Texte intégral
P.- M. Christin.- R. Yade bonjour. Merci beaucoup d'être avec nous ce matin sur Europe 1 de Dakar au Sénégal, où vous accompagnez le Président pour sa première visite au Sénégal et au Gabon, où vous allez partir ce matin. R. Yade, je suppose que ça a dû être une journée particulière. Vous êtes née à Dakar, vous y revenez représentante de la République française, qu'est-ce que vous avez ressenti pour cette journée ?
R.- Je vous avoue qu'au départ, il y a une certaine schizophrénie. Quand on traversait la ville et que je reconnaissais chaque bout de trottoir, que chaque angle d'immeuble me disait quelque chose, je me revoyais avec mes petits copains sénégalais devant l'étal de tel marché et j'ai ressenti une grande émotion. Donc les premières minutes, j'ai eu l'impression que... j'ai oublié que j'étais secrétaire d'Etat dans un Gouvernement. Et il y avait un temps d'adaptation qui a fait que pendant un moment, j'ai ressenti un certain trouble, mais un trouble tellement délicieux... voilà. Je l'ai ressenti avec beaucoup d'émotion, beaucoup de sincérité.
Q.- Et est-ce que vous avez eu le sentiment aussi de franchir une étape, j'allais dire historique, c'est peut-être beaucoup, mais quand même très importante pour ces Noirs de France dont vous avez parlé, à propos desquels vous avez écrit ?
R.- Une étape importante, c'est à eux de le dire. Ma modeste personne ne permet pas de m'inscrire à l'échelle de l'Histoire. Je pense que l'Histoire est encore trop grande pour moi et je me sens si petite. Ce que j'espère, c'est que les Sénégalais qui sont ici reprennent... les petits Sénégalais aient espoir, qu'ils se disent que tout n'est pas fini, tout n'est pas perdu, que tout est encore possible, c'était d'ailleurs le slogan de notre campagne présidentielle. J'ai envie que pour les Africains qui sont en France, tous les Français d'origine africaine, qu'ils se disent qu'ils ne se sont pas battus pour rien, que le petit pas que je constitue, il peut y en avoir des grands derrière, que d'autres feront encore mieux, feront plus loin, plus grand, plus fort. Je l'espère en tout cas de tout coeur parce que j'ai rêvé ce qui se passe aujourd'hui, je l'ai rêvé mille fois, et vivre cette réalité-là au milieu du président Wade et du président Sarkozy m'a permis de retrouver une certaine unicité. Parce que quand on est un Français d'origine africaine, on est dual, on est schizophrène. Et cette journée a été le moment où je me suis retrouvée en une personne, où toutes ces contradictions n'en étaient plus. Et derrière l'amitié franco-sénégalaise, c'était la reconstitution finalement d'une identité tellement éclatée, qui faisait l'objet de tellement de contradictions que pendant ce moment, je me suis sentie réappartenir à 100 % à la France et à 100 % au Sénégal. C'est une aventure humaine plus que politique que j'ai ressentie de manière assez extraordinaire, pardon des grands mots mais là, je suis à fond dedans parce que c'est un moment assez particulier pour moi. C'est une aventure individuelle mais qui peut-être peut parler à tous ces gens issus de diasporas, qui ne savent pas toujours qui ils sont, parce qu'ils sont perdus entre deux cultures, et qui enfin arrivent peut-être à trouver une espèce d'unicité qui fait beaucoup de bien, voilà.
Q.- Alors vous, vous n'êtes pas seulement un symbole et vous ne voulez pas l'être, vous êtes une femme politique, vous représentez la France. N. Sarkozy a dit qu'il fallait passer de la Françafrique à l'Eurafrique. Qu'est-ce que c'est l'Eurafrique ?
R.- L'Eurafrique c'est une solidarité européenne et africaine. C'est un projet, un projet d'espoir, un projet de société qui prend acte d'une histoire commune au fond, avec comme pôle la Méditerranée. Cette Euro Méditerranée que nous appelons de nos voeux, qui constituera l'ébauche d'un projet encore plus grand qui est l'Eurafrique. Et l'Eurafrique, ça a du sens parce qu'on a une histoire commune, parce que l'Europe et l'Afrique sont tellement proches, tellement proches en terme de kilomètres mais en terme aussi de cultures, que leurs destins sont liés. Et qu'on ne pourra penser l'Europe seule, on ne pourra pas penser l'Afrique seule, il faudra franchir des décennies d'histoire pour arriver à constituer très rapidement ce projet, ce concept-là, qui reste à préciser mais déjà on peut le rêver. Et c'est une vision...
