Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur le bilan des relations économiques franco-allemandes, la modernisation de l'économie française, la mise en oeuvre de réformes profondes et sur la politique commune franco-allemande dans la poursuite de la construction européenne, Evian le 17 septembre 2007.

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Circonstance : XVIèmes rencontres franco-allemandes à Evian (Haute-Savoie) le 17 septembre 2007

Texte intégral

Mesdames et messieurs,
Vous ne pouviez pas choisir une meilleure date pour tenir ces rencontres franco-allemandes d'Evian et m'offrir l'occasion d'aborder avec vous sans détour la question de l'avenir de la relation franco-allemande.
Je suis d'ailleurs déjà intervenu, dans cette même enceinte, en 2003, à une table ronde avec Angela Merkel, Laurent Fabius et Wolfgang Clement. Le thème en était "Réformes à réaliser en France et en Allemagne pour obtenir plus de croissance". Il y avait alors un parallélisme assez naturel dans les situations de nos deux pays. Il serait faux de dire que la France n'a fait aucune réforme depuis lors, mais l'Allemagne a clairement pris de l'avance, et c'est vers elle que regarde la France en s'engageant dans un programme ambitieux. Nous sortons d'une élection présidentielle particulièrement intense. La volonté de rupture s'est imposée. C'est l'ensemble du "modèle français" qui est en train d'être redéfini.
Certains, en Allemagne, se demandent où va la France. Est-elle enfin capable de se réformer sérieusement ? De développer ses relations avec ses principaux partenaires, au premier rang desquels l'Allemagne ?
Ces questions sont légitimes. Elles sont à l'image des liens exceptionnels qui nous unissent. Je voudrais vous rassurer sur notre détermination et sur l'ampleur de nos réformes. Je voudrais aussi vous dire que, pour nous, l'horizon de nos entreprises dépasse largement le cadre national. Nous avons, avec l'Allemagne et l'Europe, un espace naturel de solidarité et de coopération que nous voulons faire fructifier. Partout où c'est possible, nous voulons encourager l'intégration et le renforcement des liens économiques entre nos deux pays.
En matière de commerce extérieur, l'Allemagne est à la fois le premier client et le premier fournisseur de la France. Nos flux d'investissements directs sont équilibrés, environ 5 Mds d'euros par an dans un sens et dans l'autre. La France est le 5e investisseur étranger en Allemagne, et l'Allemagne est le 5e investisseur étranger en France. L'Allemagne est le 2e employeur étranger en France, avec 2 700 implantations employant plus de 300 000 personnes. Et il y a en Allemagne 2 600 implantations d'entreprises françaises, qui représentent 450 000 salariés.
Ces liens créent une proximité exceptionnelle entre nos deux pays. Ils n'empêchent pas que certaines questions se posent en Allemagne sur la politique économique de la France.
Premièrement, la France est-elle vraiment un pays frileux, hostile à la mondialisation et à l'ouverture internationale, comme on l'entend souvent dire ? Bien sûr, il existe des hésitations et des peurs. Mais les clichés ne résistent pas aux faits : nous sommes le troisième pays d'accueil des investissements dans le monde. La France est même plus ouverte aux investissements étrangers que l'Allemagne. Le stock total d'investissements directs y représente 28 % du PIB, contre 18 % en Allemagne.
Deuxièmement, la France promeut-elle sans discernement des champions nationaux au détriment des entreprises étrangères ? Les doutes sur ce sujet ne sont aujourd'hui plus fondés ! Nous ne sommes plus dans le dirigisme d'autrefois, nous sommes dans le pragmatisme.
Des expressions ambiguës comme le "patriotisme économique", employées dans le passé, ont prêté le flanc à la critique dans les milieux d'affaires internationaux (et aussi français). Si bien qu'aujourd'hui, les positions françaises, notamment quand l'Etat joue son rôle d'actionnaire, sont systématiquement caricaturées. La réalité, c'est que la France est une économie de marché ouverte, avec un droit boursier connu pour être extrêmement respectueux du droit des actionnaires, mais qui tient à ses intérêts stratégiques.
