Entretien de M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec BFM le 24 mai 2007, sur le traité européen simplifié, la question de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, la zone euro et sur la situation au Liban.

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Média : BFM

Texte intégral

Q - Hier vous étiez aux côtés de Nicolas Sarkozy à Bruxelles. Vous allez nous dire si vous êtes optimiste sur ce qui s'est passé hier. Peut-on parler d'avancée sur le traité simplifié ? Y a-t-il un changement, ou pas, de la politique de Nicolas Sarkozy vis-à-vis de l'adhésion de la Turquie ? Vous nous direz tout cela pendant ces 25 minutes et la première question, c'est Ruth Elkrief qui vous la pose.
Merci. Jean-Pierre Jouyet, c'est très gentil d'être là puisque vous étiez au coeur de l'action hier soir à Bruxelles, et dès ce midi donc sur BFM TV. Ce traité simplifié, présenté, proposé, "vendu" par Nicolas Sarkozy pendant sa campagne, apparemment Jose Manuel Barroso et le président Sarkozy ont dit : "Il y a un consensus, cela progresse". Est-ce que ce n'est pas trop optimiste ? Parce qu'il y a tout de même d'autres pays que la France.
R - Il y a d'autres pays que la France, c'est vrai, vous avez raison. Il est vrai aussi qu'il est important, et cela a été manifeste, d'avoir un bon accueil de la Commission européenne qui est la gardienne des traités, qui a un rôle de facilitateur et de coordonnateur extrêmement important. Le fait que le président Barroso ait souligné que le traité simplifié était la bonne méthode et était la bonne solution à ce moment là de la construction européenne pour sortir de l'impasse, est un élément extrêmement positif.
Q - Les Allemands sont d'accord, à votre avis ? La difficulté c'est Angela Merkel, tout de même. Obstacle de taille !
R - Non. Nous souhaitons aider la Présidence allemande à réussir le Conseil européen des 21-22 juin. Sur ce plan là, il est important de noter que les Allemands sont également ouverts et souhaitent sortir de cette impasse institutionnelle. La rencontre entre le président de la République et Angela Merkel s'est bien passée. Ils ont bien compris également que la France étant de retour sur la scène européenne, il y avait là une carte à jouer pour pouvoir avancer sur le plan institutionnel. Je pense que nous travaillons véritablement très étroitement avec la Présidence allemande et que nous la soutenons dans ses efforts pour que le Conseil européen soit un succès.
Q - Concrètement, ce traité simplifié contiendra quels types de mesures ? Il prévoit des mesures seulement institutionnelles, ou il y aura aussi des politiques communes ? Est-ce qu'il y aura aussi une évocation des droits fondamentaux puisque l'on sait que les syndicats européens, par exemple, y sont très attachés ?
R - Tout cela fait l'objet d'un dialogue à l'heure actuelle. Nous verrons quelles sont les propositions qui seront faites par la Présidence allemande. Pour le président de la République, et il l'a dit très clairement, l'important est que nous disposions d'institutions efficaces. Donc, ce qui est pour nous extrêmement important, c'est tout ce qui aura trait à la présidence du Conseil - que l'on ait une présidence stable - et toutes les règles qui sont relatives à la majorité qualifiée pour que nous puissions avancer sur un certain nombre d'enjeux, tels que l'immigration.
Q - Sur la fiscalité ? Parce que l'on sait justement que dans la constitution européenne, telle qu'elle avait été définie par Valérie Giscard d'Estaing, la majorité qualifiée n'était pas maintenue pour la fiscalité. Au contraire il fallait une majorité complète.
R - Ce qui est important, c'est de faire en sorte que les pays qui veulent aller de l'avant - et c'est l'état d'esprit qui nous anime sur le plan institutionnel -, puissent le faire dans le domaine où ils le veulent. C'est cela qui est important. Pour le reste, qu'il y ait l'unanimité lorsque les intérêts fondamentaux d'un pays sont en cause, au sens du compromis de Luxembourg, c'est une autre chose. Mais quand vous voulez avancer, et c'est un des aspects important également des propositions que nous faisons, il faut avoir la possibilité de faire des coopérations renforcées. Il faut voir dans quels domaines avec nos partenaires. Il n'y a pas que la France, évidemment.
Q - Oui, et par exemple Romano Prodi est assez inquiet. Parce qu'il y a 18 pays qui l'ont ratifié et qui veulent que ce traité demeure en l'état et ceux-là se disent "nous allons nous mettre ensemble et nous allons continuer à avancer tout seul".
R - Oui, mais enfin tout le monde a pris ses responsabilités. Le président de la République au premier chef. Il a mené une campagne électorale qui était très claire sur le plan européen, il a pris ses risques, et il a indiqué que ce serait ratifié sur le plan parlementaire. Nous l'avons dit également à nos partenaires. C'est une possibilité très rapide que nous avons de mettre fin à cette impasse institutionnelle. Le président Romano Prodi, qui a été président de la Commission européenne, sait bien également qu'il faut faire preuve de réalisme. Il faut être réaliste. Il faut faire avancer l'Europe.
