Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT à "CFDT Magazine" du 29 juin 2007, sur la négociation avec les partenaires sociaux et le service minimum dans les transports publics.

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Média : CFDT Magazine

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CFDT Magazine. Quelle appréciation la CFDT porte-t-elle sur les événements politiques de mai et juin par rapport à l'idée qu'elle se fait d'une démocratie moderne et vivante ?
François Chérèque. Les élections présidentielles ont montré un regain d'intérêt des Français pour le débat politique. La CFDT s'en félicite. Mais ce taux de participation souligne aussi une forte attente de solutions aux problèmes de nos concitoyens. Le reflux de la participation aux législatives montre qu'il existe toujours une défiance et une inquiétude à l'égard du politique. Ce ressenti souligne les responsabilités de la nouvelle majorité.
CFDT Magazine. La CFDT est, par ailleurs, satisfaite de la baisse des extrêmes et notamment de l'affaiblissement de l'extrême droite même si ses idées existent toujours. Les pouvoirs sont concentrés aux mains d'un seul homme et de son parti. Existe-t-il un risque d'hégémonie du politique et d'une mise en veilleuse de la démocratie sociale ?
François Chérèque. Le résultat de ces différents scrutins exprime le choix des Français. Certes, lorsqu'il y a une concentration forte des pouvoirs, il existe le risque d'oublier la démocratie sociale. Dans notre histoire récente, cette dernière a été ignorée aussi bien avec des majorités fortes ou non, qu'avec la gauche comme avec la droite.
De ce point de vue, l'affaire du CPE (contrat première embauche) mérite une attention particulière. Au moment du retrait du texte, on a parlé d'une grande victoire. Mais la plus grande victoire, c'est que cette crise a révélé qu'on ne passe pas en force sans négociation. L'acquis essentiel est inscrit dans la loi de janvier 2007. Le texte indique que toute majorité doit proposer une négociation avant toute réforme du Code du travail ou avant toute réforme concernant le champ social. Cette loi, résultante de l'affaire du CPE, peut nous servir de bouclier face à une attitude politique qui serait hégémonique.
CFDT Magazine. Le président de la République a reçu, avant même sa prise de fonction, les organisations syndicales. Était-ce une volonté de désamorcer les conflits ou une approche nouvelle du dialogue social ?
François Chérèque. L'avenir le dira. À la CFDT, nous ne sommes pas naïfs. Nous savons bien que cette attitude peut être une manière de désamorcer des conflits ou de nous prendre à contre-pied. L'ouverture à gauche et celle que le président pratique vis-à-vis des partenaires sociaux relèvent de la même communication. Pour autant, cette ouverture existe, c'est un fait. La volonté du Premier ministre de proposer des négociations limitées dans le temps puis, en cas d'échec, de demander au politique de trancher nous place devant nos responsabilités. En substance, il dit : « Négociez et si vous n'êtes pas capables d'aboutir, nous aurons la légitimité de faire. »
CFDT Magazine. Le gouvernement impose aux syndicats un calendrier serré. Est-ce compatible avec une démarche de négociation ou s'agit-il d'une consultation ? Les quatre conférences de septembre sont-elles un point de départ ou d'arrivée ?
François Chérèque. Il faut distinguer trois choses. Il y a la lettre de cadrage du Premier ministre sur deux sujets : le marché du travail et la représentativité. Nous avons six mois pour négocier et faire des propositions.
Ensuite, il y a les sujets sur lesquels nous avons refusé de discuter parce que nous sommes en désaccord sur les objectifs. Je veux parler notamment des heures supplémentaires défiscalisées. Nous avons participé à la concertation, à un échange de points de vue même si, au passage, nous trouvons un peu légère cette concertation par rapport aux engagements du président de la République. Sur ce point, je n'hésite pas à dire que l'on s'est moqué de nous.
Enfin, il y a les tables rondes sur les salaires et le pouvoir d'achat, l'égalité hommes-femmes et les conditions de travail. Il s'agit pour nous d'un moment d'expression revendicative et le début, je l'espère, d'un travail avec le gouvernement et les partenaires sociaux.
CFDT Magazine. Sur le service minimum, que pense la CFDT de la loi-cadre et de son application dans les entreprises ?
François Chérèque. La CFDT a débattu du service minimum lors de son congrès de Grenoble en juin 2006. Notre approche est conforme aux décisions de congrès. Il s'agit, pour nous, d'affirmer le respect des usagers des transports qui doivent pouvoir se rendre normalement à leur travail. En même temps, la CFDT réaffirme son attachement à la reconnaissance du droit de grève. Il faut donc mettre en place un système d'anticipation pour parvenir à résoudre les conflits avant la grève. Je pense que 95 % des conflits peuvent trouver une solution dans ce cadre.
