Interview de M. Eric Besson, secrétaire d'Etat chargé de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques, à "LCI" le 27 juillet 2007, sur les enjeux économiques de la France et sur l'ouverture politique mise en place par Nicolas Sarkozy.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Christophe Barbier : E. Besson, bonjour.
Eric Besson : Bonjour.
QUESTION : Menace de krach sur les marchés mondiaux, vous qui êtes chargé de la prospective au gouvernement, y voyez-vous l'annonce d'un effondrement de l'économie mondiale ?
 
Eric Besson : La prospective ce n'est pas à 48 heures ou à 48 jours. Il y a effectivement des risques, on le savait depuis longtemps, sur ce qu'on appelle le Private Equity aux Etats-Unis, sur le crédit immobilier, en même temps les perspectives de la croissance mondiale sont fortes, vous avez vu qu'elles ont été révisées à la hausse hier matin par le FMI, donc probablement des excès financiers et boursiers d'un côté, et de l'autre des perspectives mondiales fortes, je suis incapable de vous dire ce qui va l'emporter.
QUESTION : En France, la croissance sera-t-elle vraiment impactée par le paquet fiscal ? Comment croire que ces cadeaux fiscaux peuvent engendrer immédiatement de la croissance ?
 
Eric Besson : Il y avait un diagnostic qui avait été établi par N. Sarkozy et qu'il s'efforce maintenant de traduire dans l'action : l'idée force c'est que la France manque de compétitivité, je crois que c'est incontestable, nous perdons des marchés à l'extérieur, nous profitons mal de la croissance mondiale qui est forte, et par ailleurs nous perdons même des parts de marché en interne, parce que notre compétitivité, et notamment notre compétitivité prix, est insuffisante. Donc, dans ces conditions, l'idée du président de la République c'est de tout faire pour que la production de richesses en France soit forte, que le travail, sous toutes ses formes, soit mieux valorisé, c'est ce qui dicte ce paquet fiscal.
QUESTION : Et c'est au coeur aussi de la réflexion sur la TVA sociale que vous menez...
 
Eric Besson : Exactement.
 
QUESTION : C'est-à-dire que le travail ne soit pas trop chargé, trop coûteux. Vous êtes censé remettre à la fin du mois de juillet un rapport sur cette TVA sociale, est-ce que vous tiendrez les délais ?
 
Eric Besson : Oui, lundi, je remettrai un pré-rapport, ce qu'on pourrait appeler une note d'étape, au président de la République et au Premier ministre, conforme à ce qu'ils m'avaient demandé. Ils m'avaient demandé d'abord d'aller voir ce qu'étaient les expériences danoises et allemandes.
QUESTION : Alors, qu'avez-vous vu ?
 
Eric Besson : En Allemagne, j'ai vu d'abord une expérience qui pour l'heure est réussie, elle est applicable depuis le 1er janvier. Tous les économistes, tous les observateurs, disent que ça s'est passé bien mieux qu'ils ne l'avaient imaginé, dans des conditions spécifiques, sur lesquelles il faudra avoir du temps pour revenir, mais globalement l'expérience allemande est une réussite. Au Danemark, j'ai vu un pays totalement soudé autour de ses mécanismes de financement de la protection sociale. Voilà un pays très ouvert sur la compétition internationale, extrêmement compétitif, avec des PME très compétitives, et qui finance par l'impôt - la TVA, d'une part, l'impôt sur le revenu d'autre part - un très haut niveau de protection sociale. Et savez-vous que les Danois sont le peuple au monde, 75% d'entre eux disent : la mondialisation est une chance, est un bonheur. A la queue, vous avez les Français, qui sont les plus hostiles et les plus inquiets de la mondialisation. C'est intéressant de se demander s'il n'y a pas un lien entre compétitivité, protection sociale d'une part, et acceptation des règles du jeu international d'autre part.
QUESTION : A vous entendre, on a l'impression que ça vaut le coût quand même de tenter au moins une expérimentation.
 
