Allocution de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les enjeux de la diplomatie française et de son adaptation à l'évolution du monde, Paris le 9 juillet 2007.

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Circonstance : Réception offerte aux agents du département et à leurs conjoints à l'occasion de la fête nationale le 9 juillet 2007 à Paris

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Je suis très heureux d'être ici avec vous ce soir, de revoir des visages connus, de rencontrer ceux que je ne connais pas encore et surtout de découvrir vos familles. Moi qui ai l'habitude de voir ces jardins vides, je suis heureux de les retrouver aujourd'hui animés, souriants, riants, emplis d'une joie de vivre communicative.
Et je suis moi aussi heureux de passer ce moment de convivialité avec vous pour rendre ainsi hommage au travail que vous accomplissez chaque jour, à votre engagement au service de notre diplomatie et de notre pays.
Depuis bientôt deux mois que j'ai pris mes fonctions dans cette belle maison, j'ai eu la chance de rencontrer un certain nombre d'entre vous - pas tous, malheureusement, mais cela viendra peut-être. J'ai visité la plupart des services parisiens, j'ai rencontré vos organisations syndicales, j'ai participé à la Commission technique paritaire ministérielle, et j'ai tenté à chaque fois d'écouter et de comprendre.
Ce qui ressort de ces échanges, c'est une angoisse diffuse, plus ou moins forte selon les fonctions, les professions, les situations personnelles, mais néanmoins bien présentes. Cette inquiétude répond à une situation il est vrai marquée par des incertitudes :
. Incertitudes sur le déroulement de vos carrières, avec ce sentiment de ne pas toujours voir votre travail et vos efforts reconnus à leur juste valeur.
. Incertitudes sur les missions de ce ministère, emporté dans un mouvement du monde qui remet quotidiennement en cause les outils et les frontières de la diplomatie.
. Incertitudes sur son périmètre aussi, avec la création d'un nouveau ministère chargé entre autres du co-développement et dont les attributions, de ce fait, sont parfois difficiles à distinguer des nôtres.
. Incertitudes plus larges sur la réforme de l'Etat, enfin, puisque nous savons que des efforts seront demandés à tous.
Toutes ces interrogations sont légitimes. Elles correspondent à de vrais enjeux qui nous concernent directement. Il faut que le dialogue social progresse encore dans cette maison. Je nommerai à cette fin un responsable accessible en permanence. Car nous devons faire ensemble le pari du changement
Oui, la diplomatie change à grande vitesse. Oui, le ministère des Affaires étrangères et européennes est aujourd'hui engagé dans une phase d'évolution importante. Oui, l'Etat doit impérativement se moderniser : le président de la République s'y est engagé et nous savons tous que c'est devenu une nécessité si nous voulons continuer d'assumer au mieux nos missions.
En disant cela, je mesure déjà les efforts que ce ministère a déjà consentis au cours des années passées. Nous sommes le ministère de loin le plus vertueux. Avons-nous toujours été payés de retour ? Je ne le crois pas.
Nous allons donc effectivement devoir nous atteler ensemble à de grands chantiers sur nos tâches, le cadre de nos missions, nos ambitions, notre organisation. Je dis bien ensemble, car il est impératif que chacun puisse s'exprimer, que chacun soit entendu.
Pour cela, je le répète, il nous faut renforcer le dialogue social, sans doute pas encore assez présent dans ce ministère. C'est pourquoi celui ou celle que je désignerai sera à votre disposition pour vous entendre et vous répondre.
Je pense en particulier aux plus jeunes d'entre vous, que je voudrais plus encore que les autres voir prendre leur part à ce moment important de réflexion collective. C'est à ces nouveaux agents, à ces jeunes pousses, à ces cellules vives de ce ministère que je pense. Je sais qu'on ne rentre pas par hasard dans ce ministère : c'est une vocation que l'on porte haut et fort. C'est un choix très personnel et très particulier d'apprentissage, de carrière et de vie.
Ce choix, vous ne le faites pas seuls. Vous le faites avec des conjoints, des familles, dont l'existence et le rôle ne sont pas toujours reconnus par ce ministère et que je souhaite saluer aujourd'hui.
Toutes ces questions, toutes ces inquiétudes, toutes ces interrogations ne trouveront leur réponse que dans la définition d'un grand dessein. C'est ce projet partagé, capable de motiver chacun, de susciter les remises en cause fécondes et les projections inventives, qu'il nous faut construire ensemble.
