Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Mes chers Collègues,
Chers amis,
Nous voici donc à nouveau devant ce travail de Sisyphe qu'est devenue la révision des traités européens. Nous avons chacun nos préférences, nos espoirs et nos craintes, et nous savons tous qu'il est difficile de trouver le bon équilibre entre toutes les préoccupations en présence.
En même temps, nous voyons bien que l'exercice est enfermé dans des contraintes qui laissent une marge de manoeuvre assez limitée.
Il y a tout d'abord une contrainte de calendrier. Nous sommes, je crois, tous d'accord pour souhaiter que le nouveau traité entre en vigueur avant les élections européennes de juin 2009. Or, la ratification d'un traité européen important est toujours une procédure de longue durée. Si nous voulons être assurés d'une entrée en vigueur au printemps 2009, il nous faut donc un accord au tout début de 2008, et si possible avant.
Il y a ensuite une contrainte politique. Il y a eu quatre référendums sur le traité constitutionnel, deux ont été positifs et deux négatifs. D'autres pays envisageaient de procéder à des référendums, et rien ne nous garantit que le résultat aurait été positif dans tous les cas. La conjoncture économique n'incite pas à l'euphorie. Beaucoup de nos concitoyens s'inquiètent des conséquences de la mondialisation sur leur emploi, et aujourd'hui l'Europe ne leur apparaît pas comme une protection. Il faudra du temps pour changer cette perception des choses. Tant que nous en serons là, tout référendum comprendra un risque. Or, nous savons tous que la construction européenne se relèverait difficilement d'un nouvel échec. Dans ces conditions, je crois que nous devons éviter les solutions qui rendraient inévitable le recours au référendum dans un certain nombre de pays.
Cela veut dire, à mon avis, que nous ne pouvons pas conserver le même traité, ou à peu près le même traité, car si tel était le cas, le recours au référendum serait inévitable dans certains pays.
Je suis le premier à regretter cette situation, car pour ma part j'approuvais sans réserve le traité constitutionnel, mais je crois que si nous voulons être réalistes : il nous faut admettre que le nouveau traité devra apparaître différent.
En quoi devra-t-il apparaître différent ?
Au moment de la campagne référendaire en France, nous avons constaté que le traité constitutionnel était difficile à présenter aux électeurs. Pourquoi ? Bien sûr, c'était un texte long et compliqué, mais ce n'est pas l'essentiel. Le traité de Maastricht était compliqué lui aussi, mais il avait été plus facile à présenter aux électeurs, parce qu'il y avait une idée maîtresse, la monnaie unique, ce qui faisait que l'enjeu essentiel était clair pour nos concitoyens. Le traité constitutionnel, quant à lui, apportait un ensemble d'améliorations institutionnelles, mais il était difficile de dégager une idée maîtresse, un fil conducteur susceptible de faciliter l'adhésion.
C'est pourquoi je crois, pour ma part, que nous aurions intérêt à présenter les choses un peu autrement. Nous devrions, dans le nouveau texte, partir des attentes des citoyens, et présenter les changements institutionnels comme des moyens permettant de répondre à ces attentes. Je crois que les citoyens se retrouveraient mieux dans une telle démarche, qui permettrait au demeurant de reprendre une partie importante des progrès apportés par le traité constitutionnel.
Quelles sont, en effet, les principales préoccupations des citoyens européens ? Les premières, nous le savons tous, sont d'ordre économique et social. Or, le traité constitutionnel contenait à cet égard des avancées substantielles :
- la Charte des droits fondamentaux, qui proclame de nombreux droits sociaux, recevait une valeur contraignante ;
- une « clause sociale générale » s'appliquait à toutes les politiques de l'Union ;
- les services d'intérêt général étaient reconnus et mieux garantis ;
- la zone euro avait une organisation propre, qui était l'embryon d'un « gouvernement économique » capable de dialoguer avec la Banque centrale européenne.
Deuxième domaine où les attentes des citoyens sont très fortes : les questions de sécurité. La délinquance transfrontalière, en plein essor, appelle une réponse européenne. Là également, je crois que les avancées prévues par le traité constitutionnel étaient importantes : reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires, renforcement du rôle d'Europol et d'Eurojust, et surtout prise des décisions à la majorité qualifiée pour renforcer la coopération en matière civile et pénale.
