Déclaration de Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, sur les acquisitions du Centre Georges Pompidou, le mécénat culturel et le plan gouvernemental en faveur du marché de l'art, Paris le 24 septembre 2007.

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Circonstance : Présentation de l'oeuvre "l'Adoration du veau " de Picabia à Paris le 24 septembre 2007

Texte intégral

Monsieur le Président du Centre Pompidou, cher Alain Seban,
Monsieur le Président de la Société des Amis du Musée national d'art moderne, cher François Trêves,
Cher Eric Boissonnas,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
Je suis très heureuse, et très fière, de présenter cette œuvre L'Adoration du veau, de Picabia, qui rejoint aujourd'hui nos collections nationales, grâce au soutien de généreux mécènes.
Ce tableau, au-delà de son intérêt esthétique, nous raconte un chapitre entier de notre histoire. Il nous plonge dans la France des années quarante, où l'effervescence artistique répond au tragique de l'histoire. Il nous raconte la montée du fascisme en Allemagne, mais aussi la fièvre des débats autour du tout nouveau surréalisme. Il raille ce Minotaure, figure tutélaire du mouvement que fonda André Breton, et que Picabia ne cessa de considérer comme une trahison du Dadaïsme.
Il nous raconte aussi la banalisation des images dans les magazines, et le détournement sceptique, critique, ironique que leur infligeaient déjà nos artistes. Lui-même détournement de détournement, puisque inspiré d'un collage de l'artiste allemand Erwin Blumenfeld, L'Adoration du veau est en cela profondément moderne, comme l'a très bien montré l'exposition « Cher peintre », organisée au Centre Pompidou en juin 2002.
Il trouvera donc naturellement sa place, dans ce Musée qui compte déjà 41 œuvres de Picabia, au sein de ce que l'on peut considérer comme la plus importante collection d'Europe en matière d'art moderne et contemporain. Remarquable par la richesse de ses ensembles patrimoniaux, comme par l'attention portée à toutes les formes d'expression contemporaine, cette collection couvre tous les domaines de la création au XXème siècle. Je n'oublie pas le riche patrimoine documentaire, le trésor d'archives, de revues, et de livres précieux, rassemblés dans la bibliothèque Kandinsky. La politique d'acquisition du centre se situe à ce niveau d'exigence.
Pour cela, le Centre Pompidou a toujours pu compter sur le soutien des grands donateurs et des mécènes, qui ont véritablement accompagné l'histoire de cette collection. Parmi eux, la famille Boissonnas a été l'une des plus généreuses. C'est avec l'aide d'Eric et Sylvie Boissonnas que le Centre Georges Pompidou pu acquérir certains jalons essentiels de sa collection comme La Croix noire de Malevitch ou encore le portrait de Greta Prozor de Matisse.
Il faut croire que l'amour de l'art, comme la générosité, se transmettent de génération en génération, puisque c'est aujourd'hui, leur fils, Jacques Boissonnas, qui apporte une contribution majeure à l'entrée de l'Adoration du veau dans la collection.
Je salue son engagement fidèle, et enthousiaste, ainsi que celui de la Clarence Westbury Foundation, depuis plusieurs années maintenant, aux côtés du Centre Pompidou.
Je veux saluer également François Trèves. La Société des Amis du Musée, qu'il préside, soutient très régulièrement la politique d'acquisition du Centre. Elle a également apporté une aide substantielle pour l'achat de cette œuvre.
Votre présence à tous aujourd'hui, et depuis des années, auprès de cette institution phare de notre pays, montre tout ce que la France doit à ses grands mécènes, entreprises ou particuliers. Les lois de 2002 et 2003 ont largement contribué à développer ce partenariat fécond entre la culture et la sphère privée. Elles ont offert un nouvel élan au mécénat en France, et nous ne pouvons que nous en réjouir.
Parce que je suis convaincue que le mécénat est non seulement une très belle aventure humaine, pour tous ses acteurs, mais aussi le signe de la vitalité, de l'attractivité, de l'excellence de nos institutions. Ce n'est bien évidemment pas le seul signe, mais je crois que c'est un baromètre important de la faculté qu'ont nos établissements à innover, à s'ouvrir, et à partager leurs trésors avec un large public.
Le Centre Pompidou, qui s'apprête à étendre ses antennes à la fois à Metz et jusqu'en Asie, fait à cet égard figure d'exemple, et je tiens à saluer chaleureusement son nouveau Président, M. Alain Seban. Le Centre rassemble autour de lui de très nombreuses énergies, des entreprises, des particuliers, fiers de soutenir une institution dynamique, à la fois porteuse d'une très grande exigence scientifique, soucieuse de s'adresser à tous les publics, et résolument ouverte sur le monde.
