Interview de M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement, à "Europe 1" le 21 mai 2007, sur la délimitation de ses compétences ministérielles et sur la politique de l'immigration.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P.Elkabbach.- B. Hortefeux, bonjour. C'est la première fois que vous allez parler avec ces responsabilités. Ce sont des responsabilités lourdes, évidemment. Dans quel ordre faut-il lire et comprendre le titre de vos responsabilités ?
 
R.- Jusque-là, c'était autant d'anneaux qui étaient éparpillés. Il y avait un peu qui dépendaient du ministère de l'Intérieur avec les titres de séjour donnés aux étrangers en situation régulière et puis l'éloignement des étrangers en situation irrégulière ; il y avait le ministère des Affaires sociales qui s'occupait de questions d'intégration et en même temps de naturalisation ; le ministère des Affaires étrangères qui s'occupait des visas et des réfugiés ; il y avait aussi le ministère de la Francophonie, le ministère de la coopération. Bref, tout ceci c'était des anneaux éparpillés et ces anneaux il faut qu'ils forment une alliance et c'est ce qu'a voulu N. Sarkozy. A vrai dire, ça faisait vingt ans, monsieur Elkabbach, que l'on en parlait, vingt ans que l'on en discutait. N. Sarkozy l'avait mis au coeur de sa campagne présidentielle, il a donc décidé de le faire sans attendre.
 
Q.- Mais ce que vous voulez dire, B. Hortefeux, implique des découpages des administrations et il faut les convaincre ces administrations. On sait qu'elles rechignent à être réorganisées.
 
R.- Naturellement, quand on bouscule un peu les habitudes ça peut parfois ici et là susciter quelques frustrations mais en l'occurrence ce n'est pas le cas. J'ai discuté, rencontré tant le ministère de l'Intérieur, M. Alliot-Marie, que B. Kouchner, les acteurs...
 
Q.-... et chacun accepte de se laisser dépouiller ?
 
R.-  ... c'est pas se laisser dépouiller, chacun accepte avec bonheur de mettre en commun ce qui permet de donner de la cohérence à une politique qui est faite à la fois d'aide au développement, d'intégration et de maîtrise de l'immigration, donc ça se fait ensemble.
 
Q.- Au passage, B. Kouchner c'est une bonne recrue pour votre camp, pour vos amis ?
 
R.- Ecoutez, j'en suis totalement convaincu. N. Sarkozy est quelqu'un d'ouvert, respectueux des autres, il l'avait dit aussi pendant sa campagne présidentielle, il l'a concrétisé avec la constitution du Gouvernement. Je pense que c'est un bon signal qui a été adressé aux Français, ça signifie simplement que lorsque N. Sarkozy prend des engagements, il les tient.
 
Q.- Alors, ceux qui parlent français, qui ont un emploi et qui le désirent, est-ce qu'ils vont obtenir plus facilement la nationalité française ? Est-ce que votre objectif c'est d'intégrer et d'intégrer plus vite et mieux ?
 
R.- Naturellement, c'est là le coeur du défi parce que la voie royale pour s'intégrer, c'est naturellement de parler notre langue, de parler la langue française et d'avoir un emploi. Et par exemple, on observe que sur les derniers chiffres disponibles, sur une année, il y a eu 187.000 titres de séjour qui ont été délivrés et sur ces 187.000 titres de séjour, il y en avait 92.000 qui l'étaient pour des motifs familiaux. Cela veut dire qu'on n'avait absolument aucun contrôle de maîtrise de notre langue et en même temps aucune certitude de la capacité à exercer un emploi.
 
Q.- Oui, mais quand vous dites...
 
R.-... ça signifie, non mais ça signifie simplement...
 
Q.-... quand vous dites 92.000, ça veut dire qu'il y en a trop qui arrivent sans qu'ils aient les moyens de s'intégrer à la société française.
 
R.- Cela veut dire que nous n'avons aucune capacité de savoir s'ils parlent la langue française ou s'ils viennent pour exercer une profession. Et l'autre chiffre qui est naturellement particulièrement intéressant, c'est qu'il n'y en a que 7 %, c'est-à-dire autour de 11.000, qui viennent sur notre territoire, pour lesquels on est sûr qu'ils viennent exercer une activité professionnelle. Donc, il faut qu'il y ait un équilibrage. C'est l'intérêt des uns et des autres.
 
Q.- Oui, mais le regroupement familial est un droit. Quand il est justifié et possible, est-ce qu'il sera toujours appliqué ?
 
R.- Il n'est pas question de remettre en cause ces règles et ces principes, mais il faut le faire à la fois en respectant la dignité des personnes qui veulent venir sur notre territoire et ne pas leur faire croire ce qui ne peut pas se produire, et en même temps favoriser leur intégration. Cela signifie, encore une fois, qu'il y a trois piliers : l'aide au développement parce qu'il faut que l'on aide les pays à donner une perspective d'avenir à leur jeunesse parce que sinon ils viendront naturellement immigrer ; il faut une maîtrise de l'immigration parce que notre pays, comme on l'a déjà dit, ne peut pas accueillir - et c'est un ancien Premier ministre socialiste qui l'avait dit - toute la misère du monde sur notre territoire ; et en même temps mieux intégrer ceux qui sont en capacité de le faire.
 
Q.- Mais est-ce qu'on sait combien d'immigrés légaux la France est capable d'accueillir chaque année dans le cadre de l'immigration choisie ? Est-ce que vous vous êtes fixé déjà des chiffres ?
 
R.- La réalité de la question que vous posez c'est en fait est-ce que nous avons besoin d'immigrés supplémentaires, c'est ça la réalité, bon.
 
Q.- D'autant plus que les démographes disent qu'un jour ou l'autre, dans les quinze à vingt ans, le problème va se poser.
 
R.- Précisément, les politiques d'immigration sont souvent le miroir de la situation de la natalité, et la France a une situation particulière, le taux de fécondité dans notre pays est de 2. Il faut savoir que dans les autres pays, les grandes puissances européennes, quand on observe l'Espagne, quand on observe l'Italie, quand on observe l'Allemagne, le taux est de 1,3 seulement, ce sont donc des situations totalement différentes les unes des autres. Cela signifie, par exemple, que dans ces pays la population active a déjà commencé à diminuer. Cela signifie que la population tout court, la population globale, va diminuer prochainement. Nous, nous avons la chance d'avoir une politique de natalité beaucoup plus dynamique, donc c'est un premier élément, mais on observe effectivement que dans un certain nombre de secteurs - dans le secteur du bâtiment, dans le secteur des services à la personne, les secteurs de l'hôtellerie et de la restauration - il y a des postes qui ne sont pas pourvus. Cela signifie donc très concrètement que je rencontrerai très vite les responsables de ces différentes branches et que ma démarche est donc dénuée de tout dogmatisme, de tout à priori, que ça sera donc fait avec beaucoup de pragmatisme.
 
Q.- Justement, B. Hortefeux, huit historiens, dont P. Weil, G. Noiriel, ont décidé de démissionner du comité de la future Cité nationale de l'Histoire de l'immigration. Ils protestent et ils estiment qu'associer immigration et identité nationale, comme on le fait avec vos responsabilités, c'est faire de l'immigration un problème pour la France et les Français, c'est déjà humilier un certain nombre de gens.
 
R.- Ecoutez, d'abord, première observation, chacun a le droit de s'exprimer.
 
Q.- Heureusement !
 
R.- Et donc, je respecte toutes les opinions et je suis attentif à leur expression. Deuxième observation, ce matin même est sorti une enquête, un sondage dans lequel il est indiqué que 72 % des Français, c'est-à-dire près de trois Français sur quatre, approuvent la création de ce ministère de l'Immigration, de l'Intégration et de l'Identité nationale.
 
Q.- On a noté dans le sondage dont vous parlez que votre niveau de popularité c'est 55 %, le record c'est, je crois que c'est J ;-L. Borloo et R. Dati, un peu plus autour de 75-76 %. 55 ça vous suffit ou vous vous dites j'ai encore de la marge, avec le ministère que j'aie j'ai aucune chance de devenir populaire ?
 
R.- Considérons que c'est un point de départ et qu'on espère faire mieux, en tout cas si j'explique bien la politique que nous devons mener, je suis convaincu que ceci ne devrait être que confirmé. Mais pour revenir à ces historiens, la deuxième observation c'est qu'il y a donc trois Français sur quatre qui approuvent cette initiative. Enfin, troisième réflexion, je suis naturellement ouvert au dialogue et je serais très heureux de les rencontrer. Je me propose donc de rencontrer ces personnalités, y compris d'ailleurs celle qui a pris une part active à la campagne de madame Royale et qui doit donc être très certainement déçue que ses analyses n'aient pas eu l'écho qu'il en espérait, mais je les recevrai.
 
Q.- Vous voulez dire P. Weil, vous recevrez tout le monde, c'est ça ?
 
R.- Je le recevrai.
 
Q.- S'ils veulent.
 
R.- Je le recevrai.
 
Q.- Comment vous prenez votre nomination, B. Hortefeux, comme un cadeau empoisonné, comme une récompense, une mission dangereuse ?
 
