Texte intégral
Q- Elle va faire voter dès lundi l'autonomie des universités et apprend à être
autonome dans son ministère, V. Pécresse, bonjour.
R- Bonjour.
Q- Alors concrètement, cette autonomie des universités, qu'est-ce que ça veut dire, qu'est-ce qui va changer ?
R- L'autonomie des universités, c'est leur donner la capacité d'agir dans un monde qui bouge en permanence. Alors ça va changer beaucoup de choses, ça va leur permettre de recruter les meilleurs professeurs, à l'étranger ou en France...
Q- Parce que ça n'est pas possible en ce moment ?
R- Aujourd'hui, on a des règles très, très complexes qui obligent, comme on dit, qu'une seule campagne d'emploi par an, ça veut dire qu'on a un poste qui se libère en janvier 2007, il sera pourvu en juin 2008. Alors quand un bon professeur arrive à proximité d'une université et qu'on veut le recruter, eh bien on lui dit : oh, là, là, il faut que vous passiez au travers du filtre de toutes ces commissions et avant qu'on vous recrute. Et donc, avoir les meilleurs professeurs, c'est évidement avoir la meilleure université.
Q- Mais alors en fait, pendant cette campagne, on a beaucoup entendu parler par N. Sarkozy de justement l'autonomie des universités, que ça allait changer, que les bibliothèques allaient être ouvertes le dimanche, qu'on allait pouvoir recruter, choisir les programmes. Concrètement qu'est-ce qu'un président d'université dite autonome pourra faire qu'il ne pouvait pas faire avant ?
R- Il pourra créer des nouvelles formations, qui seront plus adaptées aux besoins du marché de l'emploi notamment dans sa région ou alors au plan international ; il pourra créer des fondations dans lesquelles les particuliers ou les entreprises pourront mettre de l'argent et cet argent il pourra le transformer en bourses pour les étudiants défavorisés ; il pourra le transformer en salles informatiques...
Q- Donc ça crée pour la première fois une passerelle entre l'entreprise et l'université ?
R- Exactement.
Q- L'entreprise va financer l'université ?
R- Alors pas directement, à travers ses fondations, ça veut dire que c'est l'université qui reste complètement maître de l'affectation de cet argent, les entreprises n'auront aucun droit de regard sur les programmes, les programmes restent nationaux, l'Etat est évidement garant. L'autonomie telle que nous la concevons, c'est beaucoup de liberté pour les entreprises et en même temps un accompagnement de l'Etat très personnalisé, très attentif, avec notamment un accompagnement en ressources humaines parce que les nouvelles universités autonomes, il va falloir qu'elles gèrent leur budget, qu'elles aient des comptables, des contrôleurs de gestion, qu'elles gèrent leurs ressources humaines pour recruter, je vous l'ai dit, les meilleurs professeurs, qu'elles améliorent leurs formations pour les étudiants, qu'elles se fixent des objectifs. Alors quelque chose de très important dans la loi autonomie, on dit les universités vont se charger de l'orientation des élèves dès la classe de seconde, c'est-à- dire que dès la classe de seconde, les professeurs des universités vont aller au lycée pour expliquer aux élèves comment, dans quel bac il faut qu'ils aillent pour aller dans quelle filière universitaire, ça c'est très important.
Q- Cela ne se fait pas en ce moment ?
R- Aujourd'hui ça ne se fait pas, c'est-à-dire qu'il y a une vraie coupure entre le lycée, où il y a des conseillers d'orientation et l'université, ce qui fait que les jeunes n'osent pas l'université. Et très souvent, quand vous êtes un jeune, un très bon bachelier de milieu modeste, qui ne connaît pas bien l'université, vous préférez aller dans des STS passer un BTS, ou vous préférez aller dans un IUT faire un DUT professionnel plutôt que d'oser l'université. Alors que votre place, elle est à l'université.
Q- Si je comprends bien, en fait vous voulez refaire de l'université ou faire un lieu de formation des élites à côté des grandes écoles parce que c'est toujours les grandes écoles dont on parle en France, mais l'université c'est un peu le parent pauvre de la formation des élites.
R- Oui. Aujourd'hui, on dépense pour un étudiant 7.000 euros par an, et pour un lycéen 10.000 euros et pour un étudiant de classe préparatoire aux grandes écoles 13.000 euros. Donc ça veut dire quoi ? Ca veut dire que l'Etat a misé sur les grandes écoles pour former l'élite. Aujourd'hui, il y a 1.500.000 jeunes qui vont à l'université et il faut qu'on en ait de plus en plus, c'est l'objectif de Lisbonne qu'on s'est fixé en Europe et l'université c'est le lieu de l'ascenseur social, c'est là que nous retrouverons les jeunes qui veulent s'en sortir, qui ont les capacités de s'en sortir. Il faut les accompagner davantage, il faut mettre davantage de moyens, c'est l'engagement du président de la République pour que l'université soit plus performante. Mais ça suppose l'autonomie, parce que l'autonomie c'est du tutorat pour les jeunes qui ont des difficultés. L'autonomie, c'est de les réorienter, je vous l'ai dit et l'autonomie c'est aussi l'insertion professionnelle. Jusqu'à présent, l'université elle donnait des savoir, elle transmettait des connaissances mais elle ne s'intéressait pas à l'insertion professionnelle des étudiants. Et ça c'est très nouveau, c'est ce qu'on fait dans les écoles, les grandes écoles, et il faut qu'on le fasse à l'université aussi.
Q- Alors également une grande ambition, mais pourtant on a le sentiment, toujours en se rappelant de la campagne, qu'il y a un mot qui a totalement disparu, qui était en permanence dans la bouche de N. Sarkozy, c'est le mot "sélection". Alors quand on arrive au pouvoir, c'est tabou, on ne peut plus parler de sélection ?