Notre monde a changé : ce changement doit être une chance pour notre ministère. Il doit devenir celui de la mondialisation, d'une mondialisation positive, un peu plus juste, un peu plus douce et un peu moins dirigée par le libéralisme échevelé.
Les Français ont peur du monde qui vient, de ce monde qui sera celui de leurs enfants, de ce monde incertain dans lequel ils savent que leurs repères traditionnels et leurs habitudes de pensée ne suffiront pas. Leur angoisse est légitime à bien des égards, mais elle se nourrit souvent d'approximations. Or, il est de notre responsabilité, de votre responsabilité, de les éclairer sur ce qui est déjà au-delà de nos frontières.
C'est notamment le cas sur l'Europe où il a fallu tenir compte des opinions de tous, faire preuve d'écoute, de pédagogie et d'initiative. Il nous a notamment fallu convaincre nos partenaires européens à Bruxelles, au cours de ces longues journées des 21 et 22 juin ; pour certains, il s'agissait d'accepter de revenir en arrière. Pour tous, il a fallu accepter ce principe d'un traité simplifié, qu'il appartient désormais à la présidence portugaise de faire valider dans le cadre de la concertation intergouvernementale. Nous devons expliquer cela aux Français. Ils l'attendent de nous.
Ensemble, tentons une pédagogie de notre politique internationale. Nous tous. Vous tous. Je ferai des propositions dans ce sens.
Vous possédez tous les talents pour cela : des compétences universellement reconnues, un savoir-faire politique consommé, des capacités d'analyse et d'expertise sans équivalent. Plus que n'importe quelle administration, vous êtes capables de faire l'analyse du risque, d'anticiper les choses, de prévenir les évolutions.
Les outils de ce ministère sont fantastiques et souvent insoupçonnés. Je ne reviendrai pas sur la richesse des différents services, mais je voudrais m'arrêter sur le concept de service diplomatique universel. Il me semble parfaitement résumer notre métier : être des interlocuteurs présents partout dans le monde, capables d'en appréhender la diversité et disponibles pour en interpréter la complexité pour nos compatriotes.
Vous avez cette vocation, vous avez ce talent et le goût d'entreprendre, ce sens de la médiation... qui peuvent faire accepter à nos compatriotes une mondialisation positive.
Mais la qualité des outils existants n'empêche pas des améliorations. On ne répond pas à la mondialisation par l'endogamie. Nous devons nous ouvrir aux autres, très largement.
Nous ouvrir aux talents extérieurs, aux questions de Droits de l'Homme. La société civile dans sa diversité est aujourd'hui partie prenante dans la diplomatie d'un pays. Universitaires, artistes, ONG, associations, médecins, militaires, professeurs, étudiants, entreprises, militants : c'est avec toute la France que nous ferons vivre une vraie diplomatie inventive, moderne, ouverte et dynamique.
Nous ouvrir aux regards extérieurs : il faut savoir accueillir les talents, d'où qu'ils viennent, et être capables de tirer une richesse de leurs différences.
Nous ouvrir nous-mêmes, en allant plus facilement nous enrichir ailleurs : vous le savez mieux que quiconque, c'est au contact des autres que l'on s'enrichit. Les déroulés de carrière doivent laisser davantage de place aux rencontres inattendues, aux confrontations fertiles.
Nous ouvrir aux Français qui, s'ils ont peur, ont aussi soif du monde, soif de savoir, soif de comprendre. Si nous ne le faisons pas, qui sera capable de leur expliquer ce monde complexe, dangereux certes, mais surtout passionnant dans lequel nous vivons ? Débattons avec les Français, et faisons que la diplomatie devienne un vrai enjeu politique. Que la diplomatie ne soit plus seulement un sujet de politique extérieure, mais devienne aussi un sujet de politique intérieure.
Oui, nous allons changer, oui, ce ministère va changer, mais c'est une chance historique pour nous tous. Et c'est avec vous tous que cela devra se faire. Saisissez-vous tous de cette chance individuelle et collective. Dialoguons, écoutons, inventons : de grandes choses nous attendent.
A commencer par la construction de ce ministère de la mondialisation dont la France a besoin.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 juillet 2007