Texte intégral
J.-J. Bourdin.- Le chômage, moins de deux millions de chômeurs ce sont les chiffres officiels, c'est une bonne nouvelle, non ?
R.- Vous venez de le dire ce sont des chiffres officiels...
Q.- Vous ne croyez pas à ces chiffres, toujours pas ?
R.- Je ne suis pas le seul, la plupart des syndicats font remarquer que ce ne sont plus des indicateurs fiables. Pour ce qui nous concerne, on évalue toujours de l'ordre de 5 millions de personnes qui sont soit au chômage, soit en sous-emploi parce qu'une des caractéristiques de ces dernières années, et d'ailleurs, dans la période de débat sur les élections, tous les candidats ont été interpellés sur cette situation, c'est la montée des précarités. Il ne suffit pas d'avoir de l'emploi, il faut regarder le profil de ces emplois. Donc je remarque qu'il y a une diminution du nombre de chômeurs pour reprise d'emploi - cela a baissé de 3 % -, il y a par contre une augmentation des radiations ou des personnes dispensées de recherche d'emploi. Ce sont par exemple des personnes dont on considère que l'âge peut les dispenser maintenant de rechercher un emploi - cela augmente de 5 %. Et l'une des caractéristiques de ceux qui retrouvent un travail, ce sont principalement autour de contrat de travail d'une durée de moins de six mois. On ne peut donc pas...
Q.- On veut dire par là que les chiffres sont faux alors ?
R.- Je dis que les chiffres du nombre de chômeurs sont déjà contestables en soi mais cet indicateur ne permet plus, depuis de nombreuses années, d'apprécier ce qu'est la qualité de la réalité des contrats de travail, de la situation de l'emploi.
Q.- Alors que demandez-vous ?
R.- L'une des caractéristiques, c'est l'explosion de la précarité, l'instabilité dans l'emploi.
Q.- Alors que demandez-vous ?
R.- Ce que nous demandons - c'est ce qui devrait être à l'ordre du jour, nous l'espérons, de négociations avec les employeurs, qui sont programmées pour la fin de l'année -, c'est de réinventer de nouvelles sécurités sociales professionnelles pour les salariés. C'est-à-dire de ne pas avoir ces droits uniquement indexés à l'emploi que l'on occupe mais de pouvoir être encadré, accompagné, protégé durant toute une carrière professionnelle. Alors qu'au contraire, de l'autre côté de la table, nous avons des interlocuteurs patronaux qui expliquent qu'il nous faudrait accepter une plus grande souplesse, notamment dans les procédures de licenciement. Les facilités de licenciement seraient créatrices d'emplois pour demain, un peu comme hier, mais encore aujourd'hui, où on nous laisse entendre que la pression sur le pouvoir d'achat serait en soi créatrice d'emploi. Je crois que la démonstration est faite de l'inverse.
Q.- C'est un peu le système danois dont on a tant parlé pendant la campagne présidentielle, système assez simple finalement : les facilités de licenciement sont plus grandes, on a assoupli les contrats au Danemark, en contrepartie les salariés qui se retrouvent au chômage touchent des indemnités importantes 80 à 90 % du dernier salaire, et ensuite ils sont pris en main, une formation ou un nouvel emploi sont proposés très vite, très, très vite à ces salariés.
R.- Au-delà du fait qu'on ne peut pas forcément transposer une mécanique qui fonctionne dans un pays dans un autre - tout dépend aussi de la démographie de ce pays, tout dépend des secteurs d'activité qui dominent l'économie d'un pays, tout dépend de la pyramide des âges -, il y a plusieurs facteurs qui justifient que l'on mette en place tel ou tel dispositif. Mais ceci étant précisé, il faut aussi ajouter que pour parvenir à cette mécanique danoise dont on entend parler, à qui parfois on attribue beaucoup de qualités, sans quelques défauts malgré tout, il faut quand même souligner que pour se faire, l'ensemble des contribuables accepte de mettre au pot des prélèvements obligatoires, ce que l'on appellerait en France des charges patronales et sociales pour financer ce dispositif. Alors qu'en France, vous savez qu'aujourd'hui, ce qui est présenté comme étant à la mode, c'est plutôt la diminution des impôts, la diminution des prélèvements. On ne peut pas à la fois avoir de dispositifs protégeant la collectivité sans avoir les moyens et les ressources pour les financer.
