Interview de M. Christian Estrosi, secrétaire d'Etat chargé de l'outre-mer, à "France-Inter" le 6 août 2007, sur le style présidentiel de Nicolas Sarkozy.

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T. Steiner : L'enlèvement du jeune Alexandre à La Réunion aura duré deux jours ; tout s'est bien terminé, heureusement. Y a-t-il une spécificité du problème des sectes à La Réunion ?
R. Non, absolument pas. La Réunion, ce sont quatre grandes religions qui cohabitent en grande tolérance depuis des années, et on ne peut pas dire que le phénomène sectaire soit plus présent à La Réunion qu'ailleurs. D'ailleurs, ce qui s'est déroulé là, comme il y a quelques mois déjà par un premier enlèvement, est une première série d'événements assez graves et dont il faut prendre toute la mesure pour l'endiguer immédiatement, mais je vous rappelle que sur ces incidents, d'ailleurs le gourou a été condamné en 2006 à quinze ans de réclusion par contumace.
QUESTION : Il y aurait 6.000 personnes prises dans des sectes sur l'île de La Réunion, c'est statistiquement normal ?
Christian Estrosi : En tout cas, nous sommes très attentifs à ce problème et voyez-vous, ce qui s'est passé avec Alexandre où j'ai partagé des heures d'inquiétude auprès de sa famille et en contact permanent avec les autorités sur place est aussi pour nous l'opportunité de démanteler une bande organisée et d'ailleurs, c'est la qualification qu'a retenue la justice à l'égard de cette secte. Tout est solide au plan judiciaire et je pense qu'il y aura des condamnations particulièrement lourdes et, au plan administratif, nous allons veiller avec le préfet à ce que cette secte, si elle était inscrite parmi le tissu associatif, puisse être dissoute le plus vite possible. Il faut que nous fassions un geste d'exemplarité et que nous veillions à ce que, sur le territoire de La Réunion comme sur tous les territoires de France, le phénomène sectaire soit endigué. C'est une exigence aussi pour garantir à chaque Français sa sécurité et sa première des libertés.
QUESTION : C. Estrosi, vous êtes un ami de vingt ans de N. Sarkozy. Il y a trois mois aujourd'hui, il était élu président de la République. Est-ce qu'il a changé ce jour-là ?
Christian Estrosi : Il n'est pas devenu quelqu'un d'autre, il a simplement pris la dimension de la fonction, une fonction à laquelle il s'était préparé depuis longtemps, mais sa personnalité, celle que ses plus proches lui connaissent depuis si longtemps, sa capacité à être attentif à chacun, sa grande dimension humaine, sa générosité, rien n'a changé chez l'homme. Simplement, le poids des responsabilités le conduit forcément aujourd'hui à imposer de son autorité et à prendre de la hauteur sur les événements. Tout en s'y étant préparé, j'ai pu voir pas à pas son cheminement vers cette dimension d'homme d'Etat et ce n'est pas pour lui un tournant profond dans sa vie, tant il s'y était préparé.
QUESTION : Ses amis continuent-ils de le tutoyer ou vous l'appelez "Monsieur le Président" ?
Christian Estrosi : Je suis attentif en public à le vouvoyer, parce que c'est le respect que je dois à la fonction, tout comme je le tutoie bien évidemment dans nos relations personnelles.
QUESTION : "Tout sauf Sarkozy" : le procès en diabolisation ou en incompétence contre le candidat UMP à la présidentielle, tout cela c'est loin derrière, selon vous ?
 
Christian Estrosi : Oui, et d'ailleurs tous les Français découvrent ce que savaient de lui ses amis depuis si longtemps, cette capacité à être ouvert vers les autres, cette capacité de transparence qu'il démontre au quotidien, cette capacité à dépasser tous les sectarismes. Finalement, ses adversaires avaient voulu dessiner de lui une personnalité qui n'avait rien à voir avec ce qui est la sienne, et parce qu'il occupe cette fonction, parce qu'il est sur le devant de la scène, parce qu'il est à la rencontre des Français au quotidien, chacun se rend compte et me dit d'ailleurs dans la rue, comme à beaucoup d'entre nous : "franchement, on avait cru qu'il était si différent, et sans doute n'aurions-nous pas voté pour son adversaire au premier tour des élections présidentielles comme au deuxième tour, si nous avions connu le président de la République que nous connaissons aujourd'hui".
