Interview de Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, à France Info le 31 mai 2007, sur la gratuité des musées nationaux, l'indemnisation des intermittents du spectacle et le mécénat culturel.

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Média : France Info

Texte intégral

J.-C. Martin.- Avant d'évoquer dans cinq minutes à peine vos projets dans votre ministère, un mot de la disparition de J.-C. Brialy. C'était évidemment une très grande figure du cinéma et du théâtre, du spectacle, mais aussi finalement de la vie culturelle française.
 
R.- Oui, je crois que J.-C. Brialy, c'est une disparition qui nous touche beaucoup. Je crois que c'est un peu un ami pour tout le monde, c'est un peu comme P. Noiret, ces personnes qui vous accompagnent en fait pendant toute une vie, à la fois évidemment au théâtre, dans des films très importants, qui joue un rôle très, très fort, extrêmement engagé, extrêmement généreux, portant bien sûr des festivals - je pense à Ramatuelle -, portant le théâtre un peu dans tous ses aspects, comédien, metteur en scène, mais aussi propriétaire de théâtre et on sait bien tout ce que cela représente de risque. Et puis, vraiment, dans les films que l'on aime depuis très, très longtemps, tout le rôle qu'il a joué au sein de la nouvelle vague. J'ai même un souvenir plus particulier, c'est un petit film qui s'appelait "tout le monde s'appelle Patrick", de Godard, où il était avec ses lunettes noires, au Luxembourg en train de séduire des jeunes filles pratiquement en même temps, différentes, et c'était tout le charme de J.-C. Brialy, et toute sa séduction.
 
Q.- Il était si familier aux Français parce que c'était d'abord un séducteur, tout simplement.
 
R.- Cela a été d'abord un grand séducteur, c'était justement ce jeune homme, un peu, qui emballe tous les coeurs, et puis qui a accompagné cette si belle aventure, Truffaut, Rivette, Godard, Chabrol, etc. On le retrouve plus tard avec parfois des seconds rôles, et d'ailleurs il avait eu un César du second rôle pour "les Innocents" de Téchiné, et quelquefois des seconds rôles très, très forts. J'ai un souvenir, par exemple, de "l'Effrontée", avec C. Gainsbourg de C. Miller, où tout le monde se souvient de sa composition, de ce coach qui accompagne la jeune pianiste virtuose.
 
Q.- Dans la tradition des grands seconds rôles du cinéma français. [...] On va reparler plus largement de vos projets dans votre nouveau ministère, mais d'abord cette première question très pratique qui intéresse tous les Français, très nombreux, qui aiment les musées : l'une des promesses de N. Sarkozy, c'était la gratuité de l'accès au musée. Chez notre ami V. Josse, chez nos confrères de France Inter, vous avez laissé entendre cette semaine que ce ne serait pas forcément une bonne chose. Alors pourquoi ?
 
R.- Ce que j'ai dit chez V. Josse en effet, c'est qu'il y avait en fait une réflexion sur cette question de la gratuité, parce que l'enjeu, c'est en fait celui de la démocratie culturelle, c'est-à-dire, effectivement, de faire venir dans les musées tous ceux qui n'y vont pas ou pas suffisamment. Ce que je faisais seulement remarquer, c'était que la gratuité était déjà une réalité, qu'en réalité, pratiquement, enfin autour de 30 % des visiteurs des musées actuellement bénéficient déjà de mesures de gratuité, qu'il fallait sûrement aller plus loin et en particulier vers cette tranche d'âge qui, en fait, vient assez peu dans les musées, c'est-à-dire en gros les 18/25 ans dont on sait qu'ils viennent assez peu. Mais que la totale gratuité méritait vraiment que l'on y réfléchisse parce que je pense qu'il y a un aspect... Par exemple, je pense qu'il faut que la gratuité, souvent, demeure un événement un petit peu exceptionnel. Si vous prenez la nuit des musées, qui est une fête d'une réussite absolument exemplaire.
 
Q.- Qui a un gros succès, oui.
 
R.- Qui est un énorme succès, eh bien les gens ont l'impression qu'il y a un cadeau qui leur est fait et ils vont effectivement dans les musées ce jour-là, ce soir là. Et je crois que coupler des exonérations très importantes, aller même beaucoup plus loin dans ce sens là, aller beaucoup plus loin du côté des jeunes, par exemple dans des écoles, dans le cadre de l'éducation artistique où je crois qu'il y a des tonnes de choses à faire, mais en même temps garder cet aspect un peu festif, un peu exceptionnel, c'est peut-être une bonne voie.
 
Q.- Il a été question à un moment qu'il n'y ait plus de ministre de la Culture après l'élection de N. Sarkozy finalement c'est vous, est-ce que la culture, selon votre sentiment, est réellement dans les priorités du Président, est-ce qu'il s'intéresse à la culture ?
 
