Texte intégral
J.-J. Bourdin.- Notre invitée ce matin est R. Yade, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et aux Droits de l'Homme. R. Yade, bonjour... Merci d'être avec nous. Ça a fait du bruit les déclarations de B. Kouchner. Il y a un mot employé qui fait peur aux Français, à beaucoup de Français, à beaucoup de nos auditeurs ou de nos téléspectateurs, c'est le mot « guerre ». Doit-on se préparer à la guerre ? Vous êtes secrétaire d'Etat chargée des Affaires étrangères, donc la personne qu'il nous fallait ce matin. R. Yade, doit-on se préparer à la guerre ?
R.- Je ne pense pas qu'on puisse poser, monsieur Bourdin, la question en ces termes. Je pense que B. Kouchner a eu raison de dire qu'il y a une tension importante au Proche-Orient entre l'Iran et ses voisins, entre l'Iran et Israël.
Q.- Est-ce qu'il a eu raison d'employer le mot « guerre » ?
R.- Ce n'est pas la question. La question c'est que... ...
Q.- non, non, je vous pose la question, moi, R. Yade.
R.- Mais peu importe. L'idée c'est vraiment de se dire...
Q.- « Peu importe » ! Pas dans l'esprit des Français.
R.- Non, ce n'est pas une question de mot « guerre » ou pas de mot « guerre », l'idée c'est de comprendre qu'il y a une certaine tension parce qu'il ne faut quand même pas qu'on ait des comportements de naïveté qui donneraient l'impression que la France, ou la communauté internationale, abdique face à la crise nucléaire. Donc, il est important de dire les choses. Mais F. Fillon l'a dit très clairement, hier : il y a encore de la place pour la diplomatie et même les Américains sont sur cette ligne. Donc, je ne crois pas du tout...
Q.- Oui, nous sommes en avance par rapport aux Américains, même dans les propos.
R.- La spécificité, l'originalité de la diplomatie française c'est de prendre acte de cette tension, par réalisme, tout en maintenant des marges de négociation, de discussion pour la diplomatie. C'est très important. C'est en ce sens qu'on n'a pas été au bout de la solution diplomatique à travers les sanctions notamment.
Q.- À travers les sanctions, oui, parce qu'il y a des sanctions prévues, parce qu'il y a encore des résolutions de l'ONU qui doivent arriver. Alors, oui ou non est-ce qu'on se démarque, est-ce qu'on passe pardessus l'ONU, oui ou non ? Ca mérite précision.
R.- Non.
Q.- Non ?
R.- L'ONU est encore en première ligne, c'est évident.
Q.- Ce n'est pas ce que j'ai entendu dans la bouche de B. Kouchner.
R.- B. Kouchner a dit clairement qu'il y avait une situation... enfin, il est quand même important de prendre acte de cette situation compliquée.
Q.- Oui, mais ça tout le monde a compris que la situation était difficile avec l'Iran.
R.- N. Sarkozy, il y a quelques semaines, au moment de la Conférence des ambassadeurs, avait fait un discours très clair sur la crise iranienne en disant que l'Iran qui aurait une bombe nucléaire c'est absolument inacceptable. On est tous sur la même longueur d'onde, aussi bien N. Sarkozy qui est le chef de la diplomatie française, que B. Kouchner, ministre des Affaires étrangères, et moi-même. Et donc, ce que l'on pense c'est qu'on est arrivé à une tension extrême mais la diplomatie a encore sa place, et cela quels que soient les mots employés pour le dire...
Q.- Mais la diplomatie par-dessus l'ONU ?
R.- Pas par-dessus l'ONU.
Q.- C'est ce qu'a dit B. Kouchner.
R.- L'ONU est encore en première ligne. Et la France a toute sa place, étant membre, naturellement, de la communauté internationale, et membre éminent puisque membre du Conseil de sécurité. Donc, je ne vois pas du tout de contradiction là-dedans et je suis dans la même ligne que mon ministre et que notre président de la République et que F. Fillon qui a bien clarifié les choses hier soir.