Troisième domaine où les citoyens veulent aller plus loin : la politique étrangère et la défense. C'est, là encore, un domaine où le traité constitutionnel prévoyait des améliorations substantielles :
- la création du « ministre des Affaires étrangères de l'Union », appelé à la fois à présider le Conseil des ministres des Affaires étrangères et à être vice-président de la Commission, de manière à pouvoir assurer la cohérence de l'action extérieure de l'Union ;
- la mise en place d'une présidence stable du Conseil européen ;
- une clause de défense mutuelle et une clause de solidarité antiterroriste ;
- le lancement d'une « coopération structurée permanente » en matière de défense.
Quatrième domaine où les aspirations des citoyens sont manifestes : clarifier les compétences, dire qui fait quoi, faire jouer le principe de subsidiarité de manière à ce que l'Union se concentre sur les questions où il est réellement utile qu'elle intervienne. Or, c'est également un domaine où le traité constitutionnel apportait des améliorations significatives, avec une répartition plus claire des compétences et surtout une meilleure garantie du respect de la subsidiarité.
Finalement, aborder les quatre aspects que je viens de mentionner permettrait, je crois, de reprendre une grande partie des avancées qu'apportait le traité constitutionnel. En même temps, l'on obtiendrait un traité plus compréhensible par les citoyens, parce qu'il partirait de leurs préoccupations, de leurs attentes.
Et comme ce traité apparaîtrait comme plus modeste, plus limité, plus consensuel, il pourrait certainement être adopté par la voie parlementaire, sans trahir le verdict des référendums qui se sont tenus sur le traité constitutionnel, qu'ils aient été positifs ou négatifs.
Naturellement, une telle démarche ne permettrait pas de régler toutes les questions. Je crois qu'à plus long terme, il reste souhaitable que l'Union se dote d'un « traité fondamental » qui lui donne une base solide et durable, une légitimité plus forte. Mais je crois que, pour arriver à ce traité fondamental, il faudrait prendre le temps de débattre au fond de certaines questions fondamentales pour l'avenir de l'Union, questions que se posent aussi les citoyens, par exemple :
- jusqu'où doit aller l'élargissement, dans quels délais, avec quelles étapes ?
- quel degré de cohésion économique, sociale, territoriale, faut-il souhaiter pour l'Union ?
- comment rapprocher l'Europe des citoyens ?
C'est sur la base d'une réflexion collective sur ces questions que l'on devrait élaborer, le moment venu, un traité fondamental. Les citoyens comprendraient mieux le sens du projet européen, la direction où on leur propose d'aller, et je crois que, de cette manière, nous aurions de meilleures chances d'obtenir une large adhésion.
Pour conclure, mes chers collègues, je dirai qu'à mon avis il ne faut pas céder au pessimisme sur l'Europe. Je crois que certaines évidences finiront pas s'imposer.
La première évidence, c'est que dans le contexte de la mondialisation, nous avons besoin d'une Europe plus unie et plus présente. C'est l'intérêt des Européens s'ils veulent conserver une influence, c'est aussi l'intérêt des autres parties du globe, puisque tout le monde, au fond, a intérêt à ce que la mondialisation prenne la forme d'un équilibre entre plusieurs pôles.
La deuxième évidence est que l'élargissement nous impose de consolider l'Union. Ce n'est pas du dogme, c'est du bon sens. Lorsqu'on veut qu'un édifice supporte un poids plus important, on le consolide.
La troisième évidence, c'est que pour consolider l'Union, il ne suffit pas de perfectionner ses institutions. Il faut en même temps resserrer les liens entre l'Union et les citoyens, renforcer la confiance, et cela passe par des progrès tangibles, qui manifestent aux yeux des citoyens que la construction européenne leur est utile, qu'elle est à leur service, qu'elle apporte des réponses à leurs préoccupations. C'est en continuant à avancer, chaque fois que c'est possible, dans le sens des attentes des citoyens, que nous consoliderons l'Union, car le travail en commun est -c'est ma conviction- ce qui unit le mieux les hommes.