Q.- Au Danemark, les organismes qui aident les chômeurs, les chercheurs d'emploi à retrouver du travail, sont des organismes publics mais au Pays-Bas, par exemple, il y a soit des organismes publics, soit des organismes privés qui accompagnent les chômeurs dans la recherche d'emploi. Au Danemark, on a regroupé, on a regroupé les Assedic et les organismes publics qui aident les chômeurs à trouver des emplois. On a tout regroupé, tous les services publics de recherche d'emploi et de versement des indemnités ont été regroupés au Danemark. Est-ce que vous êtes favorable à un tel regroupement en France ? Je sais que vous y êtes opposé, pourquoi ?
R.- Il y a sans doute des choses à faire dans l'efficacité des dispositifs au service des demandeurs d'emploi, des chômeurs. Et de ce point de vue, les synergies entre les différentes entités qui ont en charge une partie du traitement des chômeurs peut être améliorée. Cela ne justifie pas pour autant qu'il faille fusionner toutes les institutions ou les organismes.
Q.- Vous êtes toujours opposé à toute fusion ?
R.- Nous pensons qu'il y a des prérogatives et des missions spécifiques destinées à répondre aux besoins des chômeurs qui nécessitent d'être organisées d'une manière structurelle avec une certaine autonomie de fonctionnement.
Q.- Le contrat unique que souhaite le gouvernement, nous n'avons pas encore le texte, donc nous ne savons pas exactement ce que réservera la discussion à l'automne, mais la sécurisation des parcours professionnels peut-elle être un préalable ou une contrepartie à l'assouplissement des contrats et du droit de licenciement ?
R.- Nous, nous contestons. Mais nous ne sommes pas les seuls, je reviens de Bruxelles pour une réunion de l'ensemble des syndicats européens ; le thème d'actualité en Europe, qui vient de valoir d'ailleurs une communication de la Commission européenne, c'est de promouvoir la "flex sécurité", qui sous-entend beaucoup de flexibilité pour les salariés, ils doivent accepter plus de souplesse en échange d'une hypothétique sécurité dans le traitement social qui sera fait de leur situation. Nous, nous contestons le fait que le droit du travail soit un blocage aux créations d'emplois.
Q.- Vous dites : "on ne touche pas au droit du travail actuel" ?
R.- Bien sûr qu'il faut y toucher, mais il faut y toucher dans la perspective d'améliorer la situation. Je vous ai dit combien aujourd'hui la situation faite aux salariés était caractérisée par la précarité, l'instabilité. Du fait de l'instabilité des emplois, il n'y a aucune raison pour que ceux qui soient les principales victimes des inconnues de l'économie, que ce soit principalement les salariés, systématiquement ce sont les salariés qui sont victimes des aléas : on ferme, on ouvre, on développe, on vend, on restructure, on délocalise... Quelles sont les principales victimes ? Ce sont les salariés. Une des raisons aujourd'hui, c'est sans doute que notre droit, qui a principalement été conçu par branche professionnelle, par entreprise, se trouve bousculé, laminé et ne correspond plus aux besoins des salariés. C'est la raison pour laquelle nous voulons promouvoir - et sans doute nous faudra-t-il un rapport de force pour l'obtenir de la part des employeurs - une sécurité sociale professionnelle qui fait que les droits des salariés sont attachés à la personne du salarié au fur et à mesure de son expérience professionnelle, il conserve ses droits indépendamment du fait que l'emploi qu'il occupe demeure, évolue, disparaisse ou se modifie.
Q.- Regardons le service minimum : que demandez-vous ? L'abandon du délai de prévenance de deux jours des salariés grévistes ? J'explique plus concrètement : une grève est annoncée, le salarié qui a envie de faire grève doit déclarer cette envie deux jours avant la grève. Est-ce que vous trouvez cela logique ou pas ?
