est absent de la négociation. Nous demandons à avoir une négociation pour que sur le revenu de 2000, le plus rapidement possible, nous ayons une marque qui permette de donner confiance aux agriculteurs, en réduisant leurs charges. Ça ne résoudra pas tout, ça ne couvrira pas toutes les charges, mais ça peut donner espoir."
Hier matin J. Glavany vous a reçu, il vous a expliqué ce que le Gouvernement a fait notamment en faveur des agriculteurs récemment avec les allégements fiscaux. Ce sont des mesures favorables ?
- "Il y a eu des mesures qui sont favorables pour les agriculteurs comme citoyen. Le citoyen Luc Guyau peut bénéficier sur la vignette ou d'autres moyens comme ça, mais Luc Guyau, responsable de son entreprise n'a rien eu en ce qui concerne la diminution des charges, à part les 16 centimes sur la diminution de la TIPP que nous avons obtenue de M. Fabius. 16 centimes, cela représente à peine 10 % de l'augmentation de fioul. Alors nous demandons simplement un pas supplémentaire sur le revenu de 2000. "
Mais le fioul agricole est déjà détaxé ?
- "Le fioul agricole est partiellement détaxé. Dans le système français, les marins-pêcheurs ne payent pas du tout de taxes. Nous, nous en payons 52 centimes par litre et puis les autres en payent un peu plus. Nous demandons une réduction de cette charge-là, justement pour pouvoir améliorer le revenu. Je rappelle malgré tout que les agriculteurs sont les seuls exclus de la croissance. L'année dernière en 1999, baisse de revenus de 10 %. Cette année nous sommes partis dans le même sens. "
A cause des charges, parce que la production est bonne !
- "La production aurait eu tendance à être plutôt satisfaisante cette année, malheureusement il y a eu les problèmes climatiques qui font qu'elle sera moins bonne que prévu. Mais surtout ce sont les charges pour l'agriculture qui vont grever le revenu des agriculteurs. C'est pourquoi nous demandons, en plus des promesses qu'on nous fait pour 2001-2002 et qu'a exprimées le ministre de l'Agriculture, des mesures précises sur 2000 et c'est ce que nous demandons dans la négociation que nous voulons ouvrir avec le ministre de l'Agriculture."
Mettez-vous dix secondes dans la peau du Premier ministre, il ne peut pas entendre : " Et moi, et moi et moi " sans arrêt. Une corporation ne peut pas s'ajouter à une autre pour réclamer ce qu'elle souhaite ?
- "Mais nous ne nous ajoutons pas aux autres, nous étions présents en même temps que les autres, la seule différence que nous avons avec les autres, c'est que nous avons eu la première rencontre avec le ministre de l'Agriculture jeudi matin, nous demandons à en avoir une autre pour discuter concrètement de 2000. Aujourd'hui s'il y a blocage et si les barrages ne sont pas levés par les agriculteurs, au contraire amplifiés, c'est de la faute du ministre aujourd'hui. Nous attendons que le ministre fasse un geste."
Donc vous voulez le rencontrer pour négocier, et s'il ne vous reçoit pas avec des propositions de négociations qu'est-ce que vous faites ?
- "Eh bien les agriculteurs resteront sur les barrages et je peux vous dire que cette nuit, ce matin, l'amplification des manifestations est forte, que ce soit autour des raffineries, mais que ce soit aussi aux postes frontières ou ailleurs. Les agriculteurs sont déterminés pour avoir quelques avancées sur leurs revenus 2000 parce qu'ils ne peuvent pas être les seuls exclus de la croissance au moment où justement on nous dit qu'ils sont essentiels à l'équilibre de notre pays que ce soit en matière économique, sociale ou d'aménagement du territoire. Nous sommes volontaires pour jouer ce rôle, il faut nous en donner les moyens."
Imaginons que les transporteurs routiers cessent leur conflit et lèvent les barrages, les agriculteurs restent, eux ?
- "S'il n'y a pas une négociation avec le ministre de l'Agriculture, s'il n'y a pas d'avancée avec le ministre de l'Agriculture sur le revenu 2000 pour alléger les charges, ils restent. Et bien sûr nous souhaitons, quant à nous, qu'il y ait cette négociation, qu'il y ait des accords pour libérer les barrages et faire en sorte que vis-à-vis de l'opinion publique, nous ne soyons pas ceux qui empêchons les choses de tourner en rond. Aujourd'hui c'est par le manque de dialogue que nous sommes dans cette situation."
Vous prenez le risque de bloquer la France ?
- "Nous ne voulons pas bloquer la France pour bloquer la France, nous voulons simplement que les agriculteurs puissent vivre. Vous savez, un agriculteur qui a une petite et moyenne entreprise, c'est un petit chef d'entreprise : il a ses charges, lorsqu'il voit son revenu - beaucoup d'agriculteurs ont un revenu, par exemple 70 000, 80 000 francs par an - diminuer de 10 000 francs, quelle catégorie professionnelle l'accepterait ? Nous demandons simplement qu'il y ait un geste. Même les mesures que nous demandons ne couvriront que le tiers de cette baisse de revenus. Mais nous voulons simplement pouvoir avancer et reprendre confiance."