Q.- Mais pourquoi est-ce que la situation est aujourd'hui plus tendue qu'il y a trois semaines ou deux mois, R. Yade ?
R.- Il y a quand même une situation qui se tend, une escalade, les voisins sont inquiets. Je vous rappelle que B. Kouchner revient d'une tournée au Proche-Orient, il a pu sentir les choses de près. Nous, on analyse les choses depuis Paris, mais lui en revient, il a pu discuter avec ses interlocuteurs du Proche-Orient partout et ils sont tous inquiets. Et donc, en ce sens, nous ne pouvons pas avoir une attitude de résignation. Il est important que de temps en temps les choses soient dites. B. Kouchner a le mérite de le dire avec franchise, et F. Fillon a le mérite aussi de le dire avec franchise et tout le monde est d'accord pour dire que la tension est arrivée à un point tel que...
Q.- Mais, R. Yade, doit-on venir au secours des Etats-Unis, qui connaissent la débâcle que l'on connaît en Irak ? On a la sensation qu'on est en train de venir... Imaginons qu'Israël intervienne, imaginons qu'Israël, pour une raison ou une autre frappe l'Iran. Que faisons-nous ? Nous nous alignons ?
R.- Non, il ne s'agit pas de s'aligner sur les Etats-Unis. La France a une voix forte dans le monde, un voix qui est entendue, je m'en rends compte ces dernières semaines quand je voyage à l'étranger, la France a une voix spécifique.
Q.- Oui, vous rentrez d'Haïti.
R.- Je rentre d'Haïti et je repars en Indonésie. Donc, la France a une voix spécifique qui veut être entendue, qui doit être entendue dans son originalité, et c'est important parce que nous sommes responsables politiques de la diplomatie française.
Q.- Mais alors, quelle est la voix aujourd'hui spécifique ? Est-ce que la politique étrangère a évolué...
R.- Notre voix c'est de dire l'originalité...
Q.- Est-ce qu'elle a évolué la politique étrangère par rapport à celle conduite par J. Chirac et son équipe ?
R.- Bien sûr ! Nous sommes dans une diplomatie d'ajustement, une diplomatie différente. Vous avez bien pu voir la tonalité qu'a donnée N. Sarkozy aux premiers mois de sa politique étrangère. Il a eu un langage de fermeté, par exemple par rapport à la Russie, par rapport à la Chine, parlant même de brutalité. B. Kouchner est en ce moment en Russie où il compte bien parler des droits de l'Homme. Nous disons les choses...
Q.-...la Russie qui bloque à propos de l'Iran.
R.- Nous disons les choses. Mais ça n'empêchera jamais la France de donner son avis et de suivre une ligne tout à fait originale, qu'elle seule peut tenir parce que son histoire, son identité commandent cette spécificité-là et il n'y a aucun alignement vis-à-vis des Etats-Unis. Et le fait, par exemple, de dire que de temps en temps on est d'accord avec les Américains ne signifie pas qu'il y a alignement parce que nous ne sommes pas ennemis des Américains. On a quand même une histoire qui montre une forte amitié. Nous collaborons dans beaucoup de domaines, comme la lutte contre le terrorisme.
Q.- On n'est pas dans la diplomatie du hamburger, quoi, si j'ai bien compris, R. Yade.
R.- Non, on n'est pas dans cette diplomatie-là, on est dans une diplomatie réaliste d'ajustement, de rupture, et on est tous, aussi bien le Premier ministre, le Président de la République, B. Kouchner, moi-même, ainsi que tous les autres du Quai d'Orsay, sur cette ligne-là.
Q.- Je vous repose quand même une dernière fois la question, R. Yade, et puis on va passer à autre chose : est-ce que nous nous alignons si les Etats-Unis ou Israël se mettent à bombarder l'Irak ?
R.- On n'en est pas là.
Q.- Bon ! On n'en est pas là !
R.- Et je pense qu'il ne faut pas effrayer les opinions en parlant d'éventualité de guerre.
Q.- Alors, dites-le nous ! Ce n'est pas moi qui ai parlé de guerre, c'est B. Kouchner.