R.- Nous sommes sur une discussion étroite avec le gouvernement et je pense que la manière dont il va se comporter dans les toutes prochaines semaines sur ce projet de loi, il nous a dit être encore à l'écoute des organisations syndicales sur nos remarques, c'est ce qu'il va valoir de ma part, d'ailleurs, un courrier adressé au gouvernement, précisant nos attentes dans ce domaine, bien que nous ayons rencontré le ministre du travail à plusieurs reprises sur ce sujet. Je crois que la manière dont il va écouter les remarques de toutes les organisations syndicales, les critiques ne sont pas singulières de ce point de vue...
Q.- Là, vous êtes opposé à ce point précis ?
R.- Nous sommes sur un droit qui est garanti par la Constitution française, le droit constitutionnel de grève. Ce que suggère de faire le gouvernement, c'est d'une part de se faire quelques petits plaisirs politiques au travers de ce texte, avec des dispositions complètement inutiles et des dispositions pour partie contradictoires, à la fois avec des éléments de droit et avec l'objectif recherché. Je pense qu'il n'est absolument pas nécessaire d'avoir de déclaration préalable sur son intention de faire ou de ne pas faire grève. Cela va représenter, si cette disposition passe, une pression supplémentaire sur les salariés ...
Q.- Vous êtes opposé à cette disposition ?
R.- Oui.
Q.- Donc vous allez demander au gouvernement de la retirer ?
R.- Non seulement de la retirer mais de bien apprécier que s'il l'adopte, pratiquant des conflits du travail dans les transports pendant de nombreuses années, je serais à même de lui démontrer que par la pratique, les conséquences seront pires que celles aujourd'hui dénoncées en cas de grève.
Q.- Autre sujet et autre demande de la CGT et de plusieurs syndicats, l'organisation de ce fameux vote à bulletin secret par l'employeur au bout de huit jours de grève. Vous demandez aussi la suppression...
R.- C'est un vote qui ne sert à rien, puisque le droit reconnaît ou plutôt la Constitution reconnaît que le droit de grève est un droit individuel qui s'exerce dans un cadre collectif mais c'est un droit individuel. Autrement dit, il ne peut pas être question de laisser entendre que c'est le principe de la majorité qui s'impose éventuellement à une minorité. D'autant plus qu'il a été courant, il sera de toute façon encore, je crois, très courant que des grèves aient été minoritaires par le passé, et je dirais même heureusement qu'il y a eu des minorités.
Q.- C'est aussi un point sur lequel vous ne discuterez pas ?
R.- C'est une disposition qui est inutile, sauf si l'on se donne ou le législateur se donne comme objectif de vouloir opposer les catégories de salarié entre elles, puisqu'en même temps, le gouvernement laisse entendre que ce vote n'aurait pas d'incidence directe sur le déroulement de la grève, parce que là il se heurte au droit constitutionnel. Donc c'est simplement un vote qui serait organisé pour la communication. Mais je voudrais dire aussi un mot sur le fond de ce problème : le gouvernement dit que c'est la continuité du service public qui est le souci et qui l'amène à légiférer sur le droit de grève, or s'agissant des transports et des usagers - on les qualifie d'ailleurs d'usagers en cas de grève ; on les qualifie le plus souvent de clients au fil du temps, y compris lorsqu'on inaugure le TGV Est -, ce à quoi ils sont confrontés en termes de perturbation, de retard, de suppression de train, dans la très grande majorité des cas, plus de 90 % des cas, ce sont pour des causes matérielles liées aux infrastructures, liées au matériel, liées à l'insuffisance de personnel. Les circulations perturbées pour raison de grève sont infimes dans les statistiques mêmes des directions d'entreprise.
Q.- Sauf en Provence-Alpes-Côte d'Azur, à la SNCF. Il faudrait qu'on regarde les chiffres, vingt-huit jours de grève depuis janvier dernier en région PACA.
R.- Oui, mais vingt-huit jours de grève sur quel type d'effectif ? Cela ne veut pas dire pour autant qu'il y a eu 28 jours sans circulation sur la région PACA.
Q.- Vingt-huit jours perturbés au moins, et je ne parle pas des retards et des problèmes de matériel auxquels vous faisiez allusion.
R.- Et d'ailleurs, les associations d'usagers aimeraient aussi qu'on parle des problèmes
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 29 juin 2007