Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, dans le "Corriere della Sera" du 28 janvier 1999, sur la nécessité d'une "injonction" du Groupe de contact en vue d'une négociation diplomatique d'un statut d'autonomie du Kosovo.

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Média : Corriere della sera - Presse étrangère

Texte intégral

Q - Après le massacre de Racak, on a dit que le Kossovo pourrait devenir une nouvelle Bosnie. Est-ce que vous partagez cette opinion ?
R - Non. La situation est dramatique au Kossovo, comme elle l'a été en Bosnie, mais les problèmes sont différents, et donc les solutions ne sauraient être les mêmes.

Q - L'Europe encore une fois, donne l'impression d'être impuissante soit politiquement soit militairement.
R - Pourquoi mettre en accusation l'Europe ? Est-ce que les Etats-Unis et la Russie ne buttent pas exactement sur les mêmes obstacles ? Quand a-t-elle prétendu être toute puissante ? L'Union européenne exerce depuis mars dernier toutes les pressions qui dépendent d'elle. Elle a adopté des sanctions contre Belgrade. Elle a inspiré ou soutenu les positions du Groupe de contact où les quatre européens jouent eux-mêmes un rôle clef. A l'OTAN, les alliés européens ont pris leur part dans le brandissement de la menace. Ils ont contribué à l'automne à empêcher la catastrophe humanitaire. La force d'extraction de l'OTAN stationnée en Macédoine est composée de seuls Européens. Les Européens sont également les premiers contributeurs à la Mission de vérification de l'OSCE au Kossovo. Le problème est compliqué mais c'est vrai pour toute la communauté internationale. Evitons le masochisme européen.

Q - On propose de donner une dernière chance à la diplomatie. Comment ?
R - En menant un " forcing " diplomatique. Le Groupe de contact doit adresser d'urgence une injonction aux deux parties pour que la négociation se conclue et que l'accord se fasse sur la base du projet de statut d'autonomie substantielle déjà élaborée. Cette injonction est renforcée par les menaces de l'OTAN, par la mobilisation du Conseil de sécurité et de l'OSCE, appuyée par la solidarité active de tous les Européens.

Q - La France, la Grande-Bretagne et l'Italie parlent d'un statut d'autonomie substantielle pour le Kossovo. Pouvez-vous expliquer cette proposition ? Pourra-t-elle être acceptée par Milosevic et par les Kossovars ?
R - Dès novembre 1997, la France et l'Allemagne avaient appelé le président Milosevic à rétablir un statut spécial pour le Kossovo au minimum comparable à celui qui avait existé de 1974 à 1989. Dès le début de la crise en mars, les membres du Groupe de contact ont déclaré intolérable le statu quo parce que les droits des Albanais sont bafoués. Mais ils ont été unanimes à juger déstabilisante et dangereuse l'indépendance qui poserait aussitôt la question de la " grande Albanie " et de l'avenir des non-Albanais (à commencer par les Serbes) qui vivent au Kossovo et serait un précédent dans toute la région. Le Groupe de contact a donc estimé que la solution était l'autonomie la plus large possible, à l'intérieur des frontières internationalement reconnues de la République fédérale de Yougoslavie. Sur la base des nombreuses navettes de M. Hill, le Groupe de contact a identifié les éléments constitutifs de cette " autonomie substantielle ". Puisque les deux parties n'ont pas voulu, ou pu, négocier, nous devons être prêts à les y forcer jusqu'à la conclusion d'un accord, et à apporter les garanties nécessaires.

Q - Milosevic est l'interlocuteur de la diplomatie occidentale mais il est en même temps l'un des principaux obstacles à la solution de la crise. Peut-on lui faire confiance ?
R - Le problème ne se pose pas comme cela. Dans cette région comme ailleurs, on ne règle les conflits qu'en traitant avec les protagonistes quoiqu'on pense d'eux. Il ne s'agit pas de faire " confiance ". Il s'agit de créer les conditions objectives d'une solution. C'est le raisonnement qui a prévalu lors des Accords de Dayton sur la Bosnie, ou lorsque Richard Holbrooke, agissant au nom du Groupe de contact, a obtenu l'accord d'octobre dernier qui a permis le déploiement d'une mission de l'OSCE au Kossovo, ce qui a enrayé la catastrophe humanitaire. Ajoutez à cela que le gouvernement de Belgrade est soutenu par presque toutes les forces politiques serbes. Il faut agir sur la base de ces faits. C'est vrai aussi du côté des Albanais du Kossovo.

Q - Faut-il intervenir pour empêcher une nouvelle guerre en cas de faillite des pourparlers diplomatiques ? Et, si oui, avec quels objectifs et quels moyens ? Au contraire, si les négociations aboutissent, faut-il penser à une force internationale qui fasse respecter les accords, comme en Bosnie ?
R - Dans l'immédiat, nous faisons tout pour débloquer la situation, et sortir de l'impasse actuelle. Nous avons engagé un forcing diplomatique pour obtenir un accord. Si c'est le cas, il nous faudra réfléchir à un appui au maintien de la paix et à une forme de garantie de l'accord : cela peut nécessiter une présence au sol. En cas d'absence d'accord du fait d'un blocage par l'une ou l'autre des parties, aucun moyen d'action, y compris militaire, n'est exclu à condition qu'il serve l'objectif : la coexistence entre les Serbes et les Albanais. Les décisions à prendre seraient, dans ce cas, très lourdes de conséquences. Mais nous n'en sommes pas là et j'espère que les efforts et les pressions de tous vont permettre dans les prochains jours d'arracher un accord.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr)