Interview de M. François Fillon, Premier ministre, à France 3 le 17 juillet 2007, sur le sort des infirmières bulgares en Libye, la réforme de la justice des mineurs récidivistes, le service minimum et l'exonération fiscale des heures supplémentaires.

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Média : France 3

Texte intégral

MARLENE BLIN
D'abord, on l'a appris ce soir, les familles des enfants libyens contaminés par le sida renoncent à la peine de mort. Elles ont obtenu les contreparties financières qu'elles réclamaient. Cette décision a été annoncée alors que la plus haute autorité judiciaire du pays doit se prononcer, dans les heures qui viennent, sur le sort des cinq infirmières bulgares et du médecin emprisonnés depuis plus de huit ans (...) François Fillon, bonsoir. On peut vraiment s'attendre ce soir à un dénouement positif dans cette affaire ?
FRANÇOIS FILLON
En tout cas, c'est un signe très encourageant pour tous ceux qui, comme le gouvernement français, comme les gouvernements européens, se battent pour obtenir la libération de ces malheureuses infirmières qui viennent de connaître, pendant huit ans, un sort qui ne peut laisser personne indifférent.
MARLENE BLIN
A votre avis, le déplacement en Libye, il y a quelques jours, de Cécilia Sarkozy, ça a joué un rôle ?
FRANÇOIS FILLON
Je pense que tous les efforts engagés par les Européens depuis des mois, en particulier les efforts très intenses du gouvernement français, ont joué un rôle dans cette décision positive. La visite de la femme du président de la République ne pouvait que marquer l'engagement total de la France pour obtenir cette libération.
MARLENE BLIN
François Fillon, on vous retrouve dans un instant pour parler de l'actualité politique française avec Jean-Michel BLIER.
(...) Suite du journal (...)
MARLENE BLIN
François Fillon, on a l'impression que Rachida Dati est victime d'une campagne de déstabilisation. A votre avis, quelles sont les raisons ?
FRANÇOIS FILLON
Moi, je suis très fier, avec Nicolas Sarkozy, de l'avoir nommée au ministère de la Justice. Je veux dire qu'en deux mois, elle s'est révélée. Elle a engagé une réforme qui est en cours de discussion à l'Assemblée nationale, très, très importante sur la récidive, une réforme qui est déjà passée au Sénat en une journée. Elle a engagé un débat très, très difficile sur la réforme de la carte judiciaire pour moderniser la justice. Alors, elle est exigeante avec ses collaborateurs, cela tombe bien parce que le président de la République et moi, on est exigeants avec nos ministres. C'est vrai que je suis choqué par la campagne qui est engagée contre elle, c'est la première fois que je vois que la composition d'un cabinet ministériel devient une affaire d'Etat. Moi, je veux qu'on traite Rachida Dati comme n'importe quel autre ministre de la République. Je suis sûr que si elle est traitée comme n'importe quel autre ministre de la République, elle va montrer avec beaucoup d'efficacité son talent.
MARLENE BLIN
A propos du texte de loi, du projet sur la récidive, les magistrats estiment que le problème au fond le plus urgent, c'est peut-être plutôt les délais. Il n'y a pas, selon eux, assez de fonctionnaires pour que la sanction intervienne plus vite, tout de suite après une infraction.
FRANÇOIS FILLON
Il est difficile de contester qu'il soit normal de punir plus sévèrement quelqu'un qui commet plusieurs fois la même faute. On sait d'ailleurs que dans notre société, ce sont quelques milliers d'individus qui commettent la grande majorité des délits qui empoisonnent la vie des Français. Quand on dit les magistrats, ce sont des organisations représentatives de certains magistrats qui contestent, pas tous les magistrats qui, sur le terrain, voient bien la nécessité de durcir les sanctions. Moi, ce qui m'obsède, c'est la sécurité des Français. S'il faut construire des prisons, on construira des prisons. S'il faut - c'est ce qu'on fait d'ailleurs - choisir d'autres manières de faire purger à un certain nombre de délinquants leurs peines pour justement faire des places dans les prisons pour ceux qui sont les plus dangereux et ceux qui ont le plus besoin d'être sanctionnés, on le fera. Mais la sanction, c'est quand même la base de la sagesse et de l'interdiction de la récidive.
