Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT à LCI le 16 juillet 2007, sur EADS, la politique fiscale du gouvernement et notamment le revenu social d'activité.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral


Q- Le sort d'EADS se joue aujourd'hui à Toulouse. Etes-vous résigné, quelle que soit la gouvernance retenue pour EADS, à voir le plan Power 8 s'appliquer ?
R- Résignés, on ne l'est jamais. Mais il est important, d'abord que la gouvernance se règle. On l'a dit, la CFDT depuis le début : un des problèmes d'EADS et d'Airbus, c'est la double direction ; donc il nous faut un seul pilote à la tête d'EADS pour que les décisions soient prises de façon plus efficace. Ensuite, nous souhaitons bien évidemment toujours négocier ; et les négociations commencent au le plan social pour l'atténuer, mais surtout, prendre en compte les conséquences pour les sous-traitants. Parce qu'au-delà de la maison elle-même, Airbus, il y a tous les sous-traitants qui sont en difficulté et qui travaillent pour cette entreprise.
Q- Beaucoup de ces entreprises pour Airbus sont en France. Si les Allemands prennent en direct Airbus, filiale principale d'EADS, serez-vous très inquiet ?
R- A l'heure de l'Europe, au moment où on dit "il nous faut des entreprises européennes de taille mondiale", le problème n'est pas si c'est un Allemand ou un Français qui dirige cette entreprise. L'important ce sont les décisions qu'ils prennent, et les décisions il faut qu'elles soient favorables à l'entreprise pour son développement, et pour l'emploi, c'est cela l'important, peu importe la nationalité.
Q- Pour bouclier le paquet fiscal, comme on l'appelle, l'Assemblée nationale débat aujourd'hui du Revenu social d'activité. Comment convaincre un chômeur au RMI de prendre un emploi, et d'être sûr de ne pas y perdre au change ? Croyez-vous à cette réforme ?
R- C'est une réforme sur laquelle on a commencé à réfléchir avec M. Hirsch, quand il était président d'Emmaüs, il y a déjà maintenant quatre ans. C'est très important. Parce que, parfois des personnes reprennent un emploi, à temps partiel en particulier, et perdent tout ou partie de leur aide, ce qui fait qu'ils gagnent moins ou pas plus en tout cas que lorsqu'elles ne travaillaient pas. Convaincre quelqu'un de travailler sans augmentation de revenus, c'est quand même un peu difficile. Donc, cette réforme est faite pour les aider dans un premier temps, pour que, peu à peu ils reprennent du travail pour aller vers le temps plein, je pense que c'est une bonne démarche. Mais il faut prendre son temps, l'expérimenter pour voir les défauts, bien évidemment.
Q- 25 millions d'euros dans cette réforme, 13 milliards d'euros dans les cadeaux fiscaux, est-ce injuste ?
R- C'est injuste. Je ne voudrais pas comparer ces deux chiffres, mais surtout la réforme, en particulier cette loi sur soi-disant le travail - l'entrée du président de la République, c'était ce qu'il a appelé "la valeur travail", pendant la campagne électorale. Or on voit bien que l'on n'est pas sur la valeur travail. D'une part, les heures supplémentaires qui vont profiter à peu de personnes, parce que peu de personnes font des heures supplémentaires dans notre pays, et tous ceux qui
espéreraient travailler plus pour gagner plus - les temps partiels, les personnes au chômage, les jeunes et les seniors - ne pourront bien évidemment pas en profiter. Et d'autre part, des mesures fiscales qui ne sont pas des mesures de valeur travail : c'est l'héritage, c'est moins d'impôts pour les plus riches. Donc, on voit bien que, là, on ne valorise pas le travail, et c'est un peu une tromperie en quelque sorte que le titre de cette loi.
Q- Alors, si moins d'impôts c'est plus d'investissements, si les heures supplémentaires défiscalisées incitent les entreprises à en proposer plus à leurs salariés, si dans ce cadre-là la lettre de mission de C. Lagarde est respectée, est-ce que, finalement, une mécanique vertueuse va quand même se mettre en marche ?
R- Lé mécanique vertueuse est contestée par la plupart des économistes. Pourquoi ? Parce que les cadeaux sont faits aux plus aisés qui déjà consomment beaucoup. Donc, ce sera surtout de l'épargne. Et on sait très bien que ce sont les populations les plus modestes qui ont besoin d'une augmentation de leurs revenus pour relancer la consommation, et ceux-là, à part ceux qui font des heures supplémentaires, ne pourront pas consommer plus. Il nous semble qu'il aurait été plus favorable d'investir dans la recherche, dans le développement, dans la formation de tous ces jeunes qui n'ont pas de diplômes, dont on a besoin dans les entreprises. Donc, ce serait ça, selon nous, la meilleure façon de relancer l'économie.
Q- Vous rencontrez C. Lagarde, la ministre de l'Economie et des Finances, demain. Vous allez parler de sa lettre de mission : elle est chargée par le Président de fusionner l'ANPE et l'Unedic, de créer un grand service public de l'emploi. Approuvez-vous ?