Q - Jean-Pierre Jouyet, par rapport au Traité de Nice : est-ce que dans ce traité simplifié nous allons revenir sur quelques points fondamentaux ? Par exemple le nombre de commissaires.
R - Sur la composition de la Commission, sur ce qui est un meilleur fonctionnement de la Commission, nous sommes ouverts. Nous voulons des institutions qui soient efficaces. Et nous voulons une Europe qui fonctionne.
Q - Aujourd'hui ce n'est pas efficace, nous sommes d'accord.
R - Aujourd'hui nous sommes dans une panne. Et il est vrai que nous attendions des offres de la France. Le président Nicolas Sarkozy - et vous avez vu la qualité de l'accueil dont il a bénéficié hier à Bruxelles -, a véritablement fait preuve d'un caractère offensif, d'imagination. Il a des idées, et donc tout cela est sur la table.
Q - C'est le style Sarkozy en Europe. En même temps, est-ce qu'il n'a pas "mangé son chapeau", ou en tout cas reculé, concrètement, par rapport à ses promesses électorales sur la Turquie ? On a eu le sentiment qu'il y a eu comme un échange : on avance sur le traité et on se calme sur la Turquie.
R - Non. Les choses sont extrêmement simples. Le président Nicolas Sarkozy a indiqué que notre priorité était celle du traité simplifié. Nous voulons remettre l'Europe en marche et sur les rails de manière efficace. Après, il y a un débat, et comme le président de la République l'a indiqué, ses convictions sur la Turquie restent les mêmes : la Turquie n'a pas vocation à adhérer à l'Union européenne mais c'est un débat qui ne se pose pas maintenant.
Q - Mais cela, ce n'est pas un recul selon vous ?
R - Mais il n'y a pas de recul, cela reste un débat. Il a dit que c'était un débat incontournable. C'est un débat que nous devrons avoir au moment où il se posera.
Q - Nous vous posons cette question parce que nous avons vu, pendant la campagne, auprès de Nicolas Sarkozy, des gens qui étaient plutôt des souverainistes, des gens qui ont voté contre Maastricht, des gens qui ont voté contre le traité constitutionnel, on pense par exemple à Henri Guaino, qui est l'un des principaux conseillers de Nicolas Sarkozy, et vous et Bernard Kouchner, qui êtes les acteurs de cette politique étrangère et européenne et qui êtes plutôt proches. On se demande un peu si cela va marcher longtemps. Si cela peut marcher ?
R - Il ne vous a pas échappé que le peuple français s'était prononcé contre le traité constitutionnel, qu'il y avait eu un "non" à la Constitution, et que ce même peuple français, à une majorité à peu près comparable, avait élu Nicolas Sarkozy. Que Nicolas Sarkozy dans sa campagne, et comme président de la République, avait tiré les leçons de ce référendum. Nous devons travailler ensemble pour faire comprendre que l'Europe doit avancer et que, d'un autre côté, l'Europe doit savoir se protéger et également protéger ses citoyens dans le cadre d'une mondialisation qui est un phénomène inéluctable. L'important est d'avoir des institutions efficaces pour que l'Europe puisse protéger ses citoyens dans le cadre de la mondialisation. C'est autour de cela que nous nous rassemblons. Qu'il y ait des sensibilités diverses n'est un mystère pour personne.
Q - Sur le traité simplifié. Vous restez assez flou sur les contours, parce que cela veut dire que tout est mis sur la table, mais en même temps il faut absolument arriver - c'est un peu la méthode Sarkozy là aussi -, à un accord sur le traité simplifié. Donc, à la limite, vous êtes prêts, vous, la France, à céder sur certains points pour pouvoir arriver à un succès ?
R - Non. Il y a quelque chose qui est extrêmement clair : un traité simplifié institutionnel n'est pas un traité constitutionnel. Institutionnel ne signifie pas constitutionnel. Notre priorité est de travailler sur des institutions, sur des institutions efficaces. Nous verrons ensuite, par rapport à Nice, ce qui sera demandé dans certains domaines par un certain nombre de nos partenaires. Comme je vous l'ai dit, nous souhaitons aider la Présidence allemande. Nous y allons dans un esprit tout à fait constructif. Nous croyons que nous avons une méthode qui peut effectivement rassembler largement. Il y a eu également des échanges entre le président de la République et le Premier ministre belge, hier, à cet égard.
Q - Justement, nous attendons une initiative dans la gouvernance économique. Elle pourrait aller dans quel sens ? Parce que cela va très loin. Un gouvernement de la zone euro, cela veut dire adapter son budget, faire son budget en France un peu à la même aune que celle des autres pays européens ?
R - Le président Sarkozy a tout à fait bien posé le problème qui est celui de la coordination politique dans le cadre de la zone euro. Ce qu'il faut, c'est qu'il y ait effectivement des institutions aussi dans la zone euro qui fonctionnent de manière efficace, et qu'il y ait un dialogue tout à fait normal entre les ministres et les représentants des gouvernements dans la zone euro et la banque centrale européenne.