QUESTION : "Hyperprésident", c'est une qualité ?
Christian Estrosi : Je ne sais pas ce que veut dire "hyperprésident". En tout cas, si vous sous-entendez par là que le fait qu'il soit devant, qu'il s'engage, qu'il prenne des risques - ce n'est pas habituel, c'est vrai, de prendre des risques pour un président de la République - c'est le choix qu'il a fait, c'est un choix qui n'est pas nouveau de sa part, c'est sa personnalité qui a toujours été un homme engagé dans l'action, et c'est une chance pour la France. A nous de savoir l'aider, de savoir nous tenir chaque fois que c'est nécessaire en retrait, mais de l'accompagner avec force et conviction.
QUESTION : Est-ce qu'en étant omniprésent, N. Sarkozy ne prend pas le risque de n'être plus écouté et en se mettant en avant sur tous les sujets ? Est-ce que le Président ne prend pas surtout le risque de prendre tous les coups, le jour où cela ira mal ? En politique, on a souvent vu l'importance des fusibles !
Christian Estrosi : Nous avons été élus pour avoir des résultats, pour faire des réformes, pour changer notre pays, pour cette rupture qu'espéraient tant de Français et dans laquelle ils ne croyaient plus, tant depuis vingt ou trente ans, le discours politique était édulcoré, enfermé dans la pensée unique. Eh bien, N. Sarkozy a voulu rompre avec la pensée unique. Le prix à payer, bien évidemment, c'est de prendre tous les risques au quotidien. Lorsqu'il nous dit : "regardez, on a tenu tous nos engagements, tous nos engagements pour cette première session parlementaire, eh bien à la rentrée de septembre, vous allez voir, on va encore aller plus vite, plus loin, on va accélérer, parce que nous n'avons pas le droit de décevoir les Français", eh bien pour cela, c'est vrai, il faut savoir prendre les risques. Mais quand on aime son pays, quand on a pris des engagements et quand pour la première fois depuis longtemps, on sait démontrer qu'on respecte la parole donnée, c'est une valeur qu'il ne faut pas gâcher.
QUESTION : On a vu que, même en vacances au bord d'un lac en Nouvelle- Angleterre, le chef de l'Etat ne résiste pas à donner des conférences de presse. Vous dites-vous quelquefois, dans son entourage, qu'il en fait un peu trop devant les caméras et devant les micros ?
Christian Estrosi : Sincèrement, qui en a fait trop, ces derniers jours, si ce n'est tous ceux qui ne sont plus capables de participer au débat d'idées et qui passent leur temps, en permanence, à essayer de trouver quelque chose, un défaut, au président de la République, parce qu'ils ne sont plus capables d'occuper le terrain sur leurs propres valeurs ? Eh bien, à un moment, N. Sarkozy a démontré que, conformément à sa personnalité d'homme ouvert, d'homme transparent, il était capable de tout dire. On veut parler de la Libye ? On va parler de la Libye. On veut parler de mes vacances ? On va parler de mes vacances. Eh bien, je crois que, effectivement, c'est un style auquel on n'était peu habitué, mais qu'apprécie chacun, parce qu'un peu de clarté et de transparence, cela apporte aussi un bol d'oxygène à la France.
QUESTION : Ce style plus direct, plus décontracté que ces prédécesseurs, c'est un charme supplémentaire que la scène internationale, pour vous ?
Christian Estrosi : C'est une capacité de convaincre qu'aujourd'hui, dans les grands conseils internationaux... Tenez, le G8 ! Pour la première fois, amener les deux plus grands chefs d'Etat au monde, le Président de la Russie et le Président des Etats-Unis, à faire un pas en avant vers le Protocole de Kyoto pour diminuer par quatre les émissions de gaz à effets de serre, alors que l'Europe était en panne ; convaincre d'un Traité a minima pour que nous puissions enfin donner un élan à cette Europe politique qui est si nécessaire ; convaincre 26 autres pays de l'Union européenne et entraîner derrière cette dynamique ; convaincre le chef de l'Etat, un chef d'Etat important en Amérique du Sud, de libérer le chef des FARC pour pouvoir espérer, pour la première fois depuis longtemps, la libération d'I. Bétancourt : c'est autant d'images qui font le tour de la planète aujourd'hui et qui donnent un autre reflet de la France. On a l'impression, sur la scène internationale, que la France est de retour, à travers son Président.