R.- Les choses arriveront...
Q.- Je vous le rappelle R. Yade, ce n'est pas moi, c'est votre ministre.
R.- B. Kouchner a bien clarifié les choses.
Q.- Il a parlé de guerre, ce n'est pas moi. « Nous devons nous préparer au pire », a-t-il dit.
R.- « Au pire » ça ne veut pas forcément dire une guerre. Et puis quand bien même, imaginons même que ça arrive, nous, ça n'arrivera pas tant que la France n'aura pas suivi une ligne diplomatique jusqu'au bout, voilà.
Q.- Bon ! Alors, le regroupement familial.
R.- Et B. Kouchner a eu raison de dire les choses parce qu'il faut être réaliste.
Q.- Vous dites ça parce que c'est votre ministre ou parce que vous le pensez ?
R.- Non, ce n'est pas parce que c'est mon ministre ou que je l'aime bien, je le dis...
Q.-... vous êtes aux ordres, R. Yade.
R.- Absolument pas ! Ecoutez, il faut une certaine discipline.
Q.- On l'a vu à Aubervilliers, c'est vrai que vous n'êtes pas...
R.- Vous voyez, je suis sage, au fond. Il faut une certaine cohérence dans notre action diplomatique, on ne peut pas se permettre de faire parler trois ou quatre voix de la France.
Q.- Alors, le regroupement familial, parlons-en. Cela fait combien de lois, je ne sais plus, sur le regroupement familial ? Une douzaine de lois en trente ans, enfin c'est fou. On en fait une par an, nous sommes les champions du nombre de lois dans le monde en France. Alors, le regroupement familial, dites-moi, ces fameux tests génétiques, ADN, là, qui ne peuvent être pratiqués, qui vont être pratiqués pour tous ceux qui veulent faire venir leur famille en France.
R.- Justement, je regarde...
Q.- Alors, allez-y, allez-y, R. Yade !
R.- Là-dessus, premièrement, moi je suis secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères.
Q.- Oui, et aux Droits de l'Homme, aux Droits de l'Homme, ne l'oubliez pas ça.
R.- Et tout à fait à l'aise pour parler des affaires étrangères. Droits de l'Homme effectivement. Je voudrais dire un mot en préliminaire : c'est qu'en étant secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et aux Droits de l'Homme, ma mission est tournée vers l'international. Simplement, j'ai réalisé une chose, c'est que lorsque je suis à l'étranger et que j'invoque ce message universaliste de la France que sont les droits de l'Homme, il arrive que certains de nos interlocuteurs nous disent, « vous n'avez pas de leçon à nous donner, il faut que vous regardiez d'abord chez vous », confère le dernier rapport d'Amnisty International concernant la France. Donc, il est important de temps en temps, c'est vrai, de se pencher sur les droits de l'Homme en France pour renforcer notre message à l'extérieur, dans ce seul objectif-là parce qu'on ne peut aller prêcher un certain message si on met en cause. Donc, c'est pour ça que de temps en temps, c'est vrai, la question des droits de l'Homme en France doit être une préoccupation.
Q.- On est bien d'accord.
R.- Mais c'est une préoccupation pour l'ensemble des membres du Gouvernement et je pense, nous, pays des droits de l'Homme, 1789, ça a du sens.
Q.- Alors, vous êtes favorable à la mise en place de ces tests ADN ou pas ?
R.- C'est donc à ce titre-là que je vais répondre à votre question.
Q.- Que vous vous positionnez, voilà, j'ai compris.
R.- Voilà ! Alors, je pense que sur cette affaire de tests ADN, ce n'est pas une proposition gouvernementale.
Q.- Non !
R.- C'est une proposition qui nous vient de l'Assemblée nationale.
Q.- Oui, d'un militant et député UMP, T. Mariani, qui est le rapporteur.
R.- D'un député UMP, c'est vrai.
Q.- Qui est le rapporteur quand même du texte gouvernemental.
R.- Oui, qui est rapporteur du texte gouvernemental mais c'est une initiative parlementaire.
Q.- Bon, d'accord.
R.- Et donc, on est quand même dans un pays démocratique...
Q.- ... bien sûr, bien sûr.
R.-... où le Parlement a le droit de faire des propositions, donc avant d'interdire aux parlementaires de dire quoi que ce soit, laissons-les s'exprimer.
Q.- Bien sûr, bien sûr.
R.- Deuxièmement, je pense qu'il n'y a absolument aucun tabou, que tout doit pouvoir être débattu. Et que, troisièmement, sur cette proposition-là, qui n'est pas un test génétique puisque ça se fait sur une base volontaire, que cette proposition-là existe déjà dans plus d'une dizaine de pays.
Q.- Oui, mais est-ce un argument ?
R.- Donc, moi, je suis favorable au débat.
Q.- Vous êtes favorable au débat. Vous ne dites pas si vous êtes favorable ou pas à ces tests génétiques.
R.- Le Gouvernement n'a pas encore pris position...
Q.- Si. Enfin, j'ai entendu des ministres prendre position. F. Amara, qui est contre...
R.- F. Amara, je comprends tout à fait sa position qui est due à son histoire et à son engagement associatif. Elle a tout à fait le droit de donner sa position.
Q.- Et par rapport à votre histoire, vous avez une position personnelle sur ces tests ?
R.- Moi, je suis pragmatique, c'est-à-dire qu'à partir du moment où plus d'une dizaine d'autres pays européens le font et que ces pays ne sont pas soupçonnables d'être des dictatures ou des pays qui violent les droits de l'Homme, ce sont des pays européens, membres de l'Union européenne, je ne vois pas pour l'instant...
Q.- ...Alors je vous pose une question précise : que fait-on si une femme qui désire rejoindre son mari et qui a trois enfants de pères différents ? Imaginons...
R.- Je ne comprends pas votre question.
Q.- Ben, imaginons qu'elle ait un bâtard, elle fait quoi pour venir rejoindre son mari en France ? Un bâtard, comme on dit parfois malheureusement. Qu'est-ce qu'elle fait ? Elle abandonne cet enfant parce qu'il n'est pas génétiquement du même père ?
R.- Non, je ne pense pas qu'on puisse réduire cet amendement à une question génétique parce que je vous dis les choses se font sur une base volontaire.
Q.- C'est pourtant un test génétique, R. Yade.
R.- Ce n'est pas un test génétique au sens scientifique où c'est une obligation, ce n'est pas non plus un fichier génétique dans le sens où on conserverait...
Q.- ...est-ce que le lien de filiation se réduit à la dimension biologique ? C'est la question posée, au fond.
R.- Vous savez ce que sous-tend cette proposition ? C'est qu'il y a eu un rapport présenté en juillet dernier par le sénateur Gouteyron, qui expliquait qu'il est très difficile de prouver la filiation des gens à cause des défections en matière d'état-civil dans certains pays. Et ces défections, c'est 30 à 80 % dans certains pays. Et donc, l'objectif c'est quoi ? C'est finalement de dire aux gens : « si vous faites ce test génétique, la procédure s'accélérera pour vous », voilà. Donc, mais franchement, là...
Q.- ... on va peut-être mettre en place aussi de faux tests génétiques dans ces pays.
R.- Le Gouvernement n'a pas encore pris position là-dessus, des individualités l'ont fait, ce n'est pas une proposition du Gouvernement, donc laissons le débat prendre place et après on verra.
Q.- Bon, laissons le débat mais votre position, vous ne la définissez pas, vous ne la donnez pas.
R.- Non, c'est-à-dire je ne suis pas fermée.
Q.- Vous n'êtes pas fermée !
R.- Je ne vois pas...
Q.-... il n'est pas question d'être fermée, il est question de dire ce que vous pensez du sujet.
R.- J'attends de voir le débat parlementaire pour avoir tous les éléments en main.
Q.- Pour avoir un avis.
R.- Voilà ! Tant que je n'ai pas tous les éléments en main, parce que je vous rappelle que ce n'est pas une proposition gouvernementale, j'attends de pouvoir me prononcer. Et je vous promets qu'à ce moment-là, on en reparle.
Q.- Bien d'accord. Il est quelle heure ? Il est 8h45, vous êtes sur RMC. R. Yade est notre invitée, vous voulez l'interroger... A tout de suite. [...]
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 18 septembre 2007
R.- Je ne pense pas qu'on puisse poser, monsieur Bourdin, la question en ces termes. Je pense que B. Kouchner a eu raison de dire qu'il y a une tension importante au Proche-Orient entre l'Iran et ses voisins, entre l'Iran et Israël.
Q.- Est-ce qu'il a eu raison d'employer le mot « guerre » ?
R.- Ce n'est pas la question. La question c'est que... ...
Q.- non, non, je vous pose la question, moi, R. Yade.
R.- Mais peu importe. L'idée c'est vraiment de se dire...
Q.- « Peu importe » ! Pas dans l'esprit des Français.
R.- Non, ce n'est pas une question de mot « guerre » ou pas de mot « guerre », l'idée c'est de comprendre qu'il y a une certaine tension parce qu'il ne faut quand même pas qu'on ait des comportements de naïveté qui donneraient l'impression que la France, ou la communauté internationale, abdique face à la crise nucléaire. Donc, il est important de dire les choses. Mais F. Fillon l'a dit très clairement, hier : il y a encore de la place pour la diplomatie et même les Américains sont sur cette ligne. Donc, je ne crois pas du tout...
Q.- Oui, nous sommes en avance par rapport aux Américains, même dans les propos.
R.- La spécificité, l'originalité de la diplomatie française c'est de prendre acte de cette tension, par réalisme, tout en maintenant des marges de négociation, de discussion pour la diplomatie. C'est très important. C'est en ce sens qu'on n'a pas été au bout de la solution diplomatique à travers les sanctions notamment.
Q.- À travers les sanctions, oui, parce qu'il y a des sanctions prévues, parce qu'il y a encore des résolutions de l'ONU qui doivent arriver. Alors, oui ou non est-ce qu'on se démarque, est-ce qu'on passe pardessus l'ONU, oui ou non ? Ca mérite précision.
R.- Non.
Q.- Non ?
R.- L'ONU est encore en première ligne, c'est évident.
Q.- Ce n'est pas ce que j'ai entendu dans la bouche de B. Kouchner.
R.- B. Kouchner a dit clairement qu'il y avait une situation... enfin, il est quand même important de prendre acte de cette situation compliquée.
Q.- Oui, mais ça tout le monde a compris que la situation était difficile avec l'Iran.
R.- N. Sarkozy, il y a quelques semaines, au moment de la Conférence des ambassadeurs, avait fait un discours très clair sur la crise iranienne en disant que l'Iran qui aurait une bombe nucléaire c'est absolument inacceptable. On est tous sur la même longueur d'onde, aussi bien N. Sarkozy qui est le chef de la diplomatie française, que B. Kouchner, ministre des Affaires étrangères, et moi-même. Et donc, ce que l'on pense c'est qu'on est arrivé à une tension extrême mais la diplomatie a encore sa place, et cela quels que soient les mots employés pour le dire...
Q.- Mais la diplomatie par-dessus l'ONU ?
R.- Pas par-dessus l'ONU.
Q.- C'est ce qu'a dit B. Kouchner.
R.- L'ONU est encore en première ligne. Et la France a toute sa place, étant membre, naturellement, de la communauté internationale, et membre éminent puisque membre du Conseil de sécurité. Donc, je ne vois pas du tout de contradiction là-dedans et je suis dans la même ligne que mon ministre et que notre président de la République et que F. Fillon qui a bien clarifié les choses hier soir.
Q.- Mais pourquoi est-ce que la situation est aujourd'hui plus tendue qu'il y a trois semaines ou deux mois, R. Yade ?
R.- Il y a quand même une situation qui se tend, une escalade, les voisins sont inquiets. Je vous rappelle que B. Kouchner revient d'une tournée au Proche-Orient, il a pu sentir les choses de près. Nous, on analyse les choses depuis Paris, mais lui en revient, il a pu discuter avec ses interlocuteurs du Proche-Orient partout et ils sont tous inquiets. Et donc, en ce sens, nous ne pouvons pas avoir une attitude de résignation. Il est important que de temps en temps les choses soient dites. B. Kouchner a le mérite de le dire avec franchise, et F. Fillon a le mérite aussi de le dire avec franchise et tout le monde est d'accord pour dire que la tension est arrivée à un point tel que...
Q.- Mais, R. Yade, doit-on venir au secours des Etats-Unis, qui connaissent la débâcle que l'on connaît en Irak ? On a la sensation qu'on est en train de venir... Imaginons qu'Israël intervienne, imaginons qu'Israël, pour une raison ou une autre frappe l'Iran. Que faisons-nous ? Nous nous alignons ?
R.- Non, il ne s'agit pas de s'aligner sur les Etats-Unis. La France a une voix forte dans le monde, un voix qui est entendue, je m'en rends compte ces dernières semaines quand je voyage à l'étranger, la France a une voix spécifique.
Q.- Oui, vous rentrez d'Haïti.
R.- Je rentre d'Haïti et je repars en Indonésie. Donc, la France a une voix spécifique qui veut être entendue, qui doit être entendue dans son originalité, et c'est important parce que nous sommes responsables politiques de la diplomatie française.
Q.- Mais alors, quelle est la voix aujourd'hui spécifique ? Est-ce que la politique étrangère a évolué...
R.- Notre voix c'est de dire l'originalité...
Q.- Est-ce qu'elle a évolué la politique étrangère par rapport à celle conduite par J. Chirac et son équipe ?
R.- Bien sûr ! Nous sommes dans une diplomatie d'ajustement, une diplomatie différente. Vous avez bien pu voir la tonalité qu'a donnée N. Sarkozy aux premiers mois de sa politique étrangère. Il a eu un langage de fermeté, par exemple par rapport à la Russie, par rapport à la Chine, parlant même de brutalité. B. Kouchner est en ce moment en Russie où il compte bien parler des droits de l'Homme. Nous disons les choses...
Q.-...la Russie qui bloque à propos de l'Iran.
R.- Nous disons les choses. Mais ça n'empêchera jamais la France de donner son avis et de suivre une ligne tout à fait originale, qu'elle seule peut tenir parce que son histoire, son identité commandent cette spécificité-là et il n'y a aucun alignement vis-à-vis des Etats-Unis. Et le fait, par exemple, de dire que de temps en temps on est d'accord avec les Américains ne signifie pas qu'il y a alignement parce que nous ne sommes pas ennemis des Américains. On a quand même une histoire qui montre une forte amitié. Nous collaborons dans beaucoup de domaines, comme la lutte contre le terrorisme.
Q.- On n'est pas dans la diplomatie du hamburger, quoi, si j'ai bien compris, R. Yade.
R.- Non, on n'est pas dans cette diplomatie-là, on est dans une diplomatie réaliste d'ajustement, de rupture, et on est tous, aussi bien le Premier ministre, le Président de la République, B. Kouchner, moi-même, ainsi que tous les autres du Quai d'Orsay, sur cette ligne-là.
Q.- Je vous repose quand même une dernière fois la question, R. Yade, et puis on va passer à autre chose : est-ce que nous nous alignons si les Etats-Unis ou Israël se mettent à bombarder l'Irak ?
R.- On n'en est pas là.
Q.- Bon ! On n'en est pas là !
R.- Et je pense qu'il ne faut pas effrayer les opinions en parlant d'éventualité de guerre.
Q.- Alors, dites-le nous ! Ce n'est pas moi qui ai parlé de guerre, c'est B. Kouchner.
R.- Les choses arriveront...
Q.- Je vous le rappelle R. Yade, ce n'est pas moi, c'est votre ministre.
R.- B. Kouchner a bien clarifié les choses.
Q.- Il a parlé de guerre, ce n'est pas moi. « Nous devons nous préparer au pire », a-t-il dit.
R.- « Au pire » ça ne veut pas forcément dire une guerre. Et puis quand bien même, imaginons même que ça arrive, nous, ça n'arrivera pas tant que la France n'aura pas suivi une ligne diplomatique jusqu'au bout, voilà.
Q.- Bon ! Alors, le regroupement familial.
R.- Et B. Kouchner a eu raison de dire les choses parce qu'il faut être réaliste.
Q.- Vous dites ça parce que c'est votre ministre ou parce que vous le pensez ?
R.- Non, ce n'est pas parce que c'est mon ministre ou que je l'aime bien, je le dis...
Q.-... vous êtes aux ordres, R. Yade.
R.- Absolument pas ! Ecoutez, il faut une certaine discipline.
Q.- On l'a vu à Aubervilliers, c'est vrai que vous n'êtes pas...
R.- Vous voyez, je suis sage, au fond. Il faut une certaine cohérence dans notre action diplomatique, on ne peut pas se permettre de faire parler trois ou quatre voix de la France.
Q.- Alors, le regroupement familial, parlons-en. Cela fait combien de lois, je ne sais plus, sur le regroupement familial ? Une douzaine de lois en trente ans, enfin c'est fou. On en fait une par an, nous sommes les champions du nombre de lois dans le monde en France. Alors, le regroupement familial, dites-moi, ces fameux tests génétiques, ADN, là, qui ne peuvent être pratiqués, qui vont être pratiqués pour tous ceux qui veulent faire venir leur famille en France.
R.- Justement, je regarde...
Q.- Alors, allez-y, allez-y, R. Yade !
R.- Là-dessus, premièrement, moi je suis secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères.
Q.- Oui, et aux Droits de l'Homme, aux Droits de l'Homme, ne l'oubliez pas ça.
R.- Et tout à fait à l'aise pour parler des affaires étrangères. Droits de l'Homme effectivement. Je voudrais dire un mot en préliminaire : c'est qu'en étant secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et aux Droits de l'Homme, ma mission est tournée vers l'international. Simplement, j'ai réalisé une chose, c'est que lorsque je suis à l'étranger et que j'invoque ce message universaliste de la France que sont les droits de l'Homme, il arrive que certains de nos interlocuteurs nous disent, « vous n'avez pas de leçon à nous donner, il faut que vous regardiez d'abord chez vous », confère le dernier rapport d'Amnisty International concernant la France. Donc, il est important de temps en temps, c'est vrai, de se pencher sur les droits de l'Homme en France pour renforcer notre message à l'extérieur, dans ce seul objectif-là parce qu'on ne peut aller prêcher un certain message si on met en cause. Donc, c'est pour ça que de temps en temps, c'est vrai, la question des droits de l'Homme en France doit être une préoccupation.
Q.- On est bien d'accord.
R.- Mais c'est une préoccupation pour l'ensemble des membres du Gouvernement et je pense, nous, pays des droits de l'Homme, 1789, ça a du sens.
Q.- Alors, vous êtes favorable à la mise en place de ces tests ADN ou pas ?
R.- C'est donc à ce titre-là que je vais répondre à votre question.
Q.- Que vous vous positionnez, voilà, j'ai compris.
R.- Voilà ! Alors, je pense que sur cette affaire de tests ADN, ce n'est pas une proposition gouvernementale.
Q.- Non !
R.- C'est une proposition qui nous vient de l'Assemblée nationale.
Q.- Oui, d'un militant et député UMP, T. Mariani, qui est le rapporteur.
R.- D'un député UMP, c'est vrai.
Q.- Qui est le rapporteur quand même du texte gouvernemental.
R.- Oui, qui est rapporteur du texte gouvernemental mais c'est une initiative parlementaire.
Q.- Bon, d'accord.
R.- Et donc, on est quand même dans un pays démocratique...
Q.- ... bien sûr, bien sûr.
R.-... où le Parlement a le droit de faire des propositions, donc avant d'interdire aux parlementaires de dire quoi que ce soit, laissons-les s'exprimer.