Est-ce que vous n'êtes pas en train d'essayer de vous refaire une santé syndicale parce qu'il y a la montée de la Confédération paysanne et qu'il y a bientôt des élections aux chambres d'agriculture ? Donc vous occupez le terrain pour dire : "Regardez, on est fort et on vous défend."
- "Ce n'est pas le cas puisque nous défendons les agriculteurs tout au cours de l'année, sur tous les problèmes. Les autres font ce qu'ils veulent. Aujourd'hui, nous savons que le revenu des agriculteurs est en péril, c'est ce que nous avons dit pour 99, ils risquent de l'être en 2000. Nous voulons simplement qu'on nous donne un petit coup de main pour que les agriculteurs jouent pleinement leur rôle. Alors après les agriculteurs jugeront, d'ailleurs d'autres ont dit que ce n'était pas leur problème. Les agriculteurs jugent. Nous nous considérons que les charges des exploitants est quelque chose d'essentiel. Nous voulons pouvoir jouer pleinement notre rôle dans la société, répondre aux demandes de la société, mais pour ça, il faut quand même que nous puissions vivre."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 8 janvier 2001)
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Europe 1 le 21 novembre 2000
J. Gabriels (ministre belge de l'Agriculture) et L. Guyau (Pdt de la FNSEA)
J.-P. Elkabbach Merci d'être avec nous alors que je sais que la discussion a été difficile hier soir. A quelle heure s'est-elle terminée ce matin ?
- "A huit heures."
Pourquoi a-t-elle été si dure ?
- "Il y a plusieurs points, mais le point le plus litigieux, c'était le point autour de mesures qu'on devait prendre pour combattre le risque de l'ESB."
Qu'est-ce qui a été décidé. Sur le dépistage, vous vous êtes plutôt mis d'accord ?
- "Oui, sur le dépistage nous sommes d'accord pour tous les bovins à risque âgés de plus de trente mois, donc les cadavres d'animaux abattus d'urgence, animaux présentant des signes cliniques à l'inspection ante mortem. Sur ce point, on est d'accord. On voulait prendre aussi la décision de tester tous les bovins, âgés de plus de trente mois qui entrent dans la chaîne alimentaire."
Ceci concerne le dépistage de la maladie qu'on a appelée la vache folle. Mais pourquoi refuse-t-on aujourd'hui d'interdire l'usage les farines animales comme la France l'a fait.
- "Il y a plusieurs pays et plusieurs tendances en Europe, plusieurs pays ne connaissent pas une prolifération de l'ESB. Ces pays pensent naturellement que ces mesures sont trop sévères pour eux et ils veulent les éviter. D'autres pays veulent naturellement des mesures très sévères"
Qu'est-ce que vous en pensez en Belgique ?
- "Nous avons déjà défendu d'utiliser les cadavres dans des farines animales, mais nous ne voulons pas procéder à une interdiction totale parce que nous pensons que ce n'est pas réalisable sur le terrain. Il faut avoir du temps et il faut avoir aussi la connaissance scientifique nécessaire pour le faire. On ne doit pas agir sous la panique, il faut être sûr que ces mesures sont nécessaires et qu'on atteint le but qu'on veut atteindre."
Vous pensez que la France a pris des mesures sous la panique ?
- "Oui, je crois que la communication a été un peu confuse en France entre le Président de la République et le Premier ministre. Avec la panique, le consommateur est très inquiet. Nous avons déjà obtenu le chiffre, en France il y a une diminution de la consommation de la viande bovine de 40% , ce qui est naturellement la conséquence d'une mauvaise communication."
Oui, mais il n'y a peut-être pas que cela.. Est-ce que, dans certains pays, on n'a pas sacrifié la santé publique aux intérêts économiques et financiers à des lobbies qui sont actifs, riches, et très forts ?
- "Oui, peut-être. Mais pour cette raison, il faut agir avec des mesures communes pour toute l'Union européenne. Chaque pays va prendre des décisions unilatérales, on n'obtiendra jamais le but que l'on s'est fixé. C'est nécessaire d'avoir le même but mais aussi d'obtenir le même but avec les mesures qu'on a pris pour toute l'Union européenne."
Oui mais vous n'êtes pas arrivés à l'harmonisation cette nuit et ce matin.
- "Il y a un accord aujourd'hui donc cela veut dire qu'on va rechercher une mesure unilatérale de la Commission avant le 30 novembre. Eventuellement, si le CVP - le Comité Vétérinaire Permanent- n'obtient pas une majorité de deux tiers, il y aura un concert agriculture exceptionnel le 4 décembre pour décider et pour prendre des mesures communes."
Vous comprenez que l'inquiétude chez les consommateurs va monter et pas seulement en France, dans toute l'Europe. On a l'impression que la Commission Prodi n'est pas à la hauteur des enjeux et de la crise. Elle est jugée dépassée - on ne peut pas dire nulle - mais faible.
- "Les mesures prévues sont vraiment des mesures drastiques pour combattre cette crise. Si on fait demain ce qu'on a conclu cette nuit, c'est une étape supplémentaire qui n'existait pas hier."
Donc, on a écouté un peu plus la France ?