R- On va d'abord demander à Mme Lagarde quelques explications, parce qu'il me semble que, dans la façon de fonctionner, on a besoin de s'éclaircir. Pourquoi dis-je cela ? Le président de la République a été très clair, il nous a dit : "négociez sur le marché du travail". Qu'est-ce que c'est que négocier sur le marché du travail ? C'est de voir s'il y a trop de contrats de travail, simplifier éventuellement ; c'est de permettre des accompagnements des salariés quand ils sont au chômage, quand ils sont jeunes et qu'ils cherchent un emploi, quand ils ont des ruptures professionnelles, quand ils sont seniors. Et ensuite, éventuellement, de voir quels sont les moyens du service public de l'emploi, de l'Unedic pour mieux les accompagner. Or, il nous semble que, là, on est en train d'inverser les choses. Donc, nous allons demander très clairement à Mme Lagarde si elle nous laisse vraiment négocier, nous laisse-t-elle le temps d'aller jusqu'au bout ? Nous sommes, nous, à la CFDT, pour aller jusqu'au bout de ces négociations, et ensuite voir les conséquences sur l'assurance chômage, sur l'Unedic, et voir si la meilleure solution c'est de fusionner, ou en tout cas de rapprocher d'une façon importante. Mais voyons d'abord l'intérêt du salarié et du chômeur, et c'est en fonction de son intérêt qu'on décidera ce que l'on fait des institutions.
Q- Elle va aussi développer ce que l'on appelle "le Small business act", à la française, c'est-à-dire, des aides aux PME. Allez-vous dans ce sens également ?
R- Si cette démarche est de réserver dans les commandes publiques une grande partie des commandes publiques pour les PME, c'est une bonne chose, parce que cela va renforcer ces entreprises et créer des emplois. Mais à condition qu'on sorte d'un système français : c'est que l'on fait des commandes aux petites entreprises, et qu'on les finance 90 jours après, ce qui les met en danger financièrement, et ce qui développe la précarité, parce qu'on embauche des CDD, parce qu'on n'a pas l'Etat qui paye suffisamment vite. Donc, il faut tout faire en même temps.
Q- Le Sénat commence demain les débats sur le service minimum dans les transports publics. Approuvez-vous l'idée d'une nomination d'un médiateur pour gérer les huit jours avant que l'entreprise vote ?
R- Notre demande était justement de travailler le plus possible sur le dialogue social à médiation. Cette loi est bizarrement faite. D'abord, on a évité le pire, c'est-à-dire, pas de réquisition, donc, derrière, il faut le reconnaître, pas de service minimum. On a tout fait pour engager le dialogue avant qu'il y ait un conflit, donc cela c'est une bonne chose. On négocie avant de faire grève, c'est un changement de culture, c'est bien. Ensuite, on a l'impression que, lorsque la grève est lancée, deux jours avant la grève, jusqu'à huit jours, on ne fait plus rien. Donc, au lieu d'aider au dialogue social, on fait en sorte qu'on attende le vote des salariés.
Q- Là, il y aura un médiateur.
R- Nous on demande un médiateur pour, lorsqu'il y a un échec de la négociation, relancer pour faire que la grève soit la plus courte possible. Mais si le médiateur, sa seule fonction c'est d'organiser le référendum au bout de huit jours, il ne servira à rien. Le médiateur doit être une personne, peut-être de l'entreprise, qui relance le dialogue pour raccourcir la grève. C'est cela l'important pour la CFDT : gêner le moins possible les usagers, anticiper pour qu'il n'y ait pas grève, raccourcir les grèves si elles se déclenchent.
Q- La CGT réclame un rassemblement unitaire, le 31 juillet. En serez-vous ?
R- Ecoutez, la CGT a déclaré toute seule qu'elle faisait une manifestation unitaire le 30 juillet. J'ai l'impression que c'est pour montrer qu'ils font quelque chose, mais qu'ils ne sont pas, comment dirais-je, très dynamiques dans cette démarche-là. Non, je pense qu'on a la discussion au Parlement sur ce texte, on va suivre d'une façon très sérieuse ce texte, et ensuite, on va négocier dans les entreprises. Et l'unité syndicale va être importante dans les entreprises, pour faire en sorte que les accords d'anticipation des conflits soient le plus efficaces possibles pour qu'il y ait le moins de grèves possibles.
Q- Baisses d'effectifs, hausse des rémunérations : le Conseil supérieur de la fonction publique s'annonce délicat demain. Les syndicats vont-ils y déclarer la guerre au Gouvernement ?
R- Il n'y a pas de guerre aujourd'hui, il ne faut pas non plus se lancer dans des expressions excessives !
Q- Alors, disons "rentrée sociale chaude" promise ?
R- Une rentrée sociale où les syndicats sont attentifs, en particulier aux décisions du Gouvernement ; qui ont capacité, et on le voit bien, on vient de s'engager, et ça va être cela l'essentiel de la rentrée, dans une négociation importante sur l'évolution du marché de l'emploi, mais aussi, une CFDT qui est vigilante et qui sait se mobiliser si elle est en désaccord avec le Gouvernement. Dans la fonction publique peut-être, si on est en désaccord, ou ailleurs, si il y a des raisons de le faire ailleurs.
Q- On vous sent moins sous le charme de N. Sarkozy que dans les premières rencontres, vous tous, syndicalistes.
R- Mais le président de la République nous a donné un mandat, qui est un mandat de négocier sur le marché du travail. Nous lui demandons tout simplement de respecter ce mandat. Et le fait qu'il donne l'impression de toujours décider le résultat de la négociation avant même qu'on ait commencé ces négociations, est un peu crispant par moment, mais je crois que l'on est dans un changement de méthode, il faut qu'on reconnaisse tous que, on a une façon différente de travailler, et il faut qu'on l'assume.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 juillet 2007