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Le Journal des Finances : Quel doit être le rôle de l'Europe dans la politique économique française ?
François Bayrou : La coordination des politiques économiques nationales est insuffisante. A côté de la Banque centrale européenne, il y a une politique économique européenne : une politique extérieure face aux déséquilibres environnementaux et monétaires, et une politique intérieure pour arrêter le dumping fiscal à l'intérieur même de la zone euro ... Nous devons réfléchir sérieusement à l'harmonisation de l'impôt sur les sociétés et à la fiscalité écologique. Il ne s'agit pas d'avoir le même impôt partout, mais de se donner un cadre commun, un "serpent fiscal" comme il y a eu un "serpent monétaire".
Q - Les Etats européens doivent-ils avoir un droit de regard sur la politique de la BCE ?
R - J'ai voté en faveur du Traité de Maastricht, qui a créé la banque centrale européenne indépendante. D'autres candidats aussi, d'ailleurs, même s'ils l'oublient aujourd'hui...
La BCE a deux objectifs : lutter contre la hausse des prix, c'est-à-dire maintenir le pouvoir d'achat, et assurer la confiance dans la monnaie.
L'euro a eu le mérite d'apporter un remède efficace aux deux maladies endémiques qui frappent les pays insuffisamment rigoureux et ont, en d'autres temps, dévasté l'Europe: la hausse des taux d'intérêt et l'inflation. Les détracteurs de la monnaie unique, comme ceux qui veulent remettre en cause l'indépendance de la Banque centrale européenne devraient se demander où en seraient l'Allemagne, la France et l'Europe s'il n'y avait pas eu l'euro.
Q - Quelles sont vos propositions pour réduire le déficit budgétaire ?
R - La dette est notre ennemie absolue. Ma première réforme sera d'inscrire dans la Constitution l'interdiction pour tout gouvernement de présenter un budget en déficit de fonctionnement, sauf en cas de récession.
Par ailleurs, je propose de supprimer en trois ans le déficit de fonctionnement du budget de l'Etat, soit 21 milliards d'euros, et de stabiliser la dette. En retenant une prévision de croissance raisonnable de 2 % et une inflation à 1,8 %, l'augmentation des recettes de l'État sera de 14 milliards par an. En y consacrant la moitié à la diminution du déficit chaque année, nous retrouverons l'équilibre de fonctionnement à échéance de trois ans.
Q - Le dossier Airbus pose, entre autres, la question de l'utilité de l'Etat actionnaire. A-t-il vocation à conserver des participations dans l'entreprise
R - En dehors de circonstances exceptionnelles, l'Etat n'a pas vocation à produire des automobiles ou à détenir des banques de détail. De ce point de vue, la réduction du périmètre du secteur public mise en oeuvre dans les années 80 et 90 était une nécessité.
A ce jour, il me semble que l'essentiel des grandes privatisations sont derrière nous. Il reste néanmoins un nombre important de participations minoritaires de l'Etat dans diverses entreprises - et ces participations ne présentent pas toujours un intérêt stratégique justifiant la présence de l'Etat dans le capital des sociétés concernées. L'opportunité d'un désengagement de l'Etat du capital de ces sociétés devra être examinée au cas par cas.
Cela étant, je pense que l'Etat a vocation à conserver une capacité d'intervention dans le capital d'entreprises particulièrement innovantes ou stratégiques, comme EDF-GDF.
Q - La hausse des prix de l'immobilier et des loyers a amplifié la crise du logement. Quelles sont vos propositions pour fluidifier le marché ?
R - Il est effectivement devenu très difficile d'acheter. On s'endette parfois jusqu'à trente ans. Le problème principal est le manque de foncier constructible. Il faut débloquer le système, en libérant le foncier disponible, y compris certains terrains appartenant à l'Etat. Et puis je propose une stratégie pour un meilleur usage du parc de logements du marché immobilier : régionalisation de l'aide à la pierre pour un meilleur ciblage, modulation des loyers dans le parc social, respect de la loi SRU sur le logement social, garanties mutuelles... Un marché immobilier qui fonctionne mieux, plus fluide, ce sont des prix qui baissent.
Q - Quelles mesures envisagez-vous pour assurer le financement des retraites par répartition ? Envisagez-vous de nouveaux mécanismes ?
R - La réforme des retraites est obligatoire quel que soit le gouvernement. Je suis pour une réforme de fond et je la soumettrai au référendum des Français. Je le dis à l'avance : tout le monde aura la possibilité de s'exprimer sur ce grand sujet.
Voici les principes de la réforme. Premièrement, une retraite qui adapte à la retraite actuelle les principes d'une retraite complémentaire à points. Ainsi, chacun des Français, à partir de l'âge légal qui ouvre le droit au départ à la retraite, pourra connaître exactement le montant de ses pensions et leur évolution et choisir si la pension est suffisante ou s'il doit prolonger son activité. Je demanderai qu'on prenne en compte la réalité de la vie, c'est-à-dire la pénibilité du travail ou la prise en compte du temps passé à élever ses enfants.
