Discours de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la politique étrangère de la France à l'égard de l'Afrique et les relations franco-africaines, Paris le 2 juillet 2007.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déjeuner offert en l'honneur des ambassadeurs africains à Paris le 2 juillet 2007

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Madame le Ministre,
Monsieur le Ministre,
Chers Amis,
Je voudrais tout d'abord vous souhaiter la bienvenue au Quai d'Orsay, en ma nouvelle qualité de ministre des Affaires étrangères et européennes.
J'ai déjà rencontré un certain nombre d'entre vous et il y aurait probablement un intérêt historique à entamer un concours : qui ai-je rencontré il y a trente ou trente-cinq ans ? Il y a en a certains que je reconnais très clairement, mais d'autres se cachent car, si je les ai rencontrés il y a trente ans, eux aussi ont trente ans de plus. Il s'agit donc d'une vraie fraternité entre nous, d'une vraie fraternité entre l'Afrique et votre serviteur. Certains d'entre les ambassadeurs présents ici aujourd'hui - qui ne l'étaient pas à cette époque -, n'avaient parfois pas de pays, ils ne représentaient donc que la force du militant mais, souvent, cette force a payé.
J'ai rencontré certains d'entre vous depuis ma nomination et je suis vraiment très heureux de vous retrouver dans cette formation, c'est-à-dire presque tous les ambassadeurs africains à Paris. Je suis même ému d'être ainsi devant vous, moi qui suis à vos côtés depuis si longtemps.
Des raisons personnelles, qui tiennent au profond attachement qui me lie à votre continent, sur lequel j'ai tant travaillé, sur lequel j'ai tant espéré, tant vécu, tant appris surtout, tant forgé de convictions, m'ont guidé depuis près de quarante ans.
Nous nous connaissons tous depuis longtemps et je connais vos pays depuis très longtemps. Vous savez à quel point l'Afrique m'est chère et vous imaginez sans peine la place que je souhaite aujourd'hui réserver dans la diplomatie française à des relations franco-africaines respectueuses, confiantes, amicales, renouvelées. Dans le mot "renouvelées", il y aussi le mot "novatrices". Sans rien changer, il faut que tout change dans nos relations.
Vous m'interrogerez certainement sur cette locution mystérieuse et je serai très heureux de vous répondre puisque M. le Doyen Henri Lopes, mon ami, va diriger ce débat. Je serais très heureux que nous continuions, comme cela a toujours été le cas entre nous, si M. le Doyen le veut bien, à nous dire la vérité. C'est cela qui, peut-être, sera un peu novateur.
Cette occasion nous est chère également parce que nous allons saluer le départ du doyen des ambassadeurs du Groupe africain, M. Filippe Sawadago, ambassadeur du Burkina Faso, nommé depuis le 10 juin, ministre de la Culture, du Tourisme et de la Communication dans le nouveau gouvernement burkinabé. Félicitations, mon cher collègue.
Il nous a fait l'honneur d'être avec nous ce midi et je tiens à saluer son action durable au profit du renforcement - mais en est-il besoin ? - des relations entre nos deux pays. Monsieur le Ministre, je vous souhaite plein succès. Je vous donnerai rendez-vous, Monsieur l'Ambassadeur, à la fin du repas, pour une petite cérémonie qui me permettra de préciser la pensée, l'amitié et les relations très étroites que nous entretenons, la France d'un côté, votre pays de l'autre, et vous-même particulièrement.
Votre présence à tous ici, à l'heure où, à Accra, se tient un sommet de l'Union africaine réunissant la plupart de vos chefs d'Etat, me donne par ailleurs l'occasion de saluer les succès de l'organisation internationale et continentale, de l'Union africaine, qui prend une place de plus en plus importante dans le paysage diplomatique mondial.
Les récents conflits en terre africaine, je pense en particulier au Darfour mais pas seulement, soulignent à la fois la nécessité et la pertinence d'une Union africaine politiquement déterminée et dotée de vrais moyens.
A l'heure où les menaces économiques, sociales, politiques, sanitaires, environnementales ou encore religieuses qui pèsent sur votre continent se multiplient, et alors que la communauté internationale semble aujourd'hui tiraillée entre le cynisme et l'indifférence, nous avons besoin de vous pour constituer une force politique alternative, puissante, capable enfin de faire entendre la voix originale de l'Afrique, sans inféodation ni renoncement.
A cet égard, la France a fait du dialogue permanent avec l'Union africaine le principe de son action sur votre continent. Le président de l'Union africaine, le président Kufuor du Ghana, représenté ici par M. Owusu-Sarpong, a été reçu par le président de la République. J'ai, pour ma part, accueilli, dès son passage à Paris, son ministre des Affaires étrangères, M. Nana Akufo-Addo, avec lequel je m'entretiens souvent, appelé lui aussi à un autre destin.
Je compte me rendre, dans le courant du mois de juillet, à Addis-Abeba, afin d'aller à la rencontre de l'Union africaine et m'entretenir avec le président de la Commission, le président Alpha Oumar Konaré, avec lequel nous avons tant à partager pour améliorer le développement de votre continent.
J'ai, de plus, promis de lui rendre compte - je l'ai fait par lettre mais j'irai le lui dire de vive voix - de ce qui s'était passé pendant la conférence qui s'est tenue à Paris sur le Darfour et dont il m'a fait l'amitié de nous remercier.