Q.- Bien sûr, bien sûr.
R.- Deuxièmement, je pense qu'il n'y a absolument aucun tabou, que tout doit pouvoir être débattu. Et que, troisièmement, sur cette proposition-là, qui n'est pas un test génétique puisque ça se fait sur une base volontaire, que cette proposition-là existe déjà dans plus d'une dizaine de pays.
Q.- Oui, mais est-ce un argument ?
R.- Donc, moi, je suis favorable au débat.
Q.- Vous êtes favorable au débat. Vous ne dites pas si vous êtes favorable ou pas à ces tests génétiques.
R.- Le Gouvernement n'a pas encore pris position...
Q.- Si. Enfin, j'ai entendu des ministres prendre position. F. Amara, qui est contre...
R.- F. Amara, je comprends tout à fait sa position qui est due à son histoire et à son engagement associatif. Elle a tout à fait le droit de donner sa position.
Q.- Et par rapport à votre histoire, vous avez une position personnelle sur ces tests ?
R.- Moi, je suis pragmatique, c'est-à-dire qu'à partir du moment où plus d'une dizaine d'autres pays européens le font et que ces pays ne sont pas soupçonnables d'être des dictatures ou des pays qui violent les droits de l'Homme, ce sont des pays européens, membres de l'Union européenne, je ne vois pas pour l'instant...
Q.- ...Alors je vous pose une question précise : que fait-on si une femme qui désire rejoindre son mari et qui a trois enfants de pères différents ? Imaginons...
R.- Je ne comprends pas votre question.
Q.- Ben, imaginons qu'elle ait un bâtard, elle fait quoi pour venir rejoindre son mari en France ? Un bâtard, comme on dit parfois malheureusement. Qu'est-ce qu'elle fait ? Elle abandonne cet enfant parce qu'il n'est pas génétiquement du même père ?
R.- Non, je ne pense pas qu'on puisse réduire cet amendement à une question génétique parce que je vous dis les choses se font sur une base volontaire.
Q.- C'est pourtant un test génétique, R. Yade.
R.- Ce n'est pas un test génétique au sens scientifique où c'est une obligation, ce n'est pas non plus un fichier génétique dans le sens où on conserverait...
Q.- ...est-ce que le lien de filiation se réduit à la dimension biologique ? C'est la question posée, au fond.
R.- Vous savez ce que sous-tend cette proposition ? C'est qu'il y a eu un rapport présenté en juillet dernier par le sénateur Gouteyron, qui expliquait qu'il est très difficile de prouver la filiation des gens à cause des défections en matière d'état-civil dans certains pays. Et ces défections, c'est 30 à 80 % dans certains pays. Et donc, l'objectif c'est quoi ? C'est finalement de dire aux gens : « si vous faites ce test génétique, la procédure s'accélérera pour vous », voilà. Donc, mais franchement, là...
Q.- ... on va peut-être mettre en place aussi de faux tests génétiques dans ces pays.
R.- Le Gouvernement n'a pas encore pris position là-dessus, des individualités l'ont fait, ce n'est pas une proposition du Gouvernement, donc laissons le débat prendre place et après on verra.
Q.- Bon, laissons le débat mais votre position, vous ne la définissez pas, vous ne la donnez pas.
R.- Non, c'est-à-dire je ne suis pas fermée.
Q.- Vous n'êtes pas fermée !
R.- Je ne vois pas...
Q.-... il n'est pas question d'être fermée, il est question de dire ce que vous pensez du sujet.
R.- J'attends de voir le débat parlementaire pour avoir tous les éléments en main.
Q.- Pour avoir un avis.
R.- Voilà ! Tant que je n'ai pas tous les éléments en main, parce que je vous rappelle que ce n'est pas une proposition gouvernementale, j'attends de pouvoir me prononcer. Et je vous promets qu'à ce moment-là, on en reparle.
Q.- Bien d'accord. Il est quelle heure ? Il est 8h45, vous êtes sur RMC. R. Yade est notre invitée, vous voulez l'interroger... A tout de suite. [...]
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 18 septembre 2007