Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle de 2007, dans "Métro" du 12 avril 2007, notamment sur son projet de renouveau de la vie politique.

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Média : Métro

Texte intégral

Q- La rédaction de Métro : Près d'un Français sur deux n'a pas encore choisi pour qui il allait voter. C'est parce que les candidats font une mauvaise campagne ?
R- François Bayrou : Non, je crois plutôt que c'est une très bonne nouvelle. Les Français qui hésitent, ce sont ceux qui ne votent pas automatiquement. On voulait les enfermer dans un choix décidé à l'avance, mais ils récupèrent leur liberté de jugement. Ils peuvent choisir le grand changement que je leur propose - et qui est le seul qui leur soit offert ! Sinon, tout repartira comme depuis vingt-cinq ans. Seule une attitude de rassemblement pourra répondre aux problèmes cruciaux qui se posent en France, qu'il s'agisse d'économie, d'éducation ou d'environnement. Les clivages ne sont pas entre la droite et la gauche, mais entre le passé et le futur. Et ce n'est pas une utopie : l'exemple allemand en témoigne. En France, il y en a assez des affrontements qui ne donnent aucun résultat. Entre Dominique Strauss-Kahn, Bernard Kouchner, Jean-Louis Borloo, où est la différence majeure ?
Q- Métro : Jean-Marie Le Pen a dit qu'il pourrait discuter avec Nicolas Sarkozy ou avec vous. Et vous ? Où s'arrête votre volonté de rassemblement ?
R- F.B. : Aux valeurs de la République. Cela dit, tout le monde doit trouver sa place dans la représentation nationale, même les partis minoritaires. Et toutes les opinions doivent être représentées : les Verts, les altermondialistes, même l'extrême droite. C'est pourquoi je changerai la loi électorale, si je suis élu, en faisant en sorte que 50% des sièges soient pourvus à la proportionnelle.
Q- Métro : Les polémiques se multiplient à mesure que la campagne avance : sur l'insécurité, sur le poids de l'inné et de l'acquis dans les pulsions pédophiles ou suicidaires. Le Pen a même traité Sarkozy de candidat issu de l'immigration. Que pensez-vous de tout cela ?
R- F.B. : Une seule polémique me paraît très grave, car elle touche aux fondamentaux de notre société : c'est celle que Sarkozy agite en prétendant que tout est joué à la naissance, la perversité comme le suicide. C'est une vision du monde qui fait peur. Le pire, c'est qu'il le pense vraiment. Le reste, c'est de la petite polémique électorale.
Q- Métro : Les événements de la gare du Nord ont remis l'insécurité au coeur de la campagne. On ne vous a pas tellement entendu, sur le sujet ?
R- F.B. : D'abord, il faut faire le bon diagnostic : aucun pays développé ne se trouve, comme nous, face à une situation de délinquance montante. Il ne suffit pas d'être ferme : il faut aussi faire baisser les tensions. Que l'homme qui a été ministre de l'Intérieur pendant cinq ans ait tout le mal du monde à se rendre en banlieue - même à la Croix- Rousse ! - prouve bien qu'on est dans une situation d'extrême tension. On a besoin de "réparer" la France. Cela exige, de la part des dirigeants, une politique de prévention autant que de sanction. Vous savez, les gens aimaient l'Etat quand il était proche d'eux. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Dans les zones plus fragiles, l'Etat n'est plus là, alors qu'il est surabondant dans les centres-villes. Il faut retrouver un Etat proche, amical, et en même temps ferme. La tâche est immense.
Q- Métro : Certains estiment qu'un caractère instable ou arrogant est incompatible avec la fonction présidentielle. Et vous, quel caractère avez-vous ?
R- Moi, je tiens bon dans l'adversité. Et j'aime réconcilier les gens entre eux. J'ai résisté à des années de pression, et j'ai gagné mon indépendance : j'ai enfin pu exprimer ce que j'avais en moi, cette envie de travailler avec des gens de droite comme de gauche.
Q- Métro : Mais si personne ne veut gouverner avec vous, comment rassemblerez-vous ?
