Interview de Mme Ségolène Royal, députée PS et candidate à l'élection présidentielle de 2007, sur "France 2" le 30 avril 2007, sur son appel aux électeurs du centre, les apports de "Mai 1968" et l'action syndicale.

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R. Sicard.- L'écart dans les sondages s'est resserré, mais N. Sarkozy reste en tête. Est-ce que, malgré cela, vous pensez que dimanche vous serez élue présidente de la République ?

R.- Eh bien écoutez, c'est l'objectif, en tout cas, de cette campagne. Il reste quelques jours pour convaincre et je m'y emploie.

Q.- Alors, de quelle manière, justement, vous comptez convaincre les électeurs ?

R.- En leur ouvrant les yeux sur le choix de société qu'ils vont avoir à accomplir et sur ce que va devenir la France pendant les 5 ans qui viennent ; et de ce point de vue, le discours d'hier de N. Sarkozy, à Bercy, est en effet tout le contraire de ce que je propose. Il y a, dans ses propos, une forme de brutalité, une forme de violence...

Q.- Alors, N. Sarkozy, lui, dit que c'est lui la victime de la brutalité, qu'il y a de la haine contre lui.

R.- Oui. Oui. Est-ce que c'est crédible ? Je ne crois pas et je crois qu'hier on a encore assisté à un discours d'une grande violence, d'une grande brutalité, et je crois que ce n'est pas de cela dont la France a besoin aujourd'hui, la France a besoin d'être réconciliée, d'être apaisée. Les Français ont besoin de se rassembler, pour pouvoir se relever, parce que la France est aujourd'hui entre de mauvaises mains, on le sait : la situation économique est difficile, l'emploi est dégradé, la précarité s'est creusée, et aujourd'hui, à la veille du 1er mai, à la veille de la Fête du travail, mon combat principal c'est le combat pour le plein emploi et c'est le coeur du pacte présidentiel que je propose aux Français.

Q.- On va revenir au premier, mais je voudrais d'abord revenir sur le discours d'hier de N. Sarkozy, dont vous parliez. Il a proposé d'introduire une dose de proportionnelle. Est-ce que vous considérez que c'est un pas en avant fait vers les centristes ?

R.- Il a surtout, une nouvelle fois, changé d'avis, à quelques jours d'intervalle. Il y a quelques jours, il n'en était pas question, aujourd'hui je crois qu'il cherche à capter surtout les voix du Front national, et c'est une perche tendue vers le Front national.

Q.- Est-ce que l'élection ne doit pas quand même se jouer au centre ? On vous a vu dialoguer avec F. Bayrou, est-ce que c'est les électeurs du centre qui vont faire la différence ?

R.- Mais, ce qui m'importe, moi, c'est de trouver les solutions qui vont permettre à la France de répondre aux problèmes d'urgence qu'elle a à régler, en particulier la question du chômage, de la vie chère, je l'ai dit à l'instant, de la précarité, du recul des services publics, et c'est aussi de préparer la France aux défis du futur, en particulier de réinvestir dans l'éducation, dans la formation professionnelle et dans la recherche, et pour cela, il va falloir rassembler toutes les bonnes idées. Lorsque dans un pays, il y a une confrontation, un affrontement bloc contre bloc, on sait que ça ne peut pas marcher, et j'ai entendu le message du premier tour de l'élection présidentielle et ma responsabilité, mon initiative politique, a été justement d'ouvrir, de tendre la main, d'ouvrir ce rassemblement, cet élargissement, pour que demain, la France puisse choisir les meilleures solutions qui conviennent aux problèmes qui se posent aujourd'hui.

Q.- Alors, ça, c'est la main tendue au centre. Avant le premier tour, vous disiez que F. Bayrou était plutôt un homme de droite, N. Sarkozy, lui, disait qu'il était passé à gauche. Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui pour que tout le monde veuille dialoguer avec lui ?

R.- Mais vous savez, on est au-delà, maintenant, de cette question, ce sont les électeurs, maintenant, qui regardent ce qui se passe. Et comme je le disais à l'instant, je crois que toutes celles et ceux qui pensent que la France peut se réformer sans être brutalisée, lorsque j'entends N. Sarkozy dire par exemple qu'il faut liquider « mai 68 », je pense que c'est un vocabulaire très violent, et lui qui découvre, en fin de campagne, les ouvriers avec les caméras, il devrait se souvenir que mai 68, c'est aussi 11 millions de grévistes qui ont obtenu les Accords de Grenelle, qui ont obtenu la section syndicale d'entreprise, qui ont obtenu la revalorisation de leurs salaires et en revalorisant les bas salaires, la France a été débloquée et la croissance a repris. Mai 68 c'est aussi le droit des femmes à accéder à la contraception, mai 68 c'est un vent de liberté contre une société qui était totalement verrouillée. Alors, bien sûr, il y a eu quelques excès, comme dans toutes les périodes tourmentées, mais on en est loin aujourd'hui. L'autorité...

