Interview de M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie, à RFI le 1er août 2007, sur les relations franco-nigérienne, la Maison de la francophonie et sur l'avenir de RFI.

Prononcé le 1er août 2007

Intervenant(s) : 

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

F. Rivière.- Bonjour J.-M. Bockel... Vous serez samedi au Niger, où vous allez rencontrer le président M. Tandja ; la ministre nigérienne des Affaires étrangères était à Paris avant-hier. Est-ce qu'au-delà des déclarations officielles plutôt rassurantes de part et d'autre, les relations entre Paris et Niamey ne sont pas en crise depuis l'expulsion le 25 juillet dernier du directeur d'Areva au Niger ?
 
Cette expulsion est une vraie difficulté, mais on ne peut pas en déduire qu'il y a une crise entre les autorités françaises et celles du Niger. Le président de la République française, N. Sarkozy, a eu hier au téléphone son homologue, le président Tandja pour évoquer, pas spécifiquement cette affaire, mais de manière générale les relations avec le Niger, la situation au Niger qui est confrontée comme d'autres pays de la zone à un certain nombre de problèmes, d'insécurité dans le Nord etc. Cela a été une conversation extrêmement chaleureuse, amicale et je crois que de part et d'autre, les Présidents ont été très sensibles au climat de ces discussions. Et moi je vais donc là-bas - une visite qui était préparée avant la crise liée à Areva - pour simplement faire passer un certain nombre de messages amicaux, pour entendre aussi ce que le Président pouvait nous faire passer comme message. Et donc nous avons maintenu ce déplacement qui prend naturellement une acuité nouvelle. Mais c'est vrai qu'aujourd'hui, s'agissant d'Areva, le dialogue a bien repris. Il y a eu des contacts et il y aura encore des contacts aujourd'hui entre la présidente d'Areva, A. Lauvergeon, et la ministre des Affaires étrangères du Niger, donc voilà les choses... Et effectivement, je crois que la société a décidé d'engager un audit, une expertise indépendante d'Areva, extérieure, pour savoir exactement ce qui s'est passé, parce que naturellement...
 
Alors en effet ça c'est la question, parce qu'il faut peut-être rappeler que le responsable d'Areva a été expulsé parce que les autorités nigériennes l'ont accusé de financer une rébellion touareg dans le Nord du Pays. Donc, vous admettez l'idée qu'Areva a peut-être commis des erreurs pour se retrouver dans cette situation ?
 
Il a pu y avoir à un niveau ou à un autre, certainement, je dirais, un mélange, peut-être de maladresses, forcément, mais totalement involontaires au niveau du groupe, de sa présidence etc. Mais sur le terrain, ce n'est pas toujours simple. Et puis il y a eu aussi des éléments de malchance, à partir du moment où un responsable de sécurité décide à un moment donné de rejoindre la rébellion sans rien demander à personne, évidemment, je comprends que cela soit mal perçu par les autorités du Niger. Du point de vue d'Areva, c'est un peu pas de chance. Par contre, si un certain nombre - et ça c'est à vérifier - de contrats de sécurité qui ont été pris, mais vraiment de bonne foi, ne se retrouvent pas tout à fait dans le cadre de ce qui avait été discuté avec le Niger, c'est une maladresse ! Donc ça c'est des choses si vous voulez qui ne sont pas intentionnelles, qui ne sont pas gravissimes, mais qui dans un contexte de tension sur ces questions de sécurité, qu'on peut tout à fait comprendre, peuvent effectivement créer un climat plus tendu dans un contexte par ailleurs, et ça c'est le propre du Niger, sur ces questions de ressources je dirais assez concurrentielles.
 
Alors justement, est-ce que cette affaire J.-M. Bockel, ne pourrait pas être aussi un moyen de pression pour les autorités nigériennes, afin d'obtenir d'Areva une renégociation des contrats plus favorable, dans un moment où on le sait l'uranium est en hausse sur les marchés mondiaux et où, effectivement, les Chinois font marcher très fort la concurrence ?
 
