Texte intégral
QUESTION - La science française est-elle en déclin ? Pourquoi ? Combien allez-vous investir dans la science ? Quand ? Selon quelles priorités ?
François BAYROU : Il ne s'agit pas tant de déclin de la science en France que d'une augmentation des investissements dans la recherche par d'autres pays comme les Etats-Unis, le Japon, l'Europe du nord et maintenant la Chine, de façon continue depuis des années. Les budgets de la recherche ont stagné en France trop longtemps. En dépit de cette situation, les scientifiques français figurent encore parmi les tous premiers dans de nombreuses disciplines, à commencer par les mathématiques, certains aspects de la physique, de la chimie, de la biologie, des sciences humaines ou des sciences de l'environnement. Il est maintenant urgent d'investir dans les domaines émergents. Je propose un nouvel investissement du pays dans la recherche, avec un accroissement des financements de 5% en euros constants, chaque année pendant dix ans. Les manifestations de 2004 ont mis en évidence la désillusion des jeunes chercheurs par rapport à leur salaire et à leur carrière dans la recherche.
QUESTION - Qu'allez-vous faire pour rendre les carrières scientifiques plus attrayantes ? Allez-vous maintenir le statut de fonctionnaire des chercheurs, c'est-à-dire avec un contrat à vie ? Comptez-vous mettre en place un système de post-doc comme cela existe dans les autres pays ?
François BAYROU : Le mouvement des chercheurs de 2004 était bien plus large qu'une simple protestation : il a révélé à l'opinion publique combien l'investissement dans la recherche était négligé et la recherche précarisée. La science est au coeur de l'avenir de notre société. Et cela commence dès l'école primaire. Quant aux jeunes chercheurs, leur rémunération est actuellement beaucoup trop basse. Et un système de post-doc reste nécessaire comme dans tous les pays : c'est une formation complémentaire, qui précède une entrée plus définitive dans l'industrie ou dans la recherche publique. Le retour des post doc de l'étranger sera facilité et leur intégration dans la recherche ou dans les entreprises innovantes développé. Les carrières devront ensuite faciliter les passages entre l'enseignement, la recherche et l'économie.
QUESTION - La classe dirigeante française, tant au sein des entreprises que du gouvernement, est dominée par des diplômés, non de l'université, mais des Grandes Ecoles, spécialisés dans le commerce, l'administration publique, l'ingénierie mais non dans les sciences. Comment allez-vous réconcilier ce système d'éducation à deux têtes afin que la valeur et les compétences des docteurs soient mieux reconnues ?
François BAYROU : L'enseignement supérieur de chaque pays résulte de son histoire. Faut-il tout refonder ? Je préfère une évolution forte, dont le premier pas est la reconnaissance du doctorat : celui-ci doit devenir un diplôme reconnu à l'embauche, comme cela se pratique dans le monde et être intégré dans le droit du travail. Ainsi les docteurs seront-ils à part entière les cadres de notre pays, dans les entreprises, l'administration, le monde politique et les médias.
Plutôt qu'opposer les filières de formation, je préférerais une politique où l'on atténuera la différence entre filières de formation, par exemple en développant les passerelles qui existent déjà à tous les étudiants méritants de toutes les filières, au niveau du mastère ou du doctorat ou encore que les écoles et l'université constituent des cursus communs. La politique d'enseignement supérieur et de recherche veillera, notamment lors de l'attribution des soutiens publics, au respect de ces objectifs.
QUESTION - La science française est-elle irréformable ? Comment comptez-vous réussir, alors que les gouvernements successifs ont échoué à impulser des changements ? L'Agence Nationale pour la Recherche et le Haut Conseil de la science et la technologie, nouvellement créés, sont-ils des bases solides pour initier d'autres réformes ?
François BAYROU : C'est un mauvais procès à la recherche française, car j'ai mesuré sa volonté de sortir de l'impasse où elle se trouve. Il faut d'abord que la recherche redevienne prioritaire dans l'agenda politique, que les plus hauts responsables de la politique française en fassent un devoir personnel. Un accord sera proposé sur une base non partisane, rassemblant les grandes forces politiques, qui sont conscientes qu'un investissement majeur est nécessaire. Les questions plus détaillées, celles de l'organisation de l'exécutif comme celle du rôle du Parlement, ou celle de l'autonomie des Universités et de l'évaluation pourront alors trouver des solutions simples et transparentes, car il sera facile de vérifier en quoi l'organisation mise en place répond à un besoin et facilite la contribution des scientifiques français aux questions communes du pays et de l'humanité. L'urgence d'agir s'impose.
QUESTION - Alors que la plupart des autres pays distribuent les fonds en fonction de l'excellence scientifique des projets, ces fonds sont en France donnés principalement à des organisations de recherche, tel que le CNRS, qui les répartit ensuite à ses propres laboratoires. Quel équilibre voyez-vous entre ces deux types de financement ? Quel avenir pour le CNRS ?