- "On a dit ce que la France a fait. Il faut, peut-être sur des bases scientifiques, généraliser ces mesures pour toute l'Europe pour obtenir le but que nous voulons obtenir."
Les autorités françaises et les agriculteurs sont ceux qui apparemment - je ne veux pas jouer les nationalistes chauvins - font le plus pour la sécurité alimentaire. Pourquoi sont-ils les premiers punis ou critiqués ?
- "C'est toujours le cas lorsqu'on connaît une crise. Nous avons connu en Belgique la crise de la dioxine l'année passée et naturellement, nous avons été obligés de prendre des mesures. Avec le test que nous faisons maintenant, je peux dire que la qualité de la viande est plus garantie que dans le passé. Actuellement, c'est une période noire, mais dans le futur, les tests vont convaincre le consommateur."
Est-ce que vous demandez la suppression de l'embargo du buf français de la part des pays qui ont décidé de sanctionner la viande française ?
- "Oui c'est aussi prévu dans le texte. La Commission européenne veut supprimer toutes les mesures unilatérales et veut prendre des mesures communes pour l'Union européenne : cela veut naturellement dire supprimer l'embargo de la part de l'Italie et l'Espagne."
Est-ce que l'Europe doit participer, sur le plan financier, au plan de soutien que les agriculteurs et les éleveurs français attendent dans la matinée ?
- "Oui, nous avons prévu dans ce texte que dans le futur, il y ait un co-financement de la part de l'Europe. Nous allons élaborer quelle sorte de co-financement mais on nous a assuré que ce serait peut-être la moitié des coûts des tests."
En direct, Luc Guyau qui a dû entendre la conversation. Vous avez vu que c'était un peu dur cette nuit, qu'il y a des mesures qui ont abouti mais pas sur les farines animales.
- "Je suis complètement affligé. J'étais à Bruxelles hier, je suis désolé du fonctionnement de l'Europe mais aussi du comportement vis-à-vis de la France. La France est complètement isolée, c'est un échec pour la France, c'est un échec pour la présidence française"
Non, là vous allez un peu vite.
- "Non je ne vais pas trop loin, j'ai lu la déclaration."
Des pays apparemment se sont ralliés à la France, pas sur tout mais sur les farines.
- "J'ai vu la déclaration du ministre de l'Agriculture hier matin avant son conseil des ministres, il n'a rien obtenu aujourd'hui sur les farines, rien sur l'embargo, rien sur l'harmonisation sanitaire, rien sur le plan protéines, juste quelques avancées sur les tests. Vraiment, c'est un échec pour la présidence française et j'en suis très meurtri."
C'est l'Europe : qu'est-ce que vous voulez qu'ils fassent pour contraindre les Européens qui n'en veulent pas ?
- "Cela veut dire que c'était mal préparé par la France et que les décisions qui ont été prises la semaine dernière n'ont pas été préparées pour une négociation européenne. C'est une faute grave que la France a commise et j'en suis complètement désolé."
Vous avez souvent ce ton ! Est-ce que, aujourd'hui, il ne faut pas s'interroger sur la politique agricole commune qui n'est plus commune ?
- "Oui, bien sûr. Aujourd'hui, si chacun prend des décisions les unes après les autres dans chacun de ses pays, on en arrive à une situation, alors que nous n'avons plus de frontières, où la régulation des marchés, où la circulation des marchandises ne va pouvoir se faire et ce n'est pas ma conception de l'Europe. Je regrette qu'on soit arrivé, après les décisions françaises la semaine dernière et aujourd'hui des manques de décisions au niveau européen, à une situation où les consommateurs ne s'y retrouvent plus - c'est quand même grave pour l'Union européenne - mais surtout où les producteurs ne s'y retrouvent plus. Les producteurs qu'est-ce qu'ils vont faire demain sur le marché ? Ils sont complètement désespérés."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 21 novembre 2000)
E. Martichoux Vous n'êtes pas à Paris en ce moment mais en Vendée parce qu'en ce moment, pour beaucoup d'agriculteurs c'est "le coup de feu", il y a beaucoup de travail : les moissons, la production de fruits et légumes... Donc, vous êtes au travail mais l'actualité est aussi chargée c'est pourquoi on vous a demandé d'être en direct ce matin depuis votre propriété. Il y a cet éleveur de la Confédération paysanne dans la Manche qui a lutté pendant trois semaines pour que son troupeau ne soit pas entièrement abattu pour cause de vache folle. Finalement ce troupeau a été abattu. Qu'est-ce que vous en pensez ? La destruction de 46 hectares de soja au OGM : le Gouvernement a-t-il eu raison d'ordonner cette destruction ? Les moissons difficiles à cause du climat... On va parler de tout ça avec vous, mais d'abord je voudrais vous entretenir de vos relations plutôt houleuses avec votre ministre, J. Glavany. Il y a eu un échange de courrier très sec. C'est quand même assez rare. Il vous a répondu dans une lettre la semaine dernière en soulignant votre ton, je cite, "très agressif, voire accusateur." Qu'est-ce que vous lui reprochez au ministre ?