R- F.B. : Ils sont des dizaines de responsables de premier plan décidés à se lancer dans cette coopération si je suis élu. La question de la majorité en fait, elle se pose à Ségolène Royal et à Nicolas Sarkozy : ni l'un ni l'autre n'a d'allié fiable au-delà des 20 ou 25% de voix du premier tour.
Q- Métro : Vous voulez dire que vous êtes indispensable aux deux ?
R- F.B. : Non. Je veux dire qu'ils n'ont pas de majorité, alors que moi, je tendrai la main des deux côtés, et je formerai l'arc républicain entre la droite et la gauche. Tous les jours, je reçois des messages de personnalités de premier plan qui me disent : dès le soir du premier tour, on vous soutiendra.
Q- Métro : Alors vous gouvernerez avec des opportunistes ?
R- F.B. : Non. Ce sont seulement des hommes et des femmes qui sont navrés par la campagne de leur candidat mais qui ne veulent pas heurter l'appareil auquel ils appartiennent. Ils ont compris le sens du rassemblement que je propose, et ils sont prêts à sauter le pas.
Q- Métro : Qui préféreriez-vous affronter, si vous étiez au second tour ?
R- F.B. : Le second tour qui aurait le plus de sens m'opposerait à Nicolas Sarkozy, car nos projets de société sont tellement différents. Mais si c'est Ségolène Royal, pas de problème ! Je ne changerai pas de ligne selon le candidat que j'aurai en face de moi. Je serai le candidat du rassemblement contre celui de l'affrontement.
Q- Métro : Et si vous étiez face à Le Pen ?
R- F.B. : Cela voudrait dire que la situation est encore pire que ce que l'on croit.
Q- Métro : Et si vous n'étiez pas au second tour, en faveur de qui vous prononceriez-vous ?
R- F.B. : Cette hypothèse n'est pas dans mon esprit. Je l'emporterai, je suis dédié à cela car les Français vont choisir le changement dont ils ont besoin.
Q- Métro : Quelles seraient vos premières décisions si vous étiez élu le 6 mai ?
R- F.B. : Le 17 mai, j'entre en fonction, le 18 mai, je forme un gouvernement pluraliste. Je demanderai alors que s'ouvre une discussion avec les partenaires sociaux sur les sujets vitaux pour la grande démocratie sociale que j'appelle de mes voeux : l'exonération des charges pour les deux premiers emplois créés, la rémunération des heures supplémentaires, l'intéressement pour relancer le pouvoir d'achat, la lutte contre l'exclusion.
Q- Métro : Vous ne parlez pas de TVA sociale ?
R- F.B. : Pour la TVA sociale, il faut être prudent. Ce sont les retraités qui la paient. Pour compenser les charges sociales payées par les entreprises, il faudrait l'augmenter de 5 points. Cela ne se fait pas en claquant des doigts ! Par ailleurs, Sarkozy a dit qu'il voulait "expérimenter la TVA sociale sur certains secteurs". On créerait une TVA à 25% sur certains produits ? Lesquels ?
Q- Métro : Êtes-vous favorable à un contrat spécifique pour les jeunes ? A un contrat de travail unique ?
R- F.B. : Je ne suis pas favorable à la pointure unique pour toutes les chaussures ! J'entends les partenaires sociaux dire qu'ils ont progressé sur le terrain de la "flex-sécurité". Je leur demanderai donc leurs propositions. Je crois que la règle doit rester le CDI, avec une période d'essai plus longue. Pour diminuer la précarité, plusieurs pistes sont possibles : donner droit aux indemnités chômage même en cas de séparation amiable ; ou encore permettre le licenciement, mais en le rendant plus onéreux pour l'entreprise. Quant aux jeunes, je crois qu'il faut simplifier les innombrables contrats qui existent. Ne considérons pas les jeunes comme des salariés de seconde zone.
Q- Métro : Finalement, vous êtes à droite ou à gauche ?
R- F.B. : J'ai des valeurs sociales plus fortes que beaucoup de gens de gauche, mais je suis pour l'efficacité. Inversement, tant qu'on n'a pas réduit le déficit et la dette, il ne saurait être question de baisser les impôts. Il faut faire des choses sérieuses et responsables.Source http://www.bayrou.fr, le 12 avril 2007