Oui, les lois de 2002 et 2003 nous ont fait changer d'époque. Mais je veux aller encore plus loin. Je veux évaluer l'efficacité de ce dispositif, avec tous les acteurs de la vie culturelle et du mécénat. Et je veux que cette concertation aboutisse à des propositions concrètes pour le cinquième anniversaire de la loi.
Je veux lever les derniers freins. Cela peut être, dans certains cas, l'affaire de simples réglages, comme pour l'assouplissement des conditions d'exposition des œuvres acquises par les entreprises, ou encore pour l'extension du bénéfice de la loi aux festivals d'arts plastiques.
Mais cela appelle aussi sans doute des modifications plus profondes, à la hauteur de ce renouveau des mentalités qu'appelle de ses vœux le Président de la République.
Je veux mettre fin notamment à la différence de traitement entre entreprises et particuliers, ces derniers étant exclus du bénéfice du dispositif dans le secteur du spectacle vivant.
Je veux examiner également la possibilité d'introduire en droit français l'outil de financement, particulièrement usité aux Etats-Unis, que constitue le « fonds de dotation » (endowment fund) - caractérisé par un capital inaliénable dont seul le revenu de placement est utilisé.
Je veux examiner toutes les innovations possibles. Parce que le mécénat est une chance formidable pour nos institutions. Mais aussi parce qu'il participe pleinement au dynamisme, à l'attractivité, et à la compétitivité du marché de l'art français.
Et je crois que sur ce dernier sujet également, il est temps de nous poser les bonnes questions.
La France demeure un grand marché de l'art et ne cesse de progresser, grâce au dynamisme de nos galeristes, de nos maisons de vente, de nos antiquaires - et, bien sûr, de nos créateurs. Notre pays occupe ainsi la troisième place mondiale pour les ventes d'œuvres d'artistes vivants.
Toutefois, il ne faut pas se cacher que la France se situe désormais très loin derrière les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Sur le long terme, le recul de son rang est indéniable. L'exemple des ventes aux enchères est frappant : le chiffre d'affaires de Drouot en 1950 équivalait à la somme de celui de Christie's et Sotheby's - maisons qui contrôlent désormais, à elles seules, plus de 70% du marché mondial.
Il faut impérativement renverser cette tendance, et le faire très rapidement. En effet, si le marché français reste encore soutenu par le patrimoine exceptionnel de notre pays, qui en fournit la matière première, ce « réservoir » se vide inexorablement : une œuvre est importée pour deux œuvres exportées.
Or, le marché de l'art, au-delà de son importance économique, constitue également le support de la création et le vecteur de sa diffusion. C'est aussi l'un des lieux essentiels du rayonnement culturel international de la France. Les enjeux, pour la ministre que je suis, sont donc multiples, et j'entends y faire face avec détermination.
C'est un véritable plan de renouveau pour le marché de l'art français que j'ai l'ambition de lancer à très brève échéance.
Les mesures que je souhaite présenter à l'approbation du Premier ministre et du Président de la République, qui en a fait l'un des thèmes majeurs de la lettre de mission qu'il m'a adressée, s'attaqueront à chacune des entraves au dynamisme de ce marché.
Ce plan devrait se développer selon quatre pistes principales.
En premier lieu, notre pays souffre, par rapport à ses grands concurrents, du faible nombre d'acheteurs - en particulier pour les œuvres de nos artistes. L'accroissement du nombre de collectionneurs répond de ce fait à une double nécessité : favoriser la défense de notre création, et multiplier les acheteurs actifs sur le territoire national.
Or, nombreux sont les Français, tentés, qui hésitent néanmoins à franchir l'étape de l'achat de la première œuvre. J'entends m'adresser à eux tout particulièrement.
Je crois qu'il est en effet possible, en facilitant cette première acquisition grâce à un crédit d'impôt ou à un prêt sans intérêts, de favoriser l'éclosion de la vocation de collectionneur au sein de nouvelles couches de la population, notamment chez les jeunes actifs.
Par ailleurs, il sera également nécessaire de lever les incertitudes qui planent depuis plusieurs années au sujet de l'intégration des œuvres d'art dans l'assiette de l'ISF.
En deuxième lieu, il faut favoriser le retour en France de ventes qui s'effectuent à l'étranger. Ce chantier complexe est essentiellement de nature fiscale, et j'entends m'y attaquer avec l'appui de Bercy.
C'est d'abord la question de l'allègement des prélèvements qui doit être posée. Je pense notamment à la TVA à l'importation, appliquée à l'entrée de l'Union européenne et acquittée par les vendeurs. Il ne fait pas de doute qu'elle décourage les non-Européens de vendre à l'intérieur de la Communauté.