- "Je lui reproche simplement de ne pas prendre le temps de discuter avec nous. Même si de temps en temps il nous rencontre, il ne veut pas avoir de discussion avec les représentants au plus haut niveau de la FNSEA pour arbitrer un certain nombre de choses indispensables pour les revenus des agriculteurs. C'est pourquoi je lui ai dit dans ma lettre qu'un certain nombre d'agriculteurs étaient inquiets. Mais on l'a vu dans les jours qui ont suivi sa lettre : les producteurs de vin qui manifestent dans le Sud de la France, les producteurs de montagne qui ne sont pas satisfaits des accords qui ont été passés au niveau européen ou les producteurs d'ovins qui vont être en manifestation dès le début septembre. C'est un temps dur avec le ministre de l'Agriculture, mais si je dois respecter le ministre, il doit respecter aussi l'organisation la plus représentative présente dans toutes les productions et sur tout le territoire. Alors, c'est un temps dur. Mais heureusement qu'avec d'autres ministres ça marche mieux !"
Il vous écrit que vous semblez croire, à la FNSEA, qu'en économie de marché ouverte, mondialisée, c'est le ministre qui détermine le revenu agricole. Il n'a malheureusement pas, écrit-il, ce pouvoir. Cela tombe sous le sens ! C'est assez convainquant de sa part.
- "Bien sûr, mais l'année dernière, au mois de juin, en revenant des négociations de Bruxelles, quand je lui ai dit qu'il était important de prendre des mesures fiscales, sociales, d'allégement de charges pour éviter la dégradation du revenu, il n'a pas voulu nous écouter. Résultat : le revenu de 1999 a diminué de 10 % par rapport à l'année précédente."
Qui avait augmenté plusieurs années de suite. C'était une année de baisse après plusieurs années de hausse.
- "Plusieurs années de hausse qui avait rétabli la situation. Parce que, je le rappelle, le niveau moyen des agriculteurs est inférieur au niveau moyen des revenus français. Ne l'oublions pas. Et - 10 % : quelle catégorie sociale l'accepterait ? Cette année, nous sommes partis dans la même situation. Nous lui disons, puisque nous ne pouvons pas le rencontrer... je lui avais écrit le 6 juin et je n'ai toujours pas eu de réponse à cette lettre qui était peut-être moins accusatrice, c'est vrai. A un certain moment les membres de mon bureau m'ont dit que ce n'est pas possible d'être dans une situation pareille avec le ministre."
Vous savez qu'il y a un remaniement ministériel qui s'annonce pour l'automne. Est-ce que vous souhaiteriez avoir un autre interlocuteur.
- "C'est le Premier ministre qui décide du gouvernement. Ce n'est pas le président de la FNSEA qui le fait."
Vous avez le droit de dire votre avis.
- "Je dirai mon avis lorsque le Premier ministre aura pris sa décision puisque cela ne rentre ni dans mon rôle ni dans ma fonction. Si demain le ministre de l'Agriculture n'est plus le même, je travaillerai avec celui ou celle qui sera arrivé. Si c'est le même, nous continuerons et nous essayerons de trouver les voies de rapports plus satisfaisants avec le ministre de l'Agriculture actuel."
Pour terminer sur ce chapitre, vous allez donner une réponse à sa réponse ?
- "Nous allons simplement lui répondre dès la fin du mois d'août en lui disant simplement que ce que nous avions dénoncé au cours du mois de juillet s'est avéré malheureusement vrai, alors qu'il le conteste. Nous verrons bien. Les producteurs de vin, d'ovins, de montagne et d'autres productions sont en situation interrogative. Alors il faudra bien qu'il en tienne compte."
Un représentant de la Confédération paysanne, de J. Bové, dans la Manche a lutté contre l'abattage du troupeau d'un éleveur sympathisant de la Confédération paysanne. Il a lutté pendant trois semaines pour éviter que son troupeau soit complètement abattu parce qu'il avait une seule vache folle touchée. 76 bêtes ont été embarquées hier par les services vétérinaires. C'est vrai qu'on a l'impression que l'abattage sélectif pourrait être une voie plutôt que l'abattage systématique. C'est en tout cas la revendication de la Confédération paysanne ?
- "Première chose : pour l'éleveur que je suis, il est terrible de voir partir tout son troupeau. Je me mets à la place des 120 éleveurs français qui ont été dans cette situation. Deuxième chose : la sécurité alimentaire, la protection des consommateurs, car il n'y a que cela de vrai. Aujourd'hui, les scientifiques nous ont dit qu'il fallait continuer à abattre le troupeau de façon systématique parce qu'on n'avait pas d'assurance en matière de relation de cause à effet entre l'animal malade et les autres. Le principe de précaution existe. Je suis surpris que la Confédération paysanne n'ait pas la même idée du principe de précaution quand il s'agit des vaches folles que quand il s'agit des OGM."
Un petit tacle à la Confédération de J. Bové !
- "Un deuxième si vous voulez : on n'a pas entendu la Confédération pendant cinq ans sur le dossier de la vache folle. Il a suffit qu'il y ait deux membres de la Confédération paysanne qui soient confrontés à la maladie de la vache folle pour que, tout d'un coup, ils montent au créneau. L'essentiel ce n'est pas la polémique."
