Texte intégral
Q - Vous avez lu le livre de Florence Hartmann "Paix et Châtiment", vous connaissez à présent ce scandale, l'état des lieux de la justice internationale, un Tribunal pénal international infiltré, les recels des preuves, les fugitifs protégés...
R - C'est tout à fait impressionnant. On découvre que le Tribunal pénal international était dans les mains des grandes puissances, prêtes à l'utiliser comme un instrument tactique. Les TPI ont fait l'unanimité dans la communauté internationale, en 1993 pour l'ex-Yougoslavie puis l'année suivante pour le Rwanda, et c'est effarant de voir comment des enjeux de pouvoir politique peuvent prendre le dessus sur la justice. Nous avons ici l'exemple d'une forme de raison d'Etat qui l'emporte sur la morale et la justice.
Q - Droits de l'Homme, morale, justice internationale : comment comptez-vous défendre ces valeurs fondamentales face aux intérêts politiques ?
R - La justice internationale fait partie de mes trois priorités, avec la liberté d'expression et les violences faites aux femmes et aux enfants, telles les violences sexuelles qu'elles subissent actuellement au Darfour ou le phénomène des enfants soldats. Concilier la "realpolitik" et la morale, les intérêts et les valeurs, c'est précisément l'objet de ma mission.
Q - Quelle est la position de la France ?
R - Le président de la République, qui est le chef de la diplomatie, et le ministre des Affaires étrangères doivent assurer la continuité des relations entre Etats. Mais mon rôle est d'assumer le côté moral dans les relations internationales. Nicolas Sarkozy a créé un secrétariat d'Etat avec les mots "Droits de l'Homme", rien ne l'y obligeait. Il a créé cette fonction pour qu'on en fasse quelque chose. Les Droits de l'Homme en politique internationale, c'est le droit de s'indigner et de pouvoir dire "non" de temps en temps. Mais ce sont des mots qu'il ne faut pas galvauder, autrement ils perdraient leur sens.
Q - C'est vous qui avez désiré cette fonction ?
R - On ne demande pas à être ministre, on vous le propose. Aux Affaires étrangères j'avais d'abord pensé à l'humanitaire.
Q - Ne craignez-vous pas que, quelles que soient les bonnes intentions du départ, vous ne deveniez, à l'image de la justice pénale internationale, un alibi au service de la realpolitik ?
R - Pendant la campagne électorale, on craignait que je sois l'alibi "minorités" puis que je sois l'alibi "jeune". Maintenant vous me parlez d'être un alibi moral. En tout cas ce n'est pas moi qui renoncerai à mes credos pour me protéger. Je ne suis pas du genre à me taire. Je n'ai pas de siège d'élu à défendre, et puis je n'ai que 30 ans. Je fais de la politique parce que je pense qu'on peut changer les choses. C'est même la seule raison pour laquelle j'en fais.
Q - En dehors de vos trois grandes priorités, on vous imagine à l'affût de tout dérapage. Vous êtes un peu un garde-fou du gouvernement.
R - Ce n'est pas moi qui ai proclamé que la France était le pays des Droits de l'Homme, c'est la France de 1789 ; mais maintenant il faut être à la hauteur de nos engagements et les défendre sur la scène internationale. Au regard de la lutte contre l'impunité, les Droits de l'Homme ne peuvent pas être que des mots, que des discours, comme c'est souvent le cas. Par exemple, nous défendons le champ de compétence de la Cour internationale de justice, qui se doit d'être universelle et plus indépendante. Parfois, il nous faut aussi agir discrètement. J'ai fait partie de ceux qui sont intervenus auprès du gouverneur du Texas pour commuer une peine de mort en prison à vie.
Q - Mais saboter le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie pour des raisons d'Etat qui sont souvent des intérêts d'individus, n'est-ce pas atteindre la justice internationale dans son ensemble, la révéler comme une pure utopie ?
R - Je ne pense pas que l'impunité soit un concept creux ! La justice pénale internationale constitue un grand progrès pour l'humanité. Rendre justice aux victimes est primordial, de même que faire connaître la vérité sur les crimes. Et puis les dictateurs, tous ces dirigeants qui utilisent la violence pour gouverner leur peuple, savent à présent qu'ils peuvent avoir à rendre compte de leurs actes devant la justice.
Q - Le droit d'ingérence devient donc un devoir ?
R - Absolument, il n'y a plus d'autarcie. Tout pays est aujourd'hui soumis au regard de la communauté internationale. J'ai vécu jusqu'à l'âge de 8 ans au Sénégal, je me sens moi-même un enfant de l'universalité. Et si les Etats ne rendent pas justice, ce sont les ONG, les artistes, les intellectuels qui l'exigeront... Dans notre société multilatérale où on regarde tous les mêmes médias, ce n'est plus de l'ingérence, c'est un devoir que de protéger les populations civiles. Et la mobilisation des opinions publiques est souvent plus efficace que celle des Etats, j'en suis certaine.
Q - Srebrenica conquise dans le sang a été offerte aux autorités génocidaires par les accords de Dayton qui scellaient la partition d'un pays membre des Nations unies. Grâce aux révélations contenues dans ce livre, le temps est-il venu de réparer les erreurs du passé ?