Dans des circonstances exceptionnelles, l'Etat ne peut pas se désintéresser du sort de certaines entreprises ou de certains secteurs d'activité. Certes, il doit avant tout assurer un cadre général optimal et neutre pour le fonctionnement du marché. Mais il doit aussi veiller aux activités stratégiques du pays et à ses grands équilibres économiques et sociaux. Il s'agit là d'une conception normale du rôle de la puissance publique, dans une économie de marché contemporaine.
Cette conception n'est pas si différente de celle prévalant en Allemagne, notamment dans les Länder. Les pouvoirs publics allemands savent aussi, avec réalisme et intelligence, intervenir quand le marché seul ne suffit pas à assurer l'intérêt général.
En fait, la France comme l'Allemagne mènent une politique de "Standort" pour assurer la compétitivité de leur territoire.
Une politique ambitieuse de recherche et d'innovation, à l'image de l'initiative "High Tech Strategie". Une politique de soutien aux clusters industriels et technologiques, avec les pôles de compétitivité français et les Kompetenz Netze allemands, avec des collaborations bilatérales dans des domaines essentiels comme les énergies renouvelables, les transports ou la chimie. Une politique de décloisonnement entre recherche publique et recherche privée, grâce aussi à la mise en place des labels Carnot, inspirés des instituts Fraunhofer allemands.
Une politique de soutien aux PME, et à l'émergence d'entreprises de taille moyenne, à l'image de la "Mittelstands Initiative" de 2006, et de notre position commune en faveur d'un "Small Business Act" européen.
Troisième question enfin, qui suscite parfois des malentendus entre nos deux pays : la France va-t-elle enfin réaliser les réformes dont elle a besoin, tout en respectant ses engagements européens en matière de finances publiques ? Ma réponse est un double "oui".
Nous allons réformer, parce que nous l'avons promis, et parce que nous n'avons pas d'autre choix. Depuis 10 ans, la France a une croissance inférieure à celle de ses partenaires européens, et depuis 15 ans un taux de chômage supérieur à la moyenne de l'Union.
Ce n'est ni la faute à la mondialisation, ni encore moins la faute à l'Europe ! C'est notre responsabilité. Nous payons des années d'immobilisme structurel. La France a des atouts immenses. Il n'y a donc aucune fatalité. A cet égard, l'Allemagne montre l'exemple d'une nation qui, après le choc de sa réunification, s'est redressée en se réformant avec courage et continuité.
En France, le mouvement est engagé. Et d'abord dans les esprits. Des vérités autrefois taboues sont enfin dites à haute voix et reconnues : non, l'entreprise n'est pas l'ennemie du salarié ; oui, le travail est une valeur ; oui,la mondialisation peut être une chance ; oui, il faut passer au crible nos politiques publiques ; non, la dette publique ne peut pas augmenter sans limites ; oui, il va falloir réduire les dépenses publiques.
Toutes ces évidences sont maintenant au coeur du débat public et non plus à sa marge. Dès son installation, mon Gouvernement a mis en place un train de mesures d'une densité inégalée. Nous avons libéré le travail au-delà des 35 heures. "Travailler plus pour gagner plus !" n'est pas un slogan électoral, c'est une révolution culturelle à laquelle les Français ont massivement souscrit.
Nous avons redonné la priorité à l'investissement, avec une fiscalité favorable aux PME. Nous préparons une réforme de l'ensemble de nos prélèvements obligatoires. Dès à présent, plusieurs observateurs ont indiqué que la France avait désormais une fiscalité globalement comparable à celle de ses voisins européens.
Nous avons remis au coeur de notre politique économique l'intelligence, la formation, la recherche et l'innovation. La réforme des universités est enfin enclenchée. Nous sommes sortis de vingt années d'hésitation politique.
La recherche privée va, quant à elle, faire l'objet d'un soutien exceptionnel, avec une réforme ambitieuse du crédit d'impôt recherche.
