Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, lors de la conférence de presse conjointe avec M. Vuk Jeremic, ministre serbe des affaires étrangères, sur le règlement de la question du Kosovo et la perspective d'adhésion de la Serbie à l'Union européenne, Belgrade le 12 juillet 2007.

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Circonstance : Voyage en Serbie et au Kosovo de Bernard Kouchner les 12 et 13 juillet 2007 : entretien avec Vuk Jeremic à Belgrade le 12

Texte intégral

Hvala, Gospodin Vuk !
Mon collègue, le ministre des Affaires étrangères de Serbie, vous a résumé les points de la discussion qui commence, mais qui ne pourra pas durer des années. Le ministre a été tout à fait clair. Le président Sarkozy a demandé six mois de délai supplémentaire. Une nouvelle résolution est soumise à discussion. Cette discussion va commencer.
Je voudrais parler franchement à mes amis serbes, comme je l'ai fait avec le ministre. Il faut une solution acceptée des deux côtés, c'est-à-dire à Belgrade et à Pristina, pour que la stabilité règne enfin dans les Balkans.
Nous n'allons pas reparler de toutes ces guerres et de l'histoire. Si nous en parlions, nous devrions parler de l'histoire récente et des siècles derniers où la France et la Serbie se sont toujours trouvées ensembles, dans les moments les plus difficiles. Lorsque je dis que je suis l'ami des serbes et que la France est l'amie de la Serbie, c'est la vérité. Ce ne sont pas des propos de circonstances liés à la situation du Kosovo.
Nous avons quelques mois devant nous : c'est peu. Il y a un consensus absolu des vingt-sept pays de l'Union européenne pour trouver une solution. J'approuve ce qui vient d'être dit sur l'entrée de la Serbie dans l'Union européenne : la Serbie doit entrer dans l'Union européenne. Le processus a été réouvert, en juin, dernier et vous avez en la France un allié pour que, au plus vite, vous deveniez candidat.
Nous avons parlé de tout cela en même temps, mais ne pensez pas que ceci sera possible avant que ne soit, définitivement, pacifiquement et d'un commun accord, réglé le problème du Kosovo. Tous vos amis vous prient de travailler dans ce sens. Nous sommes prêts à le faire à vos côtés.
Nous allons établir, pendant les mois qui restent, des contacts fréquents, pas seulement avec la France, car la France accepte ces contacts avec plaisir, mais avec tous les autres membres de l'Union européenne. C'est un problème européen que de régler le dernier point si difficile et si disputé des Balkans.
Je vous le dis avec toute l'amitié et la sincérité dont je suis capable. Si nous n'arrivons pas à régler cela, nous reviendrons, bien sûr, au plan de Martti Ahtisaari. Il y a déjà eu des discussions, peut-être pas suffisantes, mais qui ont duré 14 mois.
J'étais le premier responsable pour l'ONU et l'UNMIK au Kosovo. J'ai passé deux ans au Kosovo. Je crois connaître le problème. Je l'ai dit à votre ministre des affaires étrangères : un jour tout sera oublié. Toutes les guerres finissent par des paix. Vous serez tous ensemble un jour dans l'Union européenne. Pour cela, il faut passer par cette étape du pardon et du dépassement de ces affrontements. Les Républiques socialistes yougoslaves ont éclaté, la démocratie, dans laquelle vous avez fait des progrès formidables, est parvenue jusqu'à vous. Tous vos amis s'en réjouissent. Les jeunes ont compris qu'il s'agissait d'un monde nouveau. Je vous connais bien. Vous commencez vos phrases au présent, et les finissez un siècle avant. Il faut qu'ensemble nous parlions du présent et de l'avenir. Et la France pour cela sera à vos côtés. Je serai aux côtés de mon collègue, le ministre des Affaires étrangères.
Q - Est-ce que la France reconnaîtrait unilatéralement l'indépendance du Kosovo, en dehors d'une résolution du Conseil de sécurité ?
R - Pourquoi voulez-vous aller tout de suite au pire ? Ce qu'il faut, c'est nous donner, dès aujourd'hui, les moyens de chercher une solution.
La résolution qui est présentée aux membres du Conseil de sécurité devrait pouvoir y contribuer. Elle est très différente du projet initial. Elle a pris en compte ce que les Russes, qui menaçaient d'un veto, avaient demandé à la communauté internationale de rectifier. C'est un progrès, mais vous avez raison, cette perspective existe. Nous souhaiterions infiniment que la France, qui y est très réticente, mais également que les autres pays, n'aient pas à recourir à cette extrémité. C'est le sens de la proposition du président Sarkozy.
Q - Monsieur Kouchner, MM. Poutine et Sarkozy ont eu un entretien téléphonique. Ne serait-ce pas une nouvelle tentative de s'accorder sur une nouvelle résolution au cours de cette semaine ?
