Conférence de presse de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la recherche d'un compromis avec la Russie à l'ONU sur le futur statut du Kosovo, Pristina le 13 juillet 2007.

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Circonstance : Voyage de Bernard Kouchner en Serbie et au Kosovo les 12 et 13 juillet 2007 : conférence de presse à Pristina le 13

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Ministre,
Messieurs les Responsables politiques,
Monsieur le Représentant spécial du Secrétaire des Nations unies,
Monsieur le Commandant de la KFOR,
Je reconnais ici bien des amis et bien des visages familiers. Ce qui a changé, ce qui nous rend impatients et anxieux de notre avenir, c'est la conjoncture internationale dont nous devons, dont vous devez tenir compte parce que vous êtes nés de cette conjoncture internationale et de votre combat.
N'oubliez pas l'aide que vous ont apportée les nations du monde regroupées dans les Nations unies. N'oubliez pas que vous êtes le fruit d'une histoire très rapide et très courte par rapport à l'ensemble de l'histoire du monde. Vous êtes impatients mais il y a seulement huit ans que tout a commencé. Regardez les autres événements du monde. C'est une histoire très positive qui vous est arrivée par rapport au reste des combats du monde. Cette histoire raccourcie a changé.
Nous avions travaillé en bonne entente avec la Russie. Cela n'est plus vrai. Alors, comme la Russie est membre permanent du Conseil de sécurité et que nous sommes très fortement attachés au système des Nations unies et au multilatéralisme, nous avons changé de stratégie. Mais nous n'avons pas changé de pensée.
Nous allons, à l'appel du président de la République française, Nicolas Sarkozy, demander dans une nouvelle résolution un nouveau délai qui va peut-être nous permettre de trouver un compromis. Dans le cas contraire, nous reviendrons au plan de Martti Ahtisaari. C'est extrêmement simple et peut-être un peu contrariant mais quand on fait une négociation, il faut être au moins deux, et il n'y a pas que les Kosovars, il y a aussi les Serbes. Je viens de Belgrade et j'ai trouvé un grand changement, avec une approche plus démocratique de ce problème et l'attente d'une solution.
La France n'a pas changé. Je suis désolé de devoir faire attendre mes amis, ici, mais ce n'est pas de ma faute. La réalité est quelque chose dont il faut tenir compte. Il y a de nombreux problèmes à travers le monde. L'attitude des Russes a souvent changé par rapport à ces problèmes.
Je vous garantis que l'unité - dont je félicite ici "l'équipe unie de négociations", qui, opposition et majorité ensemble, a négocié avec M. Ahtisaari - et ce temps ne seront pas perdus.
En face de cette unité, il y a nécessairement une unité de l'Union européenne. Ce n'est pas facile d'avoir la même opinion à vingt-sept. Nous devons être ensemble, avec nos amis américains. Si nous arrivons à convaincre les Russes, nous serons heureux. Peut-être que nous n'y arriverons pas.
Q - Monsieur le Ministre, vous dites que le Kosovo n'est pas le seul problème au monde. Si vous ne parvenez pas à obtenir un compromis avec la Russie, est-ce que vous allez permettre au Kosovo de proclamer son indépendance ?
R - L'indépendance est une question très importante, mais les conditions de l'indépendance et la survie de l'indépendance sont encore plus importantes. Nous qui sommes partisans de l'implication des Nations unies dans le règlement des problèmes du monde, on ne peut pas nous demander de détruire notre propre outil. Tenir compte des réalités, c'est aller vers l'indépendance par une meilleure voie.
Q - Monsieur Kouchner, hier, à Belgrade, vous avez déclaré qu'un des "non" des principes du Groupe de contact était devenu "oui" : je vous parle de la partition du Kosovo. Est-ce que cela veut dire que d'autres "non" des principes du Groupe de contact peuvent devenir des "oui" ? Je parle du principe qui concerne l'unification du Kosovo avec un autre Etat.
R - Je n'ai jamais déclaré cela et le Groupe de contact non plus. Je ne sais pas de quoi vous parlez. Nous sommes dans le Groupe de contact et la position commune du Groupe de contact, c'est de donner un peu de temps et d'aller vers une résolution qui serait acceptée par les Russes. Si elle n'est pas acceptée, alors on verra. Nous retournerons vers le plan de Martti Ahtisaari.
Q - Est-ce que vous proposez une institution un tant soit peu commune ou alors une unité du Kosovo et de la Serbie dans l'Union européenne ?
R - Je crois que chacun veut aller à sa vitesse vers l'Union européenne, avec des conditions particulières à chaque pays. Mais nous n'allons pas recommencer comme avec Chypre : je ne pense pas qu'un pays puisse adhérer à l'Union européenne avec ce qu'on appelle des conditionnalités, avec une partie du territoire qui serait occupée par une force de paix. Je crois que c'est impossible, même si nous avons été heureux que la stabilité et les conditions soient réunies, il y a quelques jours, pour réouvrir les négociations de l'Accord de stabilisation et d'association avec la Serbie. Nous avons toujours été partisans, en France, de l'entrée de la Serbie dans l'Union européenne. Il y a quand même un problème à régler.
Q - Y a-t-il un accord des deux côtés sur les discussions durant les 120 jours ? Quel compromis recherchez-vous à la fin de ces 120 jours ?
R - Nous verrons à la fin. Pour le moment, nous cherchons un compromis. Aujourd'hui, il n'y en a pas. Ce qu'il y a, c'est l'espoir qu'un tel compromis soit trouvé. Nous n'avons pas commencé les 120 jours. Ce n'est qu'hier que le projet d'une nouvelle résolution a été présenté à la discussion au Conseil de sécurité à New York. Il n'a pas encore été accepté pour le moment, nous devons y travailler. C'est un peu trop tôt pour dire quoique ce soit de plus. Oui, en effet, dans le dernier projet, le délai était de 120 jours. Nous déciderons ensuite.
Q - Est-ce qu'il y a un accord des deux parties sur le déroulement des 120 jours et sur le reste de la résolution ?
R - Les deux parties sont impliquées dans la résolution. Il s'agit juste d'un projet et d'une proposition. Pour le moment, ceux qui sont chargés de rédiger la résolution, les Britanniques, les Américains et nous-mêmes, avons toujours été d'accord. C'est toujours le cas. On doit permettre à tous les autres membres du Conseil de sécurité, les membres permanents et les membres non-permanents, d'être en accord avec le texte.
Q - Pour le moment, nous avons eu cinq projets de résolution et ils n'ont donné aucun compromis. En conséquence, quelle porte de sortie voyez-vous et combien de temps cela va- t-il prendre ?
R - D'après le texte, cela va prendre 120 jours.
Q - Mais combien de temps pour parvenir à un compromis ?
R - Je ne sais pas. Il est impossible de le dire. Je ne veux pas vous mentir. Parfois, cela prend un jour, parfois des mois pour que tout le monde soit d'accord. C'est un problème vraiment très difficile. Ne croyez pas que nous nous moquons de vous. Ne croyez pas que nous jouons. C'est le problème le plus important à régler dans le monde, avec le Moyen-Orient. N'affirmez donc pas que cela est facile, car cela ne l'est pas. Vous n'êtes pas seuls. Vous êtes face aux Serbes, au reste des Balkans. Vous êtes face à l'Europe et au monde.
Jusqu'à maintenant, cela a été un succès fantastique. Il y a quelques obstacles, tentons de les franchir et de les dépasser. C'est parfaitement normal dans le quotidien des Nations unies. Nous ne sommes pas toujours en accord, c'est un fait. Regardez la réalité. Regardez où nous en étions, ici, il y a huit ans. Regardez ce qui a été fait depuis.
Q - Est-ce que vous croyez que vous allez pouvoir maintenir un consensus au sein de l'Union européenne pendant ces 120 jours de négociation entre Pristina et Belgrade ?
R - J'y crois, mais je n'en suis pas sûr. Il n'a pas été facile de trouver un consensus au sein de l'Union européenne. Cela nous a pris trois fois trois à quatre heures pour trouver un consensus. J'espère que nous le maintiendrons, mais sans chercher précipitamment à accélérer le processus.
Q - Monsieur Kouchner, d'après ce que vous dites, il y a un problème avec la Russie et avec le manque d'unité au sein de l'Union européenne. Savez-vous exactement ce que les Russes attendent ? Vous qui étiez à Belgrade hier, savez-vous ce que Belgrade veut ?