R.- D'abord, je le prends comme un témoignage de confiance, d'une part, du Président de la République. C'est vrai que c'était un engagement au coeur de sa campagne, il m'a demandé de le mettre en oeuvre, donc c'est d'abord un témoignage de confiance. Deuxième élément, je sais par définition que ce sera un exercice difficile parce que c'est un sujet extraordinairement complexe. Il n'y a à vrai dire pas d'exemple parfait au monde, donc il faut que nous imaginions et que nous tracions un sillon pour cela, mais simplement de ce que j'ai commencé à en réfléchir, à y réfléchir, je m'aperçois que c'est un sujet passionnant parce qu'il s'agit précisément de l'avenir de notre communauté nationale et comme de l'avenir d'ailleurs des pays du Tiers monde et des pays terres d'immigration.
 
Q.- Vous allez prendre des coups, vous le savez ça ?
 
R.- Je m'y attends.
 
Q.- Comment allez-vous régulariser ceux qui le demandent, au cas par cas ou comme un cadeau d'arrivée par une vague, comme on l'avait fait par exemple en Espagne ou en Italie à un moment ?
 
R.- C'est très clair, pas de vague et du cas par cas. Je vous explique pourquoi. Ça s'est produit, les vagues on en a connu dans notre pays et dans des pays voisins. On en a connu dans notre pays, c'était en 1997 où le Gouvernement de l'époque avait décidé de régulariser 80.000 sans papiers qui ont reçu une carte de séjour. Cela a créé immédiatement un appel d'air puisque les demandes d'asile ont été multipliées par quatre entre 97, date de la régularisation massive, et 2002, là, on est passé là de 20 000 à 80 000 et c'est normal puisqu'un bénéficiaire comme ça de cette vague il en parle à sa famille, il en parle chez lui, on en parle dans sa commune d'origine, dans son village d'origine, et ça fait en quelque sorte tâche d'huile. Donc il faut l'éviter. Deuxième exemple intéressant, c'est l'exemple de l'Espagne qui a régularisé près de 500.000 clandestins et aujourd'hui, elle se trouve dans une situation extraordinairement complexe, notamment aux Iles Canaris et je vous dis simplement l'Espagne est obligée aujourd'hui de solliciter l'aide de la Communauté européenne pour financer des avions et des bateaux afin de renforcer leur protection.
 
Q.- D'accord, qu'est-ce que vous êtes en train de nous dire ?
 
R.- Donc, il faut mettre de côté donc les régularisations massives, ça ne marche pas et c'est pénalisant, y compris pour les immigrés qui souhaitent venir sur le territoire.
 
Q.- Mais au cas pas cas, ça va être encore des souffrances, des attentes, etc.
 
R.- Au cas par cas, ça veut dire qu'on ne doit pas demeurer sourd et insensible à des situations particulières, je pense notamment à la situation des femmes battues par exemple, le président de la République, N. Sarkozy, pendant la campagne s'était rendu à l'association Coeur de femmes et il y a là naturellement des cas auxquels on ne peut pas rester insensible. Donc, pas de régularisation massive mais du cas par cas...
 
Q.-... et pour le cas par cas et par cas, est-ce que vous irez plus vite dans les dossiers ?
 
R.- Il faut aller plus vite. Nous sommes le pays d'Europe dans lequel c'est le plus lent, je l'ai constaté moi-même en visitant un centre d'accueil de demandeurs d'asile, j'ai interrogé les uns et les autres, c'était plus de deux ans. Dans beaucoup de pays d'Europe, ça atteint six mois, il faut que l'on aille plus vite. Mais ça signifie tout simplement que ma politique sous l'autorité du président de la République et du Premier ministre, F. Fillon, sera dictée à la fois par la fermeté et l'humanisme, pas l'un sans l'autre, pas l'un ou l'autre, c'est l'un et l'autre.
 
Q.- D'accord, ça veut dire que vous allez continuer la politique de reconduite à la frontière mais vous le ferez ave des gants.
 
R.- Oui, et autant je suis très ferme sur les chiffres de reconduite aux frontières, c'est autour de 25.000 en 2007, autant je souhaite que ça soit fait avec le respect qui est dû aux personnes et donc avec la présence d'associations humanitaires comme la Croix-Rouge et d'autres. Ces associations humanitaires ne seront pas là pour servir de caution, ce n'est pas ça l'objectif, et d'ailleurs elles ne le voudraient pas et elles auraient raison, ce n'est pas leur rôle, mais en revanche c'est la garantie de la transparence et c'est pour cela que ces associations humanitaires sont utiles.
 