Q.- Mais avant cela, N. Sarkozy l'a dit aussi dans le journal Le Soleil de Dakar, il faut chasser les vieux démons entre l'Afrique et la France. Qu'est-ce que c'est ces vieux démons ?
R.- Les vieux démons ce sont toutes ces attitudes, ces positions, ces déclarations, ces situations qui font que quelquefois, il y a un malentendu entre l'Afrique et l'Europe, et la France en particulier. Ce sont des préjugés aussi.
Q.- Alors concrètement, le Président dit aussi « il va falloir que l'aide aboutisse à des résultats, qu'on puisse même la contrôler ». Comment les Sénégalais réagissent-ils à ce genre de propos ?
R.- Les Africains, et les Sénégalais en particulier, ont été les premiers à demander cela, en tout cas de la société civile. La jeunesse africaine n'est plus celle d'il y a 10 ans, n'est plus celle d'il y a 20 ans. C'est une jeunesse qui est en ébullition, c'est une jeunesse qui est formée, c'est une jeunesse qui pense, qui réfléchit, qui attend que personne ne pense à sa place. C'est une jeunesse qui cherche une espèce de voie, qui ne soit pas une voie de garage, et qui a envie de parler pour elle-même. Et moi, je crois que ce que cette jeunesse veut dire, c'est qu'elle peut être responsable, on peut lui faire confiance. Et la responsabilité passe par l'évaluation. Vous savez, une aide est un concept qui est en crise aujourd'hui, parce que la jeunesse africaine sent qu'à travers l'aide, c'est comme si la main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit. Et N. Sarkozy a dit : il faut qu'on soit égaux, il ne faut pas que l'aide apparaisse comme de la pitié ou comme de la compassion, il faut que ça serve à quelque chose, il faut qu'il y ait des résultats. Cela fait trop longtemps qu'on parle d'aide publique au développement et qu'on est déçu parce que ça ne démarre pas. Et je pense que si on faisait un peu plus confiance aux Africains, en leur capacité à gérer leur histoire et leur avenir, peut-être que cette aide lorsqu'elle sera évaluée sera bien plus productive qu'aujourd'hui.
Q.- Mais il faut donc aussi qu'elle n'aboutisse pas, comme l'a dit le Président, à alimenter la mauvaise gouvernance, et ça, ils l'ont entendu aussi. Vous pensez que les Africains vont l'entendre sereinement ?
R.- Les Africains se sont approprié depuis bien longtemps la "bonne gouvernance". Vous savez, la bonne gouvernance ce n'est pas un concept étranger à l'Afrique. L'Afrique, bien avant la colonisation, bien avant l'esclavage, avait des modes de gouvernance très démocratiques, traditionnels certes mais très modernes...
Q.- Ce n'est pas le cas aujourd'hui souvent.
R.- Ce n'est pas le cas aujourd'hui mais ça s'améliore, et en fait j'ai envie d'y croire. Je fais partie de cette génération un peu pessimiste sur les gouvernants africains, mais je crois qu'il y a une jeunesse qui se mêle aujourd'hui et qui a envie de prendre sa part dans cette histoire et de mettre en adéquation les mots avec les actes, et je lui fais confiance.
Q.- Vous êtes à la fois secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et aux Droits de l'homme, les deux ensembles. Comment vous les conciliez ? Par exemple à Paris, vous n'avez pas voulu rencontrer le président S. Nguesso dans un hôtel. Est-ce qu'il y a des gens infréquentables pour vous ?
