Interviews de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, dans "La Croix" du 22 février 1999, et dans "Le Parisien" du 25, sur la position de la France dans les négociations de la réforme de la PAC, notamment sur les prix agricoles et les aides à l'agriculture.

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Média : La Croix - Le Parisien

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ENTRETIEN AVEC LE QUOTIDIEN "LA CROIX" le 22 février 1999
Q - Quelles positions défendez-vous à Bruxelles dans les négociations de la réforme de la Politique agricole commune (PAC) qui commencent aujourd'hui ?
R - En premier lieu, il ne pourra pas y avoir d'accord séparé sur la PAC avant un accord global sur le financement du budget européen. Et surtout, il n'y aura pas d'accord tant que nous n'aurons pas d'assurance sur le rejet définitif du projet de cofinancement soutenu par la Commission et les Allemands. Nous sommes ouverts à la discussion, mais nous refusons que la France et la PAC soient les seules variables d'ajustement. Pour le moment, la France est la seule à avoir fait des efforts dans la négociation. Il est hors de question d'imaginer un accord dans ces conditions.
Q - Etes-vous prêt à aller au clash avec les Allemands sur cette question ?
R - C'est à eux qu'il faut poser la question. Nous refusons le cofinancement pour des questions de fond car nous craignons que ce système n'entraîne des distorsions de concurrence. Et quand les Allemands nous ont répondu qu'ils avaient un problème budgétaire, nous avons fait des propositions d'économies dans tous les domaines. Ils continuent malgré tout de parler de cofinancement. Je crois qu'ils n'ont pas compris qu'il y a un refus frontal de la France sur cette question. Je ne céderai pas là-dessus.
Q - Quels autres dossiers allez-vous défendre ?
R - La réforme en discussion doit mettre en oeuvre une réorientation fondamentale de la politique agricole vers le développement rural et les exploitations qui en ont le plus besoin, pour encourager l'emploi, la vitalité du monde rural, l'environnement, l'aménagement du territoire et les productions de qualité. La question de la réorientation des aides se pose car nous donnons énormément d'argent à l'agriculture.
Q - Cela apparaît-il dans les propositions de la Commission ?
R - Un peu, mais ce volet doit être renforcé. La dégressivité des aides que nous envisageons servirait à cela. Une partie des économies ainsi réalisées pourrait être consacrée au développement rural. Enfin, je tiens aussi à défendre certains de nos intérêts fondamentaux comme la préservation de notre troupeau bovin extensif.
Q - Comment expliquez-vous que la Commission européenne défende des positions libérales alors que 13 des 15 Etats membres de l'Union sont dirigés par des sociaux-démocrates ?
R - C'est une vraie question... Qu'un vent de libéralisme souffle à Bruxelles, on ne peut que le constater. On y raisonne en termes de baisses de prix généralisées, de suppression des instruments d'intervention publique et de destruction des instruments de maîtrise de production. Refuser, comme on l'a vu récemment, la maîtrise de la production porcine est d'ailleurs significatif. Cela étant, reconnaissons que des secteurs comme la viande ou les céréales sont menacés par des excédents de production. Dans ce contexte, la baisse des prix a une justification. La preuve : les organisations professionnelles elles-mêmes ont fait des propositions en ce sens. Il faut simplement être mesuré et avoir toujours à l'esprit que, quand on baisse les prix, soit on compense par des aides directes au revenu et cela coûte cher au budget européen, soit on ne les compense pas et cela pénalise les agriculteurs.
Q - Le président Jacques Chirac partage-t-il les positions du gouvernement ?
R - Nous avons systématiquement fait valider nos propositions par un conseil restreint à l'Elysée. Jusqu'à présent, ce système a très bien fonctionné et je souhaite que cela continue. Je négocierai donc à Bruxelles avec un vade mecum du Premier ministre, avalisé par le président de la République.
ENTRETIEN AVEC LE QUOTIDIEN "LE PARISIEN" le 25 février 1999
Q - A Bruxelles, les négociations sur la réforme de la Politique agricole commune sont en panne. Pourquoi ?
R - Nous sommes dans une négociation globale du financement de l'Europe pour laquelle les Quinze doivent tout mettre sur la table, aussi bien les dépenses (Politique agricole commune, Fonds structurels...) que les recettes. Or, à Bruxelles, certains ne voudraient parler que de la PAC, question cruciale pour la France. Nous ne lâcherons rien sur la PAC tant qu'on ignore ce que nos partenaires veulent faire sur les autres points. Voilà pourquoi ça bloque.
Q - Qui visez-vous ?
R - Tous les membres de l'Union doivent faire des efforts. Le chèque fait depuis quinze ans pour aider l'Angleterre à intégrer l'Europe ne doit pas être éternel. Les fonds de cohésion destinés à aider les pays du Sud à faire l'euro non plus. Quant aux Allemands, pressés de réduire leur contribution, qu'ils n'oublient pas les avantages tirés de l'Europe en particulier sur le plan industriel avec le marché unique.
Q - Par ailleurs, vous n'êtes pas d'accord avec la réforme de la PAC telle qu'elle est proposée par Bruxelles !
R - La France est très favorable au principe d'une réforme de la PAC car nous avons des excédents de production en céréales et en viande bovine. Nous voulons simplement maîtriser la dépense de la PAC. A l'inverse, la Commission et les Allemands proposent une réforme très coûteuse consistant à baisser les prix de 30 % sur la viande ou de 20 % sur les céréales tout en compensant les pertes de revenus occasionnées aux agriculteurs par des aides européennes. Au total, cela alourdit le budget européen. Là réside un second élément de blocage.
Q - Quelle est donc la position française ?
R - Nous disons : moins de baisses de prix et moins de coûts pour l'Europe, sinon il y aurait cofinancement, c'est-à-dire des recours supplémentaires aux budgets nationaux.
Par ailleurs, il faut tirer les leçons de la dernière PAC négociée en 1992. Bonne pour la production et les revenus agricoles ; mauvaise pour l'exode rural et l'environnement. Il faut par conséquent réorienter les aides agricoles vers la qualité et non plus la production. Cela permettra plus de justice dans leur répartition.
Q - Quelle issue voyez-vous à cette crise ?
R - Sur la PAC, un accord cette semaine n'est pas souhaitable. Nous pouvons malgré tout travailler utilement à rapprocher les points de vue.
Q - Comment sortir l'Europe de cette impasse ?
R - C'est aux chefs d'Etat et de gouvernement de trancher la question de la répartition équitable des efforts financiers. Le président de la République et Lionel Jospin défendront cette thèse ce week-end lors du sommet informel de Petersberg.
Q - Comment travaillez-vous avec Jacques Chirac ?
R - Très bien, nous avons défini une position commune entre la présidence et le gouvernement. C'est une force pour la France dans ce moment délicat.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr)