Interview de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à France 2 le 12 juillet 2007, sur sa conception de la vie politique et sur les priorités de la politique de défense.

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Média : France 2

Texte intégral

Jeff Wittenberg : Avant de parler des questions de Défense, un mot de politique tout de même : Jack Lang qui quitte les instances dirigeantes du PS. Comme on dirait chez les militaires : il y avait une stratégie, c'était l'ouverture et puis elle a atteint sa cible, le PS qui est pris au piège.
Hervé Morin : Je trouve que le procès qui est fait à Jack Lang est un procès qui n'est pas digne. Le président de la République décide de réviser les institutions ; tous les partis politiques durant la campagne électorale, tous les candidats durant la campagne électorale ont expliqué qu'il fallait moderniser nos institutions, qu'on était passé sous le régime du quinquennat et qu'il fallait tirer les conclusions et les conséquences du quinquennat, notamment sur la revalorisation du droit du Parlement, sur l'impartialité de l'Etat, etc.
... On a tous dit la même chose. Avec des solutions souvent d'ailleurs assez comparables. On décide, le président de la République lance ce chantier et propose à tous les partis politiques d'y participer. Le Nouveau centre y participera aussi. Bien ! J. Lang est un des meilleurs spécialistes des questions constitutionnelles, il est logique que Jack Lang participe. Je me permets de vous signaler qu'en 1958, quand le Général de Gaulle a décidé de réviser la Constitution, il y avait Guy Mollet dans le comité...
Il n'y a pas que sur les institutions, il y a d'autres domaines, Dominique Strauss-Kahn au FMI, plusieurs membres de gauche au Gouvernement. Est-ce que ça veut dire, lorsqu'on dit "il faut travailler ensemble dans l'intérêt de la France", qu'il ne faut plus qu'il y ait d'opposition ?
Ce n'est pas moi qui vais vous dire le contraire. Qu'il y ait une opposition, il y en a une. Laurent Fabius est dans l'opposition...
Oui, mais on a l'impression que l'opposition c'est ringard aujourd'hui. Si on ne travaille pas au côté de Nicolas Sarkozy, on n'est pas dans le coup quoi ! ?
Nous n'avons cessé de dire, pour nous centristes, qu'il fallait prendre les meilleurs, c'était nos mots, les meilleurs pour les faire travailler ensemble. J'observe que dans un sondage qui paraîtra à la fin de la semaine, que 81 ou 82 % des Français approuvent cette démarche, parce qu'honnêtement le mur de Berlin, il est tombé depuis 1989. Et donc l'idée de considérer qu'on est encore dans un système, où il y a des fractures idéologiques absolument colossales, je crois que ce temps-là est passé.
En tout cas, votre parti - vous êtes président du Nouveau centre, les centristes qui ne sont plus avec François Bayrou - on peut considérer, aujourd'hui, que c'est un supplétif de l'UMP. Vous avez voté comme un seul homme, cette nuit, le premier volet du paquet fiscal ?
Supplétif ! Sur l'aspect 35 heures, c'est exactement les propositions que fait le gouvernement, c'est exactement les propositions que nous faisions depuis des années, sur le fait de faire en sorte que de 35 à 39 heures, on puisse gagner plus, qu'il y ait en contrepartie des exonérations de cotisations sociales pour que ça ne coûte pas plus cher à l'entreprise, et qu'on soit dans un système dans lequel on permette à ceux qui veulent travailler plus de travailler plus, et donc de gagner plus, sans que ça ne coûte plus cher à l'entreprise, de casser la logique des 35 heures. Nous avons défendu ça depuis 2002. Et vous me traitez de "supplétif", parce que nous votons ce que nous avons défendu depuis 2002 !
On va parler des questions de Défense, vous êtes le ministre de la Défense, le premier 14 juillet donc de Nicolas Sarkozy, après demain. C'est quoi la rupture "sarkozyenne" en matière de Défense ?
Nous avons engagé un vrai travail de réflexion, le président de la République a décidé de faire un livre blanc, c'est-à-dire une analyse géostratégique, sur les menaces, les risques, sur les alliances. De là, seront déterminées les missions pour les forces armées, des capacités et un format. Dans le même temps, nous faisons une revue des programmes parce que de 2002 à 2007, il y a eu un effort extrêmement important qui a été fait au profit de la Défense. Mais cet effort nous mène à partir de 2009 à des augmentations budgétaires considérables, parce qu'on passe de la période de l'étude et des développements à la période des fabrications et des livraisons. Et donc...
Alors au-delà des projets et des chiffres, vous avez...
Et donc, nous allons engager cette revue des programmes, c'est-à-dire voir si chaque programme est vraiment utile.
Dites-nous ce qui va et ce qui ne va pas ? Vous avez établi un diagnostic vérité, quelles sont les principales carences de l'armée française aujourd'hui, pour vous ?
On est capable, l'armée française est capable de remplir son contrat opérationnel, ce qui lui a été fixé par la Nation. Ce qui est certain, c'est que sur un certain nombre de domaines, on est en limite de capacité : sur le transport, vivement l'A400 M, parce les Transall sont à bout de souffle...
Ce sont des avions...
Ce qu'on appelle l'aéromobilité, c'est-à-dire sur les hélicoptères, là aussi on a des programmes qui vont arriver avec le NH90, le Tigre etc. Nous avons une vraie faiblesse sur les drones, nous avons des faiblesses aussi sur les équipements pour les combats urbains, si on était amené dans une opération extérieure à mener des choses de ce genre. Et on a des programmes qu'on a tellement étendus, prolongés, avant de lancer de nouveaux programmes, comme par exemple sur les sous-marins nucléaires d'attaque, qu'on ne pourra pas retarder indéfiniment ces programmes.
Et puis Hervé Morin, il y a « ce serpent de mer » entre guillemets, du deuxième porte-avions. Vous avez dit récemment que vous sentiez que les Britanniques n'étaient pas très chauds...
Non, je n'ai jamais dit ça.
Alors qu'est-ce que vous avez dit ? Est-ce que la France est prête à construire ce porte-avions.
Je n'ai absolument pas dit ça, j'ai seulement dit que nous travaillons dans la perspective de réaliser ce second porte-avions dans une logique qui est simple : c'est que dès lors que la France a décidé de faire un premier porte-avions pour projeter une puissance que représente ce porte-avions, pendant les périodes d'entretien et de réparation - celle qui a commencé, qui rend indisponible le porte-avions pendant 15 mois - nous n'avons plus de capacité de ce genre. Et donc la logique c'est d'en faire un second. Mais on a lancé un système, on essaie d'avoir une cohérence intellectuelle avec le libre blanc, la revue des programmes et donc on a à vérifier que tout ça rentre. Et deuxième élément, bien entendu, comme on le fait en coopération avec les Britanniques, je rencontre le ministre de la Défense britannique samedi matin, pour revoir avec lui où ils en sont, puisque, comme vous le savez, on a changé de Premier ministre en Grande-Bretagne.
Vous avez aussi lancé un comité chargé de réaliser des économies. Quel genre d'économies vous comptez faire dans votre secteur ? Dans le secteur de la Défense ?
J'ai lancé ça très rapidement, avec cette idée d'y mettre aussi, au-delà des inspections des corps de contrôle de l'état-major, des personnes du secteur privé, qui dans leur entreprise ont été chargés...
Qui par exemple ?
J'ai demandé à Monsieur Collomb, j'ai demandé à Monsieur Folz...
Bertrand Collomb, le PDG de Lafarge ?
Oui, l'ancien, parce qu'il faut que ce soit des personnes qui aient quitté leur entreprise bien entendu.
Et Jean-Martin Folz, l'ancien patron de PSA.
Et Jean-Martin Folz, l'ancien patron de PSA. Deux ou trois noms supplémentaires seront ajoutés, avec cette idée simple : c'est qu'on recherche partout, là où il y a des doublons, là où il y a des redondances... Je vous donne un exemple.
Par exemple ?
Je suis frappé moi, par les gardes statiques des gendarmes. On a des gendarmes qui sont là autour de l'Assemblée nationale, autour du Sénat, autour d'un certain nombre de ministères, d'institutions, où je me dis : est-ce que tout ça a vraiment du sens et de l'utilité ? Et donc j'ai demandé à la Direction générale de la Gendarmerie, de me faire le point là-dessus. Et la DGGN, la direction de la gendarmerie, me dit : on va peut-être pouvoir économiser 400 à 500 postes là-dessus. Moi, je préfère des gendarmes qui sont dans leur brigade, qui feront en plus un boulot plus intéressant, que d'avoir des gendarmes qui sont à certains endroits pour, j'allais dire pas grand chose.
Votre ministère, vous aussi, travaillez, vous dites "pour l'égalité des chances", pour les jeunes défavorisés. Qu'est-ce que vous répondez au président du CRAN, le Conseil Représentatif des Associations Noires, qui a signalé qu'il n'y avait pas un seul Noir aujourd'hui parmi les 100 plus hauts gradés de l'armée française et qui ne trouve pas ça normal ?
Il y a deux problèmes : le premier problème c'est que l'Armée Française est le premier recruteur du pays. Nous recrutons 30.000 hommes et femmes par an. Nous recrutons beaucoup de jeunes - et en général sous forme contractuelle - qui quittent l'armée au bout de huit, dix, douze voire quinze ans. Et donc moi, je veux qu'il y ait une vraie reconversion professionnelle qui soit mise en place. On fait déjà beaucoup, mais on peut faire beaucoup mieux...
Et sur la place des minorités visibles dans l'état-major ?
Attendez, et sur cette reconversion professionnelle, je suis en train de prendre contact avec des grands groupes français, qui vont avoir des problèmes de recrutement dans les années prochaines. Je pense à Suez, que j'ai contacté et qui est d'accord; G. Mestrallet m'a donné son accord. Je pense à Renault etc. compte tenu de la pyramide des âges. Et notre idée c'est de faire en sorte qu'on ait de vraies passerelles pour permettre à tous ces hommes et femmes de pouvoir retrouver rapidement un boulot quand ils quittent l'armée. Et deuxième point, sur l'égalité des chances, je ne la veux pas, [la] discrimination positive. Je veux qu'on mette en place des systèmes, avec nos lycées professionnels - je proposerai un plan à la fin de l'année - dans lequel tous les jeunes, qu'ils s'appellent Dupont ou Belharbi, quelle soit la couleur de leur peau, puissent rentrer dans les meilleures écoles de la République et donc aussi dans les écoles militaires. Voilà ce que je veux faire, mais je ne veux pas que cela s'adresse uniquement à ce qu'on appelle les "minorités visibles".Source http://www.le-nouveaucentre.gouv.fr, le 12 juillet 2007