Cette nouvelle démarche peut marquer un changement fondamental de la pratique du dialogue social dans les services publics. Une grève a lieu lorsqu'il n'a pas été possible de faire autrement. C'est un changement de culture fort qui détermine un type de syndicalisme. De ce point de vue, nous vivons peut-être la fin d'un cycle.
CFDT Magazine. La question des heures supplémentaires reste un point fort de divergences. Quelles seraient les conséquences du projet de loi sur l'emploi et le pouvoir d'achat ?
François Chérèque. Nous sommes hostiles à ce projet pour plusieurs raisons. Les heures supplémentaires, moins chères que le travail ordinaire, défavorisent la création d'emplois. En les privilégiant, on envoie un signe négatif à la lutte contre le chômage. C'est également un leurre vis-à-vis des salariés, car dans les faits, seul l'employeur décide. On ne peut pas mettre en oeuvre une politique salariale sur l'extension ou la pratique des heures supplémentaires puisque celles-ci ne concernent qu'une minorité de salariés.
Enfin, la loi proposée laissera un grand nombre de personnes en difficulté sans pour autant résoudre leurs problèmes : les salariés à temps partiel imposé par exemple. Les employeurs n'auront pas intérêt à les passer vers des temps pleins. Il leur suffira d'attribuer des heures complémentaires défiscalisées qui ne pourront pas dépasser 10 % du temps travaillé. Quelle avancée pour des salariés qui, souvent, ne paient pas d'impôt ?
CFDT Magazine. Pourtant les heures supplémentaires semblent rencontrer une certaine adhésion...
François Chérèque. Elles sont populaires parce que les salariés veulent voir leur pouvoir d'achat augmenter, notamment les jeunes. Par principe, nous ne sommes pas contre les heures supplémentaires. Elles peuvent être utiles aux entreprises qui ont besoin d'une certaine flexibilité. Cependant, elles ne peuvent tenir lieu de politique salariale digne de ce nom.
Dans la conférence sur les salaires et le pouvoir d'achat, nous souhaitons débattre d'une proposition CFDT qui a été reprise par Nicolas Sarkozy pendant sa campagne présidentielle. L'idée est de lier les aides et subventions aux entreprises à des contreparties sur les carrières, les qualifications, le pouvoir d'achat... Surtout, ces aides aux entreprises ne doivent plus être concentrées sur les salaires autour du Smic ce qui a pour effet d'encourager les employeurs à maintenir les salariés dans des trappes à bas salaires.
CFDT Magazine. Le président de la République a engagé une réforme fiscale : droit de succession, bouclier fiscal, déduction des intérêts d'emprunt... Ces mesures vont-elles dans le sens souhaité par la CFDT ?
François Chérèque. Pour certaines, la CFDT n'a rien de particulier à dire. La déduction fiscale sur les intérêts des emprunts par exemple n'est pas choquante. Cette mesure existait autrefois, elle a été supprimée, elle est rétablie. Pourquoi pas ? Il est vrai qu'il y a moins de propriétaires en France que dans d'autres pays européens. En tout état de cause, cette mesure ne réglera pas la question du logement social.
En revanche, sur d'autres propositions, nous sommes en désaccord : sur les droits de succession, le bouclier fiscal à 50 % intégrant la CRDS et la CSG, la TVA sociale, le projet de franchise sur les dépenses de santé... Tout cela concourt à concentrer la fiscalité et le financement de la protection sociale sur les salariés et en particulier sur les plus modestes et les classes moyennes. On rompt le principe de solidarité : « Je paie en fonction de mes moyens et je suis soigné en fonction de mes besoins. »
CFDT Magazine. Que dit la CFDT sur la TVA sociale qui, au sein même du gouvernement, semble faire débat ?
François Chérèque. La CFDT y est défavorable. Il s'agit d'un transfert des cotisations des entreprises sur les consommateurs. Je ne vois pas l'intérêt pour les salariés. Les entreprises ne répercuteront pas dans les salaires les gains qu'elles réaliseront. De plus, avec cette nouvelle assiette, les foyers les plus modestes qui consacrent l'essentiel de leurs revenus à la consommation seront plus mis à contribution que les revenus les plus élevés qui eux peuvent investir, épargner et échapper à la TVA. Nous arriverions alors à une inversion des bases de la solidarité.
