Interview de M. Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, sur la position de la France sur les négociations à l'OMC, l'agriculture européenne et les réunions de préparation du "Grenelle de l'environnement".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral


- Etes-vous enclin à croire Peter Mandelson (commissaire européen au Commerce) qui a déclaré tout récemment : " s'il n'y a pas d'effort proportionné à l'offre européenne à l'OMC, je reverrai ce que l'Europe a mis sur la table. " ?
Jean-Michel Lemétayer : Je suis plutôt enclin à avoir des doutes, jusqu'à présent M. Mandelson a toujours offert plus sans avoir rien obtenu. Je souhaite que l'Union européenne prenne une posture extrêmement ferme, qu'elle explique que toutes les avancées consenties ne valent que s'il y a des concessions de la part des autres. Le problème avec les concessions de Peter Mandelson, c'est que nos partenaires les jugent acquises, demandent plus sans pour autant donner quoi que ce soit en retour.
M. Mandelson n'a pas opté pour la bonne stratégie. Il aurait dû s'arrêter à la réforme de la Pac de 2003 et à la suppression conditionnelle des subventions à l'exportation. Il n'y a rien face à ces avancées alors que la base de la négociation, c'est le parallélisme des engagements. "
- Que vous a dit Nicolas Sarkozy sur la position de la France à l'OMC ? La première étape d'un accord est-elle à craindre pour fin juin ?
JML: J'ai rappelé à Nicolas Sarkozy que la négociation était sur de mauvais rails. Elle ne prend pas en compte la diversité des agricultures dans le monde et une approche par grandes régions. Le Chef de l'Etat m'a assuré de sa vigilance et de sa fermeté car il est convaincu de la nécessité de la préférence communautaire, seule garante de l'indépendance alimentaire de l'Union, et de l'importance de cette négociation pour l'agriculture française.
Ne pas se laisser surprendre
Il faut toujours être méfiant à l'OMC où le processus de négociation est long et complexe. Au fur et à mesure que l'on se rapproche des élections américaines de 2008 alors qu'il n'y a pas d'équilibre dans les offres, la négociation se figera. D'ici là, il y aura forcément des velléités et notamment avant la trêve estivale. La France ne doit pas se laisser surprendre. On ne peut accepter qu'il y ait seulement un accord sur le volet agricole, défavorable à l'Union européenne, sans que ne soient traités les autres sujets de la négociation : biens industriels et services notamment.
- Quelle est, selon vous, la vision qu'a privilégiée Bruxelles pour réformer les OCM fruits et légumes et vitivinicole ? Proposez-vous des modifications ?
JML: Bruxelles se fonde essentiellement sur la loi du marché et est prête à lui sacrifier les agriculteurs. La Commission utilise également cette réforme pour orienter la PAC dans son ensemble. Face à cela nous devons être très prudents et pragmatiques. Par exemple, il ne faut pas oublier que l'agriculture est sujette aux aléas alimentant une forte volatilité des marchés. Nous proposons, nous, de garder des leviers pour mieux le réguler. Il faut imposer une vision d'organisation économique et de mécanismes de gestion de marché. La gestion de crise doit être davantage prise en compte par l'UE. Enfin, face aux risques, les producteurs doivent être couverts par une assurance supportable financièrement, dans chaque Etat membre.
- Que vous inspirent les discussions en cours à Bruxelles sur la création d'un OCM unique ? Ne serait-elle pas lourde de conséquences ?
JML : " L'idée développée est la simplification. Hélas, il apparaît que la simplification envisagée est pour les fonctionnaires de la Commission, pas pour les paysans. Nous ne sommes pas spécialement préoccupés par ce projet d'OCM unique à partir du moment où l'ensemble de l'existant est repris. Nous constatons et refusons que par ce biais, la Commission s'arroge des pouvoirs aujourd'hui du ressort du Conseil des ministres et attendons de ces derniers qu'ils défendent leurs prérogatives. Nous sommes très vigilants à ce que la rédaction de ce texte ne conduise pas à restreindre les capacités d'évolution des agriculteurs à l'avenir comme par exemple pour le fait interprofessionnel. "
Lisibilité
- Que ne doit pas être le bilan de santé de la Pac de 2008 ? En quoi peut-il être bénéfique pour l'avenir de l'agriculture européenne ?
JML : Il ne peut pas être un prétexte à une nouvelle réforme de la Politique agricole commune, ni l'occasion de revoir le budget fixé jusqu'en 2013. Les producteurs ont besoin de lisibilité pour s'organiser au niveau de leur exploitation.
Ce bilan doit en revanche servir à dresser un point de situation sur la Pac issue de la réforme de 2003, notamment en matière de découplage et de re-couplage de certaines aides, d'évolution de la jachère, de l'intervention, du régime des quotas laitiers après 2014, de la conditionnalité ou de la modulation.
Cette dernière est de 5 % aujourd'hui et Mariann Fischer Boel (commissaire européenne à l'Agriculture, ndlr) veut l'accroître encore pour déplacer vers le second pilier un certain nombre de soutiens. Mais cet argent va-t-il rester disponible pour les agriculteurs ? Quid du revenu des producteurs? Quid de la mise en oeuvre d'outils de gestion de crise ?
- Comment allez-vous aborder les réunions préparatoires du Grenelle de l'Environnement, prévu pour octobre ? Le risque n'est-il pas que les agriculteurs soient soumis à de nouvelles taxes environnementales ?
JML : Nous n'avons eu pour l'instant que des contacts téléphoniques avec Alain Juppé (le nouveau ministre de l'Ecologie et du Développement et de l'Aménagement durables, ndlr). Nous aurons un rendez-vous après les élections législatives. Nous verrons alors comment l'agriculture y participera. Nous ne nous y assoirons pas sur le banc des accusés, mais pour faire valoir les efforts considérables réalisés par les agriculteurs au travers des bonnes pratiques agricoles. Nous serons actifs pour répondre aux attentes de la société en matière de qualité de l'eau, de l'environnement, de sécurité et de qualité des produits alimentaires, mais ce n'est pas à ce Grenelle de définir la politique agricole française ou européenne. "
- Manifester contre l'application de la conditionnalité des aides Pac tout en affirmant que les agriculteurs ont fait " des efforts considérables " en matière d'environnement, n'est-ce pas contreproductif vis-à-vis de l'opinion ?
JML : Il y a un ras le bol, né de la multitude des critères de la conditionnalité, dont certains vont jusqu'à ré-expliquer aux paysans leur métier. Ces critères génèrent tout autant de possibilités de contrôles. En manifestant le 25 mai, nous avons demandé que les notions de la conditionnalité soient simplifiées. Nous comptons sur Mme Lagarde, qui a entendu nos remarques, pour porter cette revendication auprès de la Commission.
Expérience internationale
- Le choix de Christine Lagarde au ministère de l'Agriculture vous semble-t-il judicieux ? Etes-vous satisfait de ses premières semaines d'activité ?
JML: Nous avons apprécié la nomination de Mme Lagarde et ressenti dans nos premiers contacts une forte volonté de faire et de réussir. Au sujet de l'OMC, ses premières déclarations ont montré son expérience internationale. Nous espérons qu'avec elle, nous ferons valoir l'agriculture comme un grand secteur, extrêmement moderne, qui doit être reconnu comme une priorité dans notre pays, au même titre que bien d'autres.
- Vous avez annoncé que vous vous représenterez pour un troisième mandat à la tête de la FNSEA en 2008. Pourquoi cette nouvelle candidature ?
JML: J'ai pensé qu'il était inutile de faire durer le suspense dans la mesure où j'avais accepté la présidence du Copa (Comité des organisations professionnelles agricoles de l'UE). Il allait donc de soi que je continuerai parallèlement à m'engager à la FNSEA.
C'est une responsabilité lourde après les résultats des dernières élections aux Chambres d'agriculture pour continuer la défense professionnelle à laquelle les paysans tiennent, puisque nous avons gagné sur un projet. Personnellement, j'aurais pu partir sur une victoire aux Chambres, qui a repositionné très largement la FNSEA comme organisation représentative du monde paysan. A l'inverse, j'ai envie de continuer avec une équipe extrêmement motivée autour de moi."

Source http://www.fnsea.fr, le 15 juin 2007