Texte intégral
Q - Que vous inspirent les commentaires sur les cent jours de Nicolas Sarkozy à l'Elysée, qui sont aussi un peu les vôtres, cent jours au Quai d'Orsay ?
R - Ils m'inspirent de l'intérêt, et j'espère que ces cent jours ne se termineront pas à Waterloo.
Q - Et il y a quelqu'un qui écrit sur les Cent jours de Napoléon, qui est un ancien Premier ministre.
R - Dominique de Villepin.
Q - Avec ce voyage à Bagdad, que vous souhaitiez sans doute depuis longtemps, il s'agit d'une rupture politique dans la diplomatie française ?
R - Rupture ? C'est un renouvellement d'intérêt, c'est une nécessité. Nous avions pensé depuis longtemps, depuis en effet cent jours, qu'un certain nombre des crises devaient nous intéresser parce que notre sort se joue là-bas. L'Irak est un des endroits où le sort du monde peut basculer, dans le pire. Nous avons tenu à nous rendre en Irak, après le Liban, après le Darfour, parce que depuis longtemps c'était la volonté politique de la France.
Maintenant, s'agissait-il d'un voyage surprise ? Vous savez, je n'ai pas annoncé ce voyage parce qu'il y avait des raisons de sécurité évidentes qui faisaient que nous ne pouvions pas annoncer notre venue. Mais il n'y a non seulement pas en en rougir ni à la dissimuler. Nous avons prévenu d'ailleurs nos partenaires européens, j'ai moi-même téléphoné à mes homologues, et notre partenaire américain la veille. C'était donc une surprise volontaire dans la mesure où la sécurité l'imposait.
Q - Vous avez proposé à vos interlocuteurs irakiens une grande conférence qui pourrait avoir lieu à l'extérieur du pays, avec toutes les parties irakiennes. Dès votre retour, le président Talabani dans une interview au journal "Le Monde" hier le refusait.
R.- Je n'ai rien proposé du tout. L'habile journaliste du "Monde" a fait coïncider ces réponses. J'ai dit qu'un jour cela pourrait être intéressant, mais je n'ai rien proposé du tout. Elle a posé la question au président Talabani qui a dit : "nous n'en avons pas du tout besoin, on se parle". Je crois que le président Talabani, que je connais depuis trente ans, qui est un vrai ami, fait preuve de beaucoup d'optimisme. Et c'est son rôle comme président. Mais je n'ai rien proposé du tout, j'ai simplement écouté. Et loin de moi l'idée de proposer ce qui a été fait, avec un certain succès, pour le Liban. Ce sont des situations absolument incomparables.
Mais il y a une cécité irakienne regrettable, de la part des gens qui vivent dans la zone verte, et qui ne sortent même plus de Bagdad, et une cécité de la part des gens qui connaissent un peu Bagdad, mais qui ne se rendent pas compte combien la situation est dégradée autour : ils imaginent qu'ils se parlent. Ils se parlent et ils s'affrontent en même temps. Les chefs dans cette région se parlent, ils sont même amis, et pendant ce temps-là, on se poignarde en leur nom. C'est extraordinairement inquiétant. Je sais que la Mésopotamie, que la civilisation de Sumer, que depuis 6 000 ans sont un centre de violence. Mais là, cela doit vraiment nous inquiéter. Nous n'avons pas à prouver que nous avons eu raison sur la façon dont les Américains s'y prenaient pour rétablir un peu de justice dans un pays qui a subi la dictature de Saddam Hussein. Même les partisans de Saddam Hussein le disent, c'est le chiffre qui circule en ce moment à Bagdad : il aurait fait entre deux et quatre millions de morts. Mais ceux-là veulent que les troupes américaines restent encore un peu. Mais personne ne sait quelle sera l'issue de tout cela.
Nous avons désapprouvé la manière américaine. Ce n'est pas une raison pour se désintéresser de la population irakienne, et surtout ce qui se joue là-bas, avec les pays alentour qui sont très intéressés par la crise irakienne, alors que les religions s'affrontent, les communautés ne se tolèrent pas, avec les problèmes de l'énergie, de l'atome. Il s'agit vraiment d'une région dangereuse.
Q - Quel sens cela a pour vous le fait de maintenir l'ambassade de France non pas dans la zone verte hyper-protégée mais dans la zone rouge de Bagdad ?
