Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle, à RTL le 27 avril 2007, sur l'annulation du débat télévisé prévu avec S. Royal et sur sa volonté de faire respecter les libertés fondamentales.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie.- Bonjour, F. Bayrou.
 
R.- Bonjour.
 
Q.- Le débat que vous deviez avoir sur Canal+ demain avec S. Royal a été annulé par la chaîne. Canal+ explique que les règles prévoyant l'égalité de temps de parole entre les deux finalistes du deuxième tour empêchent l'organisation de votre dialogue avec la candidate socialiste. Comment réagissez-vous à cette annulation, F. Bayrou ?
 
R.- Lorsque j'ai tenu une conférence de presse, mercredi, j'ai parlé, de la part de N. Sarkozy, d'intimidation et de menace. C'est exactement là qu'on en est. Ce débat qui avait été organisé à la demande de Canal+, nous avions décidé... J'avais été invité à un débat par S. Royal. J'ai accepté. Et j'avais dit que si N. Sarkozy m'invitait à un débat, j'accepterais aussi. Ce débat qui a suscité beaucoup d'intérêt. Je veux rappeler que S. Royal et moi, nous avons ensemble recueilli près de 45% des voix. Ce qui est une part très importante des citoyens français qui ont droit à avoir des explications démocratiques entre les candidats, à voir leurs convergences et leurs divergences, à voir leurs rapprochements et au contraire, leurs affrontements. Ce débat avait été organisé par Canal+, à la demande de la chaîne. Et puis s'y étaient joint un certain nombre d'autres télévisions et radios. Il se trouve que ce débat a été annulé en arguant ou en prétendant qu'il y avait des règles du CSA et une demande du CSA qui empêcherait la tenue du débat, ceci est absolument faux.
 
Q.- Comment le savez-vous ?
 
R.- Parce que j'ai vérifié auprès du CSA ce qu'il en était. Et parce que si jamais, il y avait eu une intervention du CSA, elle aurait été susceptible de recours devant le Conseil d'Etat en référé, c'est-à-dire d'heure à heure et que nous aurions ainsi sans aucun doute, obtenu le respect de cette liberté. Il s'agit, J.-M. Aphatie, d'une liberté fondamentale des Français et une part des enjeux de cette élection présidentielle, c'est le respect des libertés fondamentales des Français. Ici, par toute une série de réseaux que nous connaissons tous, qui rapprochent de très grandes puissances financières et de très grandes puissances médiatiques autour de N. Sarkozy, des interventions directes sont faites auprès des rédactions, sont faites auprès des chaînes de manière que l'information se trouve verrouillée. Je n'accepterai jamais que dans mon pays on verrouille l'information. On est en train de choisir le chemin d'une régression immense qui met en cause le droit élémentaire des Français à être informés. Et songez que N. Sarkozy n'est pas encore élu ! Alors, qu'en sera-t-il s'il est élu !
 
Q.- Dites-vous, ce matin, clairement sur RTL, F. Bayrou, que si Canal+ a annulé votre débat avec S. Royal, c'est à la demande de N. Sarkozy ? Je n'en ai pas la preuve, mais j'en ai la certitude. Quand vous dites, au début de votre intervention vous l'avez dit, que le goût de l'intimidation et, je cherche le ...
 
R.- ... de la menace.
 
Q.- ... et de la menace de N. Sarkozy ont pu jouer dans ce débat. C'est une intuition ?
 
R.- C'est une certitude.
 
Q.- Que vous appuyez sur quoi ?
 
R.- Sur des témoignages nombreux.
 
Q.- Des témoignages nombreux de gens qui vous ont dit que... ?
 
R.- Des témoignages nombreux.
 
Q.-...Des intimidations ou des menaces ont été adressées à la direction de Canal+ pour qu'elle annule le débat ?...
 
R.- Pas seulement à la direction de Canal+. A tous ceux qui s'intéressaient au débat et avaient l'intention de le retransmettre.
 
Q.- C'est une accusation grave, F. Bayrou ?
 
R.- C'est une accusation certaine. Je dis les choses comme elles sont. Comme vous savez, je suis quelqu'un de modéré qui a toujours défendu la liberté chez nous et ailleurs. Je l'ai défendue encore en Pologne parce que Geremek se trouve sous le coup d'une menace de lui retirer son mandat de député européen ; et ce que je défends en Pologne, je le défendrai en France. Ce que j'ai défendu contre les régimes de l'Est, je le défendrai en France. Je n'ai jamais transigé avec ce droit fondamental, cette liberté fondamentale qui est d'être informé. Ce que je dis là, J.- M. Aphatie, tout le monde le sait. Il n'y a pas dans ce studio une personne qui ignore ce que je suis en train de raconter là...
 
Q.- Ce que vous dites, F. Bayrou, c'est que les libertés sont menacées, aujourd'hui en France ?
 