R.- Non ! Personne n'est... enfin ce n'est pas une question de fréquentable ou non. Sur le plan moral, c'est vrai que c'est difficile de répondre à la question de savoir qui est fréquentable ou qui ne l'est pas, c'est une vraie question. Mais sur le plan politique, je pense qu'il faut être capable de rencontrer tout le monde, l'essentiel est de pouvoir dire les choses en face. L'essentiel, c'est de ne pas regarder ses souliers quand on a en face de soi quelqu'un à qui on devrait dire que ce qu'il fait ce n'est pas bien, ce n'est pas correct ou ce n'est pas conforme aux principes des droits de l'Homme, parce que les droits de l'Homme sont universels, et ils s'appliquent à tout le monde. Et donc moi, quand je n'ai pas les moyens effectivement de faire passer le message, il m'est difficile de garder le silence.
Q.- Et par exemple, est-ce que ça a été facile de serrer la main de M. Kadhafi hier ?
R.- Oui parce que nous étions dans une période un peu particulière. Période particulière pourquoi ? Parce que nous étions au lendemain de la libération des infirmières bulgares et du médecin, désormais bulgare et anciennement palestinien. C'était un moment très particulier qui sonnait finalement le début de ce qu'on voudrait nous... enfin nous, N. Sarkozy voudrait être l'entrée de la Libye dans une certaine normalisation. En libérant les infirmières bulgares, Kadhafi fait ainsi un signe qui est qu'ils sont prêts - que la Libye est peut-être prête - à rentrer dans le concert des nations et à accepter les principes internationaux. Donc pourquoi, à partir de cette intention-là, lui faire déjà un procès ? Attendons de voir, on jugera après avec les actes.
Q.- Hier, les Américains ont estimé qu'il fallait intervenir au Darfour plus vite. Normalement, la force ONU/Afrique doit intervenir à la fin de l'année, ils disent « il faut y aller dès octobre », est-ce que vous en avez parlé ? Est-ce que la France est d'accord pour accélérer le mouvement pour sauver les malheureux du Darfour ?
R.- Evidemment, nous sommes tous favorables à ce que tout ça se fasse très vite parce que ces massacres sont insupportables. Ces massacres sont insupportables mais dans cette étape qu'on est en train d'essayer... enfin que B. Kouchner est en train de mener, qui est de ramener tout le monde à la table des négociations. Parce que si tout le monde n'est pas autour de la table pour discuter, que va-t-il se passer ? Il y aura une frange rebelle qui sera hors du circuit des négociations, et qui continuera à se tenir en dehors des règles, en dehors du processus de paix. Donc, c'est pour ça que la France a pris cette position-là. Maintenant, rien n'est fermé, cette crise peut évoluer et la France se rangera du côté de ceux qui proposeront - et elle en fait partie - un processus de paix le plus rapide possible. Tout le monde le veut, maintenant il faut voir avec qui le fait et dans quelles conditions. Et je crois que pour cela, il faut à nouveau se mettre autour de la table. La conférence de Tripoli a été également une avancée dans le sens des solutions politiques, mais ces évolutions restent à confirmer.
Q.- R. Yade, une dernière question, vous avez dit qu'il faut que les ambassades de France s'ouvrent plus aux opprimés du monde entier, vous ne craignez pas une ruée ?
R.- En vérité, ce que j'ai voulu dire par-là, c'est qu'il y a certaines ONG françaises qui ont attiré mon attention sur le fait qu'il y avait des militants des droits de l'homme qui demandaient à être reçus par nos ambassades et qui ne l'étaient pas. Alors j'ai voulu vérifier, j'ai envoyé un message à l'ensemble des ambassades pour leur demander qu'est-ce qui se passait. Et en vérité, les situations sont assez contrastées, il y en a qui reçoivent, il y en a qui reçoivent moins parce qu'il y en a qui estiment que certains militants sont en fait des opposants, il y en a qui estiment qu'ils ont déjà suffisamment reçu, donc je pense qu'il faut faire du cas par cas. Le but, ce n'est pas de submerger nos ambassades, le but c'est que les opprimés de la terre entière, comme l'a dit N. Sarkozy d'ailleurs au soir du second tour de l'élection présidentielle, sachent que la France, patrie des droits de l'Homme, est de retour et qu'elle défendra ces droits-là dès qu'ils seront violés ou mis en cause. C'est ça le message qu'on veut envoyer. Après, sur le plan pratique, les ambassades jugeront, mais en tout cas il n'est pas admissible, il n'est pas acceptable de refuser de recevoir des militants des droits de l'homme, rien que pour les entendre.