C'est vrai que, d'habitude, cela se fait plutôt dans la discrétion. Les services vétérinaires espèrent qu'il n'y ait aucun témoin puisque c'est une scène terrible de voir tout un troupeau, un travail de dix ans anéanti en quelques instants au nom de l'image du boeuf français.
- "La discrétion est de rigueur parce que, d'une part, il faut protéger l'éleveur qui, psychologiquement, est très touché. On dit que les animaux sont abattus, point à la ligne, mais je crois qu'il faut bien dire aussi aux consommateurs que c'est pour leur protection. Parce que si, demain, on n'abattait pas tout le troupeau, quel consommateur - vous, moi ou les autres - accepterait d'acheter de la viande venant de cette exploitation où il y a eu un cas de vache folle ? Si les Anglais avaient pris la même décision que nous peut-être ne serions-nous pas dans la même situation. Je fais un rappel : 120 cas en France, plus de 300 000 en Grande-Bretagne. Nous ne sommes pas dans la même donnée."
30 cas depuis le début de l'année c'est autant que sur six mois de l'année dernière. Est-ce qu'on n'est pas en train d'assister à une révélation de cas très importants grâce à ce nouveau test suisse que le Gouvernement a mis en place sur 48 000 bêtes.
- "Pour le test nous regrettons premièrement que l'Europe ne le fasse pas en grandeur nature sur toute l'Europe car cela risque d'avoir des conséquences de distorsion de concurrence entre les Français et les autres pays. Mais nous sommes satisfaits de ces tests parce qu'ils doivent permettre de rassurer les consommateurs. Il est vrai que, pour l'année 2000, on peut avoir une recrudescence du nombre de maladie de la vache folle, mais l'essentiel c'est que demain la transparence soit assurée et que le consommateur puisse consommer de la viande bovine en toute tranquillité. Je crois que ces tests vont dans ce sens-là même si on sait qu'il y aura peut-être quelques cas supplémentaires d'ici la fin de l'année. C'est le prix qu'il faut payer pour arriver à éradiquer cette maladie."
D'après un sondage Ifop pour Libération, les Français sont massivement contre les OGM, à 73 %. Ce week-end, le Gouvernement a ordonné la destruction de 46 hectares de soja transgénique. C'est une prise de position qui est ferme. Sur le maïs, en revanche, il autorise dans certaines conditions la culture de maïs transgénique. Est-ce qu'il n'est pas pris entre des arguments un peu électoralistes vis-à-vis des électeurs - ils sont contre - et puis les lobbies agricoles - vous, vous êtes plutôt pour sur le maïs.
- "Nous sommes très précautionneux. Nous disons que pour les OGM, tant que les scientifiques ne seront pas plus précis sur l'innocuité des OGM, il faut être très précautionneux. C'est pourquoi d'ailleurs l'Europe a ouvert quelques variétés de maïs parce qu'il a moins de difficultés que sur le soja ou sur le colza. Mais une chose est sûre en tout état de cause : il faut qu'il y ait des règles et qu'elles soient acceptées."
Quelles règles ?
- "Aujourd'hui l'importation de semences de colza ou de soja sont interdites. S'il y a découverte de traces, eh bien le Gouvernement fait son travail en faisant détruire ces surfaces. Mais le producteur, qui n'est pas responsable, doit pouvoir être indemnisé dans un premier temps par les pouvoirs publics qui pourront se retourner contre les sociétés qui ont transmis tout ça. Mais l'essentiel pour les OGM aujourd'hui, c'est que s'il faut être précautionneux sur leur utilisation, il faut multiplier la recherche pour s'assurer que demain soit il y a innocuité, soit il y a danger, mais au moins que l'on sache vraiment et que le consommateur soit protégé."
Mais vous avez peur de perdre des marchés quand même face aux Etats-Unis qui, eux, continuent de produire et de vendre et d'exporter leur maïs transgénique ? C'est un enjeu économique énorme pour vous ?
- "C'est l'autre aberration. Il ne faudrait pas qu'on nous interdise de produire en Europe et que, dans le même temps, on autorise les importations. C'est pourquoi je demande que la recherche soit tout à fait efficiente pour que demain, s'il n'y avait aucune innocuité, on puisse ne pas être en retard par rapport à d'autres pays qui pourraient à ce moment-là se saisir de nos marchés."
J. Bové a fait l'objet d'un débat au cours d'un colloque organisé par un prix Nobel, G. de Gennes - rien que ça ! - sur le thème : J. Bové n'est-il qu'une créature médiatique ? C'est votre avis ?
- "Je n'ai pas d'avis à donner sur J. Bové. Ce que je vois c'est qu'il est très médiatisé. Pendant le même temps j'ai un adhérent de la fédération des exploitants agricoles dans l'Eure qui est en prison depuis maintenant plus de deux mois pour être accusé - alors que c'est pas avéré - d'avoir lancé un pétard avec un pistolet à corbeau - une pistolet pour effrayer les corbeaux - et d'avoir blessé légèrement un policier. Aujourd'hui, il a quatre mois de prison ferme ! Si c'est ça la médiatisation des actions syndicales, je dis simplement qu'il y a deux poids deux mesures dans ce pays."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr le 8 janvier 2001)
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France 2 - 7h50
Le 8 septembre 2000
G. MorinIl y a des tracteurs, des paysans dans les barrages routiers, à cause de la crise du carburant. Que font les agriculteurs dans cette affaire ?