R - Je ne sais pas mais je sais beaucoup de choses sur vous, sur ce pays, sur ces gens, sur Gërmia, sur Pristina. Je connais la guerre, la souffrance de la population et la détermination sanglante de M. Milosevic ; je connais tout cela. La communauté internationale a essayé de vous soutenir car vous étiez les victimes. Nous avons eu raison. Cela a été un vrai succès de mettre ces gens ensemble, de les protéger autant que possible. Il était trop tard, mais nous l'avons fait et cela a été un succès de ce que j'ai appelé la responsabilité de protéger.
Maintenant, vous me demandez si je sais exactement ce que les autres veulent. Ils ne veulent pas l'indépendance parce qu'ils croient, et ils ont raison, que c'était une partie de leur territoire. Il est difficile d'accepter d'être privé d'une partie de son territoire. Ils savent aussi pertinemment que les choses ont changé, que maintenant le Kosovo est quelque chose de différent et que les gens sont unis pour se diriger vers l'indépendance.
Trouver un accord avec ces contradictions n'est pas facile du tout, ni pour vous ni pour eux. Disons que c'est une sorte de découverte permanente. Un compromis est un compromis. Vous devez vous séparer d'une partie de vos certitudes, comme doit le faire l'autre partie. Je sais que certaines personnes, certains dirigeants à Belgrade sont convaincus qu'ils doivent aussi chercher un compromis. Quel est ce compromis ? On verra. C'est difficile au début du recommencement d'un processus. J'ai rencontré M. Ahtisaari - c'est un de mes bons amis -, et je le remercie pour son soutien et son obstination. Il a fait du bon travail, avec "l'équipe unie de négociations". Attendons d'autres jours. Ne nous demandez pas le résultat de la course avant qu'elle ait commencé. Ne nous demandez pas qui seront les vainqueurs. Il n'y a pas de vainqueur ni de vaincu. Nous devons mettre les deux parties d'accord sur une question qui provient de dizaines d'années, je pourrais dire de siècles.
Je crois que ces deux groupes de personnes, les Kosovars albanais et serbes du Kosovo, doivent être séparés pour un certain temps et ils reviendront vivre ensemble. Cela a été mon rêve depuis le premier jour que je suis arrivé au Kosovo. C'est ce que j'ai toujours cru.
Q - Monsieur Kouchner, lorsque vous êtes arrivé ici comme administrateur en 1999, vous aviez parfois à déplorer des exactions, voire des meurtres contre des membres de la communauté serbe. Aujourd'hui cela va bien mieux, mais ne pensez-vous pas que, dans le Kosovo indépendant de demain, la cohabitation entre Albanais et Serbes ne sera pas difficile ou impossible ?
R - Non, ce ne sera pas impossible. Lorsque je suis venu ici comme envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies, nous venions secourir les victimes, qui nous semblaient être les Albanais du Kosovo, après une intervention aérienne difficile et très dure de la communauté internationale. Nous avions raison et nous l'avons fait. Nous avons protégé ces Albanais du Kosovo mais nous n'avions pas vu, à cette époque, et je le dis avec regret, qu'il y avait aussi d'autres victimes : les Serbes qui restaient au Kosovo. Oui, il y a eu des meurtres. Oui, il y a eu des victimes. Je me souviens des nuits et des jours que nous avons passés pour essayer de les protéger, tous. Il n'y a pas eu que des meurtres du coté serbe, il y a eu des meurtres de l'autre côté aussi.
Mais les choses ont changé et je remercie la KFOR, la MINUK et la police du Kosovo. Les choses ont changé en mieux, en beaucoup mieux, et je suis sûr que les différentes communautés peuvent coexister. Gardons beaucoup d'espoir. C'est ma dernière phrase : personne n'a trahi personne. Il y a des difficultés qui sont toujours les difficultés du maintien de la paix. Regardez ce qui se passe ailleurs dans le monde. C'est beaucoup plus difficile qu'ici. Nous sommes un peu retardés, des deux côtés, la Serbie et le Kosovo.
Je vous donne rendez-vous dans quelques mois, avec beaucoup d'espoir, et je vous remercie d'être patients.
Merci beaucoup.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 juillet 2007