Moi je n'aurai pas ce soupçon à l'égard des autorités du Niger, notamment au plus haut niveau, dans la mesure où je sais et d'ailleurs nous allons le concrétiser aujourd'hui - enfin il va y avoir une concrétisation aujourd'hui entre Areva et les autorités du Niger - il y avait déjà eu ces négociations et ces négociations étaient tout à fait normales, puisque comme vous l'avez dit vous-même, il y a eu une hausse du fait de la rareté, du fait d'une consommation, d'un besoin plus important de certaines matières premières dont l'uranium et tout ça avait déjà fait l'objet de discussions. Il y avait déjà des accords. Donc il n'y a pas besoin de faire pression sur cette question précise du prix.
 
Oui, vous allez, selon ce qu'avait évoqué le président de la République il y a quelques jours à Libreville, essayer de contribuer à renouer un peu "les fils du dialogue" - c'est l'expression qu'avait employée N. Sarkozy - entre le Gouvernement nigérien et les rebelles touaregs ? Ce sera aussi l'une des missions de votre déplacement ?
 
Vous savez, la situation - j'étais également dans le Nord Mali à Tombouctou, il y a trois semaines pour marquer aussi notre intérêt pour ces régions du Nord, dans le cadre de notre coopération, de notre aide au développement - la situation sécuritaire, ce n'est pas propre au Niger, mais c'est vrai aussi au Niger est complexe, parce qu'il y a un mélange de trafic et de banditisme pur et simple. Notamment s'agissant du Niger, vous avez du trafic de drogue assez important et ça, cela relève je dirais plus du banditisme que de la rébellion. Il y a également des problèmes latents, récurrents, c'est un sujet que je connais un peu, j'avais déjà été dans les régions touareg il y a une dizaine d'années, dans les régions touareg, qui a fait, dans les différents pays l'objet d'accords, d'engagements qui ont été pris de réintégrer par exemple des rebelles dans l'armée régulière, ou d'engagement de développement, de formation etc. Ces engagements sont plutôt tenus, même si ce sont des pays pour qui ce n'est pas facile, nous aidons d'ailleurs à ce qu'ils soient tenus, mais disons qu'il y a toujours forcément des tensions, d'autant plus que ces tensions sont alimentées par cette dimension de trafic. Et enfin, élément nouveau, mais je le cite en troisième, parce que je ne veux pas focaliser sur ce seul point, il y a aussi des menées islamistes, potentiellement terroristes dans ces régions, cela ne date pas d'hier, cela date de quelques années, c'est aussi un souci. Et vous avez, comment dirais-je, un peu plus ou moins une imbrication de tous ces éléments dans ces secteurs désertiques, c'est la raison pour laquelle d'ailleurs nous sommes présents, y compris, c'est ce que j'ai pu voir au Mali, il y a quelques semaines, au niveau de notre coopération militaire avec d'ailleurs d'autres pays aussi, pour aider les gouvernements à faire reculer ces tensions qui sont naturellement préjudiciables et aux populations et au développement de pays comme le Niger. Nous allons évidemment parler aussi de ces questions.
 
Alors J.-M. Bockel, tout autre sujet, là c'est vraiment l'aspect "Francophonie" de votre portefeuille : le Parlement devait entamer aujourd'hui l'examen du projet de loi qui prévoit la création de la Maison de la Francophonie à Paris. Le projet qui prévoit de prêter 11.000m² de locaux dans un beau quartier de Paris à l'Organisation internationale de la francophonie, est au centre d'une polémique depuis quelques semaines sur le coût de l'opération. La commission des finances du Sénat a parlé de 540 millions d'euros au total. Où en êtes-vous aujourd'hui dans cette réflexion, est-ce que l'examen du texte va commencer dans les délais prévus ?
 
Non, le texte a été retiré de manière à ce qu'il puisse être examiné au Parlement dans un climat serein, après que nous ayons clairement trouvé les bonnes pistes pour installer cette Maison de la francophonie. La feuille de route du président de la République a été très claire, le Premier ministre a mandat - et bien sûr nous serons à ses côtés pour le faire - de trouver pour tenir cet engagement du regroupement des différents éléments de la francophonie, ce qui est une bonne idée, intelligente, cohérente, rationnelle, économique...
 