Q.- Quand vous arrivez comme ça en fonction, est-ce que vous savez combien il reste de clandestins, je veux dire d'illégaux en circulation en France aujourd'hui ?
 
R.- Evidemment, pas définition s'ils sont clandestins, c'est qu'on a du mal à connaître les chiffres. On peut estimer que c'est entre 200 et 400.000, c'était les chiffres qu'avait donnés N. Sarkozy lorsqu'il était ministre de l'Intérieur. J'ai une conviction d'ailleurs sur ce sujet, c'est que leur nombre a commencé à diminuer. Il a commencé à diminuer parce qu'il y a eu des textes importants qui ont été votés depuis cinq ans, au moins deux textes en 2003 et 2006, qui commencent à produire leurs effets et les services tant de la police aux frontières et de la gendarmerie ont mené une politique particulièrement vigoureuse. Donc, j'ai le sentiment que le nombre de clandestins a commencé à diminuer.
 
Q.- Ce n'est pas seulement une intuition mais il y a des filières que vous avez repérées, arrêtées, condamnées, écartées ?
 
R.- Oui, quand j'évoque la police aux frontières et la gendarmerie, je pense effectivement à l'action extrêmement vigoureuse qu'ils ont commencé à engager afin de casser ces filières, il y a à peu près 3.500 réseaux qui ont été démantelés, c'est un premier signal très fort.
 
Q.- C'est un sujet important. Il y a aussi l'aspect du co-développement, on en reparlera un jour, il y a des accords qui ont été conclus en France avec d'autres pays d'Afrique. Quand vous ferez votre première visite, est-ce que vous choisirez l'Afrique, un autre territoire. Chez qui irez-vous ?
 
R.- Attendez, d'abord, il faut effectivement faire plus pour le développement afin que les pays qui sont des terres d'immigration puissent offrir eux-mêmes une perspective, un avenir à leur jeunesse, sinon toute politique de protection sera vouée à l'échec. Il faut les deux. Cela signifie donc que j'irai rencontrer très prochainement, cette semaine sans doute, le commissaire européen L. Michel qui est en charge de l'aide au développement, et je me rendrai ensuite en Espagne puisque nous avons des points communs en matière de politique d'immigration à examiner et à approfondir, et enfin naturellement en Afrique. Cela signifie un rythme soutenu de déplacements et de rencontres.
 
Q.- J'aurais dû vous poser la question sur : qu'est-ce que vous mettez dans l'identité nationale parce que ça, ça a fait polémique, ça a fait controverse et ça n'est pas prêt de s'arrêter.
 
R.- L'identit?? nationale c'est à la fois l'héritage de notre histoire et l'avenir de notre communauté nationale. Vous savez, la France est une terre d'équilibre, équilibre entre nos territoires, équilibre entre les milieux sociaux et cet équilibre notre responsabilité c'est de le préserver à l'heure de la mondialisation. Et d'ailleurs nous ne sommes pas les seuls dans ce cas, si vous observez l'Espagne, si vous observez l'Italie, si vous observez même les Etats-Unis, c'est un défi, c'est un défi collectif à relever et c'est pour cela que N. Sarkozy a voulu le mettre au coeur de ses engagements.
 
Q.- J'aurais dû compter le nombre de fois que vous avez cité N. Sarkozy, vous envoyez des fleurs à votre ami. Est-ce que vous l'appelez toujours « votre ami » ?
 
R.- Ah mais, naturellement, mais je le fais avec beaucoup plus respect, cela va de soi.
 
Q.- Dernière chose, il y a la campagne législative, on en a parlé dans tous les journaux. Vous serez candidat aux élections, vous voulez un poste de député ?
 
R.- Moi, j'étais député européen, j'ai mis fin à mon mandat de député européen en juin 2005, je ne me disperse pas entre les mandats et je solliciterai donc le renouvellement de mon mandat de député européen en juin 2009.
 
Q.- Est-ce que vous donnez tort à F. Hollande qui craint une majorité écrasante de vos amis et qui dit, « il faut créer - un appel aux Français - une contre force » ?
 
R.- Ça c'est le témoignage de l'impuissance et du doute. La réalité est très simple :, quand on a un président de la République, il faut tout faire pour lui donner une majorité parce que c'est grâce à la majorité législative qu'on pourra mettre en oeuvre les engagements qu'il a pris. Donc, il faut donner la majorité la plus large, la plus cohérente, la plus complète, la plus ouverte et la plus dynamique possible au président de la République et au Premier ministre qui par définition est le chef de la majorité.
 
Q.- Merci B. Hortefeux pour cette première intervention. Nous vous avons à l'oeil sur ces sujets.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 21 mai 2007