Q.- Merci R. Yade qui est avec nous de Dakar, avant de partir dès ce matin pour le Gabon. Merci d'avoir été en ligne avec nous sur Europe 1. Au revoir.
R.- Merci à vous, au revoir.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 27 juillet 2007
R.- Je vous avoue qu'au départ, il y a une certaine schizophrénie. Quand on traversait la ville et que je reconnaissais chaque bout de trottoir, que chaque angle d'immeuble me disait quelque chose, je me revoyais avec mes petits copains sénégalais devant l'étal de tel marché et j'ai ressenti une grande émotion. Donc les premières minutes, j'ai eu l'impression que... j'ai oublié que j'étais secrétaire d'Etat dans un Gouvernement. Et il y avait un temps d'adaptation qui a fait que pendant un moment, j'ai ressenti un certain trouble, mais un trouble tellement délicieux... voilà. Je l'ai ressenti avec beaucoup d'émotion, beaucoup de sincérité.
Q.- Et est-ce que vous avez eu le sentiment aussi de franchir une étape, j'allais dire historique, c'est peut-être beaucoup, mais quand même très importante pour ces Noirs de France dont vous avez parlé, à propos desquels vous avez écrit ?
R.- Une étape importante, c'est à eux de le dire. Ma modeste personne ne permet pas de m'inscrire à l'échelle de l'Histoire. Je pense que l'Histoire est encore trop grande pour moi et je me sens si petite. Ce que j'espère, c'est que les Sénégalais qui sont ici reprennent... les petits Sénégalais aient espoir, qu'ils se disent que tout n'est pas fini, tout n'est pas perdu, que tout est encore possible, c'était d'ailleurs le slogan de notre campagne présidentielle. J'ai envie que pour les Africains qui sont en France, tous les Français d'origine africaine, qu'ils se disent qu'ils ne se sont pas battus pour rien, que le petit pas que je constitue, il peut y en avoir des grands derrière, que d'autres feront encore mieux, feront plus loin, plus grand, plus fort. Je l'espère en tout cas de tout coeur parce que j'ai rêvé ce qui se passe aujourd'hui, je l'ai rêvé mille fois, et vivre cette réalité-là au milieu du président Wade et du président Sarkozy m'a permis de retrouver une certaine unicité. Parce que quand on est un Français d'origine africaine, on est dual, on est schizophrène. Et cette journée a été le moment où je me suis retrouvée en une personne, où toutes ces contradictions n'en étaient plus. Et derrière l'amitié franco-sénégalaise, c'était la reconstitution finalement d'une identité tellement éclatée, qui faisait l'objet de tellement de contradictions que pendant ce moment, je me suis sentie réappartenir à 100 % à la France et à 100 % au Sénégal. C'est une aventure humaine plus que politique que j'ai ressentie de manière assez extraordinaire, pardon des grands mots mais là, je suis à fond dedans parce que c'est un moment assez particulier pour moi. C'est une aventure individuelle mais qui peut-être peut parler à tous ces gens issus de diasporas, qui ne savent pas toujours qui ils sont, parce qu'ils sont perdus entre deux cultures, et qui enfin arrivent peut-être à trouver une espèce d'unicité qui fait beaucoup de bien, voilà.
Q.- Alors vous, vous n'êtes pas seulement un symbole et vous ne voulez pas l'être, vous êtes une femme politique, vous représentez la France. N. Sarkozy a dit qu'il fallait passer de la Françafrique à l'Eurafrique. Qu'est-ce que c'est l'Eurafrique ?
R.- L'Eurafrique c'est une solidarité européenne et africaine. C'est un projet, un projet d'espoir, un projet de société qui prend acte d'une histoire commune au fond, avec comme pôle la Méditerranée. Cette Euro Méditerranée que nous appelons de nos voeux, qui constituera l'ébauche d'un projet encore plus grand qui est l'Eurafrique. Et l'Eurafrique, ça a du sens parce qu'on a une histoire commune, parce que l'Europe et l'Afrique sont tellement proches, tellement proches en terme de kilomètres mais en terme aussi de cultures, que leurs destins sont liés. Et qu'on ne pourra penser l'Europe seule, on ne pourra pas penser l'Afrique seule, il faudra franchir des décennies d'histoire pour arriver à constituer très rapidement ce projet, ce concept-là, qui reste à préciser mais déjà on peut le rêver. Et c'est une vision...