François BAYROU : Cette question ne reflète pas la réalité. La recherche financée par les institutions et celle décidée et financée par projet ne sont pas différentes, car elles sont réalisées par les mêmes chercheurs. Elles sont complémentaires et le critère doit être dans tous les cas la qualité, que les appels d'offre soient français ou européens. Il n'y a donc pas de règle d'équilibre a priori, ce qui rend la politique scientifique vivante et adaptable. Il faudra toutefois veiller à ce que le nombre des guichets cesse de croître. Quant au CNRS, son apport dans la recherche n'est plus à démontrer, on se presse à ses portes (y compris les 20% étrangers qui y sont recrutés), et les laboratoires sont présents dans la plupart des recherches.
QUESTION - L'Allemagne a récemment lancé une Initiative d'Excellence, avec un budget de plusieurs milliards d'euros, pour relever le statut international de ses universités. Que comptez-vous entreprendre pour moderniser les universités françaises en ruine ? Doivent-elles devenir la colonne vertébrale de la recherche publique comme dans la plupart des autres pays développés ?
François BAYROU : La place de l'Université devra être fortement revalorisée, car après l'augmentation massive des étudiants depuis 20 ans, stabilisée aujourd'hui, il devient possible d'ouvrir une nouvelle étape à long terme. L'université souffre de trois maux : l'absence de reconnaissance du doctorat, déjà évoquée, un manque de financement, et une gouvernance mal adaptée. Il faudra atteindre une dépense par étudiant égale à la moyenne de celle des pays de l'OCDE, continuer le rapprochement amorcé avec les grandes écoles et décider un changement de gouvernance. Et les initiatives comme la fusion des Universités à Strasbourg, prévue pour 2009, seront saluées et encouragées. Elles ne peuvent conduire qu'à la visibilité de la France et à l'amélioration de sa recherche.
QUESTION - La faiblesse de la recherche française est l'innovation. L'investissement du secteur privé a stagné depuis 1990, en dépit des nombreuses actions et aides de l'état, comme les crédit d'impôts, les pôles d'innovation et les réseaux régionaux. L'engagement de l'Etat est à l'origine de l'excellence française dans les secteurs de l'aérospatial, du nucléaire et du transport. Mais ces « innovations par décret » sont-elles compatibles avec des secteurs qui évoluent rapidement comme les biotechnologies et les technologies de l'information ?
François BAYROU : Je veux soutenir l'ensemble de l'« écosystème français de l'innovation » car il porte en lui les germes d'une grande partie de notre industrie de demain. Certaines technologies (Biotechnologies, Télécommunications, Electronique, Nanotechnologies, Logiciel...) mobilisent largement les différents acteurs de cet écosystème (chercheurs, organismes de valorisation, entrepreneurs, investisseurs privés et institutionnels, conseils spécialisés...). Pour aider ce secteur, c'est l'ensemble de cet écosystème que je propose de soutenir et de valoriser. Si la recherche n'est pas l'innovation, elle peut et doit y contribuer. Plusieurs directions doivent être favorisées : les chercheurs contribueront à notre croissance et notre compétitivité en s'intéressant à la valorisation de leurs travaux. Pour attirer les talents, je propose d'exempter d'impôt les revenus des brevets des chercheurs installés en France. Je souhaite renforcer les départements de valorisation de nos instituts de recherche (quelques centaines de millions d'euros peuvent avoir à ce niveau un impact considérable) pour faciliter la naissance et le développement des entreprises innovantes. Pour libérer l'industrie, il faut poser le « principe de confiance » face aux entrepreneurs qui osent prendre des risques. Je mettrai en place une grande loi pour les PMEs innovantes (Small Business Act, extension du statut actuel de JEI jusqu'à la preuve de concept, mise en place de la JEC...). Enfin j'accroîtrai les financements de façon substantielle mais simplifiée, notamment en facilitant l'investissement des personnes privées) et en favorisant le capital-risque.
QUESTION - Quelles sont vos ambitions pour la construction d'un Espace européen de la Recherche ? Quel doit être son impact sur la recherche nationale et les choix d'innovation ?
François BAYROU : Cette question devrait être en tête, tant l'Europe est la réponse adaptée comme espace scientifique. Je proposerai, si je suis élu Président de la République, une initiative pour que la recherche devienne une compétence partagée entre l'Union et les Etats. Il est évident que le budget européen de la recherche est inadapté aux besoins. Nous avons soutenu au Parlement européen un doublement de ce budget pour le prochain programme cadre (7e PCRDT), comme proposé par la Commission européenne, mais hélas le conseil des ministres des gouvernements européens l'a amputé de moitié... Le problème vient évidemment du refus de la majorité des gouvernements européens (y compris de la France) d'augmenter le budget global de l'Union (qui n'est que d'à peine plus d'1% de son produit intérieur brut). Il est impossible sans augmentation de faire face à nos obligations internationales, de soutenir les pays entrants dans l'Union, de maintenir les politiques existantes et de donner à la recherche l'impulsion qu'elle mérite. Si nous le faisons, l'Europe deviendra, comme au CERN, la terre d'accueil que nous souhaitons.