R - Le président de la République française a téléphoné récemment au président Poutine ; ils se parlent souvent. Nous avions aussi espéré, je vous le rappelle, que le président Bush et le président Poutine, durant la rencontre de Kennenbunkport, oeuvrent au rapprochement des points de vue. Malheureusement, cela n'a pas été le cas. Cependant, la réaction du président Poutine à la nouvelle version de la résolution n'est pas aussi négative que ce que j'ai pu entendre en arrivant ici. Il faut être franc, le président Poutine a l'air de trouver que nous avons fait de grands pas vers lui.
Q - Que se passera-t-il si au terme du délai de 120 jours si aucun accord n'est trouvé ? Est-ce que cela signifie que le projet d'Ahtisaari va être appliqué ?
R - Le projet de M. Ahtisaari est la base de tous les documents qui sont en ce moment à l'étude parce qu'il était le représentant de Kofi Annan, du Conseil de sécurité et de l'Organisation des Nations unies. Cela ne veut pas dire qu'il faut s'arrêter de parler. Comme mon collègue vient de le dire, si nous arrivons à parler, à reprendre un dialogue fructueux, y compris avec les Russes, tout est possible et nous pouvons discuter du report, des mots et du sens précis de cette résolution amendée. A l'inverse, si personne ne veut parler et que, d'un côté, on dit "indépendance" et, de l'autre, on dit "pas d'indépendance", alors, à la fin, il faudra décider : ce sera certainement en direction du plan Ahtisaari.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous pouvez nous exposer la position de la France par rapport à l'entrée de la Serbie dans l'Union européenne ?
R - Il faut qu'un certain nombre de formalités soient remplies puisque les pourparlers sur l'Accord de stabilisation et d'association ont repris en juin. C'est très récent, et il faut continuer pour parvenir à une candidature de la Serbie.
La France a toujours été favorable, nous l'avons toujours dit, à l'entrée de la Serbie dans l'Union européenne. Il y a cependant un certain nombre de formalités, de conditionnalités qui devront être remplies. Le rêve, que nous avons présenté ici, est que la présidence française, au deuxième semestre de 2008, soit l'occasion d'accepter la candidature de la Serbie. Nous y sommes absolument favorables. Seulement, ne nous leurrons pas, il y a le problème du Kosovo à régler auparavant. Il n'est pas possible de rentrer dans l'Union européenne avec des conflits ethniques et religieux, tout ce que vous connaissez à propos du Kosovo... et puis le dernier fragment du fracas des Balkans, le dernier point où se retrouvent encore des années, voire des siècles d'histoire : il faut régler ce problème et nous en sommes complètement partisans puisque c'est la France qui a demandé qu'un nouveau délai soit accordé pour qu'un compromis puisse être trouvé.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez dit qu'il ne fallait pas reprendre les négociations sans fin ?
R - Je crois que ce serait dommageable pour tout le monde si nous repoussions les négociations d'année en année. Je crois qu'il faut prendre une décision à un moment donné : le plan de M. Ahtisaari était une des bases. Les Russes nous ont demandé qu'il n'y ait pas de solution dictée d'avance. Nous l'avons accepté et la nouvelle version du projet de résolution qui commence à être discutée cette semaine ne comporte aucune automaticité. Mais à un moment donné, il faut bien savoir que la position française sera dépassée par la réalité. Soyons clairs, ce sera un problème européen si personne ne se met d'accord : ce sera non seulement un problème mais, peut-être, ce que je n'espère pas, un affrontement européen. Il y a un consensus des vingt-sept pays pour que l'on prenne un peu de temps et que, devant ces exigences, on recherche un compromis.
Q - Juste un mot. 120 jours, 1er janvier... Il faut fixer une date ?
R - La résolution n'est pas votée. La France avait demandé six mois, les Etats-Unis ont accepté quatre mois. Il ne faut pas que ce soit décidé d'avance et il faut un petit peu de temps. Nos amis serbes verront tous les ministres des Affaires étrangères venir ici et nous leur demanderons, ainsi qu'aux Kosovars, de venir à Bruxelles. Nous présenterons la position commune des vingt-sept pays de l'Union européenne. C'est le début d'un processus.
Q - Est-ce que l'on peut attendre la résolution d'ici la fin de l'année ?
R - D'ici la fin de cette année, sûrement oui. Mais encore une fois, nous ne pourrons pas attendre éternellement. Cela ne servirait à rien et rendrait de mauvais services à nos amis serbes et à nos amis du Kosovo.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 juillet 2007