R.- Je dis avec certitude qu'il y a dans l'organisation de N. Sarkozy depuis longtemps une tentative de verrouiller l'information, que ceci passe par des puissances très importantes que j'ai tout au long de la campagne électorale désignées comme étant un problème pour la France. Ce réseau qui fait que se rapprochent de très grandes puissances financières, de très grandes puissances médiatiques et la puissance politique que N. Sarkozy représente, il faut que vos auditeurs sachent que c'est un extraordinaire frein au progrès du pays. Un pays ne peut pas avancer s'il n'a pas l'information libre qui permet à chacun des citoyens de se faire une idée de son avenir. Et donc, je dis avec certitude que je ne peux pas accepter que cela se fasse. Et donc autant qu'il dépendra de moi - je vous dis aussi, contrairement à toutes les informations qui ont été avancées - ce débat aura lieu parce que deux candidats qui représentent 45% des Français, c'est un droit légitime pour les Français de savoir ce qui les sépare, quelle est leur vision de l'avenir. Puisque la confrontation n'a pas pu avoir lieu avant le premier tour, il faut qu'elle ait lieu entre les deux tours.
 
Q.- D'accord. Nous y reviendrons sur le débat. Puisque vous dites, F. Bayrou, avec une certaine force, peut-être aussi avec une certaine gravité, que le droit à l'information, la liberté à l'information pourrait se trouver menacée, est-il important pour vous, ce matin, de dire que N. Sarkozy ne doit pas devenir président de la République ?
 
R.- Je dis que je ferai tout pour qu'en France, les libertés fondamentales soient respectées.
 
Q.- Ce n'est pas ma question.
 
R.- Mais moi, c'est ma réponse.
 
Q.- Non, je suis désolé. Non, j'y reviens. Est-ce qu'il est important pour vous que N. Sarkozy ne soit pas élu président de la République ? La question est simple et elle est importante.
 
R.- Jean Michel Aphatie...
 
Q.- Est-ce qu'on peut y répondre sans s'en détourner ?
 
R.- Je ne suis pas là pour donner une intention de vote. J'ai dit que je le ferai si je dois le faire plus tard.
 
Q.- Ce n'est pas ma question.
 
R.- Eh bien, moi je vous apporte ma réponse.
 
Q.- Ce n'est pas ma question.
 
R.- Ma réponse, c'est : ne me tirez pas dans les intentions de vote parce que naturellement, il ne restera que cela. Il ne restera que cela de notre interview. Ca n'est pas mon objet. Je parle au nom de 7 millions de personnes qui ont voté pour moi.
 
Q.- Vous ne pouvez pas dire. F. Bayrou, excusez-moi. Vous ne pouvez pas dire...
 
R.- Vous allez revenir à la question ? Je veux simplement faire une phrase...
 
Q.- Vous ne pouvez pas dire que les libertés publiques sont menacées et ne pas en tirer une conséquence. Vous ne pouvez pas.
 
R.- J'en tire assez de conséquences pour être à votre micro et pour dire ceci avec gravité : il y a 7 millions de personnes qui ont choisi de voter pour moi. Ces 7 millions de personnes représentent la droite modérée pour une part, le centre pour une grande part, une partie de la gauche républicaine pour une autre part et des gens venus de l'écologie ou d'ailleurs. Ils ont tous un point commun : ils pensent que pour réformer notre pays, il faut qu'il se modernise et que pour se moderniser, il est important qu'il accepte enfin des règles démocratiques qu'il n'a jamais acceptées jusqu'à ce jour. Or, au lieu d'aller dans le sens d'une correction de la Vème république avec des règles démocratiques mieux respectées, N. Sarkozy dans sa pratique de tous les jours que nous avons sous les yeux à l'occasion du débat, il va au contraire dans le sens d'un manque aggravé de respect de ces règles. C'est la raison pour laquelle, j'ai dit l'autre jour qu'en effet, il représentait pour moi un risque pour la France, j'ai dit le risque de N. Sarkozy, c'est : il ne respecte pas l'équilibre des pouvoirs et il risque de briser la société française ; et le risque de S. Royal, c'est son programme économique et sa vision de l'Etat.
 
Q.- Les deux ne sont pas équivalents, F. Bayrou, vous en conviendrez, tels que vous les exposez. Ce n'est pas équivalent...
 
R.- Eh bien, je dis avec certitude que nous avons sous les yeux, là - là, aujourd'hui - la preuve que cette propension ou ce choix de N. Sarkozy de verrouiller l'information et le débat, est nuisible pour la France. Je ne laisserai pas faire ce genre de choses.
 
Q.- Vous convenez que les deux risques que vous exposez, vous ne les présentez pas de manière équivalente, vous en convenez ?
 
R.- Non, je dis que l'un est un risque d'urgence sur la vie de notre pays ; l'autre est un risque de moyen terme avec des choix économiques qui ne sont pas justes. Et je l'ai dit depuis le début.
 
Q.- Plusieurs des députés UDF qui vous soutiennent, qui vous ont soutenu pendant l'aventure présidentielle, appellent malgré tout, malgré ce que vous dites, à voter pour N. Sarkozy ?
 
R.- Oui, parce qu'ils croient, ces députés, que nous sommes revenus dans l'ancien schéma Droite-Gauche. Et moi, je vous dis qu'il ne s'agit pas du schéma Droite- Gauche. Il s'agit de quelque chose de plus important : quelle idée nous faisons-nous de la démocratie en France ? Et moi, ce point que nous avons sous les yeux aujourd'hui, il mérite que nous nous arrêtions une seconde, en disant : nous n'allons pas laisser faire ça. La France, ce n'est pas un pays dans lequel, qui que ce soit, fût-il candidat avec de puissants amis à la présidence de la République, peut verrouiller l'information et empêcher la démocratie de se déployer.
 
Q.- F. Bayrou était l'invité de RTL, ce matin. Bonne journée.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 27 avril 2007.