R - A Srebrenica, quelque chose d'irréparable s'est produit. Quant aux accords de Dayton, si leur mérite a été de faire en sorte que le sang cesse de couler, il est clair en revanche qu'ils n'ont pas débouché sur une solution politique viable, et qu'ils devront être revus.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 septembre 2007
R - C'est tout à fait impressionnant. On découvre que le Tribunal pénal international était dans les mains des grandes puissances, prêtes à l'utiliser comme un instrument tactique. Les TPI ont fait l'unanimité dans la communauté internationale, en 1993 pour l'ex-Yougoslavie puis l'année suivante pour le Rwanda, et c'est effarant de voir comment des enjeux de pouvoir politique peuvent prendre le dessus sur la justice. Nous avons ici l'exemple d'une forme de raison d'Etat qui l'emporte sur la morale et la justice.
Q - Droits de l'Homme, morale, justice internationale : comment comptez-vous défendre ces valeurs fondamentales face aux intérêts politiques ?
R - La justice internationale fait partie de mes trois priorités, avec la liberté d'expression et les violences faites aux femmes et aux enfants, telles les violences sexuelles qu'elles subissent actuellement au Darfour ou le phénomène des enfants soldats. Concilier la "realpolitik" et la morale, les intérêts et les valeurs, c'est précisément l'objet de ma mission.
Q - Quelle est la position de la France ?
R - Le président de la République, qui est le chef de la diplomatie, et le ministre des Affaires étrangères doivent assurer la continuité des relations entre Etats. Mais mon rôle est d'assumer le côté moral dans les relations internationales. Nicolas Sarkozy a créé un secrétariat d'Etat avec les mots "Droits de l'Homme", rien ne l'y obligeait. Il a créé cette fonction pour qu'on en fasse quelque chose. Les Droits de l'Homme en politique internationale, c'est le droit de s'indigner et de pouvoir dire "non" de temps en temps. Mais ce sont des mots qu'il ne faut pas galvauder, autrement ils perdraient leur sens.
Q - C'est vous qui avez désiré cette fonction ?
R - On ne demande pas à être ministre, on vous le propose. Aux Affaires étrangères j'avais d'abord pensé à l'humanitaire.
Q - Ne craignez-vous pas que, quelles que soient les bonnes intentions du départ, vous ne deveniez, à l'image de la justice pénale internationale, un alibi au service de la realpolitik ?
R - Pendant la campagne électorale, on craignait que je sois l'alibi "minorités" puis que je sois l'alibi "jeune". Maintenant vous me parlez d'être un alibi moral. En tout cas ce n'est pas moi qui renoncerai à mes credos pour me protéger. Je ne suis pas du genre à me taire. Je n'ai pas de siège d'élu à défendre, et puis je n'ai que 30 ans. Je fais de la politique parce que je pense qu'on peut changer les choses. C'est même la seule raison pour laquelle j'en fais.
Q - En dehors de vos trois grandes priorités, on vous imagine à l'affût de tout dérapage. Vous êtes un peu un garde-fou du gouvernement.
R - Ce n'est pas moi qui ai proclamé que la France était le pays des Droits de l'Homme, c'est la France de 1789 ; mais maintenant il faut être à la hauteur de nos engagements et les défendre sur la scène internationale. Au regard de la lutte contre l'impunité, les Droits de l'Homme ne peuvent pas être que des mots, que des discours, comme c'est souvent le cas. Par exemple, nous défendons le champ de compétence de la Cour internationale de justice, qui se doit d'être universelle et plus indépendante. Parfois, il nous faut aussi agir discrètement. J'ai fait partie de ceux qui sont intervenus auprès du gouverneur du Texas pour commuer une peine de mort en prison à vie.
Q - Mais saboter le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie pour des raisons d'Etat qui sont souvent des intérêts d'individus, n'est-ce pas atteindre la justice internationale dans son ensemble, la révéler comme une pure utopie ?
R - Je ne pense pas que l'impunité soit un concept creux ! La justice pénale internationale constitue un grand progrès pour l'humanité. Rendre justice aux victimes est primordial, de même que faire connaître la vérité sur les crimes. Et puis les dictateurs, tous ces dirigeants qui utilisent la violence pour gouverner leur peuple, savent à présent qu'ils peuvent avoir à rendre compte de leurs actes devant la justice.
Q - Le droit d'ingérence devient donc un devoir ?
R - Absolument, il n'y a plus d'autarcie. Tout pays est aujourd'hui soumis au regard de la communauté internationale. J'ai vécu jusqu'à l'âge de 8 ans au Sénégal, je me sens moi-même un enfant de l'universalité. Et si les Etats ne rendent pas justice, ce sont les ONG, les artistes, les intellectuels qui l'exigeront... Dans notre société multilatérale où on regarde tous les mêmes médias, ce n'est plus de l'ingérence, c'est un devoir que de protéger les populations civiles. Et la mobilisation des opinions publiques est souvent plus efficace que celle des Etats, j'en suis certaine.
Q - Srebrenica conquise dans le sang a été offerte aux autorités génocidaires par les accords de Dayton qui scellaient la partition d'un pays membre des Nations unies. Grâce aux révélations contenues dans ce livre, le temps est-il venu de réparer les erreurs du passé ?
R - A Srebrenica, quelque chose d'irréparable s'est produit. Quant aux accords de Dayton, si leur mérite a été de faire en sorte que le sang cesse de couler, il est clair en revanche qu'ils n'ont pas débouché sur une solution politique viable, et qu'ils devront être revus.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 septembre 2007