Eric Besson : Ecoutez, je ne suis pas capable de vous répondre ce matin, plus exactement je réserve au président de la République et au Premier ministre mes conclusions...
QUESTION : Enfin, vous n'avez pas été effrayé par ce que vous avez vu en Allemagne.
 
Eric Besson : Je n'ai pas été effrayé, de toute façon j'avais dit dès le départ que l'idée, un, que la TVA sociale pouvait être un atout pour la compétitivité de notre pays, et deuxièmement qu'il y a une réflexion à faire sur le financement de notre protection sociale : est-ce que, la famille par exemple, ou sur le long terme la santé, doivent être obligatoirement surtout financées par des cotisations assises sur le salaire ? Cela ne me paraît pas évident ; cela relève de la solidarité, donc il y a des considérations de ce type. Ensuite, toute la question est : est-ce que les conditions sont réunies pour une éventuelle mise en oeuvre en France ? Là c'est un autre débat.
QUESTION : Combien de postes faut-il supprimer dans l'Education nationale ? 10.000 ? 17.000 ? 20.000 ?
 
Eric Besson : Il ne m'appartient pas d'arbitrer. Le président de la République et le Premier ministre ont dit que l'Education nationale n'échapperait à la règle commune du non remplacement d'un fonctionnaire sur deux, en tendance sur l'Etat, ensuite ce sont des arbitrages du Premier ministre.
QUESTION : Prospective toujours. 2010, l'équilibre budgétaire, c'est déjà un objectif qu'on n'arrivera pas à atteindre, il faut se dire que c'est 2012, pas avant ?
 
Eric Besson : Non, pas mécaniquement, vous savez comment les choses peuvent... souvenez-vous du cycle 97/2000, lorsque la croissance est forte, les choses peuvent changer très vite. Vous pouvez avoir non seulement des déficits qui se réduisent, voire des excédents, c'est en train de se passer. Par exemple, regardez l'assurance chômage ! L'assurance chômage en équilibre et en excédent ! Qui l'eut dit, qui l'eut cru, il y a encore moins de 2 ans ? Donc les choses vont vite à partir du moment où la croissance est installée. Et donc l'objectif du Gouvernement, sous la conduite du Premier ministre, c'est de tout faire pour essayer de retrouver ce niveau de croissance qui nous manque, ce demi point ou ce point dont on parle tant, qui fait que par rapport à ce que les économistes appellent la croissance potentielle de la France, nous sommes en deçà.
QUESTION : A quoi sert B. Kouchner, demande l'opposition après la libération des infirmières bulgares, où C. Sarkozy a tenu le haut du pavé ? Est-ce que les ministres d'ouverture sont des potiches ? Est-ce que vous avez parfois l'impression d'avoir été recrutés et puis mis de côté ?
 
Eric Besson : D'abord B. Kouchner a fait beaucoup en trois mois. Lorsque vous regardez le regard porté sur la France à l'étranger depuis trois mois, on a l'impression que la France a changé de siècle : rajeunissement, action. Le traité simplifié - je ne dis pas d'ailleurs que la France en soit le seul auteur, le seul responsable, mais l'un des principaux protagonistes - c'est une superbe réussite, et je crois que B. Kouchner fait dans le monde diplomatique, aujourd'hui, l'unanimité. Pour le reste, non, je n'ai clairement pas l'impression que nous ayons été mis de côté, nous sommes utilisés chacun à notre place, avec intérêt et bienveillance.
QUESTION : A droite aussi, on a grogné contre l'ouverture. C'est du conservatisme, c'est de la jalousie ?
 
Eric Besson : D'abord il y a une part que je peux comprendre. Imaginez que S. Royal ait gagné l'élection présidentielle et qu'on ait fait entrer, dans un gouvernement socialiste, six femmes ou hommes de droite. Honnêtement, ça aurait été la révolution au sein du Parti socialiste. Donc qu'il y ait des grincements... Deuxièmement, il ne faut pas généraliser. Il y a au sein de l'UMP des farouches partisans de l'ouverture, et qui nous le disent ou nous le font sentir. Mais vous avez raison, il y a une minorité probablement, qui ne comprend pas cela ou qui rechigne. A ceux-là, je dirai qu'ils devraient se rendre compte que sans N. Sarkozy, ils seraient dans l'opposition et fortement dans l'opposition. Autrement dit, N. Sarkozy était le seul à pouvoir gagner cette élection présidentielle à droite, parce que les conditions étaient totalement réunies ; ce que dit C. Bartolone en disant que pour la gauche c'était une élection imperdable, je partage cette analyse. Ce n'est pas l'UMP qui a battu le Parti socialiste, c'est N. Sarkozy qui a battu S. Royal.
QUESTION : Quand vous regardez les jeunes du Parti socialiste, Montebourg, Gorce, Peillon, Filippetti, vous les connaissez bien, vous avez l'impression qu'ils peuvent porter enfin la flamme de la vraie rénovation au PS ?
 
Eric Besson : Je ne suis pas sûr que ce soit d'abord une question d'âge, même si ça peut s'incarner dans des femmes et des hommes jeunes, c'est une question d'état d'esprit. Quand je lis ou j'entends que le Parti socialiste n'aurait pas travaillé pendant la dernière législature, je peux témoigner que c'est faux, le Parti socialiste avait beaucoup travaillé, tout était sur la table, et tout était dès le début. Le diagnostic de la société française qui avait été établi six mois après l'élection présidentielle était un diagnostic juste où toutes les pistes des enjeux de 2007 étaient déjà posées. La réalité c'est que le Parti socialiste n'a pas arbitré, n'a pas tranché, n'a pas voulu trancher. Et là, c'est une autre question de savoir pourquoi, alors que tout était sur la table, il n'a pas tranché. Il appartient peut-être à cette génération - mais encore une fois je ne suis pas persuadé que ce soit plus une question de génération que d'état d'esprit - mais peut-être que c'est cette génération qui va le faire.
QUESTION : D. de Villepin devrait être mis en examen aujourd'hui dans le cadre de l'affaire Clearstream. A-t-il agi comme ministre - alors ça relève de la Cour de justice - ou bien comme citoyen ordinaire, et ça relève de la justice normale ?
 
Eric Besson : Ce n'est pas à moi de me prononcer. La justice est saisie, elle s'exprimera. Je peux juste vous dire que je trouve ce que je lis, glaçant.
QUESTION : Faut-il supprimer le Tour de France ? Est-ce que l'enjeu économique vaut de continuer ce cirque du dopage ?
 
Eric Besson : Pas seulement l'enjeu économique, dites d'abord l'enjeu populaire. Le Tour de France est passé l'année dernière chez moi dans la Drôme, dans ce qui était ma circonscription, je n'ai jamais vu un tel engouement populaire de ma vie. Deuxièmement, ce n'est pas au moment où les organisateurs paraissent décidés à nettoyer le Tour de France, et à adopter les sanctions qu'il faut, qu'il faudrait leur savonner la planche.
QUESTION : Vous serez candidat l'année prochaine aux municipales à Donzère, votre ville de la Drôme, sous quelle étiquette ?
 
Eric Besson : Lorsque j'étais candidat en 95 et 2001, j'étais socialiste et je n'avais pas d'étiquette aux élections municipales, je considérais que c'était disjoint et j'avais fait, c'était prémonitoire, une liste dite d'ouverture. Donc ce sera exactement la même chose l'année prochaine, je serai candidat, sans étiquette et avec une liste d'ouverture.
 
QUESTION : E. Besson, vous étiez le 244ème et dernier invité de la saison politique 2006/2007, merci à vous tous de votre fidélité.
 Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 27 juillet 2007