Interview de Mme Ségolène Royal, députée PS et candidate à l'élection présidentielle de 2007, sur "France Inter" le 3 mai 2007, sur son sentiment sur le débat télévisé face à Nicolas Sarkozy le 2 mai et son souhait d'être au dessus des partis pour s'adresser à tous les Français pour le deuxième tour de l'élection présidentielle.

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Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand.- Alors voilà, le face-à-face avec N. Sarkozy a eu lieu hier soir, quelle impression en gardez-vous, de ce débat, ce matin ?

R.- Une bonne impression, je pense que c'est toujours important de débattre. C'est un moment éminent de l'histoire de cette campagne pour l'élection présidentielle. C'est un moment fort, un moment démocratique, crucial, qui je pense, a permis aux Français de se faire une idée plus précise à la fois du tempérament des candidats et aussi du fond des sujets, même si bien évidemment en deux heures, nous ne pouvons pas épuiser tous ces sujets.

Q.- Alors en parlant du tempérament, je pense que les Français vous ont découverte avec un nouveau visage. Très offensive, hier soir ?

R.- Mais je porte les valeurs auxquelles je crois, très profondément, elles sont en moi et je n'ai aucune raison de les minimiser, surtout dans une confrontation comme celle-ci, où les Français vont avoir le choix entre deux types de sociétés. Celle que je propose qui consiste à réformer sans brutaliser, à cesser d'opposer les Français, les uns contre les autres. A penser que les valeurs humaines doivent toujours l'emporter sur les valeurs financières, à imaginer la France de demain, en particulier en lui donnant la possibilité de déployer tous ses talents, en particulier pour créer des entreprises et pour débloquer la machine économique. Et donc je crois que cette confrontation au sens de débat, était bien vue, hier, elle était claire.

Q.- Très offensive, trop offensive ?

R.- Je crois que l'on n'est jamais trop offensif, lorsqu'il s'agit de défendre des convictions, des valeurs et puis ensuite je pense que la personne qui incarnera demain, la France et qui exercera les plus hautes responsabilités, doit faire preuve de grande fermeté sur la question des fondamentaux, parce que c'est la preuve aussi que demain, je serai en capacité de défendre très fermement les intérêts de la France.

Q.- N. Sarkozy dit ce matin, qu'il a été un peu étonné par une certaine agressivité qu'il a senti chez vous, en tout cas c'est comme ça dit-il, qu'il a ressenti les choses. Comment prenez-vous ce constat sur le débat ?

R.- C'est un peu un leitmotiv chez lui, déjà il a refusé tous les débats avant le premier tour. Et c'est dommage, ce qui nous différencie, c'est que je pense moi, j'aime beaucoup les débats, je crois qu'il faut aller jusqu'au bout de ses convictions. Quand on entre dans la politique et en particulier à ce niveau, il faut accepter d'aller jusqu'au bout, des débats d'idées et ne pas toujours se mettre en posture de victime. Si un responsable politique se met en posture de victime, comment demain pourrait-il défendre les intérêts de la France, dès lors qu'il aurait en face de lui, des gens un peu structurés, un peu résistants, un peu offensifs, donc je crois qu'être offensif et garder intact au coeur, la capacité d'une révolte, d'une insoumission, d'une colère saine, face à des injustices ou face à une forme d'immoralité politique qui consiste à dire le contraire de ce que l'on fait, je pense que c'est le signe, au contraire, d'une structuration extrêmement solide.

Q.- Les deux projets sont désormais sur la table, sur la table également, l'arithmétique de la gauche après le premier tour de l'élection présidentielle. Elle est faible, elle est d'une faiblesse historique, pouvez-vous inverser la donne ?

R.- Je crois que l'élection présidentielle, c'est un contact direct entre une personnalité et le peuple français. Je suis maintenant au-dessus des partis politiques, donc je veux m'adresser à chacun et à chacune pour qu'il choisisse maintenant en toute connaissance de cause, l'avenir de la France, qu'il souhaite ou qu'elle souhaite, comme je l'ai dit tout à l'heure. Et aujourd'hui je dépasse les clivages politiques, je veux rassembler à la fois toute la gauche, mais je m'adresse aussi aux électeurs du centre, parce que je veux demain, en tout état de cause, travailler avec eux.