R.- Je crois que vraiment oui, je crois que c'est vraiment une priorité. Je crois que c'est pour cela que si la culture a été justement maintenue en ministère plein alors qu'on avait un gouvernement très réduit, avec la réunion de multiples départements ministériels et justement ce maintien du ministère de la Culture et de la communication, je crois que c'est un signe très fort qui marque qu'il a pleinement conscience des enjeux aujourd'hui de tout ce que représente la culture, bien sûr en termes d'identité, bien sûr d'identité vraiment profondément française, c'est vraiment le rapport de la France et de la culture, mais aussi en termes de développement économique, d'enjeu culturel et de tout ce qui se passe, donc par rapport à tous les défis de l'avenir que sont les nouvelles technologies.
 
Q.- Dans ces débuts au ministère de la Culture, est-ce qu'il y a quelques mots que vous aimeriez dire aux artistes, aux créateurs ?
 
R.- J'ai envie tout simplement de leur dire que le ministère de la Culture est avec eux, que ce sont les créateurs, les artistes qui font ce que nous sommes, et qu'au fond, c'est tout ce qui reste et tout ce qu'ils font, ça fonde vraiment notre identité et que je serais au service de la création comme la culture en France l'a toujours été depuis Louis XIV.
 
Q.- Dans les dossiers qui fâchent, et que vous avez trouvés en arrivant, c'est celui des intermittents du spectacle avec un nouveau protocole qui est en vigueur depuis quelques semaines. Est-ce que vous considérez qu'avec ces milliers de personnes qui ont été de fait exclus du système, cette affaire aujourd'hui, elle est réglée ?
 
R.- Je crois qu'il ne faut jamais dire qu'une affaire est complètement réglée, il peut y avoir toujours des cas particuliers. Je crois que les discussions doivent évidemment se poursuivre, d'ailleurs ma porte est tout à fait ouverte aux organisations syndicales. Maintenant, ce que je considère, c'est que beaucoup a été acquis, que trois ans de discussions, ce n'est pas rien, de négociations, que les accords ont été, comme vous venez de le dire, signés, qu'ils sont entrés en application depuis le 1er avril, qu'il faut donc laisser vivre les choses, qu'il y a actuellement des conventions collectives qui sont en cours de négociation, et dont je souhaiterais, elles aussi, qu'elles trouvent leur aboutissement. Beaucoup de choses ont été acquises, il y a eu beaucoup de plus, et dans le calcul des heures nécessaires pour bénéficier de l'assurance maladie, il y a eu des éléments nouveaux, la prise en compte des congés maladie, de congés maternité, la possibilité de faire un certain nombre d'heures, précisément dans l'enseignement et dans les établissements scolaires. Tout cela ce sont des avancées. Je ne dis pas que tout est parfait, mais enfin, ce qu'on peut dire quand même, c'est qu'il y a eu une vraie mobilisation tant des partenaires sociaux que de l'Etat qui a pris toutes ses responsabilités en créant ce fonds de professionnalisation.
 
Q.- Vous parliez de Louis XIV tout à l'heure, vous avez présidé l'établissement de Versailles, est-ce que vous comptez, comme à Versailles, appuyer votre action dans les mois, les années qui viennent, beaucoup plus sur le financement privé et le mécénat ?
 
R.- Je crois qu'il faut tout, c'est-à-dire il faut un engagement public fort et à Versailles nous a l'avons eu. Il y avait justement le grand plan de l'Etat pour rénover entièrement Versailles et, en même temps, il faut effectivement des partenaires privés. Il faut tous les autres acteurs. Aujourd'hui, la culture, ce sont vraiment des synergies et je pense que du mécénat, c'est quelque chose de formidable, la loi de 2003 a beaucoup aidé en ce sens.
 
Q.- France Info va fêter demain ses vingt ans ; la première radio d'information en continu a été lancée le 1er juin 1987, une réussite exemplaire pour Radio France et pour la radio en général. Il y a beaucoup de jaloux, c'est la meilleure preuve que cela a bien marché. On est fiers d'ailleurs de dire que vingt ans après, on a été beaucoup pillés par la concurrence pour les idées comme pour ceux qui les ont portées ici. Alors est-ce qu'à l'occasion de cet anniversaire, vous pouvez garantir aux salariés de Radio France, et à ses millions d'auditeurs qui vous écoutent attentivement tout comme le président J.-P. Cluzel, que la radio publique va garder dans les années qui viennent, parce qu'il y a des inquiétudes, les moyens de rester justement exemplaire et créative ?
 
R.- Je voudrais d'abord dire à quelques jours de ce vingtième anniversaire que je considère que l'aventure de France Info est absolument formidable et que je voudrais vraiment féliciter tous ceux qui ont concouru au cours de toutes ces années et qui concourent aujourd'hui à cette réussite. Je pense que c'est vraiment une radio de référence, que tout le monde a bonheur à écouter avec une exigence, une réactivité, une éthique, une rigueur, qu'il faut saluer. Je serais complètement aux côtés de l'audiovisuel public dont je sais qu'il doit faire face à un financement suffisant pour être à la hauteur de ses ambitions. Et vous pouvez compter sur moi pour vous accompagner encore.
 
Q.- Et on vous en remercie.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 31 mai 2007