Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, dans "Le Monde" du 10 mai 2007, sur le dialogue social, la représentativité syndicale et la sécurité sociale professionnelle.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Q - Selon le directeur de campagne de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, les syndicats, « qui ne représentent que 8 % des salariés », ne pourront pas « aller contre l'avis du peuple français ». Qu'en dites-vous ?
R - Nicolas Sarkozy est Président de la République, c'est un fait incontestable. Et je comprends qu'au lendemain de l'élection, ceux qui se trouvent aux postes de responsabilité déclarent qu'ils incarnent une légitimité exclusive pour décider. Mais une élection présidentielle ne résout pas tout. Jacques Chirac a été élu avec 52 % des voix en mai 1995, cela n'a pas empêché un conflit long, fin 1995. Jean-Pierre Raffarin était un Premier Ministre légitime, et il a été confronté à un conflit important sur la réforme des retraites en 2003. Dominique de Villepin a aussi pu considérer que le taux de syndicalisation n'était «que de 8 %», cela n'a pas empêché, en 2006, un conflit lourd sur le Contrat Première Embauche.
Q - Vous préparez-vous au conflit ?
R - L'exigence de démocratie sociale ne vise pas à s'opposer à la légitimité politique. Mais si nos interlocuteurs considèrent que le rôle des syndicats ne consiste qu'à accompagner toutes les décisions prises par le pouvoir, cela signifie qu'ils ne reconnaissent pas notre indépendance. Nous ne sommes ni une force d'opposition a priori, ni une force d'accompagnement a priori.
Q - Craignez-vous que le gouvernement ne cherche à diviser le front syndical, comme il l'a fait en s'appuyant sur la Cfdt sur les retraites ?
R - Je souhaite bien du plaisir au futur gouvernement si son seul souci consiste à trouver quels syndicats l'aideront à faire avaler les pilules amères des mois à venir. La situation sociale s'est dégradée depuis 2003 et je pense qu'aucune confédération, aujourd'hui, n'est prête à accepter n'importe quoi.
Q - Vous vous rendrez néanmoins aux invitations et aux conférences du nouveau gouvernement ?
R - Oui, mais nous le ferons sur la base de nos exigences. Nos attentes ne changent pas sous prétexte qu'il y a un nouveau Président.
Q - M. Sarkozy peut cependant se sentir légitime sur ses propositions sociales.
R - M. Sarkozy est élu. De là à considérer qu'il y a un accord général sur son programme et qu'il a la légitimité pour tout faire, je ne le crois pas. D'autant, que dans l'électorat qui dit « adhérer au programme », les motivations sont très diverses. L'omniprésence des questions sociales dans cette campagne électorale a confirmé ce que nous disons depuis longtemps : la première insécurité est l'insécurité sociale. Et tous les candidats se sont engagés. Un certain nombre d'électeurs vont constater, rapidement peut-être, l'écart entre ce qu'ils ont cru entendre et ce qui sera réellement mis en oeuvre.
Q - Vous pensez au slogan « travailler plus pour gagner plus » ?
R - Le « travailler plus » pourrait répondre aux attentes des chômeurs, des salariés à temps partiel et n'est pas contradictoire avec notre revendication de sauvegarde de l'emploi. Mais les salariés constateront vite qu'ils ne feront pas d'heures supplémentaires sur la base du volontariat comme annoncé. Ils vont être déçus. Cette proposition permet aussi de contourner les revendications d'augmentation de salaire.
Q - Le président a beaucoup évoqué la flexbilité du travail et la sécurité sociale professionnelle.
R - Nous ne croyons pas au concept de «flexsécurité» scandinave. Le droit du travail n'est pas pour nous un frein à l'embauche. Les salariés ont besoin de plus de sécurité dans une économie changeante. M. Sarkozy reprend le souhait du Medef d'assouplissement des conditions du licenciement.
Q - La Cgt négociera-t-elle sur le service minimum et le droit de grève ?
R - Ce n'est pas au niveau interprofessionnel qu'il faut traiter ces questions. Les conflits et les journées de grève sont plus nombreux dans le privé que dans le public et les transports. La proposition de service minimum de M. Sarkozy relève plus du symbolique que d'un besoin objectif. Le candidat n'avait apparemment pas lu le rapport commandé sur cette question par M. Raffarin. Il expliquait qu'il est techniquement impossible de faire fonctionner un réseau de chemin de fer trois heures le matin et trois heures le soir, sans que l'ensemble du personnel ne travaille toute la journée. Sur ces sujets, nous attendons donc de voir ce que propose le gouvernement mais en tout état de cause nous avons déjà exprimé notre attachement au droit de grève pour tous les salariés.
Propos recueillis par Rémi Barroux et Claire Guélaud source http://www.cgt.fr, le 14 mai 2007