Q.- Mais avant cela, N. Sarkozy l'a dit aussi dans le journal Le Soleil de Dakar, il faut chasser les vieux démons entre l'Afrique et la France. Qu'est-ce que c'est ces vieux démons ?
R.- Les vieux démons ce sont toutes ces attitudes, ces positions, ces déclarations, ces situations qui font que quelquefois, il y a un malentendu entre l'Afrique et l'Europe, et la France en particulier. Ce sont des préjugés aussi.
Q.- Alors concrètement, le Président dit aussi « il va falloir que l'aide aboutisse à des résultats, qu'on puisse même la contrôler ». Comment les Sénégalais réagissent-ils à ce genre de propos ?
R.- Les Africains, et les Sénégalais en particulier, ont été les premiers à demander cela, en tout cas de la société civile. La jeunesse africaine n'est plus celle d'il y a 10 ans, n'est plus celle d'il y a 20 ans. C'est une jeunesse qui est en ébullition, c'est une jeunesse qui est formée, c'est une jeunesse qui pense, qui réfléchit, qui attend que personne ne pense à sa place. C'est une jeunesse qui cherche une espèce de voie, qui ne soit pas une voie de garage, et qui a envie de parler pour elle-même. Et moi, je crois que ce que cette jeunesse veut dire, c'est qu'elle peut être responsable, on peut lui faire confiance. Et la responsabilité passe par l'évaluation. Vous savez, une aide est un concept qui est en crise aujourd'hui, parce que la jeunesse africaine sent qu'à travers l'aide, c'est comme si la main qui donne est au-dessus de celle qui reçoit. Et N. Sarkozy a dit : il faut qu'on soit égaux, il ne faut pas que l'aide apparaisse comme de la pitié ou comme de la compassion, il faut que ça serve à quelque chose, il faut qu'il y ait des résultats. Cela fait trop longtemps qu'on parle d'aide publique au développement et qu'on est déçu parce que ça ne démarre pas. Et je pense que si on faisait un peu plus confiance aux Africains, en leur capacité à gérer leur histoire et leur avenir, peut-être que cette aide lorsqu'elle sera évaluée sera bien plus productive qu'aujourd'hui.
Q.- Mais il faut donc aussi qu'elle n'aboutisse pas, comme l'a dit le Président, à alimenter la mauvaise gouvernance, et ça, ils l'ont entendu aussi. Vous pensez que les Africains vont l'entendre sereinement ?
R.- Les Africains se sont approprié depuis bien longtemps la "bonne gouvernance". Vous savez, la bonne gouvernance ce n'est pas un concept étranger à l'Afrique. L'Afrique, bien avant la colonisation, bien avant l'esclavage, avait des modes de gouvernance très démocratiques, traditionnels certes mais très modernes...
Q.- Ce n'est pas le cas aujourd'hui souvent.
R.- Ce n'est pas le cas aujourd'hui mais ça s'améliore, et en fait j'ai envie d'y croire. Je fais partie de cette génération un peu pessimiste sur les gouvernants africains, mais je crois qu'il y a une jeunesse qui se mêle aujourd'hui et qui a envie de prendre sa part dans cette histoire et de mettre en adéquation les mots avec les actes, et je lui fais confiance.
Q.- Vous êtes à la fois secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et aux Droits de l'homme, les deux ensembles. Comment vous les conciliez ? Par exemple à Paris, vous n'avez pas voulu rencontrer le président S. Nguesso dans un hôtel. Est-ce qu'il y a des gens infréquentables pour vous ?
R.- Non ! Personne n'est... enfin ce n'est pas une question de fréquentable ou non. Sur le plan moral, c'est vrai que c'est difficile de répondre à la question de savoir qui est fréquentable ou qui ne l'est pas, c'est une vraie question. Mais sur le plan politique, je pense qu'il faut être capable de rencontrer tout le monde, l'essentiel est de pouvoir dire les choses en face. L'essentiel, c'est de ne pas regarder ses souliers quand on a en face de soi quelqu'un à qui on devrait dire que ce qu'il fait ce n'est pas bien, ce n'est pas correct ou ce n'est pas conforme aux principes des droits de l'Homme, parce que les droits de l'Homme sont universels, et ils s'appliquent à tout le monde. Et donc moi, quand je n'ai pas les moyens effectivement de faire passer le message, il m'est difficile de garder le silence.