Q - Cela ne fonctionne pas aujourd'hui.
R - Objectivement, cela ne fonctionne pas bien. Il faut, de ce point de vue, un dialogue qui soit équilibré. Ce n'est pas parce que vous posez des questions à la Banque centrale que vous mettez en cause son indépendance. La France, par la voix de son président de la République, a été extrêmement claire : nous ne remettons pas en cause l'indépendance de la Banque centrale et nous ne remettons pas en cause les traités.
Q - Dialogue équilibré, cela veut dire quoi concrètement ?
R - Sur la zone euro, cela veut dire que ce n'est pas parce que vous posez des questions sur les taux d'intérêt ou sur la politique monétaire que cela est parfaitement impoli.
Q - Nicolas Sarkozy aime bien poser les questions, mais il aime bien les réponses.
R - Oui, mais justement, il doit y avoir un échange. Vous avez un certain nombre de propositions qui ont été faites par le président du Conseil des ministres de la zone euro, qui est Jean-Claude Juncker. Comme vous le savez, c'est un homme de très grande expérience, un Européen convaincu, qui a vraiment toutes les qualités pour cela et qui a fait un certain nombre de propositions pour améliorer le fonctionnement de l'Eurogroupe et de la zone euro. En son temps, Nicolas Sarkozy avait fait un mémorandum pour améliorer le fonctionnement de la zone euro. Nous souhaitons aller au-delà de ce qui se fait dans le domaine budgétaire, avoir des discussions au sein de la zone euro sur des enjeux qui sont très importants sur le plan économique, que ce soit l'industrie, que ce soit la politique de recherche, que ce soit les politiques économiques, et avoir, dans ce cadre là, au service de la croissance et de l'emploi, un dialogue avec la Banque centrale européenne.
Q - Juste encore un point : Eric Woerth, le ministre du Budget, a dit sur BFM qu'il fallait peut-être marquer une pause dans la réduction des déficits. Vous qui avez été à Bercy pendant très longtemps, vous êtes un peu inquiet sur cette inflexion de la politique et du contrôle des finances publiques ?
R - Non. Il ne vous échappe pas que du côté budgétaire, et sur le plan des finances publiques, vous avez une colonne dépense et une colonne recette. Ce qui est important, c'est de faire en sorte que le budget soit un outil de redynamisation économique.
Q - Et sur la dette ? Ce n'est plus l'objectif ? Alors qu'il fallait absolument baisser la dette ? Ca reste l'objectif, on sera dans les clous ?
R - Reste le désendettement, mais nous allons être dans les clous, je n'ai pas de doute là-dessus. Simplement nous avons aussi des marges de manoeuvre, et nos partenaires comprennent bien - et le président Jose Manuel Barroso l'a aussi très clairement indiqué au président Sarkozy -, qu'il convient de faire en sorte que la France puisse avancer, retrouve son dynamisme économique. Le plus important est que nous retrouvions ce point de croissance perdu.
Q - Qui ira à Bruxelles ? Jean-Louis Borloo ou Eric Woerth ?
R - En tout cas, moi, j'y serai, et un certain nombre de jours par semaine !
Q - Cela va changer beaucoup de choses ?
R - Cela change, et surtout c'est un symbole - en tout cas au-delà de ma modeste personne -. C'est un symbole du fait que la France sera plus présente à Bruxelles au niveau politique. Ce que je constate déjà, c'est que les différents ministres sont très assidus aux conseils, et pour le secrétaire d'Etat en charge des Affaires européennes, c'est un point extrêmement positif.
Q - L'image de la semaine c'est Bernard Kouchner, ministres des Affaires étrangères et européennes qui était hier à Bruxelles avec vous et qui est parti au Liban. Vous-même, Jean-Pierre Jouyet, vous avez participé, à la demande de Jacques Chirac, à la conférence - c'est vous qui l'avez préparée - internationale sur le Liban, pour la reconstruction du Liban. Lorsque vous voyez aujourd'hui, quelques mois plus tard, dans quelle situation se trouve de nouveau le Liban, est-ce que vous pensez qu'il y a une issue ?
R - C'est d'abord beaucoup de tristesse que l'on éprouve face à tous ces événements. La visite de Bernard Kouchner a pour but de montrer la solidarité des autorités françaises auprès du gouvernement libanais et des populations civiles, après les attentats qui ont été perpétrés. C'est cela qui est important. Ensuite, la communauté internationale reste extrêmement mobilisée autour du Liban. Ce qui est très dommage, pour avoir participé effectivement à cette conférence, c'est que l'on avait une aide internationale extrêmement forte pour le Liban et qu'aujourd'hui elle ne peut pas être mise en oeuvre dans des conditions optimales. Objectivement c'est ce que je regrette le plus par rapport à un pays pour lequel, comme vous le savez, j'ai beaucoup d'affection. Cela me rend effectivement triste, et je crois que le fait que Bernard Kouchner y soit aujourd'hui est extrêmement important pour montrer notre solidarité et notre détermination.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 mai 2007