R - Je vous remercie d'en parler, parce qu'on n'en parle jamais. Le courage de ces diplomates et de ces gendarmes spécialisés du GIGN qui assurent la sécurité de cette ambassade, ce courage, cette obstination, cette présence sont remarquables. J'ai tenu à leur rendre hommage. Je me suis rendu à l'ambassade. Je les ai vus plusieurs fois. Depuis 2003, et l'invasion ou la libération américaine - on emploie les deux mots là-bas - nous avons été les premiers à rouvrir notre ambassade. Depuis, elle n'a jamais été fermée. Le centre culturel français fonctionne également encore à Bagdad.
Q - C'est donc un geste politique de maintenir l'ambassade dans un quartier dangereux ?
R - Absolument. Et comme je l'ai dit plusieurs fois, nous ne sommes pas passés par les Américains pour nous rendre à Bagdad. Mais ce n'est pas parce que l'animosité continue. Je pense au contraire que c'est une nouvelle phase parce qu'ensemble, la France et surtout l'Europe - et j'essaierai de convaincre nos partenaires européens de se rendre à Bagdad et de mettre en route la dernière résolution des Nations unies - devons être très présents dans l'application de la résolution des Nations unies. C'est cela qui compte, que l'on sorte ensemble de cette crise qui nous menace tous.
Q - Est-ce que vous témoignerez devant la Commission d'enquête sur les circonstances de la libération des infirmières bulgares ?
R - Bien volontiers, j'attends cela avec intérêt. Et je trouve tout à fait légitime que la représentation nationale veuille des éclaircissements, et en particulier que l'opposition s'oppose. Cela me paraît tout à fait sain. Vous savez que cette opération, que j'ai suivie de très près, et dont j'ai été informé avant et après, cette libération, c'est un miracle qu'elle ait eu lieu. Souvent, dans la précipitation de ces négociations, pour des otages, pour la paix, ce que je connais bien, avec des surprises, des retournements, des changements de pieds, on n'a pas le temps de consulter tout le monde, et cela apparaît un peu brouillon. C'est toujours ainsi, et on arrive à un résultat négatif. Là, le résultat fut positif.
Il faut maintenant s'expliquer, bien entendu.
Q - Alors comment se fait-il que Cécilia Sarkozy, qui a été en première ligne, puisse ne pas témoigner devant la Commission d'enquête parlementaire ?
R - Je ne sais pas si elle témoignera ou pas, c'est son affaire. La Commission n'est pas encore formée, alors attendons un petit peu.
Q - Mais vous dites qu'il faut s'expliquer. Les personnes qui ont été en première ligne doivent s'expliquer, non ?
R - J'ai été, par surprise et par chance, désigné comme ministre des Affaires étrangères de la France. Je réponds en mon nom et je m'expliquerai très volontiers. Je l'ai déjà fait d'ailleurs devant la Commission des Affaires étrangères. Et si j'ai paru parfois un peu hésitant, c'est que les choses se sont faites très vite et que des explications nous ont été fournies par les faits, et par des dossiers que nous n'avions pas tous consultés avec le même intérêt. Ces explications nous ont été fournies après. Mais il n'y a vraiment rien à cacher.
Q - Dominique Voynet disait tout à l'heure que Claude Guéant tance tous les ministres. Il a eu une place importante dans la diplomatie française à Tripoli.
R - Je vous assure que j'ai connu d'autres Secrétaires généraux qui prenaient une place importante, mais on ne protestait pas alors parce qu'il s'agissait d'un gouvernement de gauche. Je n'ai jamais été tancé par Claude Guéant, avec qui j'ai des contacts extrêmement courtois et enrichissants.
Bien sûr, il y a un secrétaire général qui est plus facile d'accès que le président de la République en permanence. Mais je rencontre les deux et cela ne me paraît pas excessif. Il y a une rapidité et un style du président de la République dont il faut le féliciter pour les résultats obtenus. Oh, tout n'est pas magique, tout n'est pas bien fait, tout ne peut pas être satisfait parce que c'est plus lent que l'on croit de mettre en place les choses. Mais il y a un style différent et des responsabilités qu'il prend dont il faut, je crois, le féliciter.