Q.- Vous pensez qu'ils auront été sensibles à vos arguments, hier soir, les électeurs du centre, qui sont l'une des clés de ce deuxième tour ?

R.- Je les rejoins sur un certain nombre de thématiques, en particulier la question de la lutte contre la dette, puisque j'ai repris une des propositions de F. Bayrou, qui consiste à dire et je crois qu'il a raison sur ce point, que toute la marge de manoeuvre de la croissance qui dépassera les 2,5 % sera entièrement consacré au remboursement de la dette. Donc il y a une responsabilité aussi, quant aux propositions concernant les différentes mesures fiscales, alors que de l'autre côté le candidat, N. Sarkozy s'engage dans des allègements fiscaux qui n'ont pas de sens, quand il dit qu'il va baisser de quatre points les prélèvements obligatoires, ce que n'a même pas fait M. Thatcher en saignant à blanc, les services publics. Je crois que ce n'est pas sérieux. Lorsqu'il propose le bouclier fiscal, coût : 5 milliards d'euros, pour les plus grosses fortunes. Donc tout cela, je crois, ce sont des promesses électorales, qui ne tiennent pas la route.

Q.- Et on va pouvoir y revenir dans "Inter-Activ" parce qu'il y a d'ores et déjà beaucoup de questions sur ces points très précis de vos deux programmes. Autre chiffre que je souhaitais vous soumettre, 103 sondages, c'est le CEVIPOF qui a compté, donnent N. Sarkozy gagnant, cette statistique vous inspire quoi ?

R.- Elle m'inspire de lancer un appel à la liberté des électeurs. Ce ne sont pas les sondages qui font les élections.

Q.- A 103, ça dessine peut-être une tendance.

R.- Oui, je sais, j'ai vu ça, écoutez, on verra ce qui se passera et moi, je continue de me battre jusqu'au bout. Je suis aujourd'hui à Lille, je suis demain en Bretagne, jusqu'au bout je vais faire campagne pour convaincre les électeurs qui ont le choix entre l'audace, l'avenir, une France neuve qui se relève, ou alors reconduire l'équipe sortante avec les résultats que l'on sait. Je crois que la France a besoin aujourd'hui d'une alternance, d'une vraie, elle a besoin d'un souffle démocratique, elle a besoin d'un Etat impartial, qui ne soit pas entre les mains d'un seul parti. Et c'est ce que je propose parce que j'ai fait aussi cet effort d'élargissement, de rassemblement, je crois que les Français sont fatigués de l'affrontement bloc contre bloc. Lorsque 50 % des Français s'opposent à 50 % des autres, c'est la France qui perd. Et moi, je veux dépasser ces clivages, prendre les bonnes idées là où elles sont y compris dans le camp qui n'est pas le mien, parce que je crois que c'est comme ça que la France deviendra imaginative et créative.

Q.- Alors deux hypothèses, pour dimanche soir, soit N. Sarkozy gagne, soit vous gagnez. Jusque-là, je pense qu'on est d'accord. Si vous gagnez, on sait quelle politique vous entendez mettre en oeuvre, vous l'avez décrite hier soir. Si vous perdez que faites-vous ?

R.- Mais pour l'instant je ne me place pas dans cette perspective. Et je me bats pour gagner.

Q.- Donc vous ne pensez pas à l'avenir, à l'après coup éventuellement ?

R.- Non.

Q.- C'est une hypothèse qui vous semble fermée ?

R.- Vous savez, moi, je fonctionne de façon très simple, je franchis les étapes les unes derrière les autres en m'y consacrant totalement, je crois que c'est cela, qu'attendent de moi, les millions de personnes qui espèrent, qui espèrent très, très profondément que la France va changer.

Q.- Mais en tout état de cause, vous continuez à faire de la politique, à échelle locale ?

R.- Je viens de vous répondre, je n'ai rien à ajouter. Je suis totalement tendue vers cet objectif. Et j'espère le réussir.

Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 3 mai 2007