Nous allons améliorer le fonctionnement du marché du travail, en concertation avec les partenaires sociaux. Les principes qui nous guident sont simples : c'est plus de souplesse et moins de rigidités pour les employeurs, et c'est plus de sécurité et de formation dans le parcours des salariés.
Nous préparons une loi de modernisation de l'économie. Nous allons développer la concurrence et valoriser le goût d'entreprendre. Nous nous inspirerons notamment des propositions que nous fera la Commission pour la libération de la croissance, à laquelle participent plusieurs personnalités européennes éminentes (dont la parlementaire européenne allemande Evelyne Gebhardt).
Encore faut-il parvenir à tout cela sans dégrader nos finances publiques. Je sais que certains doutent de la volonté de la France d'assainir ses finances publiques. Je voudrais insister sur deux points.
D'une part, nous avons pris, au plus haut niveau de l'Etat, des engagements devant nos partenaires européens. Nous les tiendrons. Dès cette année, nous réduisons notre déficit budgétaire en pourcentage du PIB, alors que l'acquis de croissance sur les deux premiers trimestres est décevant. Les mesures décidées dans le cadre de la loi sur le travail, l'emploi et le pouvoir d'achat, votée en juillet, ne font pas obstacle à la consolidation budgétaire. En 2008, nous construisons notre budget sur une hypothèse de croissance prudente, une fourchette comprise entre 2 et 2,5 %, et nous poursuivrons notre effort résolument pour rejoindre l'équilibre, dès 2010, si la conjoncture le permet, et en tout état de cause au plus tard en 2012.
D'autre part, cette exigence, nous ne la vivons pas comme imposée depuis Bruxelles. Elle est d'abord et avant tout portée par nos compatriotes. Les prélèvements obligatoires ont atteint un plafond impossible à dépasser. Notre seule marge de manoeuvre est donc la réduction des dépenses et l'amélioration de l'efficience de nos administrations.
Pour cela, nous avons lancé un processus de révision générale de nos politiques : dans tous les domaines, nous allons poser la question de la légitimité même de l'intervention publique.
Nous allons moderniser nos systèmes de protection sociale et assainir nos finances sociales, notamment en adaptant nos régimes de retraite.
Notre engagement d'élever le potentiel de croissance de la France sera tenu à l'issue de ce quinquennat. Il ne s'agit pas du résultat conjoncturel à la fin de l'année 2007 : il s'agit de la situation structurelle du pays à l'issue des réformes que nous aurons menées et que nous ne faisons qu'entamer.
Voilà, mesdames et messieurs, en quelques mots, l'esprit réformiste qui nous anime. J'ai la conviction que cet élan sera profitable à l'Europe et utile au couple franco-allemand.
Ce couple est historique, il est le symbole d'une Europe réconciliée qui fut largement son oeuvre. J'ai la conviction que la relation franco-allemande reste plus déterminante que jamais pour l'avenir de l'Union. Et cela pour deux raisons majeures : d'une part, nos deux pays ont la même perception des grands défis auxquels l'Union doit d'urgence répondre ; d'autre part, ils convergent largement sur la méthode européenne qui doit permettre d'affronter ces défis communs.
Qu'ils se disent la vérité, qu'ils ne se dissimulent plus derrière des faux semblants n'est pas un risque, c'est une chance ! Il ne suffit pas de réunir des conseils franco allemands sans réel contenu et de multiplier les poignées de mains pour que s'aplanissent toutes les divergences et se résolvent tous les problèmes.
Angela Merkel et Nicolas Sarkozy partagent un même volontarisme et un même pragmatisme. Tous deux cherchent à rassembler la coalition la plus large possible d'Etats membres autour de nos idées. Tous deux s'efforcent de convaincre les institutions européennes et de les associer à leur démarche.
L'amélioration de la capacité d'action de l'Union passera par une réforme européenne ambitieuse. Elle est largement en cours sur les institutions, grâce à notre action commune. Elle doit se poursuivre dans les autres domaines, y compris sur le réexamen des politiques européennes et de leur financement.
Sur la question essentielle de la subsidiarité et du partage des rôles entre l'Union et ses Etats membres, le rapprochement des idées en France et en Allemagne me paraît spectaculaire. Il clôt une vieille polémique franco-allemande entre "inter gouvernementalistes" et "fédéralistes ", qui appartient désormais au passé.
En début de semaine, la France et l'Allemagne ont adressé une lettre conjointe au président du Conseil européen, José Sócrates, pour alimenter la réflexion sur les aspects extérieurs de la stratégie de Lisbonne. Cette démarche, qui fait suite au sommet informel franco-allemand tenu au château de Meseberg, illustre les convergences de vue entre nos deux pays en matière de régulation de la mondialisation.
La récente crise financière internationale prouve combien l'Allemagne a raison d'insister sur la transparence des marchés financiers, en particulier des fonds spéculatifs. L'Allemagne est aussi à l'origine du débat sur l'acquisition d'entreprises européennes stratégiques par des fonds souverains étrangers et non transparents. A l'initiative d'Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy, nous allons conduire une réflexion commune sur ces deux sujets.
Nous devons également veiller à maintenir la compétitivité de nos entreprises. Cela passe par une lutte déterminée contre les pratiques commerciales déloyales. L'Allemagne et la France plaident en Europe pour une politique efficace d'antidumping. Elles souhaitent, en outre, que l'Europe, à l'instar de leurs principaux partenaires, négocient à l'OMC le droit de donner aux PME un accès privilégié aux marchés publics.
Elles sont également en pointe dans la lutte pour une meilleure protection de la propriété intellectuelle, colonne vertébrale de l'innovation. La France a décidé de ratifier l'accord de Londres. Cela permettra de réduire le coût du brevet européen en abaissant le coût des traductions. Nous relancerons le brevet communautaire, afin d'avoir un titre unique de protection de la propriété industrielle dans l'Union européenne. Dans le même élan, la fiscalité concernant la propriété intellectuelle sera allégée.
En matière de lutte contre le changement climatique et de politique énergétique, nos deux gouvernements sont ambitieux. Ils souhaitent accroître la concertation et la mise en commun des efforts. Notamment pour amener les Etats-Unis et les grands pays émergents à participer pleinement au dispositif qui succédera au Protocole de Kyoto.
Ces sujets seront l'une des priorités de la Présidence française de l'Union, comme ils ont été l'une des priorités de la Présidence allemande.
En matière d'énergie, nous devons construire un marché qui garantisse la sécurité d'approvisionnement, qui permette à nos entreprises et nos concitoyens de disposer d'une énergie compétitive et respectueuse de l'environnement.
Dans le domaine spatial, nos deux pays coopèrent étroitement et avec succès depuis plus de 30 ans. Dans le cadre des programmes de l'Agence spatiale européenne, des avancées remarquables ont été obtenues. Nos deux pays agissent de concert en faveur d'une industrie spatiale européenne compétitive et souhaitent renforcer leur coopération pour confirmer les résultats prometteurs enregistrés dans le déploiement du système Galileo.
Enfin, dans le domaine de la gouvernance économique de la zone euro, plus que dans tout autre, évitons les malentendus. La France ne souhaite pas la modification des textes fondateurs. Elle ne remet pas en cause l'indépendance de la BCE. Elle recherche la possibilité d'un débat raisonnable et constructif.
Vous êtes des dirigeants d'entreprises largement ouvertes sur l'international. Vous savez bien que le niveau actuel de notre monnaie n'est pas une donnée indifférente pour votre activité. Nous ne pouvons rester passifs face à certains taux de change influencés par des considérations politiques, comme l'a souligné la lettre conjointe franco-allemande à José Sócrates.
Mesdames et messieurs,
La France s'est remise en marche. Elle est engagée dans une période de réformes profondes. Elle a la ferme intention d'approfondir sa relation privilégiée avec l'Allemagne. Nos deux nations sont comme deux soeurs que le temps qui passe ne cesse de rapprocher. Elles ont encore beaucoup à faire ensemble. Goethe a écrit que l'audace "porte en elle génie, pouvoir et magie". C'est cette audace qui doit toujours et encore inspirer la relation franco-allemande.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 17 septembre 2007