Q.- Vous êtes une héritière, vous, de mai 68 ? Il y a D. Cohn-Bendit qui vous soutient.

R.- J'avais 13 ans en mai 68, donc moi je ne regarde pas vers ce passé lointain. Depuis, les choses ont été recadrées. J'ai été celle qui a fait un loi sur l'autorité parentale, donc tous les excès qui ont pu avoir lieu en mai 68 ont été aussi des formidables avancées par rapport aux conquêtes de liberté, d'autonomie, d'égalité hommes/femmes, de droit syndical, je le redisais à l'instant. Et en même temps, aujourd'hui, les choses ont été recadrées. En tout cas en ce qui me concerne, vous le savez, je défends la question de l'ordre juste, parce que, sans justice, l'ordre, on sait ce que ça devient : ça devient le pouvoir des puissants sur les plus faibles.

Q.- Vous parliez des syndicats, justement, demain, c'est le 1er mai, c'est les grands défilés syndicaux. Est-ce que vous attendez quelque chose de particulier de ces défilés, pour votre campagne ?

R.- Mais c'est pour la France qu'il est important que les organisations syndicales se fassent entendre régulièrement, et la façon, aussi, hier, dont N. Sarkozy a parlé des syndicats, est brutale et violente et injuste. Une société a besoin d'organisations syndicales et la France, aujourd'hui, est dans un système très archaïque, et dans le pacte présidentiel que je propose, je veux l'émergence d'un syndicalisme de masse, qui va permettre des compromis sociaux. Lorsque vous voyez qu'en France il n'y a que 8 % de salariés qui adhèrent aux organisations syndicales parce qu'ils ont peur - c'est ce que déclarent les salariés lorsqu'on les interroge sur les raisons pour lesquelles ils n'adhèrent pas à une organisation syndicale - alors que dans les pays du nord de l'Europe il y a 80 % de salariés syndiqués, ce qui permet un dialogue social dans l'entreprise, des compromis sociaux, des intelligences collectives...

Q.- C'est ça qui manque en France, selon vous ?

R.- Oui, je pense que la France souffre d'un archaïsme des relations sociales. La droite, pendant 5 ans, n'a rien fait, et moi je propose le chèque syndical, le crédit d'impôt, l'encouragement à l'adhésion d'une organisation syndicale, et en contrepartie, en effet, des syndicats qui vont accepter, parce qu'ils seront informés, en amont, des difficultés de l'entreprise, qu'ils vont accepter de nouer des compromis sociaux. J'ai rencontré les responsables des organisations syndicales, tous les responsables, et la conférence nationale sur la croissance et les salaires, que je réunirai dès mon élection, si les Français me font confiance, va permettre de changer le paysage des relations sociales dans l'entreprise, de les moderniser et de concilier la performance économique et le progrès social. Je crois que c'est ça un pays moderne.

Q.- Mercredi, il y a le grand débat avec N. Sarkozy. Ça sera décisif ?

R.- C'est un moment, en effet, très important, je crois, parce que c'est une...

Q.- Qu'est-ce que vous en attendez ?

R.- J'en attends une clarification du choix qu'il y aura à faire. J'entends aussi que N. Sarkozy accepte d'être mis devant ses responsabilités, en ce qui concerne son bilan gouvernemental, parce que la morale politique consiste aussi à rendre des comptes et je crois que ce moment là va lui permettre à la fois de rendre des comptes sur ce qu'il a fait, et de comparer les choix de société, les références de valeurs, entre lesquels les Français vont devoir choisir. Entre les deux, j'aurai mon grand rassemblement au Stade Charlety, le 1er mai...

Q.- Alors, voilà, hier il y avait le grand meeting de N. Sarkozy à Bercy, il y avait 40 000 personnes selon l'UMP, il y avait beaucoup de vedettes. Vous, c'est demain au Stade Charlety. Vous attendez autant de monde ?

R.- Je crois qu'il y avait... Bercy contient entre 15 et 20 000 places, donc je crois que c'est ce qu'il y avait, mais peu importe le nombre de présents... Ce qui est important dans l'évènement de Charlety, c'est que ce sont les artistes qui se sont mobilisés d'eux-mêmes et qui lancent ce grand concert de la fraternité, avec Yannick Noah, Renaud, Bénabar, Cali, Georges Moustaki, c'est-à-dire toutes les générations d'artistes et surtout tous ces artistes qui se sont aussi engagés dans des causes humanitaires et qui veulent une France où les Français ne se confrontent pas les uns contre les autres, mais où les Français apprennent, réapprennent, à vivre ensemble.


Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 30 avril 2007.