- "Eh bien les agriculteurs défendent leurs revenus. La crise sur le fioul pour l'agriculteur c'est 200 francs de charges supplémentaires à l'hectare, c'est-à-dire 200 francs de revenus en moins par agriculteur. Un exploitant qui a 50 hectares, c'est 10 000 francs de revenus en moins. Alors nous demandons simplement d'avoir quelques mesures de compensation pour redonner espoir aux agriculteurs sur leurs revenus de 2000."
200 francs de charges en plus par rapport à il y a un an ?
- "Il y a un an. Les charges ont été doublées en ce qui concerne l'énergie. C'est passé de 200 à 400."
Donc, vos adhérents participent aux barrages.
- "Nous sommes sur les barrages déjà depuis le début de la semaine, nous étions en action syndicale la semaine dernière et aujourd'hui les agriculteurs de plus en plus sur les barrages. Pourquoi ? Tout simplement parce que nous n'avons pas eu de réponse du Gouvernement et du ministre de l'Agriculture concernant cette réduction de charges et surtout qu'ils voient que tous les autres secteurs négocient. Pour les transporteurs, on négocie plus, on dialogue ; les ambulanciers, dialogue ; les chauffeurs de taxis ont obtenu quelque chose aujourd'hui et notre ministre de l'Agriculture est absent de la négociation. Nous demandons à avoir une négociation pour que sur le revenu de 2000, le plus rapidement possible, nous ayons une marque qui permette de donner confiance aux agriculteurs, en réduisant leurs charges. Ça ne résoudra pas tout, ça ne couvrira pas toutes les charges, mais ça peut donner espoir."
Hier matin J. Glavany vous a reçu, il vous a expliqué ce que le Gouvernement a fait notamment en faveur des agriculteurs récemment avec les allégements fiscaux. Ce sont des mesures favorables ?
- "Il y a eu des mesures qui sont favorables pour les agriculteurs comme citoyen. Le citoyen Luc Guyau peut bénéficier sur la vignette ou d'autres moyens comme ça, mais Luc Guyau, responsable de son entreprise n'a rien eu en ce qui concerne la diminution des charges, à part les 16 centimes sur la diminution de la TIPP que nous avons obtenue de M. Fabius. 16 centimes, cela représente à peine 10 % de l'augmentation de fioul. Alors nous demandons simplement un pas supplémentaire sur le revenu de 2000. "
Mais le fioul agricole est déjà détaxé ?
- "Le fioul agricole est partiellement détaxé. Dans le système français, les marins-pêcheurs ne payent pas du tout de taxes. Nous, nous en payons 52 centimes par litre et puis les autres en payent un peu plus. Nous demandons une réduction de cette charge-là, justement pour pouvoir améliorer le revenu. Je rappelle malgré tout que les agriculteurs sont les seuls exclus de la croissance. L'année dernière en 1999, baisse de revenus de 10 %. Cette année nous sommes partis dans le même sens. "
A cause des charges, parce que la production est bonne !
- "La production aurait eu tendance à être plutôt satisfaisante cette année, malheureusement il y a eu les problèmes climatiques qui font qu'elle sera moins bonne que prévu. Mais surtout ce sont les charges pour l'agriculture qui vont grever le revenu des agriculteurs. C'est pourquoi nous demandons, en plus des promesses qu'on nous fait pour 2001-2002 et qu'a exprimées le ministre de l'Agriculture, des mesures précises sur 2000 et c'est ce que nous demandons dans la négociation que nous voulons ouvrir avec le ministre de l'Agriculture."
Mettez-vous dix secondes dans la peau du Premier ministre, il ne peut pas entendre : " Et moi, et moi et moi " sans arrêt. Une corporation ne peut pas s'ajouter à une autre pour réclamer ce qu'elle souhaite ?
- "Mais nous ne nous ajoutons pas aux autres, nous étions présents en même temps que les autres, la seule différence que nous avons avec les autres, c'est que nous avons eu la première rencontre avec le ministre de l'Agriculture jeudi matin, nous demandons à en avoir une autre pour discuter concrètement de 2000. Aujourd'hui s'il y a blocage et si les barrages ne sont pas levés par les agriculteurs, au contraire amplifiés, c'est de la faute du ministre aujourd'hui. Nous attendons que le ministre fasse un geste."
Donc vous voulez le rencontrer pour négocier, et s'il ne vous reçoit pas avec des propositions de négociations qu'est-ce que vous faites ?
- "Eh bien les agriculteurs resteront sur les barrages et je peux vous dire que cette nuit, ce matin, l'amplification des manifestations est forte, que ce soit autour des raffineries, mais que ce soit aussi aux postes frontières ou ailleurs. Les agriculteurs sont déterminés pour avoir quelques avancées sur leurs revenus 2000 parce qu'ils ne peuvent pas être les seuls exclus de la croissance au moment où justement on nous dit qu'ils sont essentiels à l'équilibre de notre pays que ce soit en matière économique, sociale ou d'aménagement du territoire. Nous sommes volontaires pour jouer ce rôle, il faut nous en donner les moyens."