Cependant, il faut débattre du financement de la protection sociale. Il faudra examiner ce qui doit aller au financement de la solidarité par la cotisation (retraite, santé) et ce qui doit aller au financement de la solidarité nationale, laquelle doit reposer sur tous les revenus comme la famille ou le risque dépendance. De ce point de vue, je me félicite du travail engagé par les retraités CFDT qui lors de leur dernier congrès ont évoqué une participation des retraités sur le risque de la dépendance.
CFDT Magazine. Le patronat semble opérer une ouverture sur la question de la pénibilité. Cela augure-t-il une avancée des relations sociales entre syndicats et patronat ?
François Chérèque. La pénibilité reste un sujet central pour la préparation du débat sur les retraites qui doit s'ouvrir en 2008. Il s'agit en effet d'une ouverture dont la CFDT peut se réjouir. Nous étions les seuls en janvier dernier à militer pour une reprise de cette négociation.
En ce qui concerne l'attitude patronale, la présidente du Medef et le patronat en général doivent sortir de l'ambiguïté. Sous couvert d'un discours favorable au dialogue social, le Medef a souvent privilégié la loi... S'il soutient à son tour les dispositions de la loi de janvier 2007, il lui faut montrer sa capacité à aller au bout de la négociation et à sortir de ce double discours.
CFDT Magazine. Le contrat de travail est l'un des sujets importants qui va être en débat. Comment la CFDT s'engage-t-elle sur ce dossier ?
François Chérèque. Depuis six mois, nous avons engagé un processus de discussions dans le cadre de la délibération sociale entre syndicats et patronat. Tous les syndicats ont participé à ces travaux à l'exception de la CGT. Nous avons débattu de trois sujets qui ont fait l'objet d'une mise à plat : l'évolution du contrat de travail, l'assurance chômage, la sécurisation des parcours professionnels. Nous venons de décider d'ouvrir une négociation sur ces sujets. La CGT a enfin décidé de nous rejoindre.
Le contrat de travail est intégré dans cette négociation. Elle sera très difficile. Il y a d'une part, le souhait de l'employeur de bénéficier d'une plus grande souplesse et d'autre part, celui du salarié qui exige une sécurité accrue. Le compromis ne sera pas facile à trouver, mais la mise à plat a été utile. D'ores et déjà, les organisations syndicales ont acté le refus du contrat unique qui est défavorable, en particulier aux jeunes et aux nouveaux embauchés. Il doit être possible d'assouplir un système trop rigide en créant des droits transférables et un meilleur accompagnement du salarié. Je constate une sorte de contradiction ou de paradoxe sur le droit du travail. Le CDI est considéré par les textes comme le contrat classique, mais 75 % des embauches se font en CDD ! L'enjeu dans ce contexte est de faire reculer la précarité. L'accompagnement des chômeurs, l'indemnisation, le suivi, la formation hors de l'entreprise sont des questions très importantes pour donner des droits (assurance-maladie, épargne salariale et formation). C'est une négociation concernant de nombreuses personnes qui demandent, à juste titre, une sécurisation des parcours professionnels.
CFDT Magazine. La représentativité syndicale sera-t-elle traitée dans le sens souhaité par la CFDT ?
François Chérèque. Là aussi, nous avons décidé d'une mise à plat entre partenaires sociaux et d'ouvrir une négociation avec pour la CFDT l'objectif d'une meilleure représentativité sur la base des élections des représentants du personnel dans les entreprises. Ces résultats cumulés au niveau des branches détermineraient la représentativité des organisations syndicales. Depuis plusieurs mois, sur ce sujet important, nous avons avancé des propositions communes avec la CGT. Le patronat a fait un premier pas dans cette direction, FO semble décidée à en débattre. L'ancien ministre Gérard Larcher avait approuvé notre démarche. Il y a un mouvement qui démarre. Reste à l'amener à bon port collectivement.
CFDT Magazine. La CFDT avait soutenu activement le projet de traité constitutionnel européen. Comment analyse-t-elle les différentes démarches du président de la République pour aboutir à un Traité simplifié qui serait ratifié par la voie parlementaire ?
François Chérèque. Nous jugerons de la démarche de Nicolas Sarkozy à l'aune de la place qui sera réservée à la Charte des droits fondamentaux dans ce traité simplifié. Si la simplification consiste à supprimer cette Charte, nous nous y opposerons. Mais il faut rappeler que ceux qui ont refusé le traité ont mis cette charte en danger. Pour la CFDT, le traité doit impérativement comporter la nécessaire amélioration de l'existant, pour pouvoir gouverner à vingt-sept, et la Charte des droits fondamentaux.
Propos recueillis par Henri Israël et Corinne Grincourt source http://www.cfdt.fr, le 29 juin 2007