J'ai entendu Dominique Voynet qui faisait part de son inquiétude. Je comprends. Il faut lui donner des explications. Il faudrait qu'il y ait un dialogue un petit peu plus naturel et sans animosité excessive entre l'opposition et la majorité.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 août 2007
R - Ils m'inspirent de l'intérêt, et j'espère que ces cent jours ne se termineront pas à Waterloo.
Q - Et il y a quelqu'un qui écrit sur les Cent jours de Napoléon, qui est un ancien Premier ministre.
R - Dominique de Villepin.
Q - Avec ce voyage à Bagdad, que vous souhaitiez sans doute depuis longtemps, il s'agit d'une rupture politique dans la diplomatie française ?
R - Rupture ? C'est un renouvellement d'intérêt, c'est une nécessité. Nous avions pensé depuis longtemps, depuis en effet cent jours, qu'un certain nombre des crises devaient nous intéresser parce que notre sort se joue là-bas. L'Irak est un des endroits où le sort du monde peut basculer, dans le pire. Nous avons tenu à nous rendre en Irak, après le Liban, après le Darfour, parce que depuis longtemps c'était la volonté politique de la France.
Maintenant, s'agissait-il d'un voyage surprise ? Vous savez, je n'ai pas annoncé ce voyage parce qu'il y avait des raisons de sécurité évidentes qui faisaient que nous ne pouvions pas annoncer notre venue. Mais il n'y a non seulement pas en en rougir ni à la dissimuler. Nous avons prévenu d'ailleurs nos partenaires européens, j'ai moi-même téléphoné à mes homologues, et notre partenaire américain la veille. C'était donc une surprise volontaire dans la mesure où la sécurité l'imposait.
Q - Vous avez proposé à vos interlocuteurs irakiens une grande conférence qui pourrait avoir lieu à l'extérieur du pays, avec toutes les parties irakiennes. Dès votre retour, le président Talabani dans une interview au journal "Le Monde" hier le refusait.
R.- Je n'ai rien proposé du tout. L'habile journaliste du "Monde" a fait coïncider ces réponses. J'ai dit qu'un jour cela pourrait être intéressant, mais je n'ai rien proposé du tout. Elle a posé la question au président Talabani qui a dit : "nous n'en avons pas du tout besoin, on se parle". Je crois que le président Talabani, que je connais depuis trente ans, qui est un vrai ami, fait preuve de beaucoup d'optimisme. Et c'est son rôle comme président. Mais je n'ai rien proposé du tout, j'ai simplement écouté. Et loin de moi l'idée de proposer ce qui a été fait, avec un certain succès, pour le Liban. Ce sont des situations absolument incomparables.
Mais il y a une cécité irakienne regrettable, de la part des gens qui vivent dans la zone verte, et qui ne sortent même plus de Bagdad, et une cécité de la part des gens qui connaissent un peu Bagdad, mais qui ne se rendent pas compte combien la situation est dégradée autour : ils imaginent qu'ils se parlent. Ils se parlent et ils s'affrontent en même temps. Les chefs dans cette région se parlent, ils sont même amis, et pendant ce temps-là, on se poignarde en leur nom. C'est extraordinairement inquiétant. Je sais que la Mésopotamie, que la civilisation de Sumer, que depuis 6 000 ans sont un centre de violence. Mais là, cela doit vraiment nous inquiéter. Nous n'avons pas à prouver que nous avons eu raison sur la façon dont les Américains s'y prenaient pour rétablir un peu de justice dans un pays qui a subi la dictature de Saddam Hussein. Même les partisans de Saddam Hussein le disent, c'est le chiffre qui circule en ce moment à Bagdad : il aurait fait entre deux et quatre millions de morts. Mais ceux-là veulent que les troupes américaines restent encore un peu. Mais personne ne sait quelle sera l'issue de tout cela.
Nous avons désapprouvé la manière américaine. Ce n'est pas une raison pour se désintéresser de la population irakienne, et surtout ce qui se joue là-bas, avec les pays alentour qui sont très intéressés par la crise irakienne, alors que les religions s'affrontent, les communautés ne se tolèrent pas, avec les problèmes de l'énergie, de l'atome. Il s'agit vraiment d'une région dangereuse.
Q - Quel sens cela a pour vous le fait de maintenir l'ambassade de France non pas dans la zone verte hyper-protégée mais dans la zone rouge de Bagdad ?