Imaginons que les transporteurs routiers cessent leur conflit et lèvent les barrages, les agriculteurs restent, eux ?
- "S'il n'y a pas une négociation avec le ministre de l'Agriculture, s'il n'y a pas d'avancée avec le ministre de l'Agriculture sur le revenu 2000 pour alléger les charges, ils restent. Et bien sûr nous souhaitons, quant à nous, qu'il y ait cette négociation, qu'il y ait des accords pour libérer les barrages et faire en sorte que vis-à-vis de l'opinion publique, nous ne soyons pas ceux qui empêchons les choses de tourner en rond. Aujourd'hui c'est par le manque de dialogue que nous sommes dans cette situation."
Vous prenez le risque de bloquer la France ?
- "Nous ne voulons pas bloquer la France pour bloquer la France, nous voulons simplement que les agriculteurs puissent vivre. Vous savez, un agriculteur qui a une petite et moyenne entreprise, c'est un petit chef d'entreprise : il a ses charges, lorsqu'il voit son revenu - beaucoup d'agriculteurs ont un revenu, par exemple 70 000, 80 000 francs par an - diminuer de 10 000 francs, quelle catégorie professionnelle l'accepterait ? Nous demandons simplement qu'il y ait un geste. Même les mesures que nous demandons ne couvriront que le tiers de cette baisse de revenus. Mais nous voulons simplement pouvoir avancer et reprendre confiance."
Est-ce que vous n'êtes pas en train d'essayer de vous refaire une santé syndicale parce qu'il y a la montée de la Confédération paysanne et qu'il y a bientôt des élections aux chambres d'agriculture ? Donc vous occupez le terrain pour dire : "Regardez, on est fort et on vous défend."
- "Ce n'est pas le cas puisque nous défendons les agriculteurs tout au cours de l'année, sur tous les problèmes. Les autres font ce qu'ils veulent. Aujourd'hui, nous savons que le revenu des agriculteurs est en péril, c'est ce que nous avons dit pour 99, ils risquent de l'être en 2000. Nous voulons simplement qu'on nous donne un petit coup de main pour que les agriculteurs jouent pleinement leur rôle. Alors après les agriculteurs jugeront, d'ailleurs d'autres ont dit que ce n'était pas leur problème. Les agriculteurs jugent. Nous nous considérons que les charges des exploitants est quelque chose d'essentiel. Nous voulons pouvoir jouer pleinement notre rôle dans la société, répondre aux demandes de la société, mais pour ça, il faut quand même que nous puissions vivre."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 8 janvier 2001)
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Europe 1 le 21 novembre 2000
J. Gabriels (ministre belge de l'Agriculture) et L. Guyau (Pdt de la FNSEA)
J.-P. Elkabbach Merci d'être avec nous alors que je sais que la discussion a été difficile hier soir. A quelle heure s'est-elle terminée ce matin ?
- "A huit heures."
Pourquoi a-t-elle été si dure ?
- "Il y a plusieurs points, mais le point le plus litigieux, c'était le point autour de mesures qu'on devait prendre pour combattre le risque de l'ESB."
Qu'est-ce qui a été décidé. Sur le dépistage, vous vous êtes plutôt mis d'accord ?
- "Oui, sur le dépistage nous sommes d'accord pour tous les bovins à risque âgés de plus de trente mois, donc les cadavres d'animaux abattus d'urgence, animaux présentant des signes cliniques à l'inspection ante mortem. Sur ce point, on est d'accord. On voulait prendre aussi la décision de tester tous les bovins, âgés de plus de trente mois qui entrent dans la chaîne alimentaire."
Ceci concerne le dépistage de la maladie qu'on a appelée la vache folle. Mais pourquoi refuse-t-on aujourd'hui d'interdire l'usage les farines animales comme la France l'a fait.
- "Il y a plusieurs pays et plusieurs tendances en Europe, plusieurs pays ne connaissent pas une prolifération de l'ESB. Ces pays pensent naturellement que ces mesures sont trop sévères pour eux et ils veulent les éviter. D'autres pays veulent naturellement des mesures très sévères"
Qu'est-ce que vous en pensez en Belgique ?
- "Nous avons déjà défendu d'utiliser les cadavres dans des farines animales, mais nous ne voulons pas procéder à une interdiction totale parce que nous pensons que ce n'est pas réalisable sur le terrain. Il faut avoir du temps et il faut avoir aussi la connaissance scientifique nécessaire pour le faire. On ne doit pas agir sous la panique, il faut être sûr que ces mesures sont nécessaires et qu'on atteint le but qu'on veut atteindre."
Vous pensez que la France a pris des mesures sous la panique ?
- "Oui, je crois que la communication a été un peu confuse en France entre le Président de la République et le Premier ministre. Avec la panique, le consommateur est très inquiet. Nous avons déjà obtenu le chiffre, en France il y a une diminution de la consommation de la viande bovine de 40% , ce qui est naturellement la conséquence d'une mauvaise communication."
Oui, mais il n'y a peut-être pas que cela.. Est-ce que, dans certains pays, on n'a pas sacrifié la santé publique aux intérêts économiques et financiers à des lobbies qui sont actifs, riches, et très forts ?