C'est un engagement de J. Chirac...
 
Oui, mais il y a une continuité de l'Etat et c'est un engagement qui a été réitéré par N. Sarkozy. Nous avons bien entendu à prendre en compte les difficultés qui ont surgi, pour certaines de manière tout à fait normale - problème de coût de désamiantage etc., on a d'ailleurs cité il y a quelques jours des chiffres tout à fait exagérés, que ce soit sur le coût de la remise en état du bâtiment rue de Ségur ou que ce soit sur des loyers sur une très longue période...
 
Loyers gratuits surtout, disait-on...
 
Il faut aussi... Bon, ici à RFI, chacun sait de quoi on parle, si la France prend un engagement et qu'elle se lave les mains du coût d'un loyer, qui va payer ? On voit déjà la difficulté à assumer avec les différents partenaires - on y arrive, mais ce n'est jamais simple et c'est normal, on peut le comprendre - le fonctionnement de ces différents organismes. Eh bien, là, il faut qu'on trouve une solution pérenne qui puisse fonctionner. Est-ce que ce sera dans ce bâtiment, dont je rappelle tout de même que nous en aurions occupé moins d'un tiers, donc ce n'était pas un bâtiment démesuré. Il y avait le ministère de l'Environnement et de l'Ecologie qui devait s'y installer ; là, il faut très vite qu'on soit au clair. Et si cela ne peut pas être là, ce sera dans un autre bâtiment, adapté, de qualité naturellement, sans être luxueux. Nous avons jusqu'à la fin de l'année pour trouver une solution, afin de pouvoir la mettre en oeuvre si possible l'année prochaine et que, au plus tard, en 2009, cela puisse fonctionner. Je vais m'impliquer dans ce dossier, je crois beaucoup en cette démarche de la francophonie, je suis en dialogue avec le président Diouf et avec l'ensemble des acteurs français et d'autres pays de la francophonie, pour qu'on trouve une solution raisonnable et adaptée. Et il convient de tenir cet engagement et j'espère d'ailleurs que cette maison sera, non seulement le regroupement de différentes administrations, lieux qui existaient dans Paris mais également, pourquoi pas, sur le plan culturel qu'elle puisse être connue du public.
 
Vous l'avez dit, J.-M. Bockel, vous êtes en ce moment sur l'antenne de RFI ; le président de la République réfléchit depuis plusieurs semaines à une réforme que l'on appelle communément l'audiovisuel extérieur français. Quelle devrait être, quelle pourrait être la place de RFI, selon vous, dans ce dispositif ?
 
Oui, les réunions se multiplient, il y en a encore une cet après-midi à Matignon où nous serons. Moi, je plaiderai pour que RFI garde une place spécifique au sein de cet ensemble. Parce que RFI c'est aussi et d'abord une radio et c'est une radio qui, dans un monde où la télé n'est pas encore partout, notamment au niveau d'un certain nombre de pays touchés par la francophonie, touchés par le message que nous souhaitons faire passer, eh bien, il faut... en plus RFI s'est de manière tout à fait exemplaire investie sur le média Internet, qui se développe de plus en plus. C'est l'intérêt de la France, c'est l'intérêt de la francophonie, c'est l'intérêt de l'image aujourd'hui de RFI, dont nous sommes fiers, que cette spécificité puisse être clairement, au sein d'un ensemble certes, prise en considération et préservée. Et je plaiderai pour cela dans les réunions interministérielles qui vont s'accélérer, car nous sommes proches maintenant du but.
 
Et vous pensez être entendu ?
 
Je pense que je serai forcément d'une manière ou d'une autre, je ne peux pas donner les détails de ce que ce sera, entendu, parce que tout simplement c'est le bon sens.
 
Parce que vous comprenez bien que cela nous intéresse. Merci beaucoup J.- M. Bockel, bonne journée.
 
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 1er août 2007