Je vous remercie.Source http://www.senat.fr, le 30 mai 2007
Mes chers Collègues,
Chers amis,
Nous voici donc à nouveau devant ce travail de Sisyphe qu'est devenue la révision des traités européens. Nous avons chacun nos préférences, nos espoirs et nos craintes, et nous savons tous qu'il est difficile de trouver le bon équilibre entre toutes les préoccupations en présence.
En même temps, nous voyons bien que l'exercice est enfermé dans des contraintes qui laissent une marge de manoeuvre assez limitée.
Il y a tout d'abord une contrainte de calendrier. Nous sommes, je crois, tous d'accord pour souhaiter que le nouveau traité entre en vigueur avant les élections européennes de juin 2009. Or, la ratification d'un traité européen important est toujours une procédure de longue durée. Si nous voulons être assurés d'une entrée en vigueur au printemps 2009, il nous faut donc un accord au tout début de 2008, et si possible avant.
Il y a ensuite une contrainte politique. Il y a eu quatre référendums sur le traité constitutionnel, deux ont été positifs et deux négatifs. D'autres pays envisageaient de procéder à des référendums, et rien ne nous garantit que le résultat aurait été positif dans tous les cas. La conjoncture économique n'incite pas à l'euphorie. Beaucoup de nos concitoyens s'inquiètent des conséquences de la mondialisation sur leur emploi, et aujourd'hui l'Europe ne leur apparaît pas comme une protection. Il faudra du temps pour changer cette perception des choses. Tant que nous en serons là, tout référendum comprendra un risque. Or, nous savons tous que la construction européenne se relèverait difficilement d'un nouvel échec. Dans ces conditions, je crois que nous devons éviter les solutions qui rendraient inévitable le recours au référendum dans un certain nombre de pays.
Cela veut dire, à mon avis, que nous ne pouvons pas conserver le même traité, ou à peu près le même traité, car si tel était le cas, le recours au référendum serait inévitable dans certains pays.
Je suis le premier à regretter cette situation, car pour ma part j'approuvais sans réserve le traité constitutionnel, mais je crois que si nous voulons être réalistes : il nous faut admettre que le nouveau traité devra apparaître différent.
En quoi devra-t-il apparaître différent ?
Au moment de la campagne référendaire en France, nous avons constaté que le traité constitutionnel était difficile à présenter aux électeurs. Pourquoi ? Bien sûr, c'était un texte long et compliqué, mais ce n'est pas l'essentiel. Le traité de Maastricht était compliqué lui aussi, mais il avait été plus facile à présenter aux électeurs, parce qu'il y avait une idée maîtresse, la monnaie unique, ce qui faisait que l'enjeu essentiel était clair pour nos concitoyens. Le traité constitutionnel, quant à lui, apportait un ensemble d'améliorations institutionnelles, mais il était difficile de dégager une idée maîtresse, un fil conducteur susceptible de faciliter l'adhésion.
C'est pourquoi je crois, pour ma part, que nous aurions intérêt à présenter les choses un peu autrement. Nous devrions, dans le nouveau texte, partir des attentes des citoyens, et présenter les changements institutionnels comme des moyens permettant de répondre à ces attentes. Je crois que les citoyens se retrouveraient mieux dans une telle démarche, qui permettrait au demeurant de reprendre une partie importante des progrès apportés par le traité constitutionnel.
Quelles sont, en effet, les principales préoccupations des citoyens européens ? Les premières, nous le savons tous, sont d'ordre économique et social. Or, le traité constitutionnel contenait à cet égard des avancées substantielles :
- la Charte des droits fondamentaux, qui proclame de nombreux droits sociaux, recevait une valeur contraignante ;
- une « clause sociale générale » s'appliquait à toutes les politiques de l'Union ;
- les services d'intérêt général étaient reconnus et mieux garantis ;
- la zone euro avait une organisation propre, qui était l'embryon d'un « gouvernement économique » capable de dialoguer avec la Banque centrale européenne.
Deuxième domaine où les attentes des citoyens sont très fortes : les questions de sécurité. La délinquance transfrontalière, en plein essor, appelle une réponse européenne. Là également, je crois que les avancées prévues par le traité constitutionnel étaient importantes : reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires, renforcement du rôle d'Europol et d'Eurojust, et surtout prise des décisions à la majorité qualifiée pour renforcer la coopération en matière civile et pénale.
