Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT à France 2 le 19 juin 2007, sur les relations du travail, le projet de contrat unique de travail et la TVA sociale.

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Média : France 2

Texte intégral


Q- Aujourd'hui, avec les autres syndicats, vous rencontrez le patronat. Il s'agit notamment de discuter du contrat de travail ; le patronat voudrait l'assouplir. Mais d'abord, les élections législatives. Que pensez-vous que les électeurs ont voulu dire dimanche dernier ?
R- Je crois qu'il y a d'une certaine manière confirmation de notre analyse, la manière dont nous avons interprété les élections présidentielles. Je crois qu'on a surestimé le taux d'adhésion à l'ensemble du programme de N. Sarkozy, élu président de la République, personne ne le conteste, en vérifiant que, sur un certain nombre de questions sociales précises, au fur et à mesure que des intentions, des décisions sont annoncées par le Gouvernement récemment en place, les opinions fluctuent et les mécontentements se ré-expriment. Et je pense que le deuxième tour des élections législatives est le signe d'une insatisfaction sur des orientations qui ont commencé à se dessiner. On peut évoquer à ce propos plusieurs sujets...
Q- Comme la TVA sociale, évidemment...
R- On a parlé de la TVA sociale, nous avons dit ce que nous en pensions. Nous avions aussi critiqué l'annonce que le SMIC ne serait pas revalorisé, comme nous l'attendons au 1er juillet. Je rappelle que nous souhaiterions qu'il soit porté à 1.500 euros ; le Gouvernement nous a dit que cela ne serait pas le cas.
Q- Est-ce que cela ne pénaliserait pas les entreprises ? C'est ce que dit le patronat.
R- On peut en discuter. Il est permanent pour les employeurs de considérer que toute évolution des salaires est par définition pénalisante pour les entreprises. Et en même temps, il est de la responsabilité des salariés et des syndicats de revendiquer une réelle reconnaissance du travail. On peut aussi évoquer la perspective d'installation de franchises médicales pour faire face au déficit de la Sécurité sociale. D'ailleurs, il y a un plan d'économies qui est de nouveau susceptible de nous être présenté. On peut aussi évoquer, dans l'actualité récente, le projet de loi qui est susceptible d'être examiné à l'Assemblée nationale en juillet, sur les heures supplémentaires, qui est le premier acte de traduction des engagements présidentiels, le "travailler plus pour gagner plus". Et nous avons expliqué dans cette période aux salariés ce qu'était l'approche gouvernementale et la déception sans doute de nombreux salariés qui vont voir qu'ils seront susceptibles de travailler effectivement davantage, sans pour autant gagner davantage.
Q- On dit J.-L. Borloo pourrait devenir ministre de l'Ecologie. Il sera resté peu de temps, si c'est le cas, à l'Economie et aux Finances. Qu'est-ce que vous pensez de ce passage ?
Ecoutez, ça ça appartient à la gestion politique de l'équipe gouvernementale en place. Ce que nous attendons, c'est déjà qu'on entende les syndicats sur le contenu des réformes. Mais nous n'avons pas la prétention d'interférer pour la composition du Gouvernement. Je ne suis pas sûr d'ailleurs que notre opinion intéresse la majorité actuelle.
Q- Sur la question du pouvoir d'achat, vous le disiez, le Gouvernement a une solution, c'est les heures supplémentaires, ce sera sans doute examiné dès demain en Conseil des ministres. Pour vous, ce n'est pas la bonne solution ?
R- Non, et tous les syndicats l'on dit d'ailleurs. Je remarque que la grande majorité, pour ne pas dire la quasi totalité d'entre eux, a critiqué les dispositions, il y a eu des votes d'opposition dans les organismes dans lesquels nous étions consultés. Il y a notamment, pas seulement, mais notamment les répercussions sur la Caisse de Sécurité sociale, parce qu'il faut rappeler que ces exonérations de cotisations sociales, qui sont de nouveau accordées aux entreprises, s'ajoutent aux dizaines de milliards d'euros déjà consentis aux entreprises, soi disant au nom des créations d'emplois, alors que la Cour des comptes elle-même, récemment, a mis en cause le bien fondé de ces dispositifs et surtout, leur efficacité, au nom de l'emploi. Et en plus, on s'aperçoit que les salariés ne seront pas traités de manière égale. Il y a des dispositions qui ne changeront rien quant à la commande des heures supplémentaires, cela demeure à la discrétion des employeurs. Donc la base du volontariat qui a été annoncée durant la campagne présidentielle est un leurre, se confirme être un leurre. La majoration financière pour les heures supplémentaires sera très différente selon que vous êtes un salarié imposable sur le revenu ou non...
Q- Vous allez mobiliser là-dessus ?
R- Nous allons continuer notre campagne d'explications. Les députés - il y a une majorité aujourd'hui installée à l'Assemblée - suivront ou pas, ou entendront ou pas nos critiques. En tout cas, je pense que l'opinion des salariés continuera aussi à s'exprimer dans les entreprises. Je remarque que c'est une période où il y eu des conflits, par exemple, pour contester les heures supplémentaires obligatoires, on l'a vu à Kronenbourg. C'est aussi une période où les conflits sur l'augmentation générale des salaires se poursuivent, et nous allons encourager cette démarche.
Q- Mais après les élections, vous, vous pronostiquez ce que l'on appelle un troisième tour social, c'est-à-dire des grèves, des manifestations, pour faire changer la politique du Gouvernement ?
R- Il n'y a pas de programmation d'échéances sociales particulières, je pense que les choses évolueront au fur et à mesure que le Gouvernement prendra ou ne prendra pas des actes qui correspondront à des réponses objectives, aux attentes sociales. Les élections législatives, les élections présidentielles ont montré que les attentes sociales étaient prépondérantes dans cette période. Et je pense qu'au fur et à mesure des actes gouvernementaux, et aussi des attitudes patronales... Nous avons une rencontre aujourd'hui, nous allons voir.
Q- Justement, vous allez discuter notamment du contrat de travail. Le patronat dit qu'il faut l'assouplir ce contrat de travail. Vous, êtes-vous prêt à faire des concessions là-dessus ?
R- Nous allons surtout discuter, en tout cas de notre point de vue, de la précarité au travail. Nous souhaitions dès octobre 2006 l'ouverture de négociations pour faire reculer la précarité au travail, une précarité qui n'a cessé d'augmenter, et qui a été aussi omniprésente dans les débats publics liés aux élections. Tous les candidats ont été interpellés pour savoir quelle était leur vision du marché du travail. Admettaient-ils cette précarité grandissante, notamment les travailleurs pauvres ? Alors, nous savons bien à l'ouverture de ces discussions cet après-midi, qui sont sensées caler un cycle de négociations, que les employeurs cherchent de plus grandes flexibilités, de plus grandes souplesses. Ils laissent à penser...
Q- De votre part, y a-t-il des concessions possibles là-dessus ou pas ?
R- Nous pensons que la précarité est grandissante depuis des années, et que, contrairement à ce que l'on veut bien continuer de nous présenter, cette précarité n'est pas source de créations d'emplois, mais au contraire, source de moins disant social, de précarité sociale grandissante dans notre pays. Et nous sommes plutôt partisans de réinventer des droits sociaux, dans un cadre collectif, à une échelle interprofessionnelle. Nous avons parlé de "Sécurité sociale professionnelle".
Q- Pensez-vous que vous pouvez vous mettre d'accord avec le patronat sur ces sujets-là ?
R- Je ne serais pas naïf au point de penser que cela va être facile. C'est la raison pour laquelle, je pense qu'il va falloir qu'il va falloir que les organisations syndicales réfléchissent aussi à l'environnement qu'elles vont créer autour de ces négociations pour qu'elles soient favorables.
Q- Il y a une unité syndicale possible là-dessus ?
R- Il y a une unité des préoccupations entre les organisations syndicales. Même si chacun de nous exprimons nos attentes de manière différente, je crois que tous les syndicats sont confrontés à la réalité dans les entreprises, c'est une précarité grandissante dans l'emploi.
Q- S'il n'y a pas d'accord, il y aura une loi, le Gouvernement l'a dit. Cela vous incite-t-il à aboutir ?
R- D'ailleurs, je crois que de ce côté-là, c'est ce qui explique l'ouverture des discussions avec le patronat. Nous demandions à discuter de la précarité il y a plus d'un an, cela nous a été refusé, c'est aujourd'hui accepté par le patronat, parce qu'il se dit que, s'il n'obtient pas gain de cause dans les négociations, il a l'espoir d'être relayé par les parlementaires. Mais à chaque jour suffit sa peine. Nous verrons ce qu'il en est d'ici quelques semaines, si les discussions et les négociations sont effectivement ouvertes aujourd'hui.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 juin 2007