Q.- Et par exemple, est-ce que ça a été facile de serrer la main de M. Kadhafi hier ?
R.- Oui parce que nous étions dans une période un peu particulière. Période particulière pourquoi ? Parce que nous étions au lendemain de la libération des infirmières bulgares et du médecin, désormais bulgare et anciennement palestinien. C'était un moment très particulier qui sonnait finalement le début de ce qu'on voudrait nous... enfin nous, N. Sarkozy voudrait être l'entrée de la Libye dans une certaine normalisation. En libérant les infirmières bulgares, Kadhafi fait ainsi un signe qui est qu'ils sont prêts - que la Libye est peut-être prête - à rentrer dans le concert des nations et à accepter les principes internationaux. Donc pourquoi, à partir de cette intention-là, lui faire déjà un procès ? Attendons de voir, on jugera après avec les actes.
Q.- Hier, les Américains ont estimé qu'il fallait intervenir au Darfour plus vite. Normalement, la force ONU/Afrique doit intervenir à la fin de l'année, ils disent « il faut y aller dès octobre », est-ce que vous en avez parlé ? Est-ce que la France est d'accord pour accélérer le mouvement pour sauver les malheureux du Darfour ?
R.- Evidemment, nous sommes tous favorables à ce que tout ça se fasse très vite parce que ces massacres sont insupportables. Ces massacres sont insupportables mais dans cette étape qu'on est en train d'essayer... enfin que B. Kouchner est en train de mener, qui est de ramener tout le monde à la table des négociations. Parce que si tout le monde n'est pas autour de la table pour discuter, que va-t-il se passer ? Il y aura une frange rebelle qui sera hors du circuit des négociations, et qui continuera à se tenir en dehors des règles, en dehors du processus de paix. Donc, c'est pour ça que la France a pris cette position-là. Maintenant, rien n'est fermé, cette crise peut évoluer et la France se rangera du côté de ceux qui proposeront - et elle en fait partie - un processus de paix le plus rapide possible. Tout le monde le veut, maintenant il faut voir avec qui le fait et dans quelles conditions. Et je crois que pour cela, il faut à nouveau se mettre autour de la table. La conférence de Tripoli a été également une avancée dans le sens des solutions politiques, mais ces évolutions restent à confirmer.
Q.- R. Yade, une dernière question, vous avez dit qu'il faut que les ambassades de France s'ouvrent plus aux opprimés du monde entier, vous ne craignez pas une ruée ?
R.- En vérité, ce que j'ai voulu dire par-là, c'est qu'il y a certaines ONG françaises qui ont attiré mon attention sur le fait qu'il y avait des militants des droits de l'homme qui demandaient à être reçus par nos ambassades et qui ne l'étaient pas. Alors j'ai voulu vérifier, j'ai envoyé un message à l'ensemble des ambassades pour leur demander qu'est-ce qui se passait. Et en vérité, les situations sont assez contrastées, il y en a qui reçoivent, il y en a qui reçoivent moins parce qu'il y en a qui estiment que certains militants sont en fait des opposants, il y en a qui estiment qu'ils ont déjà suffisamment reçu, donc je pense qu'il faut faire du cas par cas. Le but, ce n'est pas de submerger nos ambassades, le but c'est que les opprimés de la terre entière, comme l'a dit N. Sarkozy d'ailleurs au soir du second tour de l'élection présidentielle, sachent que la France, patrie des droits de l'Homme, est de retour et qu'elle défendra ces droits-là dès qu'ils seront violés ou mis en cause. C'est ça le message qu'on veut envoyer. Après, sur le plan pratique, les ambassades jugeront, mais en tout cas il n'est pas admissible, il n'est pas acceptable de refuser de recevoir des militants des droits de l'homme, rien que pour les entendre.
Q.- Merci R. Yade qui est avec nous de Dakar, avant de partir dès ce matin pour le Gabon. Merci d'avoir été en ligne avec nous sur Europe 1. Au revoir.
R.- Merci à vous, au revoir.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 27 juillet 2007