Extraits d'un entretien de M. Hervé Morin, ministre de la défense, à Europe 1 le 14 juillet 2007, sur la Défense européenne et sur les priorités en matière de défense.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Dominique SOUCHIER
Hervé MORIN bonjour.
Herve MORIN
Bonjour.
Hervé MORIN, depuis hier, le drapeau européen flotte sur le quai d'Orsay et il parait qu'il va rester, ce drapeau européen, comme cela au-dessus du quai d'Orsay comme il figure sur la photo officielle du président de la République. Alors, avec ce que nous allons voir sur les Champs-Élysées, est-ce que l'on peut imaginer qu'un jour de la même façon, il y ait le drapeau européen constamment au-dessus de toutes nos casernes et bâtiments militaires ? Est-ce que c'est cela que vous voulez montrer ce matin ?
Montrer un État qui serait un État européen, on en est encore très loin, vous savez. C'est ce que nous souhaitons, c'est le rêve de la France. Un texte de Robert Schuman sera d'ailleurs lu tout à l'heure. Les peuples européens se sont déchirés, se sont détruits avec acharnement pendant des siècles ; depuis cinquante ans, nous vivons en paix et dans le cadre de cette construction qui s'est faite pas à pas, nous avons commencé à mettre en place les éléments de ce que l'on appelle la « politique européenne de sécurité et de défense ». Cette Europe de la défense, elle n'est pas forcément partagée en totalité par les 27 pays de l'Union européenne.
C'est le moins que l'on puisse dire...
Certains voient dans l'OTAN un parapluie formidable. Mais nous avons progressé, peut-être pas assez vite notamment pour ceux qui sont les plus 'Européens' comme moi, mais nous avons beaucoup progressé ; et nous avons même tellement progressé qu'aujourd'hui, nous commençons à mener des opérations sous fanion européen avec des armées et des éléments militaires qui appartiennent à chaque État mais avec un seul état-major.
Il n'y a pas le fanion parce qu'il a été reconnu par le traité simplifié.
Ce n'est pas seulement cela. Toutes ces forces qui interviennent lorsqu'elles interviennent dans le cadre de la PESD, ce sont des forces qui interviennent en restant des forces nationales mais dans le cadre de regroupements militaires, de regroupement de forces armées qui sont sous un état-major européen. Nous avons mené une opération en République démocratique du Congo et nous allons probablement mener une opération de ce type à l'Est du Tchad avec une partie des pays européens. Nous allons prendre aussi la relève de la MINUK. La MINUK est l'opération de sécurité au Kosovo là aussi dans le cadre de la PESD. Par rapport à ce que l'on a connu il y a cinq ou six ans où l'on se félicitait d'envoyer une force de 40 ou 50 hommes en Macédoine, on progresse. Alors, on a encore un champ colossal et d'abord, le premier champ, c'est d'arriver à convaincre les pays européens que la sécurité et la défense de l'Europe doivent être assumées par les Européens et donc que l'on y mette l'argent nécessaire pour que nous ne soyons pas en quelque sorte pour un certain nombre d'entre nous, ou d'entre eux, sous le parapluie américain. Un seul chiffre pour que nos auditeurs comprennent bien. On a une différence d'investissements entre les Européens et les Américains de 2,5 fois et demie à 3, en matière de recherche et développement en matière industrielle. C'est une différence de 1 à 5. Or, nous avons à 27, à peu près la même richesse que les Américains.
Alors, Hervé MORIN, je sais avec qui vous avez pris votre petit-déjeuner parce que vous venez de le dire, vous venez de prendre votre petit-déjeuner avec le ministre britannique de la Défense. Alors, est-ce que vous avez dit que vous lui poseriez la question, la réponse, est-ce que son pays est vraiment prêt à faire avec la France un deuxième sous-marin ?
Sous-marin ...porte-avions vous voulez dire ?
Porte-avions, pardon, décidément je suis brouillé parce que ce n'est pas la première fois que ça m'arrive ?
Parce que sous-marin, on n'en a pas parlé !
Oui, c'est autre chose.
Nous avons la même perspective. La perspective, c'est d'avoir un groupe aéronaval tant britannique que français puisqu'il s'agit d'un problème de coopération industrielle. Il ne s'agit pas de mettre le porte-avions en commun entre les Britanniques et les Français. Nous avons un calendrier qui est à peu près commun ; nous avons un certain nombre de problématiques à régler qui sont des problématiques de coopération industrielle, des problématiques liées à ce que l'on appelle la revue des programmes. C'est de vérifier, en quelque sorte, que tous ces programmes sont bien nécessaires, quelles sont les capacités dont nos armées ont besoin pour les missions qui sont les leurs et qu'on leur affecte. Nous avons au moins un programme à peu près commun qui nous mène à la fin de l'année et donc, nous, nous disons : au moment des fêtes de Noël, on aura une idée, on pourra a priori dire si l'on fait ou non ce porte-avions mais nous avons exactement le même calendrier et la même volonté qui est celle d'avoir un groupe aéronaval. Après, il faut que nous en ayons les moyens budgétaires.
Il y a la même volonté de la Grande-Bretagne de faire ce deuxième porte-avions ou pas.
Il y a la même volonté de travailler dans cette perspective, je ne vais pas vous en dire plus parce que ce n'est pas au-delà de cela.
Il ne vous en a pas dit plus et est-ce que l'accord de la Grande-Bretagne est la condition sine qua non pour faire ce deuxième porte-avions ou est-ce que, sans cela, il n'y aura pas de deuxième porte-avions.
Nous avons les compétences technologiques pour le faire tout seul. La seule chose, c'est que si vous le faites tout seul, c'est plusieurs centaines de millions d'euros supplémentaires que vous avez à mettre sur la table.
Donc ça ne serait pas possible ?
Ce serait compliqué.
40 % des capacités militaires de l'Europe, de ses moyens financiers reposent sur la France et la Grande-Bretagne. Vous ne trouvez pas que l'on pourrait demander aux autres pays européens des compensations, au moins des compensations, voire plus ?
Il faut que l'on arrive progressivement à construire l'idée européenne de défense avec des réalisations concrètes. Des réalisations concrètes, cela veut dire un état-major européen de planification qui soit capable de mener des opérations avec un commandement. Cela veut dire que nous devons pouvoir mener des opérations européennes un peu partout dès lors qu'il y a bien entendu les résolutions des Nations unies. Par exemple, au Kosovo, nous voudrions que ce soit la force de gendarmerie européenne qui le fasse pour montrer que l'on est capable de faire des choses en commun ou au Tchad comme je le disais tout à l'heure. Bref, à chaque fois que nous le pouvons, nous devons développer l'idée de l'Europe.
Hervé MORIN, quand y aura-t-il donc dans l'armée française un général Powell ? Vous avez compris ma question.
Oui, j'ai compris. Vous savez, ce qui se passe dans les armées, c'est ce qui se passe dans toute la nation à l'université française. J'ai été prof à l'université, j'ai été à Sciences Po. J'ai vu à quel point les enfants des familles favorisées forment l'essentiel des bataillons universitaires et des grandes écoles. L'armée française, c'est la même chose. En réalité, chez les militaires du rang, on a une armée qui représente la France ; chez les sous-officiers, moins et puis, chez les officiers, beaucoup moins. Ce que je souhaite, c'est que les jeunes issus des familles de condition modeste puissent accéder aux plus grandes écoles de la République et parmi les plus grandes écoles de la République, il y a ces écoles militaires. Je souhaite donc mettre en place non pas un système de discrimination positive mais un système dans lequel on mette en place un tutorat qui permette aux jeunes qui auraient envie d'embrasser la carrière militaire d'être en mesure de pouvoir passer les concours de ces plus belles écoles militaires et de les réussir.
Cela, c'est ce que l'on fait déjà dans des grandes écoles comme l'ESSEC. L'armée, elle devrait faire davantage ?
L'armée est la plus belle institution en termes de promotion sociale. Quand vous êtes militaire du rang, quand vous commencez votre vie professionnelle, comme militaire du rang dans l'armée française, vous pouvez finir officier. On a même fêté dernièrement le départ d'un général de l'armée de l'air qui a commencé comme militaire du rang. Nous avons un système de promotion sociale extraordinaire pour toutes celles et tous ceux qui le veulent. Ce que je souhaite, c'est que lorsque l'on intègre l'armée ou les écoles de l'armée française, les jeunes de condition modeste, qu'ils s'appellent Dupont ou Belarbi ou El Arouat, pour moi, on s'adresse à tous les jeunes français de condition modeste. Et donc nous essaierons de voir avec nos lycées militaires comment on peut permettre que les grandes écoles de l'armée soient à l'image de la société française.
Alors, un fonctionnaire sur deux à la retraite non remplacé. Est-ce que vous allez l'appliquer intégralement à l'armée ?
Pour les fonctionnaires civils, puisque nous en avons, nous allons nous plier à l'exercice demandé par le président de la République. Pour les militaires, vous comprenez que la problématique est totalement différente. Nous sommes dans un exercice qui est le livre blanc, la loi de programmation qui va redéfinir notre format d'armée et peut-être qu'il y aura des gains de productivité. Il y aura peut-être des économies qui seront réalisées et donc là, il y aura une réduction du format si c'est cela la conclusion du livre blanc. En revanche, pour les militaires, aujourd'hui, la plupart sont contractuels. On oublie toujours cela, c'est que dans les armées, 57 % des militaires sont contractuels, 75 % dans l'armée de terre. On ne va pas remplacer un fonctionnaire sur 2 dans les armées quand on a des hommes et des femmes qui quittent l'armée au bout de six, sept ou dix ans. Cela n'aurait pas de sens.
Vous pourriez dire : un CDD sur deux en moins.
Bien sûr.
Pourquoi vous dites bien sûr ?
Bien sûr parce que le jour où l'on a besoin d'envoyer des troupes au Tchad, en Afghanistan...
Donc vous n'êtes pas d'accord.
C'est inconcevable. Je veux dire que l'on a la nécessité de remplir un contrat opérationnel qui a été fixé par les plus hautes autorités de l'État. Ce contrat opérationnel, il n'est possible que si nous avons des hommes et des femmes pour le remplir. Que nous fassions des économies, je le fais et je souhaite le faire. J'ai mis en place bien avant la décision du Premier ministre un comité chargé de chercher des économies. Je vous donne un exemple : un tiers des forces, c'est ce que l'on appelle le soutien. Si on arrive à faire des gains de productivité sur le soutien, bien entendu, il faut qu'une partie de ces gains de productivité servent à faire des économies pour l'État mais cela doit servir à autre chose, à améliorer la condition militaire parce qu'il y a eu un rapport qui a été rendu en mars qui a montré clairement que la condition militaire, elle avait des progrès à faire notamment par rapport aux fonctionnaires en tenue.
Monsieur le ministre, vous comprendrez que je vous pose in fine une question sur l'horrible tragédie d'hier, dans la gendarmerie de Malakoff. On a compris que le tueur était dépressif, on a compris qu'on lui avait retiré son arme de service mais est-ce que vous êtes si certain que, comme on l'a entendu hier, ce drame d'ordre privé ne concerne en rien la gendarmerie et pour être clair, la vie des gendarmes et de leur famille dans des mêmes locaux, cela peut créer des tensions jusqu'à l'explosion, jusqu'à ça ? Est-ce que vous êtes conscient de cela, est-ce que vous allez y réfléchir ?
On ne va pas à partir d'un fait divers aussi terrible soit-il et quel que soit le caractère terrible du drame, mettre en cause une institution, un système pour un drame si difficile soit-il. Je veux dire : des meurtres entre voisins, cela existe partout. C'est malheureux, à chaque fois cela provoque une émotion légitime mais remettre en cause un système sur ce seul fait divers, ce serait aller très vite.
Je vous remercie, merci beaucoup Hervé MORIN.
Merci beaucoup.


Source http://www.defense.gouv.fr, le 18 juillet 2007