Interview de M. Nicolas Sarkozy, président de l'UMP et candidat à l'élection présidentielle, à RTL le 20 avril 2007, sur l'importance des indemnités versées aux dirigeants de grandes entreprises et sur la polémique suscitée par ses positions sur l'identité nationale et l'immigration.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Jean-Michel Aphatie : Bonjour, Nicolas Sarkozy.
Nicolas Sarkozy : Bonjour, Jean-Michel Aphatie.
Q - Vous l'avez promis, hier soir à Marseille, si vous êtes élu à l'Elysée, vous ferez voter dès cet été, une loi pour interdire, je vous cite, "cette pratique détestable du versement d'importantes indemnités aux dirigeants qui quittent leurs entreprises". C'est l'affaire Noël Forgeard, ancien président d'EADS qui devrait toucher 8,5 millions d'euros qui motivent cette prise de position. Ce n'est pas la première affaire de ce genre, Nicolas Sarkozy. Celle-ci vous choque particulièrement ?
R - Oui, ça me choque. Pourquoi ? Parce que mes valeurs sont les suivantes : qu'un chef d'entreprise gagne davantage, gagne très bien sa vie s'il a créé de la richesse, s'il a pris des risques, s'il a réussi, je trouve ça normal. Nous sommes dans un monde ouvert et personne ne peut s'en plaindre !
En revanche qu'un chef d'entreprise qui a échoué, qu'un chef d'entreprise dont le bilan consiste à dire qu'il va y avoir 10.000 suppressions d'emploi pour dégager des marges de manoeuvre pour financer le développement des nouveaux avions, je pense à l'A380 et à l'A350. Alors il n'y a pas d'argent pour faire le développement et il y a 8 millions d'euros pour rémunérer un chef d'entreprise qui s'en va après un échec. Ce n'est pas admissible.
Q - Donc, vous souhaitez une réglementation générale ?
R - Oui, je souhaite l'interdiction des golden parachutes. Pourquoi ? Parce qu'avec le golden parachute, il n'y a pas de risques. Or, la grosse rémunération rémunère un risque. S'il n'y a pas de risques, il n'y a pas besoin de grosses rémunérations.
Q - Laurence Parisot, présidente du MEDEF, disait au début de la semaine : si nous sommes le seul pays à instaurer une loi dans ce domaine, les sièges sociaux vont partir, les meilleurs talents ne vont pas rester en France.
R - Oui, j'ai du respect pour Laurence Parisot, mais je lui dis une chose : je ne laisserai pas mes idées travesties par des comportements que je n'accepte pas. Elle m'avait d'ailleurs reproché l'expression "patron voyou". Je ne dis pas qu'elle s'applique là. Mais des voyous, y'en a partout dans la société. Il y a une règle du jeu. Si on prend plus de risques et si on réussit, on est bien payé. Si on ne prend aucun risque - et avec le golden parachute, on prend aucun risque - on n'a pas à partir avec des indemnités. J'ajoute qu'à la place de la personne en question, je ferai comme M.Bilger, vous vous rappelez le président d'Alstom qui avait échoué et qui avait rendu ses rémunérations instaurées de ce qu'on appelait à l'époque : la retraite chapeau. C'est une question d'éthique. C'est une question d'honnêteté. Il ne peut pas y avoir de grosses rémunérations sans prise de risques.
Q - Une assemblée générale d'EADS aura lieu, le 4 mai prochain. Souhaitez-vous que l'Etat français demande à ses représentants de s'opposer au versement de ses indemnités ?
R - En ce qui me concerne, il y a quelque chose de plus important que je souhaite, c'est qu'on ne distribue pas de dividendes aux actionnaires et notamment à Dembler Benz. Là aussi, il faut être logique. On ne peut pas être dans un groupe où on dit aux salariés d'Airbus : "Ecoutez, il va falloir se serrer la ceinture. Il y a 10.000 postes qu'on va supprimer et trouver de l'argent pour donner des dividendes aux actionnaires". Il faut savoir : si on est actionnaire de l'entreprise, on met son argent pour le développement de l'entreprise. S'il n'y a pas d'argent pour garder de l'emploi, y'en n'a pas pour rémunérer les actionnaires. Vous savez, moi je ne me laisserai pas enfermer là-dedans. Mes valeurs, c'est le travail, le mérite, l'effort, la récompense. S'il n'y a pas de travail, s'il n'y a pas de mérite, s'il n'y a pas d'effort, s'il n'y a pas de création de richesses, y'a aucune raison qu'il y ait de la récompense.