Je sais que l'Union africaine s'interroge aujourd'hui sur son devenir et ses institutions. Croyez bien que je suis ces débats avec une très grande attention, convaincu depuis longtemps qu'il appartient aux Africains eux-mêmes, et à personne d'autre, de prendre leur destin en mains. Cela ne veut pas dire que l'Afrique ne doit plus compter sur l'aide des pays du nord, quand c'est nécessaire. Au contraire. Cela signifie simplement que c'est en étant unie, déterminée et dotée d'instruments politiques efficaces que l'Afrique pourra tenir le rôle que le monde attend d'elle.
Les choix auxquels l'Union africaine est aujourd'hui confrontée ne peuvent qu'évoquer chez moi ceux auxquels l'Union européenne vient de faire face.
Et d'ailleurs, dans le mécanisme qui vous tient à coeur maintenant et qui est en train de se mettre en place à Accra, beaucoup de choses nous rappellent les débuts de l'Union européenne.
Je ne sais pas encore si le Traité simplifié, sur le principe duquel nous venons de nous accorder à Bruxelles, aura toutes les vertus d'intégration et d'entraînement que nous pouvons en attendre, mais je sais qu'il n'est pas d'autre moyen, pour avancer dans une tâche aussi ambitieuse que l'unification d'un continent - et d'un continent d'une taille impressionnante comme le continent africain. Il n'est pas d'autre moyen que d'avancer progressivement vers des réalisations concrètes.
Et pour aller vers une union entre des pays qui, déjà, n'ont pas suffisamment de ressources pour se développer ainsi qu'ils le souhaiteraient, il faut des propositions concrètes, que le rêve se transforme en réalité pour chacun d'entre eux. C'est très difficile, c'est passionnant et c'est évidemment indispensable, mais il faut, je vous le dis, comme un ami et comme un frère, il faut aller vers quelques réalisations concrètes qui peu à peu font entrer l'abstraction de l'idée politique dans la réalité de la vie des gens. Je ne dis pas que ce sera tâche aisée mais il faut, par exemple, que les femmes africaines, les enfants africains sachent pouvoir compter, pour leur vie quotidienne, sur un peu plus de soins, de soutien de votre organisation. Cela donnerait de cette réalité si lointaine d'une Union africaine, une proximité et une ferveur dont elle a besoin.
La vie des gens, la vie quotidienne des personnes doit être améliorée. C'est cela qui compte. Et nous savons tous à cet égard combien les troupes de l'AMIS, aujourd'hui déployées dans le périmètre de la crise du Darfour, contribuent mieux que n'importe quel discours à faire entrer la réalité de l'Union africaine dans la vie de tous ceux que ces soldats protègent.
L'Afrique politique se construira ainsi : par des victoires sur la barbarie, par l'affirmation d'une Afrique pacifique et démocratique, porteuse des valeurs universelles des Droits de l'Homme face au relativisme et au négationnisme qui si souvent menacent. Je vous promets que la France sera à vos côtés sur ce chemin.
Non pas au nom de quelque néocolonialisme déguisé, mais pour faire advenir un développement partagé et équitable. Personnellement, tous mes amis, moi-même et mon cabinet, le dévouement et le talent de tous les agents du ministère des Affaires étrangères et européennes - évidemment je parle également au nom de Jean-Marie Bockel et de Rama Yade -, je peux vous dire que nous sommes à votre disposition, avec chacun une expérience particulière. Rama Yade s'occupe des Droits de l'Homme, Jean-Marie Bockel s'occupe du développement international et de la coopération. Nous sommes véritablement à votre disposition et il faut que le dialogue s'installe plus facilement qu'il ne s'installait auparavant. Il ne faut pas que les projets soient parachutés, qu'on vous les propose et, qu'à peine le temps de les considérer il faut déjà les accepter quand, par hasard, on vous en propose.
Il faut que ce soit un échange et c'est peut-être cela qui donnera une face un peu nouvelle, non pas seulement à ce gouvernement ou à cette présidence, mais véritablement à nos rapports entre vous et nous, sur un pied d'égalité.
Nous n'irons plus chez vous comme des conquérants. Il y a longtemps que nous ne le faisons plus, mais il restait un petit soupçon qui doit disparaître. Nous sommes égaux. Vous devez proposer, nous devons travailler ensemble et c'est cela qui, de mon avis, permettra que se dissipe dans notre esprit et dans nos coeurs, ce que l'on a appelé d'un mot qui ne me plaît pas, la France-Afrique. Nous avions des liens particuliers - tissés par l'Histoire, il n'y avait pas à en rougir, par nos relations personnelles - qui recouvraient peut-être des ambiguïtés politiques.
Voilà, je vous répète la joie d'être avec vous, en position de vous accueillir dans ce palais doré que vous connaissez bien, qui, parfois est une cage dorée. Il faut en sortir et, justement, je me propose d'en sortir le plus souvent possible. Je suis certain que M. Bockel et Mme Yade partagent ce sentiment. Nous viendrons chez vous, pas seulement pour boire un verre et s'en aller tout de suite, mais pour échanger avec vous des idées, des projets et des rêves.
Merci beaucoup.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 juillet 2007