Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, dans "La Tribune" du 26 juin 2007, sur le dialogue social, la politique contractuelle et la négociation des partenaires sociaux sur le contrat de travail, l'assurance chômage et la sécurisation des parcours professionnels.

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La Tribune : Les Français, dans leur grande majorité, ont choisi la droite pour cinq ans. D'après vous, est-ce un vote d'adhésion au vaste programme de réformes sociales sur lesquelles Nicolas Sarkozy s'est engagé pendant la campagne ?
Jean-Claude Mailly : Ce qui a joué dans ces élections, c'est la question du volontarisme politique à l'heure où les pouvoirs publics semblent impuissants. Mon sentiment est que les citoyens ne votent pas obligatoirement en fonction du contenu détaillé d'un programme. Il serait faux de penser qu'ils ont donné un blanc-seing au gouvernement sur toutes les mesures annoncées pendant la campagne. Certes, beaucoup de personnes pensent qu'aujourd'hui il faut changer certaines choses. Mais elles considèrent aussi que cela ne doit pas se faire brutalement, qu'il faut du dialogue et de la négociation.
La Tribune : Craignez-vous que Nicolas Sarkozy aille trop vite ?
Jean-Claude Mailly : Pour le moment, en termes de méthode, en nous recevant deux fois, y compris avant qu'il entre en fonction, le président a voulu marquer qu'il portait un intérêt au dialogue social. Il a tenu compte de ce que nous lui disions, en acceptant notamment de nous laisser négocier avec le patronat sur certains sujets. Certes, il ne fait là qu'appliquer la loi de modernisation sociale mais il aurait pu décider de passer en force. Sur la méthode, c'est plutôt positif. Maintenant, est-ce que cela va se poursuivre ? Je n'en sais rien. On sent le dilemme entre vitesse et précipitation.
La Tribune : La grande négociation sociale sur le contrat de travail, l'assurance chômage et la sécurisation des parcours professionnels ne donne-t-elle pas aux syndicats une occasion historique de retrouver une légitimité ?
Jean-Claude Mailly : Pour nous, c'est moins une question de légitimité syndicale que d'efficacité. Il y a nécessité de montrer que, par la pratique contractuelle, nous pouvons obtenir des avancées. C'est là l'enjeu. La nature de cette négociation est complexe, y compris pour le patronat d'ailleurs.
La Tribune : Le gouvernement vous donne six mois pour aboutir. Ce délai est-il suffisant ?
Jean-Claude Mailly : Une échéance de six mois ne peut être une date couperet. De la même manière que le document d'orientation que nous avons reçu du Premier ministre n'est ni une feuille de route, ni une lettre de cadrage. Nous gardons notre liberté de négociation. Une négociation ne comporte pas une obligation de résultat. Cela dépendra beaucoup du comportement du patronat. Va-t-il rester arc-bouté à certains objectifs qui rendraient la négociation impossible, pensant qu'il aura plus de satisfaction par la loi ? C'est ce qui s'est passé en 2004 sur les restructurations.
La Tribune : Êtes-vous d'accord pour aborder la question du contrat de travail ?
Jean-Claude Mailly : J'ai toujours dit que nous ne pouvons pas accepter de glisser du Code du travail vers le Code civil en acceptant, comme le souhaite le Medef, une rupture dite négociée ou séparabilité qui empêcherait les salariés d'avoir un recours juridique. Cela veut dire qu'on livrerait les salariés pieds et mains liés à l'employeur. Il y a des lignes blanches que nous ne pouvons pas franchir.
La Tribune : Ne fallait-il pas traiter au préalable la question de la représentativité ?
Jean-Claude Mailly : Nous devons avoir une négociation. Qu'il y ait un critère électoral à un moment donné, pourquoi pas ? Mais pour nous, c'est un critère parmi d'autres, pas le seul. Ce que nous ne voulons pas, c'est que les syndicats passent à un mode de fonctionnement de type parti politique. Ce qui explique notre refus des accords dits majoritaires.
La Tribune : Quelle est votre position sur la TVA sociale ?
Jean-Claude Mailly : Le débat est mal posé. Nous souhaitons d'abord une meilleure clarification entre ce qui ressort de la responsabilité de l'État et ce qui ressort du concept d'assurance dans le financement de la protection sociale, y compris pour régler le problème de la compensation des exonérations qui n'est toujours pas réglé. Après, il faudra réfléchir aux cotisations. Nous tenons à ce que globalement la part financée par les cotisations soit majoritaire dans le financement de la Sécurité sociale. Aujourd'hui, 60 % du financement est assuré par la cotisation. Il ne faut pas descendre en dessous de ce seuil. Par ailleurs, on ne me convaincra pas que la TVA sociale est un outil antidélocalisation efficace. Je ne vois pas comment on arrivera à combler une différence de coût du travail avec l'Inde, la Chine, voire la Roumanie. Nous continuons à considérer qu'une grande réforme fiscale est nécessaire, ce qui implique de redonner à l'impôt sur le revenu un rôle plus important.
La Tribune : Quels sont les enjeux du congrès ?
Jean-Claude Mailly : Nous allons réaffirmer que Force ouvrière reste une organisation réformiste qui essaie d'obtenir progressivement une amélioration de la situation des salariés. Mais cela n'exclut pas que l'on puisse contester quand c'est nécessaire. La capacité contestataire, pour moi, fait aussi partie du réformisme. Le congrès intervient au moment où est annoncé un ensemble de réformes, ce qui va nous permettre de nous positionner. Un autre thème retenu pour le congrès est celui de la syndicalisation. Le syndicalisme français se trouve face à un défi de syndicalisation, car le système qui était en vigueur auparavant, notamment la hiérarchie des normes, faisait que, même si le syndicat n'était pas présent dans une petite entreprise, les salariés de cette entreprise étaient assurés de bénéficier de l'accord de branche. Aujourd'hui, le système dérogatoire ne permet plus toujours cela. Cela signifie qu'il est nécessaire d'accroître l'implantation syndicale, dans le public comme dans le privé. Cette démarche sera débattue au congrès au sein d'une commission spécifique.
PROPOS RECUEILLIS PAR DELPHINE GIRARD et ISABELLE MOREAU source http://www.force-ouvriere.fr, le 27 juin 2007