Troisième domaine où les citoyens veulent aller plus loin : la politique étrangère et la défense. C'est, là encore, un domaine où le traité constitutionnel prévoyait des améliorations substantielles :
- la création du « ministre des Affaires étrangères de l'Union », appelé à la fois à présider le Conseil des ministres des Affaires étrangères et à être vice-président de la Commission, de manière à pouvoir assurer la cohérence de l'action extérieure de l'Union ;
- la mise en place d'une présidence stable du Conseil européen ;
- une clause de défense mutuelle et une clause de solidarité antiterroriste ;
- le lancement d'une « coopération structurée permanente » en matière de défense.
Quatrième domaine où les aspirations des citoyens sont manifestes : clarifier les compétences, dire qui fait quoi, faire jouer le principe de subsidiarité de manière à ce que l'Union se concentre sur les questions où il est réellement utile qu'elle intervienne. Or, c'est également un domaine où le traité constitutionnel apportait des améliorations significatives, avec une répartition plus claire des compétences et surtout une meilleure garantie du respect de la subsidiarité.
Finalement, aborder les quatre aspects que je viens de mentionner permettrait, je crois, de reprendre une grande partie des avancées qu'apportait le traité constitutionnel. En même temps, l'on obtiendrait un traité plus compréhensible par les citoyens, parce qu'il partirait de leurs préoccupations, de leurs attentes.
Et comme ce traité apparaîtrait comme plus modeste, plus limité, plus consensuel, il pourrait certainement être adopté par la voie parlementaire, sans trahir le verdict des référendums qui se sont tenus sur le traité constitutionnel, qu'ils aient été positifs ou négatifs.
Naturellement, une telle démarche ne permettrait pas de régler toutes les questions. Je crois qu'à plus long terme, il reste souhaitable que l'Union se dote d'un « traité fondamental » qui lui donne une base solide et durable, une légitimité plus forte. Mais je crois que, pour arriver à ce traité fondamental, il faudrait prendre le temps de débattre au fond de certaines questions fondamentales pour l'avenir de l'Union, questions que se posent aussi les citoyens, par exemple :
- jusqu'où doit aller l'élargissement, dans quels délais, avec quelles étapes ?
- quel degré de cohésion économique, sociale, territoriale, faut-il souhaiter pour l'Union ?
- comment rapprocher l'Europe des citoyens ?
C'est sur la base d'une réflexion collective sur ces questions que l'on devrait élaborer, le moment venu, un traité fondamental. Les citoyens comprendraient mieux le sens du projet européen, la direction où on leur propose d'aller, et je crois que, de cette manière, nous aurions de meilleures chances d'obtenir une large adhésion.
Pour conclure, mes chers collègues, je dirai qu'à mon avis il ne faut pas céder au pessimisme sur l'Europe. Je crois que certaines évidences finiront pas s'imposer.
La première évidence, c'est que dans le contexte de la mondialisation, nous avons besoin d'une Europe plus unie et plus présente. C'est l'intérêt des Européens s'ils veulent conserver une influence, c'est aussi l'intérêt des autres parties du globe, puisque tout le monde, au fond, a intérêt à ce que la mondialisation prenne la forme d'un équilibre entre plusieurs pôles.
La deuxième évidence est que l'élargissement nous impose de consolider l'Union. Ce n'est pas du dogme, c'est du bon sens. Lorsqu'on veut qu'un édifice supporte un poids plus important, on le consolide.
La troisième évidence, c'est que pour consolider l'Union, il ne suffit pas de perfectionner ses institutions. Il faut en même temps resserrer les liens entre l'Union et les citoyens, renforcer la confiance, et cela passe par des progrès tangibles, qui manifestent aux yeux des citoyens que la construction européenne leur est utile, qu'elle est à leur service, qu'elle apporte des réponses à leurs préoccupations. C'est en continuant à avancer, chaque fois que c'est possible, dans le sens des attentes des citoyens, que nous consoliderons l'Union, car le travail en commun est -c'est ma conviction- ce qui unit le mieux les hommes.
Je vous remercie.Source http://www.senat.fr, le 30 mai 2007