R- Non.
Q- Vous n'en parlez plus.
R- Oui mais à l'université, il y a énormément de sélections, monsieur Darmon,
contrairement à ce que l'on pense. Vous savez qu'en première année, il y a 50 % des
jeunes qui échouent, ça veut dire que la sélection elle se fait à l'université.
Q- Mais elle devait être organisée dès la première année.
R- Attendez, attendez.
Q- Vous n'en parlez plus de ça.
R- Elle se fait, elle se fait mais elle se fait par l'échec. Et nous on n'accepte plus que l'orientation, ou que la sélection se fasse par l'échec. Nous on veut ce qu'on appelle une orientation active, l'orientation active dont je vous parle, c'est dire aux jeunes des bacs technologiques : vous allez trouver une place en STS ou en IUT, on va vous ouvrir des places, pour vous parce que c'est vos filières, et dire aux bons bacs généraux, qui ne s'y retrouvent pas, parce que la carte des formations universitaires, elle est illisible quand on ne connaît pas ; il y a des initiés - les cadres supérieurs, les fils de professeurs - qui eux s'y retrouvent, et puis il y a la grande majorité des familles. Vous savez, moi j'étais députée avant d'être ministre, et chaque mois de juin, je voyais arriver dans ma permanence des familles avec leurs enfants qui me disaient : madame Pécresse, vous qui connaissez un peu le système, « le système », où est-ce qu'il faut qu'on envoie notre enfant ? Dans quelle filière de formation pour qu'il ait un travail, parce que c'est ça que les gens demandent.
Q- Il y a également quelque chose dont on n'entend plus parler : c'est le gros effort massif sur les nouvelles zones de croissance, biotechnologies, nanotechnologies. Tout est parti dans les cadeaux fiscaux. Il y aura encore de l'argent pour vous, pour pouvoir développer ces nouvelles zones de croissance ?
R- Ecoutez ! Vous n'avez pas bien entendu encore, le président de la République...
Q- Alors expliquez-vous.
R- La priorité budgétaire, ça va être l'enseignement supérieur et la recherche. N. Sarkozy s'est engagé dans la campagne à augmenter de moitié le budget de l'enseignement supérieur : c'est 5 milliards d'euros en 5 ans. Et il s'est engagé à maintenir l'effort qui a été fait dans la loi de 2006, qui a été prévu dans la loi de 2006 sur la recherche, c'est-à-dire d'augmenter de 50 % le budget de la recherche aussi en 5 ans. Cela fait 4 milliards d'euros. Donc j'ai 9 milliards d'euros prévus dans les engagements de campagne du président de la République pour que la France se dote d'un vrai outil de recherche, de l'enseignement supérieur à la hauteur de ses ambitions.
Q- Vous avez publié cette année "Etre une femme politique, ce n'est pas si facile". Alors j'ai envie de vous demander : est-ce que être ministre de N. Sarkozy c'est facile lorsqu'on voit qu'il intervient sur tous les dossiers dès qu'il y a un petit blocage ; qu'il va déjeuner avec les syndicats étudiants sans vous. Cette interventionnisme du chef de l'Etat, est-ce que ça vous aide, ou est-ce que ça vous gène ?
R- C'est une extraordinaire chance, vous savez les forces...
Q- Bien sûr.
R- ... Les forces hostiles aux changements dans la société française sont très fortes et L. Ferry, qui a été mon prédécesseur dans ce poste, qui a porté, qui a voulu porter la loi sur l'autonomie en 2003 m'a dit : tu auras deux choses dont j'avais besoin et que je n'ai pas suffisamment eues, c'est le soutien du président de la République et les moyens financiers de cette réforme.
Q- On voit aussi, il a installé donc il y a quelques jours, cette semaine, ce comité de réflexions sur l'évolution des institutions. Vous, une femme politique de vote génération, pensez-vous qu'il faille justement faire évoluer le système jusqu'à la disparition du poste de Premier ministre comme on l'entend, que ça pourrait se faire ?
R- Moi je suis pour que la réforme soit un état permanent dans la société française. Voilà, les choses évoluent, il faut en permanence s'adapter au mouvement du monde et je crois qu'à force de ne pas s'adapter, à force d'être toujours bloqué, on finit par avoir tellement peur du changement parce qu'on le diabolise le changement, et moi je le vois dans l'université, à chaque fois qu'on propose quelque chose, tout le monde nous dit : oh, là, là, il ne faudrait surtout pas changer.
Q- Sur la disparition du poste de Premier ministre.
Alors ça c'est sur les institutions, et sur le poste de Premier ministre, écoutez, pour l'instant, moi, de mon expérience de ministre, je peux vous dire à quel point j'en sens l'utilité et la valeur, parce que le Premier ministre c'est celui qui va arbitrer quand il y a des problèmes au sein du Gouvernement. Par exemple, vous savez il y a pleins de champs qui sont, comme on dit interministériels : le logement étudiant, c'est entre C. Boutin et moi ; la santé des étudiants, c'est entre R. Bachelot et moi ; les étudiants handicapés, c'est entre X. Bertrand et moi. Donc, à tout moment, il faut mettre des ministres ensemble pour les faire travailler ensemble et ça c'est le rôle du Premier ministre.
Q- Donc F. Fillon existe, vous le rencontrez ?
R- Non seulement je le rencontre mais je travaille avec lui la main dans la main parce que c'est l'un des meilleurs connaisseurs du sujet, puisqu'il a été ministre de l'Enseignement supérieur et ministre de l'Education nationale.
Merci, voilà une rencontre dont on reparlera.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 23 juillet 2007