Q - Estimez-vous souhaitable de modifier le régime juridique et fiscal de l'assurance-vie ?
R - A la fois outil d'épargne et de transmission du capital, ce placement permet aux français de se constituer une épargne longue destinée, pour une part essentielle, à faire face aux déficits futurs des régimes de retraite. Ce n'est donc pas en taxant davantage les produits de l'épargne que l'on réduit l'endettement de la France.
Par ailleurs, je suis très attaché au principe de stabilité fiscale, notamment en ce qui concerne la fiscalité de l'épargne et en particulier au principe de non-rétroactivité.
C'est pourquoi je suis opposé à toute volonté de modification de l'environnement juridique et fiscal des contrats d'assurance vie.
Q - Comptez-vous prendre des mesures pour favoriser l'actionnariat individuel et salarié ?
R - Je veux encourager l'actionnariat salarié parce que cela permet à la fois de lutter contre les délocalisations et de relancer le pouvoir d'achat des Français.
Les salariés sont les premiers concernés par la santé à long terme de leur entreprise, et leur donner voix au chapitre est le meilleur moyen de garantir la prise en compte de leurs intérêts dans les décisions stratégiques.
Il faut donc prendre à bras le corps le chantier de l'intéressement et de la participation. L'entrepreneur doit pouvoir faire bénéficier ses salariés, par l'intéressement, de la réussite de son entreprise. Je souhaite rendre plus liquide la participation afin d'aboutir à une meilleur partage capital / travail.
Je veux également élargir le champ de la participation aux entreprises. En effet, en dépit des évolutions législatives des 20 dernières années, ce dispositif est inachevé et pas assez accessible à tous. Sa principale faiblesse est bien sa faible diffusion dans les PME. Ce qui explique l'écart qui se dessine entre les salariés pouvant détenir des actions de leur entreprise et ceux qui, en raison de la taille, du statut ou du secteur d'activité de leur entreprise ne le peuvent pas. Nous devons réduire cette fracture.
Q - Faut-il réformer le régime des stocks options ?
R - L'existence d'un régime fiscal dérogatoire applicable aux stock-options semble de plus en plus difficilement défendable : il est de plus en plus difficile d'expliquer aux Français pourquoi les stock-options ne sont pas assujettis aux cotisations sociales, à la CSG ou à la CRDS selon les mêmes règles que les autres revenus.
Sur un plan plus technique, je suis convaincu que les opérations relatives aux stock-options doivent être plus clairement retracées dans les documents comptables. Les actionnaires doivent pouvoir suivre en toute transparence les distributions d'actions ; sur ce point, nous devons regarder de très près les évolutions qui ont été conduites aux Etats-Unis.
Q - Envisagez-vous de réformer l'impôt sur le revenu (retenue à la source, barème de l'impôt, niches fiscales...) ?
R - La retenue à la source est une bonne idée mais qui pose un certain nombre de problèmes de mise en oeuvre, en particulier en matière de confidentialité, qu'il faudra résoudre. Ces problèmes de faisabilité ont pour origine la complexité de notre législation fiscale.
Par ailleurs, je souhaite mettre en place un plafonnement progressif du montant global des réductions d'impôts relatives à l'impôt sur le revenu. Les 254 niches fiscales relatives à l'impôt sur le revenu représentent environ 40 milliards euros. Ce qui signifie qu'en l'absence de niches fiscales, l'impôt sur le revenu rapporterait environ 100 milliards euros. Ce plafonnement prendra la forme d'un pourcentage de l'impôt dû avant utilisation des niches fiscales, avec un plancher pour les contribuables modestes.
Q - Faut-il modifier l'ISF et comment ? Comptez-vous notamment alléger l'imposition de la résidence principale ?
Comptez-vous prendre des mesures pour lutter contre l'expatriation fiscale ?
Quelles sont vos propositions sur la transmission du patrimoine et particulièrement celle des entreprises ?
R - Ma philosophie sur ce sujet est assez simple : je suis favorable à une assiette large mais à taux très réduit, de l'ordre de 1 pour 1000. Après avoir beaucoup consulté et beaucoup lu d'observations sur le champ de l'assiette, j'estime qu'il ne faut pas y intégrer l'outil de travail et les oeuvres d'art.
Enfin, pour inciter les contribuables à ne pas sous-évaluer leur patrimoine et à le déclarer, ils pourraient voir l'impôt sur leurs plus-values ou leurs droits de succession être allégés en contrepartie d'une déclaration sincère.
Nous n'aurions alors plus besoin de ces hypocrisies et de ces manoeuvres que sont, par exemple, le bouclier fiscal, qui consiste à exonérer les plus riches de l'impôt sur la fortune et à maintenir cet impôt sur la fortune pour les catégories intermédiaires. source http://www.bayrou.fr, le 20 avril 2007