Je pense aussi au taux non réduit de TVA appliqué la joaillerie, ou bien aux meubles « art nouveau » et « art déco », qui constituent une spécialité reconnue de la place de Paris.
Mais c'est peut-être et surtout la simplification de ces prélèvements qui doit être recherchée : l'empilement des impositions, les nombreuses options ou exceptions, créent pour l'heure une incertitude génératrice de rendement médiocre pour l'État, de charges administratives excessives pour les professionnels et de découragement pour les vendeurs.
Je souhaite enfin étudier la possibilité de favoriser, par la création d'un statut fiscal spécifique, l'installation en France de plasticiens étrangers, qui ne manquerait pas d'y stimuler le marché.
En troisième lieu, les pouvoirs publics doivent inciter et accompagner les professionnels dans la modernisation leurs entreprises.
Il faut notamment permettre aux maisons de vente et aux galeries de se développer hors du territoire français, en créant des bureaux de représentation qui leur permettront de repérer les œuvres et d'identifier les réseaux de collectionneurs - vendeurs et acheteurs.
Il convient ensuite de saisir l'opportunité de la transposition de la fameuse directive « services » pour moderniser l'organisation des sociétés de ventes volontaires - bien entendu en concertation étroite avec cette profession - et alléger au passage certaines contraintes administratives auxquelles elles sont soumises, comme le « livre de police ».
Je crois aussi qu'il faut donner aux professionnels français les moyens de participer activement au développement des ventes en ligne. Le cadre juridique de celles-ci devra donc être sécurisé. Par ailleurs, pourquoi ne pas concevoir, sur l'exemple allemand, un portail Internet unique regroupant les catalogues et annonces de vente ?
Enfin, et c'est la quatrième piste de travail que je voulais esquisser aujourd'hui, je crois que l'État doit réfléchir à ses modalités d'intervention sur le marché de l'art.
Ainsi, l'amélioration de la connaissance statistique et économique de ce marché constitue un préalable indispensable à toute action efficace des pouvoirs publics.
Par ailleurs, ont sait que l'État exerce une influence majeure sur les prix de certaines œuvres contemporaines, à travers les achats auxquels il procède. Dans ces conditions, peut-il continuer à réglementer, réguler ou contrôler directement le marché de l'art ? Ne faut-il pas s'interroger sur la création d'une autorité indépendante, qui permettrait de dissocier ces différentes fonctions ?
Toutes les pistes que je viens d'évoquer me semblent prometteuses et il faut aller vite, très vite.
Je considère toutefois que rien, bien évidemment, ne pourra se faire sans un travail en commun avec tous les professionnels du marché de l'art, aussi bien qu'avec les collectionneurs.
J'ai donc décidé de confier à Martin Bethenod, ancien délégué aux arts plastiques et désormais commissaire général de la FIAC, la mission d'expertiser et de développer les axes de travail que je viens d'esquisser.
Je souhaite qu'il puisse, dans les meilleurs délais, entendre toutes les parties prenantes du marché de l'art ainsi que des personnalités particulièrement qualifiées - économiste, fiscalistes et juristes.
Certains des chantiers à ouvrir s'inscrivent dans le long terme. Mais je souhaite pouvoir arrêter, dès la fin de l'année, une première série de mesures d'urgence.
Je voudrais enfin aborder un dernier point, qui me paraît essentiel. Nous en avons eu, malheureusement, une illustration récente : il ne sert à rien de mobiliser la société toute entière autour de nos collections nationales si nous ne sommes pas capables de lutter contre les bandes organisées qui pillent notre patrimoine pour le compte de receleurs ou de marchands d'art. J'étais à Perpignan le 13 septembre dernier, après le pillage du trésor liturgique de la cathédrale Saint-Jean. Nous ne pouvons pas rester bras les bras croisés devant de tels scandales, devant des actes aussi graves. J'ai immédiatement saisi la Garde des Sceaux, afin d'étudier la possibilité d'adapter les dispositions du Code pénal relatives au vol, au recel et à l'intrusion à la spécificité de la délinquance touchant les monuments historiques et les biens culturels.
Je crois que toutes ces actions sont parfaitement solidaires. Je sais en tout cas qu'elles sont urgentes. Je compte les mener de front, parce qu'il en va de la place de la France sur la scène internationale, du rayonnement de nos institutions, de notre patrimoine, et de nos artistes. Je sais que toutes ces ambitions tiennent à cœur aux personnes présentes ce matin, et je voudrais leur dire qu'ils peuvent compter sur moi pour les porter.

Source http://www.culture.gouv.fr, le 25 septembre 2007