JEAN-MICHEL BLIER
François Fillon, juste un mot, un magistrat a cité cet exemple ce matin. Un jeune, qui vole pour la deuxième fois un DVD dans un supermarché, risquera avec la nouvelle loi un an de prison.
FRANÇOIS FILLON
C'est complètement faux. Parce que ce sont les juges, de toute façon, qui gardent l'entière maîtrise de la peine. Donc, cet exemple est un exemple qui est fait pour disqualifier un texte qui est un texte qui n'a rien à voir avec cela. Ce sont les juges qui gardent la maîtrise des décisions. Simplement, la loi oblige à un traitement plus sévère pour les récidivistes, pas forcément un an de prison pour quelqu'un qui a volé un DVD deux fois.
JEAN-MICHEL BLIER
Il y a un autre projet de loi qui fait débat, c'est celui sur le service minimum, les syndicats crient à l'atteinte au droit de grève. Est-ce qu'au fond, ce projet de loi était utile quand on sait que dans les entreprises où on a mis en place un dispositif d'alarme sociale, comme à la RATP par exemple, le taux de grève a fortement diminué ces dernières années ?
FRANÇOIS FILLON
Cela fait dix ans que, régulièrement, tous les sondages montrent que 70 à 80 % des Français sont exaspérés par les interruptions des services de transport aux heures de pointe. Nous avons donc voulu répondre à cette question et nous avons voulu le faire de la manière la plus ouverte possible, c'est-à-dire en faisant confiance au dialogue social. Le texte que nous proposons, il dit quoi ? Il met d'abord en place des systèmes de prévention, il généralise les systèmes de prévention des conflits qui avaient été testés par certaines entreprises. Deuxièmement, il confie aux organisations, aux organismes, aux structures qui organisent les services de transport ou aux entreprises le soin de fixer un service minimum adapté à chaque situation. Enfin, il met en place des contraintes, en particulier l'obligation pour tous les salariés qui décident de faire grève de le déclarer 48 heures à l'avance pour que l'entreprise puisse organiser le service...
JEAN-MICHEL BLIER
C'est ça qui pose justement un problème aux syndicats. Est-ce qu'il ne risque pas d'y avoir des pressions sur les salariés qui souhaitent légitimement faire grève ?
FRANÇOIS FILLON
Il n'y aura pas de pressions en plus qu'il n'y en a aujourd'hui, je crois que ce n'est pas vraiment le sujet. Le sujet, c'est simple : le droit de grève est un droit fondamental, le droit d'aller travailler aussi. Les salariés de ces entreprises de transport ne peuvent pas ne pas voir cette exigence que les Français ont manifestée à maintes reprises, qu'ils ont encore manifestée à l'occasion des élections présidentielles. Il faut du dialogue social, on mise sur le dialogue social pour réussir. Mais en même temps, il faut que les choses soient claires : le droit de grève est garanti, le droit d'aller travailler aussi.
MARLENE BLIN
En même temps, qu'est-ce que vous répondez à ceux qui craignent que ce ne soit un cheval de Troie et que ce service minimum soit, après les transports, étendu à d'autres domaines, par exemple, l'Education nationale ?
FRANÇOIS FILLON
Ecoutez, si cela marche, je ne vois pas pourquoi on ne l'étendrait pas à d'autres domaines. Parce que l'objectif, c'est quand même bien de fournir en permanence le meilleur service public à tous les Français. Je ne voudrais pas qu'on perde de vue cet objectif-là. Bien sûr, le droit de grève doit être protégé, il y a d'ailleurs beaucoup de services publics où cette question a été résolue parfaitement. On n'envisagerait pas d'interrompre l'activité d'un hôpital, même lorsqu'il y a un conflit...