- "Oui, peut-être. Mais pour cette raison, il faut agir avec des mesures communes pour toute l'Union européenne. Chaque pays va prendre des décisions unilatérales, on n'obtiendra jamais le but que l'on s'est fixé. C'est nécessaire d'avoir le même but mais aussi d'obtenir le même but avec les mesures qu'on a pris pour toute l'Union européenne."
Oui mais vous n'êtes pas arrivés à l'harmonisation cette nuit et ce matin.
- "Il y a un accord aujourd'hui donc cela veut dire qu'on va rechercher une mesure unilatérale de la Commission avant le 30 novembre. Eventuellement, si le CVP - le Comité Vétérinaire Permanent- n'obtient pas une majorité de deux tiers, il y aura un concert agriculture exceptionnel le 4 décembre pour décider et pour prendre des mesures communes."
Vous comprenez que l'inquiétude chez les consommateurs va monter et pas seulement en France, dans toute l'Europe. On a l'impression que la Commission Prodi n'est pas à la hauteur des enjeux et de la crise. Elle est jugée dépassée - on ne peut pas dire nulle - mais faible.
- "Les mesures prévues sont vraiment des mesures drastiques pour combattre cette crise. Si on fait demain ce qu'on a conclu cette nuit, c'est une étape supplémentaire qui n'existait pas hier."
Donc, on a écouté un peu plus la France ?
- "On a dit ce que la France a fait. Il faut, peut-être sur des bases scientifiques, généraliser ces mesures pour toute l'Europe pour obtenir le but que nous voulons obtenir."
Les autorités françaises et les agriculteurs sont ceux qui apparemment - je ne veux pas jouer les nationalistes chauvins - font le plus pour la sécurité alimentaire. Pourquoi sont-ils les premiers punis ou critiqués ?
- "C'est toujours le cas lorsqu'on connaît une crise. Nous avons connu en Belgique la crise de la dioxine l'année passée et naturellement, nous avons été obligés de prendre des mesures. Avec le test que nous faisons maintenant, je peux dire que la qualité de la viande est plus garantie que dans le passé. Actuellement, c'est une période noire, mais dans le futur, les tests vont convaincre le consommateur."
Est-ce que vous demandez la suppression de l'embargo du buf français de la part des pays qui ont décidé de sanctionner la viande française ?
- "Oui c'est aussi prévu dans le texte. La Commission européenne veut supprimer toutes les mesures unilatérales et veut prendre des mesures communes pour l'Union européenne : cela veut naturellement dire supprimer l'embargo de la part de l'Italie et l'Espagne."
Est-ce que l'Europe doit participer, sur le plan financier, au plan de soutien que les agriculteurs et les éleveurs français attendent dans la matinée ?
- "Oui, nous avons prévu dans ce texte que dans le futur, il y ait un co-financement de la part de l'Europe. Nous allons élaborer quelle sorte de co-financement mais on nous a assuré que ce serait peut-être la moitié des coûts des tests."
En direct, Luc Guyau qui a dû entendre la conversation. Vous avez vu que c'était un peu dur cette nuit, qu'il y a des mesures qui ont abouti mais pas sur les farines animales.
- "Je suis complètement affligé. J'étais à Bruxelles hier, je suis désolé du fonctionnement de l'Europe mais aussi du comportement vis-à-vis de la France. La France est complètement isolée, c'est un échec pour la France, c'est un échec pour la présidence française"
Non, là vous allez un peu vite.
- "Non je ne vais pas trop loin, j'ai lu la déclaration."
Des pays apparemment se sont ralliés à la France, pas sur tout mais sur les farines.
- "J'ai vu la déclaration du ministre de l'Agriculture hier matin avant son conseil des ministres, il n'a rien obtenu aujourd'hui sur les farines, rien sur l'embargo, rien sur l'harmonisation sanitaire, rien sur le plan protéines, juste quelques avancées sur les tests. Vraiment, c'est un échec pour la présidence française et j'en suis très meurtri."
C'est l'Europe : qu'est-ce que vous voulez qu'ils fassent pour contraindre les Européens qui n'en veulent pas ?
- "Cela veut dire que c'était mal préparé par la France et que les décisions qui ont été prises la semaine dernière n'ont pas été préparées pour une négociation européenne. C'est une faute grave que la France a commise et j'en suis complètement désolé."
Vous avez souvent ce ton ! Est-ce que, aujourd'hui, il ne faut pas s'interroger sur la politique agricole commune qui n'est plus commune ?
- "Oui, bien sûr. Aujourd'hui, si chacun prend des décisions les unes après les autres dans chacun de ses pays, on en arrive à une situation, alors que nous n'avons plus de frontières, où la régulation des marchés, où la circulation des marchandises ne va pouvoir se faire et ce n'est pas ma conception de l'Europe. Je regrette qu'on soit arrivé, après les décisions françaises la semaine dernière et aujourd'hui des manques de décisions au niveau européen, à une situation où les consommateurs ne s'y retrouvent plus - c'est quand même grave pour l'Union européenne - mais surtout où les producteurs ne s'y retrouvent plus. Les producteurs qu'est-ce qu'ils vont faire demain sur le marché ? Ils sont complètement désespérés."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 21 novembre 2000)