QUESTION : C'est N. Sarkozy qui est spécialement moderne ou c'est J. Chirac qui était particulièrement ringard ?
Christian Estrosi : Aucun Président n'est à comparer à un autre. J'ai trop de respect pour le Président J. Chirac. Mais enfin, N. Sarkozy, qui est mon ami depuis si longtemps...
QUESTION : Vous pensez qu'il a changé la fonction présidentielle ? Qu'elle ne sera jamais plus comme avant après lui ?
Christian Estrosi : Bien évidemment. Et d'ailleurs, s'il veut, aujourd'hui, cette réforme institutionnelle pour qu'il y ait un rôle donné au président de la République qui corresponde plus à cette nécessité de s'adresser en direct aux Français comme au Parlement... Quel drôle de pays [où] un Président de la République [se voit] interdit d'aller devant les députés pour pouvoir s'exprimer ou rendre des comptes ! C'est aussi cela, cette volonté, cette image qu'il veut changer de la fonction présidentielle. Ma foi, je crois que c'est à ce prix que nous pourrons respecter cette exigence d'espérance nouvelle que nous avons donnée aux Français.
QUESTION : On dit que certains ministres sont malheureux ?
Christian Estrosi : Moi, je suis un ministre heureux, voyez-vous ! Un ministre heureux parce que [j'ai] un Président qui me fait confiance, un Président qui me confie des responsabilités et qui, dès lors qu'il me les a confiées n'est pas là au quotidien pour veiller et surveiller si je les remplis bien ou mal. Mais je sais qu'il y a une culture du résultat. Je sais qu'il y a une exigence et que je n'ai pas le droit de le décevoir. C'est ça aussi, l'avantage de pouvoir le connaître depuis longtemps. Après tout, c'est le président de la République qui est élu par les Français, ce ne sont pas les ministres. Les ministres sont désignés par le président de la République et par le Premier ministre. Et nous devons veiller, au quotidien, à ce que la feuille de route qui est confiée par le Président soit respectée, parce que c'est aussi respecter sa parole devant les Français.
QUESTION : La cote de confiance de N. Sarkozy reste au plus haut au mois d'août - 64 % ; combien de temps va durer l'état de grâce ?
Christian Estrosi : Ce sera aux Français eux-mêmes de le dire. D'ailleurs, en vous disant tout cela, je vous demande de ne pas faire de moi la groupie de base de N. Sarkozy. Vous savez, dans nos relations, il y a aussi nos parts de vérité échangées. Mais enfin, sincèrement, je crois que la crédibilité que lui accordent les Français aujourd'hui, de gauche comme de droite, lui, qui est devenu le Président de tous les Français comme il aime à le revendiquer, démontre que, sans doute, ils attendaient cela depuis bien longtemps, ils ne croyaient plus en la politique, ils avaient le sentiment que la politique ne pouvait plus rien pour eux. Aujourd'hui, de nouveau, ils croient, ils espèrent. Eh bien, croire en son pays, croire que tout est devenu de nouveau possible, parce qu'un Président est capable d'être un vrai chef d'entreprise à la tête de l'entreprise France, c'est aussi permettre à toutes les consciences collectives de notre pays de s'approprier une part de notre identité et une part de cet élan nouveau.
QUESTION : En un mot, les vacances entre amis de N. Sarkozy, saura-t-on, a-t-on le droit de se demander quels sont les gentils amis qui paient les vacances de notre Président ?
Christian Estrosi : Cela appartient à sa vie privée. Je pense que nous sommes dans un pays d'une grande démocratie où chacun doit savoir respecter cette part de vie privée du président de la République.
T. Steiner : Merci, C. Estrosi.Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 6 août 2007