Q - Dans un entretien avec le philosophe Michel Onfray, publié ce mois-ci dans "Philosophie Magazine", vous dites ceci Nicolas Sarkozy : "J'ai moins de bonheur à faire de la politique aujourd'hui que j'ai pu en avoir dans le passé et j'en suis le premier étonné". Etes-vous un homme politique heureux, Nicolas Sarkozy ?
R - Enfin... Je pense que devant la gravité de l'enjeu présidentiel, devant le poids des responsabilités qui pèsent sur mes épaules, devant les millions de gens qui mettent de l'espérance dans l'action que je conduis, dans le projet que j'ai défendu, je ne suis pas si benêt que je devrais être comme le ravi de la crêche, les bras au ciel, en disant : "Mon Dieu, je suis heureux, tout va bien !"
Q - C'est un don de soi d'être candidat à la présidence de la République ?
R - L'élection présidentielle, c'est pas un hasard. La campagne présidentielle, c'est un don de soi. Il faut faire de l'espérance et du malheur des autres, les siens. On ne peut pas regarder ça de loin, on doit s'engager. Il y a de la gravité dans l'élection présidentielle. De quoi s'agit-il, Jean-Michel Aphatie ? De choisir celui ou celle qui va diriger la cinquième puissance du monde. Eh bien, à deux semaines, un peu plus, de l'échéance, celui ou ceux qui ont un risque ou une chance d'être élu, ils doivent s'imprégner de cette responsabilité, avoir de la gravité, un peu de distance. Il n'y a pas de place pour l'exaltation.
Q - Plusieurs de vos prises de position vous valent des attaques dont certaines sont violentes. Robert Badinter, au début de la semaine, a dit ceci. Il a évoqué la "lepénisation de Nicolas Sarkozy"...
R - Oui, ah vous savez, moi j'ai choisi d'être tolérant pour tout le monde. Une campagne électorale, on doit pouvoir échanger des idées. C'est extraordinaire cette Gauche qui considère que dès qu'on n'est pas d'accord avec elle, on est un factieux. Alors, il y a le bien, il y a le mal. Alors, le bien, c'est tout ce qui est à Gauche. Et si vous n'êtes pas d'accord avec la Gauche, vos idées elles sont illégitimes. Et je vois qu'ils n'ont plus rien à dire sur le chômage, sur l'insécurité, sur l'intégration. Simplement une chose : attention, tout ce qui n'est pas nous est illégitime. Dans ce cas-là, il vaut mieux qu'ils n'organisent pas de campagne .. Hein, qu'on met un seul candidat de Gauche, avec une pensée unique et tout s'organise autour. C'est extraordinaire.
Notre pays a besoin d'un vrai débat. C'est formidable cette campagne. Il n'y a jamais eu autant de monde - Serge July l'a dit - dans les meetings. Il faut bien qu'on débatte d'un certain nombre d'idées. J'ai parlé de l'identité française. On me dit : "Oh là, là... Oh là, oh là... Un nationaliste !" Je parle de l'immigration. On dit : "Oh là, là... Un raciste !" Je dis...
Q - Et quand vous liez les deux ?
R - Jean-Michel Aphatie, je parle de la cité pour l'Etat protégé, on dit : "Oh là, là : protectionniste !" Mais quand je lie les deux, bien sûr, on doit expliquer la France à celui qui veut devenir Français. Si vous n'expliquez pas ce qu'est la France à celui qui veut devenir Français, il ne faut pas s'étonner qu'il ne s'intègre pas. D'ailleurs, on a rarement envie de s'intégrer à un pays qu'on vous a appris à détester. Je veux qu'on explique ce qu'est la France à ceux qui veulent devenir Français, en leur disant : ben voilà, la France ce n'est pas une race, ce n'est pas une ethnie. La France est un peu plus qu'une démocratie, c'est une république. Je veux donc qu'on leur explique cette identité : qu'ils acceptent cette identité. Moi je veux que personne ne soit condamné à cette peine terrifiante que de vivre dans un pays dont on ne respecte pas les valeurs ou qu'on n'aime pas. Allez donc demander aux Anglais, aux Américains, aux Allemands, aux Espagnols s'ils accepteraient sur leur territoire, des gens qui n'aiment pas leur pays. Drôle d'idée !
Q - Beaucoup de gens vous reprochent, Nicolas Sarkozy, cette déclaration précise, toujours dans "Philosophie Magazine" : "J'inclinerai à penser pour ma part qu'on nait pédophile". Vous regrettez d'avoir formulé les choses comme çà ?
R - Mais pas du tout. C'est un débat de quatre heures et demi, d'ailleurs passionnant, que j'ai fait avec un philosophe, où nous débattions de quelque chose que tous les scientifiques ont en tête : quelle est la part de l'inné et quelle est la part de l'acquis ? Enfin, Jean-Michel Aphatie, sans vouloir révéler un secret, nous n'avons pas la même pilosité, pas la même chevelure. Je ne suis pas sûr que ça soit...
Q - L'un des deux a plus de cheveux que l'autre.
R - Oui, enfin, on ne dira pas lequel.
Q - Voilà.
R - Je ne suis pas sûr que ça soit uniquement une question d'éducation de nos mamans respectives. Devant le cancer, nous ne sommes pas tous égaux. Donc, simplement le Professeur Arnold Munnick, qui est le plus grand pédiatre français, est venu dans un meeting l'autre jour, pour dire : "Bien sûr, on cherche quelle est la part de l'inné, quelle est la part de l'acquis ?" Enfin, cette idée quand même d'aller violer un enfant de 4 ans et demi comme le petit Mathias dans la Nièvre, dont j'ai moi-même informé les parents qu'on avait arrêté le coupable, c'est quand même une idée qui ne m'a jamais traversé l'esprit.
Alors, est-ce qu'elle vient de ce qu'on a rencontré dans la vie ? Est-ce qu'elle vient de ce qu'on était ? Ecoutez, si on pose le principe - il n'y a même pas à y réfléchir - alors, on s'interdit de les soigner. Qu'est-ce que je veux, moi ? Que plus un délinquant sexuel ne sorte de prison sans être obligé d'être soigné. Si on considère qu'il n'y a aucune différence, qu'on est tous égaux, regardez l'autisme, regardez les recherches. Un enfant autiste, ça n'est pas la faute de ses parents quand même !
Q - C'est une déclaration qui a marqué la campagne ?
R - Je ne sais pas si c'est... Heureusement que je fais des débats, puisque moi, je ne critique jamais les autres. J'ai posé la question du travail, j'ai posé la question de l'identité nationale, j'ai posé la question de l'immigration. Enfin, écoutez, si une campagne ne sert pas à poser des questions, alors à quoi ça sert. Je veux une société tolérante... Voilà ! Où on s'écoute les uns, les autres, monsieur Aphatie.
Q - Mercredi soir sur la chaîne "Public Sénat", Claude Guéant, qui dirige votre campagne, a dit que vous lui aviez fait part de votre intention de le nommer secrétaire général à l'Elysée, si vous étiez élu. On distribue déjà les postes, Nicolas Sarkozy ?
R - Je ne distribue rien du tout. Je ne sais pas si je serais qualifié pour le premier tour. Remarquez à force...
Q - Pour le deuxième ?
R - Pour le premier... A l'issue du premier tour.
Q - Voilà.
R - Enfin, remarquez Jean-Michel Aphatie, à force que vous l'annonciez, ça va finir par se produire.
Q - Qu'est-ce qui va se produire ?
R - Vos pronostics.
Q - C'est quoi mon pronostic ?
R - Je ne sais pas. J'entends qu'on est en tête.
Q - Alors, c'est les pronostics des sondages.
R - J'espère que ça ne vous fait pas de peine ?!
Oui, mais enfin comme c'est les sondages que vous commandez .. C'est extraordinaire quand même...
Q - - Non, on les commande, mais on ne les fabrique pas.
R - Oui, vous les payez.
Q - On les commande. Ca on les paie. Enfin, j'espère, c'est pas moi qui les paie non plus. Votre adversaire préféré au deuxième tour, Nicolas Sarkozy ?
R - Alors, vraiment aucun... Parce que je vais vous dire une chose très simple. Si jamais j'étais au deuxième tour, je pense que ça sera difficile, quoi qu'il arrive, parce que c'est la France. Et je ne m'inscris pas du tout dans cette stratégie qui consiste à dire qu'il y aurait un candidat facile, un candidat difficile. Une campagne, c'est une grande épreuve d'humilité. Il faut lever une espérance dans le pays. Il faut expliquer aux Français les problèmes de la France et leur dire qu'il y a des solutions. Alors quelle qu'elle soit, cette candidate... ou quel qu'il soit, ce candidat. Ca sera un combat difficile jusqu'à la dernière minute. Je le mènerai comme j'ai mené tous mes combats en m'engageant pleinement.
Q - Nicolas Sarkozy, qui attendra comme nous, dimanche, mais avec un peu plus de fébrilité peut-être les résultats du premier...
R - Non, pas de fébrilité, Jean-Michel Aphatie... Comme vous, de la concentration et du travail.
Q - C'est gentil çà !Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 20 avril 2007