QUESTION - D'ici à 2050, le Royaume Uni prévoie de diminuer de 60% sa production de gaz à effet de serre. Sur quel taux allez-vous engager la France ? Comment ferez-vous pour l'atteindre ? Quelles obligations internationales doivent être choisies pour l'après Kyoto ?
François BAYROU : La France a signé Kyoto, et les quotas d'émission de l'industrie sur le territoire français sont aujourd'hui stabilisés. J'assumerai l'engagement européen de mars 2007 d'avoir 20% d'énergie d'origine renouvelable. Mais il faudra faire encore davantage, par les économies d'énergie et les nouvelles technologies, par exemple dans la construction, secteur qui sait déjà édifier des bâtiments sans émission. Ceci créera de plus des emplois locaux. Enfin, il faudra davantage de recherche pour améliorer notre compréhension des phénomènes climatiques, et développer un programme vigoureux de technologies efficaces contre l'effet de serre.
QUESTION - Allez-vous continuer à produire ¾ de l'électricité française à partir de l'énergie nucléaire ? Quelle est votre stratégie pour l'EPR et les réacteurs de la prochaine génération ? Que comptez-vous faire face à l'accumulation des déchets nucléaires ?
François BAYROU : La poursuite du programme nucléaire n'est pas contradictoire avec le développement des énergies renouvelables, en raison d'un besoin d'énergie croissant. Le nucléaire ne contribue pas à l'effet de serre, et c'est une bonne raison de ne pas le réduire. Le projet EPR sera donc poursuivi et une nouvelle génération mise à l'étude. La filière nucléaire de production d'électricité fait partie des instruments énergétiques indispensables et de nos atouts pour lutter contre l'effet de serre. Mais nous avons besoin d'une expertise scientifique sur l'EPR. Derrière ce projet se pose la question du renouvellement de nos réacteurs actuels. Une décision aussi structurante pour notre politique énergétique ne peut donc pas se prendre en catimini, mais à l'issue d'un débat le plus large et le plus démocratique possible. Le projet ITER (fusion) localisé en Europe à Cadarache sera soutenu. S'agissant de lourds investissements à vocation mondiale, la part du financement européen devrait s'accroître. Le traitement des déchets est une priorité : il faut lancer rapidement une démonstration de traitement après un stockage temporaire. Ceci prouvera que les déchets peuvent être ramenés, en volume comme en capacité radioactive, a des seuils très bas, de façon à rassurer les hommes et femmes, nombreux en France et dans le monde, qui doutent de cette forme d'énergie en raison des risques qu'elle comporte encore.
QUESTION - La France doit-elle continuer à avoir sa propre force nucléaire dissuasive ainsi que l'appareil de recherche allant avec de telles responsabilités ? Pouvez-vous envisager, qu'un jour, l'Europe ait une force dissuasive commune ?
François BAYROU : Avant d'être une question sur la recherche, celle-ci concerne l'Europe politique et sa vocation dans le monde. Pour la France, et pour sortir de la crise européenne où nous sommes, un traité nouveau, simplifié et compréhensible par chacun doit être élaboré, puis proposé par référendum, car le peuple seul peut défaire ce qu'il a fait. Je soutiendrai l'engagement récemment pris à Berlin d'une solution avant juin 2009. Dans ce cas, la diplomatie et la défense de l'Europe, donc la politique de dissuasion y tiendront une place, ainsi que la R&D qui lui est nécessairement associée. Mais à long terme, l'Europe doit aussi proposer au monde le modèle de paix qu'elle a su construire depuis 50 ans. Le désarmement doit devenir l'une des règles, pour que le monde multipolaire et multiculturel où vivront nos descendants ne soit pas celui de la guerre ou du risque d'une déflagration mondiale.
QUESTION - S'il y a une question que je n'ai pas posée, qui vous semble importante et qui vous tient à coeur, n'hésitez pas à la poser et à y répondre ici.
François BAYROU : Un aspect émergent des politiques scientifiques ne doit pas rester dans l'ombre : il s'agit de l'acceptation de la science dans notre société. L'opinion, mieux formée et informée, s'interroge plus facilement sur les effets bénéfiques ou maléfiques de certaines recherches pour l'homme. Ainsi le malade peut-il savoir beaucoup sur sa maladie grâce à l'internet et devenir un interlocuteur éduqué de son propre médecin. Dans une société technologiquement développée, ces attitudes seront plus fréquentes, et toucheront toutes les sciences. Je souhaite que l'on y porte attention : le public doit être bien informé des avancées des sciences et des techniques par l'ensemble des médias. Alors les débats qui s'y tiendront seront profitables, en toute démocratie, à l'ensemble de notre société.Source http://www.bayrou.fr, le 23 avril 2007