R - Je vous remercie d'en parler, parce qu'on n'en parle jamais. Le courage de ces diplomates et de ces gendarmes spécialisés du GIGN qui assurent la sécurité de cette ambassade, ce courage, cette obstination, cette présence sont remarquables. J'ai tenu à leur rendre hommage. Je me suis rendu à l'ambassade. Je les ai vus plusieurs fois. Depuis 2003, et l'invasion ou la libération américaine - on emploie les deux mots là-bas - nous avons été les premiers à rouvrir notre ambassade. Depuis, elle n'a jamais été fermée. Le centre culturel français fonctionne également encore à Bagdad.
Q - C'est donc un geste politique de maintenir l'ambassade dans un quartier dangereux ?
R - Absolument. Et comme je l'ai dit plusieurs fois, nous ne sommes pas passés par les Américains pour nous rendre à Bagdad. Mais ce n'est pas parce que l'animosité continue. Je pense au contraire que c'est une nouvelle phase parce qu'ensemble, la France et surtout l'Europe - et j'essaierai de convaincre nos partenaires européens de se rendre à Bagdad et de mettre en route la dernière résolution des Nations unies - devons être très présents dans l'application de la résolution des Nations unies. C'est cela qui compte, que l'on sorte ensemble de cette crise qui nous menace tous.
Q - Est-ce que vous témoignerez devant la Commission d'enquête sur les circonstances de la libération des infirmières bulgares ?
R - Bien volontiers, j'attends cela avec intérêt. Et je trouve tout à fait légitime que la représentation nationale veuille des éclaircissements, et en particulier que l'opposition s'oppose. Cela me paraît tout à fait sain. Vous savez que cette opération, que j'ai suivie de très près, et dont j'ai été informé avant et après, cette libération, c'est un miracle qu'elle ait eu lieu. Souvent, dans la précipitation de ces négociations, pour des otages, pour la paix, ce que je connais bien, avec des surprises, des retournements, des changements de pieds, on n'a pas le temps de consulter tout le monde, et cela apparaît un peu brouillon. C'est toujours ainsi, et on arrive à un résultat négatif. Là, le résultat fut positif.
Il faut maintenant s'expliquer, bien entendu.
Q - Alors comment se fait-il que Cécilia Sarkozy, qui a été en première ligne, puisse ne pas témoigner devant la Commission d'enquête parlementaire ?
R - Je ne sais pas si elle témoignera ou pas, c'est son affaire. La Commission n'est pas encore formée, alors attendons un petit peu.
Q - Mais vous dites qu'il faut s'expliquer. Les personnes qui ont été en première ligne doivent s'expliquer, non ?
R - J'ai été, par surprise et par chance, désigné comme ministre des Affaires étrangères de la France. Je réponds en mon nom et je m'expliquerai très volontiers. Je l'ai déjà fait d'ailleurs devant la Commission des Affaires étrangères. Et si j'ai paru parfois un peu hésitant, c'est que les choses se sont faites très vite et que des explications nous ont été fournies par les faits, et par des dossiers que nous n'avions pas tous consultés avec le même intérêt. Ces explications nous ont été fournies après. Mais il n'y a vraiment rien à cacher.
Q - Dominique Voynet disait tout à l'heure que Claude Guéant tance tous les ministres. Il a eu une place importante dans la diplomatie française à Tripoli.
R - Je vous assure que j'ai connu d'autres Secrétaires généraux qui prenaient une place importante, mais on ne protestait pas alors parce qu'il s'agissait d'un gouvernement de gauche. Je n'ai jamais été tancé par Claude Guéant, avec qui j'ai des contacts extrêmement courtois et enrichissants.
Bien sûr, il y a un secrétaire général qui est plus facile d'accès que le président de la République en permanence. Mais je rencontre les deux et cela ne me paraît pas excessif. Il y a une rapidité et un style du président de la République dont il faut le féliciter pour les résultats obtenus. Oh, tout n'est pas magique, tout n'est pas bien fait, tout ne peut pas être satisfait parce que c'est plus lent que l'on croit de mettre en place les choses. Mais il y a un style différent et des responsabilités qu'il prend dont il faut, je crois, le féliciter.
J'ai entendu Dominique Voynet qui faisait part de son inquiétude. Je comprends. Il faut lui donner des explications. Il faudrait qu'il y ait un dialogue un petit peu plus naturel et sans animosité excessive entre l'opposition et la majorité.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 août 2007