MARLENE BLIN
Dans l'Education nationale, cela pourrait être envisageable ?
FRANÇOIS FILLON
Je pense que la démonstration qui sera faite de l'efficacité du dialogue social dans les transports peut ensuite servir de modèle pour être étendu dans d'autres secteurs, dont l'Education nationale.
MARLENE BLIN
Alors, on va passer à un autre sujet. Hier soir, les députés ont adopté en première lecture le paquet fiscal, il devrait coûter environ 13 milliards d'euros, cela va creuser les déficits, c'est un pari risqué sur l'avenir.
FRANÇOIS FILLON
Je ne crois pas du tout que cela va creuser les déficits et ce n'est pas un paquet fiscal. C'est un projet de loi qui vise à favoriser la récompense du mérite, du travail et de l'effort. C'est un peu une révolution culturelle. Pendant des années, on a dit aux Français : Il faut travailler moins parce que si vous travaillez moins, il y aura plus de travail pour les Français. On a vu que c'était un échec, que la France était un des pays qui avait le taux de chômage le plus élevé. Donc, on a décidé de rompre avec cette tradition, avec ces erreurs qui nous ont conduit là où nous sommes. Ce que nous voulons, c'est que - et c'est l'essentiel du projet de loi - tous ceux qui veulent travailler plus, faire des heures supplémentaires, puissent le faire. Et puissent le faire en gagnant vraiment plus, c'est-à-dire en ne payant pas d'impôts, en ne payant pas de charges sur les heures supplémentaires.
JEAN-MICHEL BLIER
Mais qu'est-ce qui vous fait penser qu'on va sortir de cette croissance molle que l'on connaît depuis plusieurs dizaines d'années, je dirais, et que vous allez avoir ce bonus, ce 1 % de croissance supplémentaire ?
FRANÇOIS FILLON
Parce que nous changeons totalement d'état d'esprit. On va encourager le travail, on encourage les gens qui ont réussi dans la vie à investir dans les entreprises, alors que, avant, on les encourageait à quitter le pays pour aller investir dans les entreprises étrangères. On va continuer d'ailleurs cet effort en faveur de la croissance à l'automne en mettant en place toute une série de dispositions pour lever les contraintes qui pèsent sur les entreprises françaises par rapport aux entreprises européennes. Je crois que le coeur, le moteur de la croissance que nous voulons retrouver, c'est le sentiment que les Français auront que s'ils travaillent, s'ils font des heures supplémentaires, s'ils économisent, s'ils investissent, ils sont récompensés pour ce qu'ils font. Ce qui n'était pas le cas aujourd'hui. Cela me permet peut-être de dire un mot sur les infirmières, parce que je vois depuis quelques jours beaucoup de sujets sur les infirmières qui font des heures supplémentaires et qui ne sont pas payées. Je dis que nous, nous sommes scandalisés, le président de la République et moi-même, par le fait qu'il puisse y avoir dans notre pays des gens qui font des heures supplémentaires et qui ne soient pas payés. Donc, j'ai demandé au ministre compétent de mettre en oeuvre tout ce qui est nécessaire pour que ces heures supplémentaires soient payées.
JEAN-MICHEL BLIER
Juste un mot, à ce propos, il y a à l'hôpital des comptes épargne temps qui se sont générés à cause des 35 heures. Est-ce que vous seriez prêts à payer une partie de ces comptes épargne temps ?
FRANÇOIS FILLON
D'abord, ces comptes épargne temps sont garantis, les dispositions ont été prises pour qu'ils soient financés. Mais au-delà, je souhaite qu'on puisse, si on désire faire des heures supplémentaires à l'hôpital ou si on a fait des heures supplémentaires à l'hôpital, être rémunéré. C'est normal. Quelle société peut fonctionner dans un système où celui qui travaille plus ne gagne pas plus ?
MARLENE BLIN
Merci, Monsieur le Premier ministre, d'avoir répondu à notre invitation.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr,le 18 juillet 2007